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Télémaque et Pisistrate arrivèrent chez Ménélas le jour même où celui-ci fêtait les noces de ses deux enfants : celles de sa fille Hermione avec Néoptolème, fils d’Achille, selon la promesse faite en Troade, et celles de son fils bâtard mais bien-aimé Mégapenthès avec la fille d’Alector. Ce dernier lui était en effet né d’une esclave, car les dieux lui avaient refusé un deuxième enfant d’Hélène. Étéoneus, serviteur de Ménélas, le prévint de leur arrivée.
Dans le palais, ils furent éblouis par un éclat de soleil ou de lune qui tombait des hauteurs. Après s’être purifiés et restaurés, ils écoutèrent Ménélas leur conter ses aventures, leur affirmant qu’il ignorait le sort d’Ulysse.
Puis Hélène parut, semblable à Artémis. Tout comme Ménélas avant elle, elle reconnut en Télémaque le fils d’Ulysse car il ressemblait à son père. Pisistrate le lui confirma et Ménélas chanta la gloire de son ami Ulysse. Comme tous pleuraient sur son sort, Hélène jeta dans la boisson une drogue qui calmait la douleur et le ressentiment et dissolvait tous les maux. C’était Polydamna d’Égypte, la femme de Thôn, qui la lui avait donnée. Car l’Égypte était le pays des plus savants médecins, tous fils de Paeon, médecin des dieux.
Puis Hélène, fille de Zeus, raconta qu’elle avait reconnu et interrogé Ulysse lorsque, couvert de guenilles et jouant le mendiant, il avait pénétré à l’intérieur des murailles et tué nombre de Troyens. Il lui avait alors révélé le plan des Achéens et elle s’était réjouie car elle avait su son retour proche.
Ménélas à son tour raconta l’épisode du cheval de bois et la vaillance d’Ulysse qui retint nombre d’Achéens prêts à répondre à la voix d’Hélène. Celle-ci criait leurs noms, sans doute poussée par quelque dieu qui voulait offrir aux Troyens « une chance de gloire ».
Le lendemain matin, Ménélas raconta à Télémaque qui l’interrogeait sur son père ses aventures en Égypte. Alors qu’il était retenu sur l’île de Pharos, Idothée lui avait conseillé d’interroger son père Protée, un vieillard de la mer (voir le début du chapitre). Celui-ci l’avait renvoyé vers le fleuve Égyptos offrir des sacrifices aux dieux, ce qu’il avait omis de faire avant son départ. Protée lui avait aussi annoncé la mort d’Ajax, celle d’Agamemnon tué par Égisthe et l’immobilisation d’Ulysse retenu chez la nymphe Calypso, sans vaisseau ni marins pour quitter l’île. Enfin, Protée lui annonça qu’il séjournerait aux Champs Élysées chez le blond Rhadamanthe où il serait considéré comme le gendre de Zeus.
Ménélas proposa ensuite à Télémaque de retarder son départ de onze ou douze jours et lui offrit son plus beau cratère, un char et des chevaux. Impatient de rentrer, Télémaque déclina l’offre et refusa les chevaux qui ne pourraient vivre sur Ithaque qui était « une île à chèvres ». Ménélas échangea alors le cratère qu’il avait initialement offert avec un plus beau encore, œuvre d’Héphaïstos.
C’est à ce même moment que les prétendants Antinoos et Eurymaque « au visage de dieu » apprirent de la bouche de Noémon que Télémaque à qui il avait prêté son bateau s’était rendu à la Pylos des Sables chez Ménélas. Antinoos, furieux, convoqua les prétendants et se fit donner un navire et vingt hommes pour aller tendre une embuscade à Télémaque.
Médon prévint aussitôt Pénélope du périple de Télémaque et des projets criminels des prétendants. La reine, anéantie en apprenant ces nouvelles, voulut alerter Laërte. Mais sa servante Euryclée lui dit qu’elle avait elle-même aidé aux préparatifs du départ et qu’Athéna veillait sur Télémaque. Pénélope pria alors la déesse. Celle-ci l’entendit et généra un fantôme, lui donna les traits d’Iphthimé (la sœur de Pénélope mariée à Eumélos qui résidait à Phères) et l’envoya au chevet de Pénélope qui dormait. Le fantôme assura celle-ci du retour de son fils qui était sous la protection d’Athéna, mais il ne voulut rien dire du sort d’Ulysse.
Pendant ce temps, Antinoos fit taire les jeunes prétendants qui risquaient d’ébruiter leur projet et mit le bateau à la mer. Ayant vogué un temps, il se mit en embuscade dans la passe située entre les îles de Samé et d’Ithaque, là où il y avait un îlot rocheux, la petite Astéris qui avait un port à double goulet.
Le « futur yoga » ne peut vraiment commencer avant que ne soient réunis les éléments nécessaires décrits par les « retours » et les évènements qui leur sont associés tels la mort d’Égisthe tué par Oreste.
Dès lors, « les nouveaux combats » dans les profondeurs du vital et les infimes détails de la conscience trouvent leur raison d’être dans « l’évolution du surmental » issue de l’aspiration à la libération intégrale : Néoptolème, fils d’Achille roi des Myrmidons, épouse Hermione, fille de Ménélas.
De même, la « grande souffrance » est réorientée dans une direction qui nous échappe, car Mégapenthès « grande douleur » s’unit à la fille d’Alector « vierge » qui n’est pas nommée.
Ce qui travaille à une « véritable évolution » au service de « l’être en quête de liberté » prévient que la jonction est sur le point de se réaliser avec le yoga futur (Étéoneus informe Ménélas de l’arrivée de Télémaque et Pisistrate). Le chercheur perçoit une « nouvelle lumière » mais ne peut reconnaître toutefois sa provenance (comme Ulysse chez Alcinoos, Télémaque peut observer un éclat de soleil ou de lune sous les hauts plafonds).
Bien que n’ayant pas encore rassemblé les résultats des différents mouvements de yoga qu’il a mené en parallèle, le chercheur par son aspiration à la liberté reconnaît, du fait de leur identité de nature, les manifestations émergentes du nouveau yoga (bien que Ménélas ignore le sort d’Ulysse, lui et Hélène reconnaissent Télémaque car il ressemblait à son père).
L’aventurier a alors la possibilité de réaliser pendant une période de temps limitée par quelque pratique de yoga une parfaite égalité, celle qui est exposée par Sri Aurobindo dans Le Yoga de la perfection de Soi (Synthèse des Yogas, Le Yoga de la Perfection de Soi, chapitre L’action de l’égalité) : « une égalité parfaite et constante, qui n’est pas seulement une égalité d’âme, mais l’état de paix immuable, invariable, spontané, sans effort, à l’égard de tous les évènements et toutes les circonstances » (Hélène jeta dans la boisson une préparation merveilleuse qui suspend les douleurs et la colère, et porte avec elle l’oubli de tous les maux ; celui qui dans sa coupe la mêle à son breuvage ne verse point de larmes durant tout un jour ; non, lors même que périraient ou son père ou sa mère ; lors même que son frère ou son fils chéri seraient percés par l’airain, et qu’il le verrait de ses propres yeux.). Cette réalisation avait déjà été acquise au temps de l’ancienne Égypte par un travail de large maîtrise (Polydamna « celle qui a réalisé de nombreuses maîtrises », femme de Thôn « la conscience intérieure tournée vers le corps »). Homère affirme en effet que l’Égypte avait une civilisation de grands « initiés guérisseurs » dont l’art provenait de cette égalité parfaite qui règne dans le surmental (car l’Égypte était le pays des plus savants médecins, tous fils de Paeon « celui qui guérit », médecin des dieux).
L’aventurier se souvient ensuite d’une compréhension fugitive advenue durant la phase du grand retournement : bien que le processus en ait été à peine reconnaissable, la voie vers la libération intégrale passait par l’union esprit-matière (Hélène s’était réjouie de sa rencontre avec Ulysse qu’elle avait reconnu bien qu’il fût méconnaissable sous ses guenilles).
Il comprend aussi que les puissances de l’esprit ont voulu développer l’expérience du refus de l’incarnation jusqu’à son extrême limite (Hélène, poussée par quelque dieu, appela par leurs noms les guerriers cachés dans le cheval, offrant ainsi aux Troyens « une chance de gloire »). C’est ce qui explique que jamais Ménélas ne fit le moindre reproche à Hélène « cette fille de Zeus, divine parmi les femmes ».
À ce même moment du yoga, le chercheur intègre l’utilité pour le nouveau yoga de son cheminement pour retrouver l’ancienne connaissance des temps de l’Intuition et leurs accomplissements (Ménélas décrit en détail à Télémaque ses aventures en Égypte. Cf. le début de ce chapitre).
Il intègre également au nouveau yoga la compréhension d’évènements qu’il avait obtenue par une plongée dans les profondeurs du vital lors de cette quête des origines (Ménélas rapporte à Télémaque les paroles de Protée) :
- la fin du développement de « la plus haute conscience » issu du travail en vue de la réalisation de la réceptivité dans le corps (la mort du grand Ajax, fils de Télamon). Ce développement prend fin lorsque la priorité ainsi que les moyens de la purification sont donnés au processus d’union esprit-matière (Ajax s’était suicidé lorsque les armes d’Achille furent attribuées à Ulysse)
- la fin de « la puissante aspiration » tournée vers une amélioration de l’homme qui avait été nécessaire pour le grand renversement (la mort d’Agamemnon, époux de Clytemnestre)
- l’impression de stagnation dans le processus d’union esprit-matière (le confinement d’Ulysse chez Calypso)
- la compréhension également que l’aspiration à la liberté est la plus « juste » (le séjour annoncé de Ménélas aux Champs Élysées chez le blond Rhadamanthe).
Il confirme que la force vitale ne peut plus être un élément actif du yoga futur qui ne sera soutenu que par l’aspiration dans le corps (Télémaque refuse les chevaux offerts par Ménélas car ils ne pourraient vivre sur Ithaque qui était « une île à chèvres » aux reliefs escarpés).
En revanche, ce nouveau yoga accepte une capacité de joie plus parfaite générée par la force qui forge les formes nouvelles (Télémaque reçoit en cadeau de Ménélas le plus rare et le plus beau des cratères en sa possession qui avait été fabriqué par Héphaïstos). Le cratère était en effet un vase pour mélanger le vin et l’eau.
C’est alors que se lèvent de puissantes oppositions pour arrêter dans l’œuf ce nouveau yoga (Antinoos, furieux, convoqua les prétendants et se fit donner un navire et vingt hommes pour aller tendre une embuscade à Télémaque). Ces oppositions doivent être comprises ici comme « le meilleur de l’ancien » et non comme des forces diaboliques. En effet, Antinoos est « un esprit puissant », incarnant la sagesse obtenue par l’ascèse personnelle, et Eurymaque « au visage de dieu » le « guerrier accompli » du yoga personnel incarnant « la sainteté ». Car, nous dit Mère, c’est toujours « le meilleur de l’ancien » qui crée la plus forte opposition à la transformation. Les réalisations des anciens yogas ont été portées au pinacle et instituées comme le but ultime de l’évolution. Ainsi la « libération » et l’accès au Divin en l’esprit fut-elle considérée (et l’est encore de nos jours par nombre de spiritualités) comme la seule possibilité d’union avec le Suprême.
Par commodité, nous désignerons par la suite Antinoos comme « la sagesse » et Eurymaque « la sainteté ».
Le chercheur veut alors mobiliser les racines du nouveau yoga (Pénélope veut que Laërte, père d’Ulysse et donc grand-père de Télémaque, soit prévenu) mais « ce qui a nourri » ce yoga lui recommande plutôt de se confier à sa direction intérieure (mais Euryclée, qui fut d’abord la nourrice d’Ulysse avant d’être celle de Télémaque, l’en dissuade, affirmant qu’Athéna veillait sur Télémaque).
Il y a alors une réponse du maître intérieur pour l’encourager dans son mouvement et lui assurer que le yoga futur est en de bonnes mains (Pénélope comprend qu’Athéna veille sur Télémaque).
Les anciennes réalisations prévoient de piéger le chercheur en se raccrochant « aux lumières les plus hautes et les plus lointaines », expériences relativement peu importantes mais susceptibles de bloquer l’évolution (les prétendants attendent Télémaque à l’îlot de roches nommé « la petite Astéris (étoilé) » dotée d’un double goulet pour abriter les vaisseaux). Le double goulet est le signe d’un piège, de manipulations intérieures auxquelles le chercheur doit échapper.
Mais Télémaque passera par un tout autre endroit pour rejoindre Ithaque : le yoga futur n’est plus concerné par ces expériences lumineuses dans l’esprit.
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