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Jadis, les Phéaciens habitaient l’Hypérie, mais ils subissaient la force des Cyclopes. Aussi leur roi Nausithoos, fils de Poséidon, les en avait-il éloignés. Il les installa en Schérie où il construisit et organisa la cité.
C’était désormais son fils Alcinoos qui régnait. Ce dernier s’était uni à Arèté qui apaisait les querelles. Elle lui donna cinq fils dont deux étaient déjà mariés, et une fille Nausicaa dont la beauté était celle d’une immortelle.
Athéna se présenta en rêve à la jeune fille sous l’apparence de son amie, et la pressa de demander à son père un attelage pour aller laver le linge en vue de ses noces, ce que Nausicaa « aux bras blancs » ne manqua pas de faire dès son réveil.
Lorsque le linge fut nettoyé, la jeune fille se mit à jouer à la balle avec ses suivantes. Celle-ci tomba dans une cascade et les cris des femmes réveillèrent Ulysse. Il sortit de son abri, ayant couvert son sexe d’une branche, et s’avança vers les jeunes filles. Les servantes s’enfuirent mais Nausicaa demeura sur place. Après avoir longuement hésité sur la meilleure manière de l’approcher pour obtenir son aide, Ulysse s’adressa à elle, la comparant à Artémis puis à un surgeon de palmier qu’il avait contemplé autrefois à Délos. Il lui demanda l’asile et de quoi se vêtir. Nausicaa à son tour se présenta, affirmant que nul mortel n’avait commerce avec les Phéaciens. Elle ordonna à ses servantes aux belles boucles et aux bras blancs de donner le bain au héros, de le nourrir et le vêtir. Mais Ulysse, par pudeur, refusa leur aide. Lorsqu’il se fut baigné et qu’il eut revêtu les habits donnés par Nausicaa, Athéna donna à ses cheveux des reflets hyacinthe.
Nausicaa, à le voir resplendissant, pressentit la main des dieux en ce héros « d’endurance ». Elle proposa de le conduire auprès de son père, donnant toutes instructions pour que l’entrée dans la ville se fasse dans la plus parfaite discrétion. Elle qui jusqu’alors refusait tous les partis ne devait en aucun cas donner prise aux commérages. Le héros devait donc faire halte en un bois de peupliers consacré à Athéna pour laisser la princesse entrer seule dans la ville. Puis à son arrivée au palais, il devait se rendre directement aux pieds de la reine Arèté qui, assise au bord du foyer, enroulait sur sa quenouille les belles laines teintes du pourpre de la mer.
Ulysse fit comme Nausicaa avait dit. Il fit halte dans le bois de peupliers et implora Athéna qui l’entendit sans toutefois se montrer à lui.
Les Phéaciens « ceux qui permettent la pénétration de la lumière » ou « ceux qui ouvrent à la lumière » représentent les forces spirituelles qui favorisent la transition vers un plan supérieur, plan que Sri Aurobindo a nommé supramental.
Dans les temps anciens, ces forces étaient établies dans le supramental : l’Hypérie, la région de « la conscience au-dessus ou au-delà ». Ce nom est à rapprocher de celui du Titan Hypérion « la puissance de création la plus haute » que nous avons associé au plan supramental, père d’Hélios, de Séléné et d’Éos.
Mais leur accès dépendait des plus hautes capacités de « vision » de l’aventurier de la conscience qui « s’imposaient » et s’en attribuaient certaines manifestations (les Phéaciens devaient subir la force et les pillages des Cyclopes).
L’ouverture du chakra Ajna (ou « troisième œil ») qui peut être réalisée par différentes méthodes, offre en effet la vision de multiples plans de la Réalité, mais ne nécessite pas la purification totale de l’être. L’ego peut donc récupérer à son profit les bénéfices de cette ouverture.
Puis le subconscient (Poséidon), œuvrant pour l’évolution, rendit ces pouvoirs plus accessibles à l’aventurier et moins dépendants des capacités de « vision ». Il établit en quelque sorte un pont entre le supramental et les plans plus denses. Il permit qu’une capacité de « progression rapide sur le chemin » (Nausithoos « celui qui navigue rapidement », fils de Poséidon…) établisse une base ferme avec des pratiques bien établies pour contacter les forces qui permettent l’accès au supramental (…les conduisit en Schérie « terre ferme » et bâtit la cité).
A plusieurs reprises, nous avons mentionné qu’une des caractéristiques essentielles de de l’aventurier de la conscience est la progression rapide sur le chemin, le fait de ne jamais s’arrêter longtemps sur aucune réalisation. Mère disait d’elle-même qu’elle était comme un ouragan dans sa progression. De même le Journal du Yoga de Sri Aurobindo nous montre à quel point sa progression était rapide.
Mais cette caractéristique n’est pas suffisante. Il faut également « un esprit ou une intelligence puissante » (Alcinoos) unie à une paix ou égalité bien établie, qui autorise le passage et le rend possible (Arèté « l’esprit élevé le plus juste » qui est dans la paix ou l’égalité car elle « apaise les querelles »). C’est-à-dire que l’accomplissement des deux voies, celle de l’ascension des plans de conscience et celle de la purification-libération, devint nécessaire pour accéder au plan de la Vérité supramentale.
Deux réalisations issues de cette alliance sont déjà actives pour faciliter ce passage (deux des cinq fils d’Alcinoos sont mariés).
La fille d’Alcinoos, Nausicaa « celle qui chemine dans le yoga avec feu », symbole d’un « besoin brûlant », assure la transition pour en permettre l’expérience. Elle représente la réalisation d’une très grande « transparence ou pureté » dans les actes, raison pour laquelle Ulysse la compare à Artémis (sa beauté est celle d’une immortelle et elle a « les bras blancs » ainsi que ses servantes). Cette transparence/pureté étant le signe de la réalisation psychique (pensée juste, sentiment juste, acte juste), Nausicaa annonce en conséquence les futures possibilités de passage par le psychique lorsque la voie d’accès par le mental sera fermée.
Le maître intérieur donne une fois de plus son appui au chercheur, car le temps est proche du moment où ce besoin brûlant va trouver une réponse (Athéna se présenta en rêve à la jeune fille sous l’apparence de son amie, et la pressa de demander à son père un attelage pour aller laver le linge en vue de ses noces).
Le chercheur doit montrer une grande délicatesse dans cette transition : il doit suivre le mouvement plutôt que l’imposer (ayant couvert son sexe d’une branche, (…) et après avoir longuement hésité sur la meilleure manière de l’approcher pour obtenir son aide). Il est parvenu à un plan de très grande pureté (Ulysse compare Nausicaa à Artémis).
Le surgeon de Palmier contemplé à Délos auquel le héros compare également Nausicaa fait peut-être référence à une vision du rayonnement futur des chakras que l’on peut avoir lors du premier contact psychique. Tourbillonnant sur eux-mêmes dans la phase actuelle, ils seraient destinés dans le futur à jaillir en fontaine, à l’image du palmier. Tant que se maintient la moindre parcelle d’ego, c’est-à-dire le moindre « sentiment d’être séparé » y compris dans le corps, le chercheur ne peut faire le passage (nul mortel n’avait commerce avec les Phéaciens).
Bien qu’il sente que des forces supérieures se proposent en vue d’une purification plus parfaite, l’aventurier termine cette purification par lui-même (Ulysse refuse l’aide des servantes aux belles boucles et aux bras blancs)
Héros « d’endurance », il est soutenu par le maître intérieur qui veille au chemin et permet que lui parviennent des éclats de conscience supramentale (Athéna donne à ses cheveux des reflets hyacinthe).
Lors de cette première expérience de contact avec le supramental, le chercheur doit faire preuve d’une totale humilité jusqu’au seuil de l’expérience afin de ne pas compromettre « la poursuite du chemin avec son feu brûlant » (Ulysse ne doit pas se montrer en compagnie de Nausicaa afin d’éviter tout risque de commérages).
Le peuplier marque « la porte de l’unité ». (Il semble avoir été utilisé comme un symbole du royaume d’Hadès, passage vers l’unité dans le corps). Le chercheur doit donc s’arrêter à ce seuil et adresser sa prière au maître intérieur afin qu’il favorise son accès au royaume de l’Unité (Ulysse implore Athéna pour lui demander un accueil favorable des Phéaciens).
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