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La flotte d’Ulysse fit partie du premier contingent quittant Troie. Mais lors de l’escale de Ténédos, Zeus déchaîna le fléau d’une seconde mésentente et Ulysse, se séparant de Ménélas, Nestor et Diomède, retourna vers Agamemnon qui était resté à Troie pour sacrifier aux dieux.
Lorsqu’il prit à nouveau la mer quelque temps plus tard, il aborda en premier lieu au pays des Cicones (Kikones) situé aux pieds de l’Ismaros (une montagne de Thrace) où il se livra au pillage et au meurtre des guerriers. Alors qu’il pressait ses hommes de repartir, ils refusèrent car ils voulaient profiter du vin, des moutons et « des vaches cornues à la démarche torse » qu’ils égorgeaient. Les Cicones ayant appelé leurs voisins à la rescousse, un âpre combat s’engagea et Ulysse perdit six de ses hommes.
Ayant repris la mer, Zeus déchaîna Borée (le vent du Nord) qui les obligea à rejoindre la terre ferme, rompus de fatigue et rongés de chagrin.
La séparation des différentes flottes à Ténédos « ce qui tend vers l’union » est nécessaire pour décrire les progressions du chercheur sous ses différents aspects.
Celle qui est ici considérée illustre la poursuite du yoga au-delà de « l’éveil » et de la « libération » avec la volonté de réaliser l’union esprit-matière.
La première « navigation » du chercheur le conduit à nouveau en Thrace, au pays de l’ascèse, chez les Cicones « ceux qui travaillent en force ». Nous les avons déjà rencontrés lors de l’étude du huitième travail d’Héraclès, Les Juments de Diomède, alors qu’ils se nourrissaient de chair humaine. Ils participèrent également à la guerre de Troie dans le camp troyen, sous la conduite d’Euphémos « celui qui prononce des paroles de bon augure ».
Le chercheur commence donc par s’attaquer aux mouvements de yoga qui « travaillent en force » et se détourne de leurs méthodes tout en récupérant ce qu’ils ont généré de plus intéressant, les buts et les réalisations (il tue les guerriers et s’empare des femmes et des richesses).
Mais certaines parties de lui-même sont encore séduites par les résultats de ces ascèses qui procurent ivresses (ses hommes veulent profiter du vin,…), bénéfices immédiats de la consécration ou encore illuminations intuitives faussées par le mental (…des moutons et des vaches cornues à la démarche torse qu’ils égorgent).
Si l’ascèse en force a été pratiquée pour l’amour du Divin, certains de ses fruits peuvent être mis à profit sans dommage à condition que le chercheur ne cherche pas à en jouir (tout se serait bien passé si Ulysse et ses hommes étaient partis après le partage).
La puissance de ce type d’ascèse se retourne alors contre le chercheur et le conduit à l’inverse du but recherché, à une destruction d’une partie des forces engagées dans le yoga.
Ce mythe s’applique bien évidemment à l’ensemble du chemin, mais il montre ici à quel point peut encore persister un attachement aux résultats jusqu’à une phase extrêmement avancée. Ce ne sont pas bien sûr à ce stade ultime des glorifications aisément perceptibles de l’ego, mais plutôt des attachements subtils à des réalisations passées ou projetées, à des extases sur les plans de l’esprit, à des illuminations faussées par le mental dans leur cheminement jusqu’à la conscience, ou encore à des jouissances que procure le don de soi. À l’extrême, même lorsque le chercheur a dépassé le stade du yoga personnel pour celui de l’humanité, c’est encore une attente de résultat qui entache la pureté de l’action.
À la suite de cette épreuve, le chercheur subit une influence de la force spirituelle qui contraint à l’incarnation de la façon juste : il est obligé alors de se réorienter vers une ascèse exacte, avec un nouveau mode de réceptivité des aides divines (Zeus déchaîna un vent de Borée et les voiles déchiquetées durent être remplacées).
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