LA DESCENDANCE DE PONTOS – HARPIES ET GORGONES

 

Les enfants d’Ouranos sont les « Ouranides » qui comprennent principalement « les Titans », et ceux de Pontos, frĂšre cadet d’Ouranos, les « Pontides ». La descendance de Pontos reprĂ©sente les cinq Ă©tapes d’évolution de la Vie. Elle inclut NĂ©rĂ©e « le vieillard de la mer », Thaumas, Phorcys, CĂ©to et EurybiĂ©. Parmi ses petits enfants, il y a les NĂ©rĂ©ides, Iris et les Harpyes, les GrĂ©es, les Gorgones dont MĂ©duse, Echidna ainsi que le cheval ailĂ© PĂ©gase.

Voir Arbre généalogique 2

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Harpyes - Archaeological Museum of Rhodes - DĂ©tail

Harpyes – Archaeological Museum of Rhodes – DĂ©tail

HĂ©siode dĂ©crit ainsi l’apparition de la Vie : « Elle (Gaia) enfanta aussi Pontos, la mer aux flots stĂ©riles, toute gonflĂ©e de vagues, et cela sans connaĂźtre le dĂ©sir ni l’étreinte ». La mer « aux flots stĂ©riles » et l’absence « de dĂ©sir et d’étreinte » expriment un principe qui ne peut ĂȘtre divisĂ© en aucune façon et qui est gĂ©nĂ©rĂ© avant tout apparition de la dualitĂ©. Le processus de sĂ©paration ne peut donc ĂȘtre actif dans la vie comme il l’est dans le mental car la vie est une et indivisible. Toutefois la puissance de sĂ©paration s’exprimera dans la vie par une « polarisation ».

Les enfants de Pontos retracent la maturation de la vie depuis la cellule jusqu’aux formes animales les plus Ă©voluĂ©es, jusqu’au « moi » ou « ego » animal, juste avant que n’apparaissent les capacitĂ©s propres Ă  l’homme, telles que la parole, la station verticale et la conscience mentale rĂ©flexive. Si la science moderne a mis en lumiĂšre de trĂšs nombreuses Ă©tapes Ă©volutives, les Anciens n’en dĂ©finirent que cinq qu’ils dĂ©limitĂšrent en fonction d’expĂ©riences de conscience. Chacune regroupera donc plusieurs niveaux de la classification moderne sans que l’on puisse Ă©tablir de limites vraiment prĂ©cises.

Il aurait Ă©tĂ© plus logique de les traiter avec les phases avancĂ©es du yoga car leur symbolisme concerne des niveaux de conscience archaĂŻques dont l’homme conserve les empreintes et que seuls les chercheurs avancĂ©s peuvent laisser venir Ă  la conscience et affronter. Devenir conscient de ces processus primitifs suppose en effet de pouvoir supporter les forces qui furent mises en Ɠuvre lors de leur formation. Cela est indispensable pour opĂ©rer les transformations nĂ©cessaires au chemin de purification et libĂ©ration jusque dans le corps.
Mais comme nombre de personnages issus de cette lignĂ©e interviennent dans les mythes, leur Ă©tude dĂšs les premiers chapitres s’est rĂ©vĂ©lĂ©e indispensable.

Toute dĂ©marche spirituelle qui ne vise pas seulement une libĂ©ration dans les hauteurs de l’Esprit – ce qui est le cas de celle relatĂ©e dans les mythes grecs – est obligĂ©e de se confronter aux mĂ©moires primordiales de la vie. Celles-ci se sont imprimĂ©es dans l’inconscient corporel, bien avant l’apparition de la volontĂ© et de la pensĂ©e, freinant ou bloquant le processus Ă©volutif. Le chercheur doit retraverser les couches une par une afin de les dissoudre.
En effet, toute spiritualitĂ© qui aspire Ă  la transformation de l’homme exige un nettoyage, une mise en ordre et un Ă©largissement qui ne peut s’opĂ©rer qu’à rebours des Ă©tapes passĂ©es de l’évolution. Bien que le travail suive un mouvement en spirale sur plusieurs plans, on peut gĂ©nĂ©ralement considĂ©rer que la premiĂšre purification et libĂ©ration est celle du mental : il s’agit de libĂ©rer l’intelligence des perturbateurs venant des plans infĂ©rieurs et de son identification au processus sĂ©parateur. Puis vient celle du vital : le chercheur descend plus profond dans les couches de la conscience, pacifiant les mouvements vitaux et les purifiant, en chemin vers l’équanimitĂ© et la victoire sur la peur et sur le dĂ©sir. Enfin, le yoga s’étend aux couches les plus archaĂŻques de la conscience corporelle, jusqu’aux « mĂ©moires » cellulaires, oĂč se livrent les plus durs combats.

Non seulement les activitĂ©s des cerveaux reptiliens et limbiques, mais aussi celles des systĂšmes orientĂ©s vers la survie, la protection et l’information qui les prĂ©cĂ©dĂšrent, mis en place par la nature au grĂ© des nĂ©cessitĂ©s, interfĂšrent dans un fonctionnement humain « en VĂ©rité ». Si le but du Yoga est de rĂ©aliser « un esprit parfait dans un corps rendu parfait », alors les anciens modes mis en place par la Nature doivent ĂȘtre transformĂ©s. RĂ©aliser cette transformation dans les couches profondes supposent une alliance de l’homme et de l’Absolu : ce ne peut ĂȘtre fait par la Nature seule ni par l’Esprit seul. C’est pour cela qu’il a Ă©tĂ© dit que les grands GĂ©ants « ne pouvaient ĂȘtre vaincus totalement que par une alliance des hommes et des dieux ».

Ouranos et Pontos Ă©tant frĂšres, les enfants de ce dernier ont mĂȘme rang que les Titans. Ses petits enfants (Échidna, les Harpies, les Gorgones, etc.) ont donc rang de dieux et de dĂ©esses et seules des puissances sensiblement Ă©quivalentes, dieux ou hĂ©ros nĂ©s des dieux, peuvent les combattre ou avoir commerce avec eux. On comprend mieux dĂšs lors que l’accĂšs Ă  ces plans soit rĂ©servĂ© Ă  un stade avancĂ© du yoga.

Nous allons approcher la genĂšse du vivant, non pas dans l’ordre suivi par le chercheur qui dĂ©blaie couche aprĂšs couche, mais dans l’ordre inverse, Ă  partir de celui que les Grecs nommĂšrent « le vieillard de la mer », NĂ©rĂ©e, c’est-Ă -dire le symbole de ce qui se passe Ă  la racine du vivant, du moins Ă  celle qui est perceptible par un travail de conscience.
Pour les Anciens, tout comme pour la science spirituelle actuelle, c’est le niveau des cellules. Celles-ci, et non les gĂšnes ou les molĂ©cules, sont en effet actuellement le niveau le plus Ă©lĂ©mentaire d’apprĂ©hension du vivant.
Nous Ă©carterons de notre Ă©tude le monde vĂ©gĂ©tal, non pas que les cellules diffĂ©rent beaucoup des cellules animales, mais parce qu’il a suivi une ligne de dĂ©veloppement diffĂ©rente.
Comme on le dĂ©couvre chaque jour davantage, les schĂ©mas mis en place par la nature lors de l’évolution conservent une influence majeure sur notre santĂ© et notre mental. La psychologie moderne reconnaĂźt qu’une grande part de nos comportements relĂšve, non pas du fonctionnement du nĂ©ocortex, apparu il y a seulement 3,6 millions d’annĂ©es, mais de celui des cerveaux archaĂŻques reptilien et palĂ©o mammalien (cerveau limbique) apparus respectivement il y a environ quatre cent millions et soixante-cinq millions d’annĂ©es. Et les Ă©tudes sur le « deuxiĂšme cerveau », lequel est localisĂ© dans le systĂšme digestif et dont l’origine est encore beaucoup plus ancienne, semblent indiquer son rĂŽle majeur pour nombre de maladies.
La thĂ©orie des trois cerveaux est contestĂ©e par de nombreux scientifiques qui prĂ©fĂšrent considĂ©rer les aires cĂ©rĂ©brales comme des ensembles en interaction. Il est en effet trĂšs difficile de dĂ©terminer avec certitude l’origine de tel ou tel comportement, rĂ©flexe, etc., sauf lors d’accidents ayant lĂ©sĂ© certaines couches du cerveau. Cependant, le fait que celui-ci soit le rĂ©sultat de pĂ©riodes de croissance successives n’est pas remis en question.
Pour un aventurier de la conscience, tout se passe comme s’il annulait progressivement l’intervention des couches supĂ©rieures. Ce qui explique que les Anciens aient pu donner une description aussi prĂ©cise, comme nous allons le voir.
Nous conserverons donc ici ce schĂ©ma d’organisation du cerveau en trois strates, avec leurs facultĂ©s associĂ©es, telles qu’elles sont ordinairement admises.

*Nous pouvons suivre les diffĂ©rentes Ă©tapes symboliques identifiĂ©es par les Anciens sur la Planche 2, oĂč figurent les cinq enfants de Pontos (Le nombre 5 est associĂ© au monde des formes auquel appartient le plan de la vie). Sri Aurobindo les a reprises sous une forme poĂ©tique dans l’épopĂ©e en vers, Savitri, dans le livre II, au chapitre des « Royaumes de la Petite Vie », sans qu’une Ă©quivalence exacte ait pu ĂȘtre Ă©tablie.

Nérée, « le vieillard de la mer » : le vital physique ou cellulaire.

NĂ©rĂ©e Ă©tait rĂ©putĂ© sincĂšre et vĂ©ridique. Il ne trompait jamais, Ă©tait infaillible et s’occupait de tout ce qui est juste. Comme toutes les divinitĂ©s marines primitives, il avait le don de mĂ©tamorphose : il se changea successivement en eau, en feu et en diffĂ©rents animaux pour Ă©chapper Ă  HĂ©raclĂšs qui dut le maintenir de force pour connaĂźtre le chemin qui menait aux HespĂ©rides. Il avait aussi des dons de prophĂ©tie auxquelles on pouvait se fier.
Il est parfois représenté avec une queue de poisson à la place des jambes.
Il sĂ©journait au fond de la mer, avec ses cinquante filles, les NĂ©rĂ©ides, que lui donna l’ocĂ©anide Doris. Trois d’entre elles eurent un destin particulier dans les mythes :
Amphitrite épousa Poséidon.
PsamathĂ© s’unit Ă  Éaque, lequel par sa seconde Ă©pouse Endeis, fut le pĂšre de PelĂ©e et donc le grand-pĂšre paternel d’Achille.
ThĂ©tis s’unit au mortel PelĂ©e et engendra Achille. NĂ©rĂ©e est donc le grand-pĂšre maternel de ce dernier.
Ces deux derniĂšres filiations montrent qu’Achille reprĂ©sente un chercheur qui descend dans les profondeurs du vital en vue de leurs transformations.

Les anciens et ceux qui marchĂšrent sur leurs traces jusqu’à nos jours, avaient dĂ©couvert par une investigation de la conscience ce que les microscopes modernes mettent en lumiĂšre. Toutefois, ce qui est perceptible Ă  la conscience est bien davantage l’ensemble des mouvements, des habitudes et des Ă©tats de conscience de la matiĂšre vivante que la description qualitative qu’en donne la science actuelle. Les deux mĂ©thodes ne s’opposent pas mais se renseignent l’une l’autre. La science permet d’apporter quelque lumiĂšre sur des mythes qui, sans elle, garderaient un certain mystĂšre. Et l’investigation par la conscience permet des comprĂ©hensions nouvelles des modes de la nature.

S’il est possible de descendre par la conscience jusqu’aux fonctionnements cellulaires archaĂŻques, c’est bien sĂ»r parce qu’ils sont encore opĂ©ratifs de nos jours.
De la bactĂ©rie primitive Ă  l’apparition des chaines ganglionnaires puis des Ă©bauches d’organes des sens, avant mĂȘme l’apparition d’un cerveau central, la science moderne a identifiĂ© plusieurs Ă©tapes d’évolution qui, du point de vue de la conscience, sont regroupĂ©es ici dans la phase « NĂ©rĂ©e ». A savoir les unicellulaires, les pluricellulaires, les cellules spĂ©cialisĂ©es et la formation d’amas cellulaires qui annoncent l’ébauche du systĂšme nerveux avec des filaments nerveux et les premiers ganglions.

Le corps humain est constituĂ© d’environ cent mille milliards de cellules. Et chacune d’elles est un monde de mĂ©moires, de relations et de possibilitĂ©s adaptatives et Ă©volutives.
Afin de se dĂ©fendre et de survivre en assimilant ce qui lui est nĂ©cessaire, la cellule, dans sa relation Ă  l’extĂ©rieur, a mis en place un systĂšme permettant de trancher entre ce qui est « bon » ou « mauvais » pour elle. Pour dĂ©cider, elle se tourne vers un systĂšme interne d’analyse capable de discerner entre des milliards de milliards d’élĂ©ments extĂ©rieurs diffĂ©rents. En fonction des rĂ©sultats, elle peut ingĂ©rer, s’associer ou combattre « l’étranger ». C’est la base du processus « immunitaire ». A la diffĂ©rence du systĂšme nerveux, ce discernement ne provient pas d’un stockage d’informations, d’une analyse et d’une rĂ©ponse, mais d’une « reconnaissance » d’images ou de « signatures ».
Ou encore, par un codage génétique spécifique, elle a programmé sa durée de vie variable selon sa spécialisation, et son « suicide ».
Puis des amas cellulaires se forment et se dĂ©veloppe une premiĂšre forme de collaboration cellulaire, Ă©tablie sur la base d’une spĂ©cialisation des cellules chargĂ©es de la protection et qui analysent l’environnement, et de celles qui ont pour fonction de la nourrir. Une structure en « feuillets » se met en place (trois types : connaissance, digestion, structure) qui entraĂźne la formation de la structure de base : l’anneau.
Puis, par la rĂ©pĂ©tition des structures, la formation de cavitĂ©s et d’axes, se forment les premiers vers. Les formes de vers les plus archaĂŻques (dĂ©couverts dans les profondeurs marines avant que des spĂ©cimens ne soient trouvĂ©s en eau peu profonde) ne comportent aucun systĂšme digestif, ni mĂȘme de bouche. Ils sont totalement creux et ne vivent que par un systĂšme complexe d’interactions avec des bactĂ©ries. Puis des amas cellulaires et ganglionnaires se forment autour des orifices et le long du systĂšme digestif, complĂ©tant cette premiĂšre phase de notre dĂ©coupage.

DiffĂ©rentes thĂ©ories s’affrontent sur les modalitĂ©s Ă©volutives de la cellule, dont la plus courante est l’association du programme gĂ©nĂ©tique et de la mutation de l’ADN sous la pression de l’évolution. Du cĂŽtĂ© des aventuriers de la conscience, l’expĂ©rience conduit Ă  penser que si le travail de purification, de libĂ©ration et d’abandon au RĂ©el pur est suffisamment avancĂ©, l’Absolu peut agir directement au niveau des cellules et mĂȘme des gĂšnes afin de modifier leurs fonctionnements, induisant une transformation gĂ©nĂ©tique.

Pour l’aventurier de la conscience, ce sont les propriĂ©tĂ©s des cellules et de leurs groupements primitifs qui requiĂšrent le plus d’attention, car, Ă  ce stade trĂšs avancĂ© du yoga, le chercheur devra les percevoir, en tenir compte et entreprendre de les modifier lorsqu’elles bloquent l’évolution.
Les plus importantes semblent ĂȘtre :
Une interaction permanente. Le corps est le lieu de milliards d’opĂ©rations Ă  chaque seconde dont le rĂ©sultat est un Ă©quilibre miraculeux.
Une résonnance entre les cellules et donc entre des points du corps éloignés (connaissance utilisée par exemple en acupuncture).
Une solidarité ou collaboration cellulaire dÚs la mise en place du processus immunitaire.
Une quasi identitĂ© de toutes les formes vivantes proches (seules d’infimes variations dans les gĂšnes a provoquĂ© les diffĂ©renciations).
Une plasticitĂ© et une adaptabilitĂ© de la forme Ă  tous les niveaux (pour accepter et suivre en souplesse les modifications de l’environnement).
Un mouvement d’enroulement comme base (l’anneau est la structure fondamentale).
Une rĂ©pĂ©tition des mouvements et des formes Ă©prouvĂ©s et retenus par l’évolution, afin d’assurer la stabilitĂ©.

NĂ©rĂ©e, « le vieillard de la mer » est le symbole de ce fonctionnement vital cellulaire primitif. Les lettres de son nom, +, dĂ©crivent « la loi de la nature qui suit le mouvement juste », l’évolution « en VĂ©ritĂ© ». Le mental n’a pas encore introduit de rigiditĂ©s ni de dĂ©viations dans les formes et les Ă©nergies circulent librement. C’est pourquoi NĂ©rĂ©e est « sincĂšre et vĂ©ridique » et qu’il « ne trompe jamais ».
Il est intĂ©ressant de noter que l’ordre des lettres structurantes de ce mot est l’inverse de celui des Érinyes, qui imposent un retour Ă  « l’ordre juste » de « l’évolution naturelle ».

L’image de la « mĂ©tamorphose » des divinitĂ©s marines, expression de la plasticitĂ© et de l’adaptabilitĂ©, peut ĂȘtre comprise en fixant notre attention sur une infime sensation dans le corps qui change sans arrĂȘt Ă  la fois de place, de forme et de qualitĂ©. C’est la raison pour laquelle HĂ©raclĂšs, s’aventurant aux racines de la Connaissance Ă  la conquĂȘte des pommes des HespĂ©rides, afin de prendre conscience des fonctionnements archaĂŻques dans le corps, dut tenir fermement NĂ©rĂ©e qui prenait diffĂ©rentes formes animales pour lui Ă©chapper.
Ce don de mĂ©tamorphose est aussi caractĂ©ristique de certains enfants de PosĂ©idon et fait alors partie du subconscient profond : dans l’OdyssĂ©e, MĂ©nĂ©las dut affronter ProtĂ©e, un dieu de la mer, fils de PosĂ©idon, qui ne cessait de changer de forme.
Plus fondamentalement, il s’agit d’un changement de relation ou de position dans la conscience. Selon l’aphorisme (102) de Sri Aurobindo : Pour les sens, il est toujours vrai que le soleil tourne autour de la terre ; mais c’est faux pour la raison. Pour la raison, il est toujours vrai que la terre tourne autour du soleil ; mais c’est faux pour la vision suprĂȘme. Ni la terre ni le soleil ne bougent ; il y a seulement un changement dans la relation de la conscience du soleil et de la conscience de la terre.
Le don « d’exacte prophĂ©tie » rĂ©sulte du fait que plus le chercheur se rapproche des origines de la vie et de la matiĂšre, et plus ce qu’il en perçoit est « en VĂ©ritĂ© », y compris dans son dĂ©roulement.

NĂ©rĂ©e Ă©pousa Doris, « les dons», une fille d’OcĂ©anos, une force d’évolution selon la nature dont il eut cinquante filles, les NĂ©rĂ©ides. Le chiffre cinquante marque une totalitĂ© accomplie dans le monde des formes. DivinitĂ©s marines, elles sont issues du plan vital archaĂŻque (leur domaine est le fond de la mer), et agissent dans le subconscient, car elles appartiennent au royaume de PosĂ©idon.
Elles sont toutes d’une trĂšs grande beautĂ©, car elles sont « vraies ».
Elles reprĂ©sentent Ă  la fois les dons de la Vie Ă  l’homme – ses « capacitĂ©s naturelles » avant qu’elles ne soient inhibĂ©es par le mental ou peut-ĂȘtre telles qu’elles se manifesteront dans le futur – et certains modes de fonctionnements prĂ©sents.
La liste des NĂ©rĂ©ides varie selon les auteurs, chacun d’eux ayant choisi celles qui lui semblaient les plus importantes. Le nom de plusieurs d’entre elles peut ĂȘtre rapprochĂ© des propriĂ©tĂ©s des cellules que nous avons Ă©numĂ©rĂ©es ci-dessus, comme AutonoĂ© « celle qui se dirige par soi-mĂȘme », ou DionĂ© « l’évolution dans l’union ».
Nous les étudierons le moment venu. Voici les noms de quelques autres : ApseudÚs « vie sans mensonges », Eucraté « grande force », Euniké « grande victoire» et Cymo « celle qui se gonfle ».
La plus cĂ©lĂšbre d’entre elles est ThĂ©tis, la mĂšre d’Achille, hĂ©ros qui fit basculer la victoire dans le camp grec aprĂšs dix longues annĂ©es de combat, lorsqu’il s’y impliqua enfin : c’est le moment oĂč le chercheur accepte de s’occuper des processus infimes dans sa conscience, car Achille est le roi des « fourmis », les Myrmidons ». Ces processus sont mis au jour par ThĂ©tis « la conscience la plus haute dans les profondeurs de la vie, Θ+΀ ».

Il est probable que le « mental cellulaire » dont parle MĂšre fait partie de ce plan du « vital matĂ©riel » qui ne doit pas ĂȘtre confondu avec le « mental corporel », cette derniĂšre couche appartenant Ă  l’homme seul (cf. la planche des plans de conscience en annexe). DĂšs la formation des cellules spĂ©cialisĂ©es, on peut donc dire qu’une certaine conscience mentale est nĂ©e.

Le chercheur qui descend dans les couches archaĂŻques de la conscience dĂ©couvre d’abord le « goĂ»t du drame » qui imprĂšgne le mental physique puis la mentalitĂ© dĂ©faitiste des cellules, mais aussi qu’il n’y a pas de lois absolues dans le corps, seulement des millions d’annĂ©es d’habitudes.
La transformation de ce mental des cellules exige que le terrain soit suffisamment purifiĂ©, libĂ©rĂ© des peurs, de l’ego, du dĂ©sir et de tout attachement afin que la conscience supramentale fasse descendre sa force dans le corps et modifie le programme gĂ©nĂ©tique. D’autres parlent aussi de ce processus : Jiddu Krisnamurti, U.G. Krishnamurti, Natarajan, etc.
Sri Aurobindo et MĂšre ont ouvert la voie, pour l’humanitĂ© entiĂšre, Ă  la transformation de ce mental cellulaire qui repose sur des mouvements d’enroulement se rĂ©pĂ©tant indĂ©finiment et pouvant perdurer pendant des millions d’annĂ©es, comme un hypnotisme. La clef fut de changer, par la vibration et l’aspiration, ce que la cellule rĂ©pĂšte.

Thaumas, et ses enfants, Iris et les Harpies : le vital central ou vital vrai, et les « sens pensants ».

Le deuxiÚme niveau est celui du « vital vrai », représenté par Thaumas.
L’étape prĂ©cĂ©dente se terminait avec l’apparition d’amas cellulaires. Le processus Ă©volutif se poursuit dans la seconde phase de notre dĂ©coupage par l’ébauche d’un systĂšme nerveux avec des filaments nerveux et les premiers ganglions qui se forment autour des orifices et le long du systĂšme digestif, jusqu’à la complĂšte Ă©laboration du systĂšme nerveux entĂ©rique. Cette phase culmine avec la formation d’un systĂšme nerveux central et le cerveau reptilien associĂ©.

Tandis que les amas de corps neuronaux et ganglions se relient entre eux pour former « un cerveau en rĂ©seau », les sens se dĂ©veloppent, sans cerveau central, par une Ă©valuation de l’environnement Ă  partir des ganglions situĂ©s Ă  l’entrĂ©e du systĂšme digestif, la bouche. Les processus informationnels sont chimiques : les ganglions crĂ©ent une image du monde extĂ©rieur. C’est un systĂšme de reconnaissance sans analyse, siĂšge de rĂ©ponses mĂ©caniques, d’impulsions sans contrĂŽle.
Ainsi, l’odorat et le goĂ»t se forment Ă  partir d’images olfactives. Les yeux apparaissent aussi trĂšs tĂŽt dans l’évolution, dĂ©jĂ  prĂ©sent chez le ver et le poulpe et mĂȘme l’huitre qui possĂšde dix Ă  douze yeux.
Il y a dĂ©jĂ  une intelligence adaptative et performante : une pieuvre sait enlever le bouchon de liĂšge d’un bocal pour se nourrir du crabe qui y est enfermĂ© mais ses caractĂ©ristiques sont encore proches de celles de la matiĂšre : inertie, lourdeur, apathie, limitation, progression extrĂȘmement lente.
Les plexus sont autonomes les uns par rapport aux autres, confĂ©rant la capacitĂ© d’activitĂ©s multiples indĂ©pendantes : la mante copule et dĂ©vore en mĂȘme temps la tĂȘte du mĂąle.
Les sens fonctionnent donc indĂ©pendamment d’une action coordonnatrice centralisĂ©e. C’est pourquoi Sri Aurobindo a appelĂ© cette Ă©tape de l’évolution « les sens pensants ». C’est une premiĂšre mentalisation de la vie par les sens, qui permet la formation des rĂ©flexes et de l’instinct.

Dans le processus de retour vers ce qu’il appelle « l’état naturel », U.G Krischnamurti dĂ©crit cet Ă©tat des « sens pensants » comme suit : « Dans l’état naturel, il n’existe pas d’entitĂ© appelĂ©e Ă  coordonner les messages des diffĂ©rents sens. Chaque sens fonctionne indĂ©pendamment, Ă  sa maniĂšre. Quand il y a une sollicitation de l’extĂ©rieur qui rend nĂ©cessaire la coordination de deux ou de tous les sens en vue de rĂ©pondre Ă  un appel quelconque, il n’y a toujours pas de coordinateur, mais il existe un Ă©tat temporaire de coordination. (
) Quand il n’y a pas de coordinateur, il n’y a pas de lien entre les sensations ; il n’y a pas d’interprĂ©tation des sensations. (
) Ce qui fonctionne alors c’est la conscience primordiale intangible par la pensĂ©e. »

Bien qu’il ne soit pas trĂšs facile de faire correspondre les Ă©tapes dĂ©crites dans les mythes avec les diffĂ©rents cerveaux, il est possible de considĂ©rer que cette phase inclut aussi les processus gĂ©rĂ©s par le cerveau reptilien : la coordination des rĂ©flexes, la rĂ©gulation des fonctions vitales de base, le maintien de l’intĂ©gritĂ© vitale et les fonctions de renversements d’états ou Ă  l’inverse d’homĂ©ostasie, reprĂ©sentĂ©es par les enfants de Thaumas, les Harpies (voir ci-dessous). L’homĂ©ostasie est la capacitĂ© de tout systĂšme Ă  conserver son Ă©quilibre en dĂ©pit des contraintes extĂ©rieures, et donc plus particuliĂšrement le mouvement qui maintient l’équilibre dynamique de la vie en nous.

Le cerveau reptilien est non dualisĂ©. Sa fonction primitive fut d’assurer la survie individuelle et collective de l’espĂšce dans un monde animal qui s’appropriait l’espace, sur la base de rĂ©ponses aux stimuli par des sĂ©quences automatiques, rĂ©pĂ©titives et prĂ©programmĂ©es. Il n’a aucune possibilitĂ© d’adaptation si ce n’est sur des durĂ©es de temps immenses en regard de la vie humaine, car il n’a qu’une mĂ©moire Ă  trĂšs court terme.
Sa premiĂšre fonction est d’assurer l’homĂ©ostasie : rĂ©gulation de la respiration, du rythme cardiaque, de la tension artĂ©rielle, de la tempĂ©rature, des Ă©changes hydriques, gazeux et ioniques, etc.
Il assure la satisfaction des besoins primaires vitaux tels que l’alimentation, le sommeil, la reproduction, etc.
Il est responsable de l’instinct de conservation et de certains rĂ©flexes de dĂ©fense, rĂ©git l’agressivitĂ© et les comportements primaires liĂ©s Ă  la dĂ©fense et l’organisation hiĂ©rarchique du clan, comme le besoin d’y ĂȘtre infĂ©odĂ©, la haine de l’étranger, etc.
Le nom Thaumas signifie « admirable, Ă©tonnant, merveilleux » et celui de sa femme Électre « ambre jaune ». L’ambre, avant de dĂ©signer un composĂ© formĂ© de 4/5 d’or et 1/5 d’argent, avait le sens de « rĂ©sine », c’est-Ă -dire celui de la puissance de la vie condensĂ©e, le « sang » de la vie.
Thaumas est donc la puissance vitale spirituelle qui soutient la vie animale.
Électre est aussi le symbole d’une certaine brillance et puretĂ©.

Avec Électre, Thaumas eut plusieurs enfants : la dĂ©esse Iris et les Harpies qui synthĂ©tisent les fonctions ci-dessus.

Iris, la messagĂšre

Si les Harpies dĂ©crivent sans ambiguĂŻtĂ© les processus de renversement et d’homĂ©ostasie qui nous sont familiers, la fonction exacte de la « messagĂšre » Iris est plus difficile Ă  apprĂ©hender.
Elle est dĂ©peinte comme une jeune fille aux ailes d’or, tenant Ă  la main un caducĂ©e (kerukeion) Ă  deux anneaux.
Elle transmet aux hommes les messages des dieux, mais sa fonction s’étend aussi aux messages entre les dieux eux-mĂȘmes. Dans l’OdyssĂ©e, elle est supplantĂ©e dans ce rĂŽle par HermĂšs.
Tandis que dans le CaducĂ©e d’HermĂšs, les deux serpents ont leur tĂȘte au niveau du voile des abysses, ultime Ă©tape de l’Homme, dans le sceptre de hĂ©raut d’Iris, leur tĂȘte est au niveau du « voile du temple » et marque le niveau ultime de la vie, son Ă©panouissement solaire. Ces deux symboles confirment l’attribution des nombres 5 et 7 respectivement au monde des formes et au monde de crĂ©ation.
D’autre part, les anciens Grecs associaient Iris à l’arc-en-ciel, qui pour eux, reliait le ciel et la mer, la conscience et la vie.
Enfin, si l’on considĂšre la seule lettre structurante de son nom, Rho (ÎĄ), Iris porte la mĂȘme Ă©nergie qu’Éros « la joie ». (Le Rho ne peut de toute Ă©vidence ĂȘtre pris ici dans son acceptation inverse comme dans Éris « la discorde ».) Le Rho entourĂ© de deux Iota (I) exprime une opĂ©ration de la conscience qui imprime le juste mouvement de l’Absolu.

Iris est donc une expression dans le vital de la puissance spirituelle qui sous-tend toutes choses (Éros) et n’a encore subi avec Thaumas aucune dĂ©formation par le mental (le vital vrai). Elle exprime une liaison directe, instantanĂ©e (les ailes d’or) et harmonieuse (l’arc en ciel), entre les processus fondamentaux corporels et le monde de l’Esprit, par l’intermĂ©diaire du surmental (messagĂšre des dieux.) Dans le corps, elle reprĂ©sente les influx nerveux purs de toute dĂ©formation due Ă  l’arrĂȘt de l’évolution dans l’union (causĂ©e par la vipĂšre Échidna).

Comme messagĂšre, elle est chargĂ©e de rapporter un peu de l’eau du Styx lorsqu’un dieu doit prĂȘter serment. Le Styx, fleuve du monde souterrain, est un courant de conscience immĂ©diatement au contact du corps, qui « remet tout en ordre selon la VĂ©ritĂ© ». (Il faudrait dire « La Styx », mais l’usage courant lui a donnĂ© le genre masculin que nous conservons ici.) Iris est la seule, avec HermĂšs, (le surmental), Ă  faire des allers-retours entre les racines de la conscience la plus archaĂŻque, celle qui se trouve Ă  la frontiĂšre du vital et du corps et la conscience mentale la plus haute, le surmental (hormis les grands hĂ©ros qui y feront de brĂšves incursions) : si HermĂšs s’y rend « par les sommets de la conscience mentale », Iris s’y rend en voisine, directement, de par sa proximitĂ© de la conscience corporelle. Le chercheur reçoit son message dans la conscience par une perception exacte d’infimes mouvements et sensations.

En fait, les actions d’Iris et d’HermĂšs vis-Ă -vis du monde souterrain se rĂ©vĂšlent pour le chercheur au mĂȘme moment, lorsqu’il commence Ă  travailler sur l’inconscient corporel. (Ce qui signifie qu’il faut ĂȘtre parvenu au minimum au plan du mental supĂ©rieur, au-delĂ  de l’intellect, pour amorcer la descente dans les couches archaĂŻques.)
Les mouvements correspondants Ă  Iris et aux Harpies sont des impulsions nerveuses trĂšs rapides et donc trĂšs difficiles Ă  dĂ©celer pour notre mental conscient habituĂ© Ă  des opĂ©rations trĂšs lentes, mĂȘme s’il s’oblige Ă  une attention soutenue. C’est pourquoi ils sont dĂ©crits comme des ĂȘtres ailĂ©s extrĂȘmement rapides, Iris comme une jeune fille aux ailes d’or et les Harpies comme des oiseaux Ă  tĂȘte de femme.

C’est Iris qui conduit les dieux vers le lieu du mariage de PelĂ©e et ThĂ©tis, les futurs parents d’Achille : en effet, le chercheur, qui se prĂ©pare Ă  une plongĂ©e dans l’ombre (PelĂ©e) du vital (ThĂ©tis) a besoin de l’investissement des forces supĂ©rieures de la conscience : c’est donc Iris qui rĂ©alise la jonction.

C’est aussi Iris qui informe MĂ©nĂ©las, « celui qui se soucie de libertĂ© », de l’enlĂšvement d’HĂ©lĂšne, « l’évolution (la plus belle et donc la plus vraie) du processus de libĂ©ration » : Ă  un certain stade du chemin, le chercheur est prĂ©venu par des sensations extrĂȘmement tĂ©nues des erreurs de direction.

Les Harpies, forces de conservation de la vie

Si Iris est l’agent de « l’information » divine, le mouvement vertical de l’Absolu dans la vie et des impulsions Ă©volutives Ă©mises Ă  travers les plus hauts plans du mental, avec pour support le systĂšme nerveux, les Harpies en revanche expriment le mouvement fondamental horizontal de la nature qui doit permettre de freiner la poussĂ©e Ă©volutive et garantir la stabilitĂ© des formes vivantes : elles assurent, Ă  la racine du vital, non seulement la fonction d’homĂ©ostasie mais aussi celle de renversements qui nous sont le plus souvent incomprĂ©hensibles, car elles veillent aussi Ă  ce que rien ne reste en arriĂšre dans la progression gĂ©nĂ©rale. Les lettres structurantes de leur nom, ΥΠ, confirment ce mouvement juste pour l’équilibre, la stabilitĂ© ou son renversement, selon la valeur donnĂ©e au Rho.

Dans la quĂȘte intĂ©rieure, les Harpies sont souvent vĂ©cues comme le mouvement de renversement : les modifications d’humeurs incomprĂ©hensibles et extrĂȘmement rapides que chacun connaĂźt. À un moment donnĂ©, tout est harmonie et quelques instants plus tard sans qu’absolument rien n’ait changĂ© Ă  l’extĂ©rieur, l’on devient maussade, dĂ©primĂ© ou l’on entre dans quelque Ă©tat similaire de mal ĂȘtre dont l’origine est trĂšs difficile Ă  dĂ©terminer : il faut beaucoup de sincĂ©ritĂ©, de persĂ©vĂ©rance et de patience pour « traquer » ces Ă©tats et remonter Ă  leur source. C’est pourquoi elles sont surnommĂ©es « les ravisseuses » et « enlĂšvent les gens sans laisser de traces ». Elles ont aussi la rĂ©putation de voleuses des Ăąmes des morts (les ombres) et des enfants : les uns comme les autres sont des Ă©tats de transformation auxquels leur fonction est de s’opposer. En volant les Ăąmes des morts, leur mouvement opĂšre jusque dans le subconscient profond et l’inconscient oĂč elles effacent les traces des expĂ©riences.
Ces renversements d’équilibre sont aussi dĂ©crits par Satprem, mais concernent une investigation plus profonde de la conscience : « Cent fois, mille fois, le chercheur est mis en prĂ©sence de ces micro-typhons, ces minuscules tourbillons qui renversent l’équilibre de l’ĂȘtre, ennuagent tout, donnent un goĂ»t de cendre et de cafard au moindre geste, dĂ©composent l’air qu’on respire et dĂ©composent tout, c’est une dĂ©composition gĂ©nĂ©rale, instantanĂ©e. Un durcissement de tout. (
) Et lĂ , dehors, tout est pareil. Les circonstances sont pareilles, l’air est aussi ensoleillĂ© et le corps va et vient comme d’habitude. »
Ces renversements semblent ĂȘtre liĂ©s au fait que le systĂšme vital ou corporel revient naturellement Ă  son Ă©tat primitif de rĂ©traction, de « peur de tout », de dĂ©faitisme, de nĂ©gation, « d’appel de la mort », dĂšs qu’une certaine dĂ©tente est atteinte. Car la conscience primitive du moi animal s’est constituĂ©e autour d’une nĂ©cessitĂ© absolue de protection dans une ambiance oĂč tout est menace. Et lĂ  domine le goĂ»t du drame, le dĂ©faitisme, la volontĂ© de satisfaire les sens que ce soit par le plaisir ou par la douleur, loin des lumiĂšres de l’Esprit.

Harpy. 1784. Musée Carnavalet, Paris.

Harpie. 1784. Musée Carnavalet, Paris.

Selon HĂ©siode, les Harpies ont un corps ailĂ© d’oiseau et de beaux cheveux. Elles sont reprĂ©sentĂ©es le plus souvent avec une tĂȘte de femme. Apollonios de Rhodes, toutefois, leur donnent un bec, ce qui implique une tĂȘte d’oiseau.
Elles sont appelĂ©es « les chiennes » de Zeus, car elles maintiennent « avec vigilance » les nouveaux Ă©tats rĂ©sultant des ordres de Zeus transmis par Iris. Elles sont les gardiennes de l’ordre Ă©tabli tant que tout n’est pas prĂȘt pour une nouvelle Ă©tape d’évolution
Elles rĂ©sident aux Ăźles Strophades, « qui se meuvent en tournant », Ăźles qui dĂ©signent des structures Ă©lĂ©mentaires dans « la mer du vital », les mouvements « d’enroulement » Ă  la racine de la vie. DĂšs le niveau cellulaire, il existe de tels mĂ©canismes de protection du corps, par exemple celui des cellules enroulant de matiĂšre un corps Ă©tranger avant de l’éjecter.
Ayant pour fonction la conservation de la vie, elles ont permis au cours des millĂ©naires de l’évolution, la perpĂ©tuation de la peur fondamentale du changement, qui s’exprime, dans le vital profond, par une dĂ©sespĂ©rance qui « empuantit » tout.

Toutefois, dans la quĂȘte de la Toison d’Or, Apollonios semble considĂ©rer les Harpies comme un processus mental plus Ă©laborĂ© : ce sont des perturbateurs de l’intuition, c’est-Ă -dire des expressions du doute. Il nous dit « que les Harpies surgissaient du ciel Ă  travers les nuages et arrachaient Ă  coups de bec les mets succulents Ă©talĂ©s devant PhinĂ©e, offerts en remerciement par ceux Ă  qui il avait donnĂ© des prĂ©dictions. Non contentes de le priver de sa nourriture, elles empuantissaient tous les restes. » Les BorĂ©ades, CalaĂŻs et ZĂ©tĂšs, furent envoyĂ©s Ă  leur poursuite. Mais aprĂšs une trĂšs longue course jusqu’aux Ăźles Strophades, ils reçurent l’interdiction de les tuer.
La quĂȘte de la Toison d’Or concerne les dĂ©buts du chemin. AprĂšs une premiĂšre purification, le chercheur est capable de certaines perceptions exactes venant de la lumiĂšre intĂ©rieure (Il avait reçu d’Apollon des dons de prophĂ©tie). PhinĂ©e exprime donc une capacitĂ© croissante de perception intĂ©rieure non mentale.
Mais ici, dans les dĂ©buts, les Harpies qui ne permettent pas de jouir des perceptions issues de la lumiĂšre de l’ñme reprĂ©sentent le plus probablement le doute qui annule tout aussitĂŽt les perceptions fugaces du « juste ».

Bien Ă©videmment, le chercheur veut comprendre ces modifications de son Ă©tat intĂ©rieur afin de pouvoir limiter leur influence sur sa vie et sur ses perceptions intuitives. Mais il est trĂšs difficile d’en dĂ©terminer l’origine : il faut beaucoup de sincĂ©ritĂ©, de persĂ©vĂ©rance et de patience pour les traquer et remonter Ă  leur source.
Ce sont les enfants de BorĂ©e, le vent du Nord de l’ascĂšse, CalaĂŻs, « l’aspiration » et aussi « la rectitude, la sincĂ©ritĂ© » et ZĂ©tĂšs « la recherche » qui mettront fin aux tourments de PhinĂ©e « celui qui reçoit d’en haut », permettant Ă  nouveau une claire rĂ©ception intuitive. Ici, ce sont les symboles d’activitĂ©s mentales (des ĂȘtres ailĂ©s) qui peuvent poursuivre le doute jusqu’au point oĂč ce sur quoi il s’appuie n’est pas encore installĂ© dans le corps (Iles flottantes). Le chercheur peut alors observer et comprendre comment il s’appuie sur des mouvements rĂ©pĂ©titifs ou obsessionnels (Iles tournoyantes). Il ne s’agir pas Ă  ce stade d’üles enracinĂ©es qui entraĂźnent dĂ©sordres et maladies.
Que la poursuite soit longue, c’est une Ă©vidence, car descendre en conscience Ă  ces niveaux archaĂŻques exige patience et persĂ©vĂ©rance. Cette poursuite durera mĂȘme tout au long de la quĂȘte car les Harpies sont actives jusqu’au niveau cellulaire. Mais l’élĂ©ment actif ne sera plus alors le mental mais une conscience d’ordre supĂ©rieur. C’est pourquoi les BorĂ©ades meurent lorsqu’ils ont rĂ©ussi Ă  empĂȘcher les mouvements tournoyants de se reproduire (lors de la mort des Harpies).
Dans le cadre de la quĂȘte des Argonautes, il n’est question que d’un travail prĂ©liminaire, et donc les Harpies ne doivent pas mourir.
D’autres dirent cependant que leurs poursuivants devaient succomber s’ils ne rĂ©ussissaient Ă  les rejoindre : c’est la disparition quasi automatique de ces perturbateurs lorsque cessent, par Ă©puisement, les efforts du mental pour les dĂ©truire.
lorsque le chercheur a rĂ©ussi Ă  Ă©loigner le doute, il est en mesure de percevoir les grands mouvements du yoga Ă  venir (PhinĂ©e indique aux Argonautes, dans la limite permise par les dieux, les Ă©preuves qu’ils rencontreront jusqu’à l’arrivĂ©e en Colchide).
Cependant, c’est seulement dans la mesure oĂč il progressera dans l’amour qu’il pourra Ă©galement progresser sur le chemin (PhinĂ©e les prĂ©vint aussi que le succĂšs de leur entreprise dĂ©pendait d’Aphrodite).

Les Harpies, Gustave Doré

Les Harpies, Gustave Doré

Douter est un processus mental. Pour y rĂ©pondre, soit l’on s’abstient d’agir, soit le plus souvent on choisit en fonction des prĂ©fĂ©rences de l’ego. Lors de la croissance de l’intellect, le mental procĂšde par tĂątonnements et le doute est son auxiliaire. Mais dans le chemin spirituel, on aspire Ă  une exactitude – dans la pensĂ©e, la parole et l’action – qui ne vient pas du mental mais de l’ñme intĂ©rieure, de la lumiĂšre psychique. Si le doute est utile dans la construction de l’ego, pour se construire une pensĂ©e libre et s’individualiser, il devient un obstacle dans le chemin spirituel ou la certitude doit ĂȘtre acquise par l’ĂȘtre intĂ©rieur qui connaĂźt par identitĂ©, par la lumiĂšre de l’ñme (de l’ĂȘtre psychique). Car il n’y a pas de connaissances indubitables dans le mental, seulement dans l’ñme ou l’ĂȘtre psychique qui est un avec la VĂ©ritĂ©. Lorsque l’on vit dans le mental, on est obligĂ© de faire des choix, mais lorsque le psychique gouverne l’ĂȘtre, on sait le juste. L’expĂ©rience spirituelle relevant de l’ñme est donc certaine, et c’est la perception intĂ©rieure, en rapport avec le corps, qui en est la clef.
Et MĂšre de nous le confirmer :
« Toute division dans l’ĂȘtre est une insincĂ©ritĂ©. La plus grande insincĂ©ritĂ© est de creuser un abĂźme entre son corps et la vĂ©ritĂ© de son ĂȘtre. Quand un abĂźme sĂ©pare l’ĂȘtre vĂ©ritable de l’ĂȘtre physique, la Nature le remplit immĂ©diatement de toutes les suggestions adverses dont la plus redoutable est la peur, et la plus pernicieuse le doute. »
Les Harpies font donc disparaßtre ici la jouissance des bénéfices que le chercheur pourrait attendre des progrÚs réalisés dans le domaine de sa réceptivité à la conscience supérieure.

Dans les Ă©tapes avancĂ©es du yoga, lorsque le chercheur pousse plus loin l’investigation intĂ©rieure pour dĂ©celer l’origine de ces mouvements, il finit par dĂ©couvrir des habitudes microscopiques, des mouvements automatiques d’enroulements aux fins de protection, Ă  la base des processus vitaux.
Les Harpies sont donc bien Ă©videmment nĂ©cessaires jusqu’à un stade extrĂȘmement avancĂ© du yoga, la transformation corporelle, car elles permettent la survie. C’est pourquoi la plupart des auteurs affirmaient qu’il Ă©tait interdit de les tuer. Dans la derniĂšre phase, elles pourront cĂ©der la place progressivement Ă  condition que les cellules aient retrouvĂ© leur adaptabilitĂ© au mouvement du devenir, sans vieillissement et sans destruction, ce qui suppose que toutes les couches du vital corporel aient Ă©tĂ© totalement clarifiĂ©es (peurs, attachements, etc).

Les Harpies se nomment AĂ©llo, « un mouvement impĂ©tueux », OkypĂ©tĂš, « un envol rapide », et PodargĂ©, « aux pieds blancs, lumineux ». Cette derniĂšre fait rĂ©fĂ©rence Ă  une « incarnation lumineuse, accomplie ». Lorsqu’elle s’unit Ă  ZĂ©phyr, le vent d’ouest de purification et transformation, l’une des quatre Ă©nergies spirituelles qui aident Ă  la construction du Nouveau, alors l’énergie vitale acquiert toute sa force et sa splendeur. Apparaissent alors les cĂ©lĂšbres chevaux, Xanthos, « jaune dorĂ© » ou « l’évolution intĂ©rieure vers l’Ă©quilibre esprit-matiĂšre », et Balios, « rapide » ou « la libĂ©ration par l’incarnation ». Ils furent donnĂ©s d’abord Ă  PosĂ©idon, puis transmis Ă  PelĂ©e, un peu plus tard Ă  Achille et enfin Ă  NĂ©optolĂšme « les combats spirituels du futur ».
(Un auteur attribue la mĂȘme origine aux chevaux des Dioscures, PhlogĂ©os « enflammĂ© » et Harpagos « saisir promptement ».)

Phorcys, CĂ©to et leurs enfants : les GrĂ©es, les Gorgones, Échidna, le Serpent des HespĂ©rides, Thoosa et Cratais : le vital Ă©motif et le vital mental.

Sans vouloir faire une correspondance exacte, nous abordons avec Phorcys et CĂ©to ce que la science moderne a identifiĂ© comme les prĂ©rogatives du cerveau limbique, siĂšge des Ă©motions et de l’affectivitĂ©. Il rĂ©git les comportements instinctifs, est source de la mĂ©moire Ă  long terme (des Ă©clairs de mĂ©moire sont dĂ©jĂ  prĂ©sents au stade prĂ©cĂ©dent, mais sans rĂ©manence), et dĂ©clenche les rĂ©actions d’alarme au stress.
Ce deuxiĂšme cerveau a permis Ă  l’animal, non encore individualisĂ©, l’adaptation au milieu et au groupe. Il s’appuie sur les fonctionnements Ă©laborĂ©s par le cerveau reptilien (Thaumas). Il assure la conversion de donnĂ©es nouvelles en souvenir durable. Il comporte deux hĂ©misphĂšres dont les fonctionnements peuvent ĂȘtre rapprochĂ©s, dans le symbole du caducĂ©e, aux deux grands courants de forces, fusion et sĂ©paration.
– le cerveau limbique gauche serait, au niveau vital, l’instrument du courant de force sĂ©parateur menant toute forme de vie vers son accomplissement. Son rĂŽle est de trier, classer, rĂ©pertorier les sensations et d’établir des liens entre elles pour les organiser en perceptions, et cela avec fiabilitĂ©, perfection du dĂ©tail. C’est en lui que s’inscrivent les peurs fondamentales. Il traduit tout changement par l’insĂ©curitĂ©. Il est donc, par essence, conservateur.
– le cerveau limbique droit serait au service des forces de fusion, chargĂ© de maintenir toute forme de vie en contact avec l’unitĂ© de l’univers. C’est donc essentiellement un outil rĂ©ceptif et relationnel qui recherche l’harmonie, la relation, l’unitĂ©. Il serait plus particuliĂšrement responsable de la formation de l’instinct, expression de l’intuition au niveau vital. Il fonctionne par l’image.
Ces deux cerveaux tentent d’organiser la vie sociale, indĂ©pendamment l’un de l’autre.

Nous traiterons donc ensemble Phorcys et CĂ©to, le « vital Ă©motif » et le « vital mental », parce que les Anciens, en les unissant, Ă  l’instar des deux composantes du cerveau limbique, dĂ©crivent deux Ă©nergies fonctionnant ensemble, mĂȘme si leurs enfants semblent se rapprocher davantage de l’une ou de l’autre. Ces deux plans se sont probablement dĂ©veloppĂ©s conjointement, sous l’influence alternĂ©e des forces de fusion et de sĂ©paration, influence qui devait permettre aussi, au niveau du cortex, le dĂ©veloppement parallĂšle de la logique et de l’intuition.
Ces plans de conscience-Ă©nergie sont Ă  la base de la constitution du « moi animal » et prĂ©cĂšdent la naissance de « la personnalitĂ© », terme rĂ©servĂ© ici Ă  l’ego humain. L’appropriation et la possession en sont les moteurs et survivre la prioritĂ©.
La formation du « moi » animal correspond Ă  la constitution d’un centre de perception-rĂ©action (l’ego animal comme l’ego humain est le rĂ©sultat d’un mouvement centripĂšte) qui sent, souffre, a besoin et donne une rĂ©ponse automatique par l’empathie, l’agressivitĂ©, la rĂ©traction ou la fuite. Ce moi animal n’est en rien sĂ©parĂ© de l’ñme-groupe de son espĂšce et en subit la contrainte, sans possibilitĂ© de distanciation, encore moins de rĂ©flexion. L’autonomie est limitĂ©e aux besoins primaires du corps et au mouvement.
Il n’y a donc pas d’aspiration Ă  connaĂźtre, d’élaboration d’un sens ou d’un but. C’est une vie faite d’habitudes presque invariables Ă  travers les gĂ©nĂ©rations oĂč domine la loi du clan. La conscience y est trĂšs rudimentaire, la sensibilitĂ© peu dĂ©veloppĂ©e : si ce monde animal peut nous paraĂźtre parfois cruel (comme le chat avec la souris), c’est une cruautĂ© dĂ©pourvue du soutien et du raffinement du mental, donc sans acharnement et sans perversion. Ce moi animal se manifeste par des Ă©bauches de penchants, d’aversions et de vanitĂ©s, issus du double mouvement d’attirance et de rĂ©pulsion.

Par des rudiments de mĂ©moire, ils conservent les premiĂšres empreintes des peurs primitives de morcellement, d’engloutissement et de dissolution. Scylla, le monstre qui morcelle en rendant fou est en effet souvent donnĂ©e comme la fille de Phorcys. En liaison avec ces deux plans, seront donc abordĂ©es dans un prochain chapitre les positions maniaco-dĂ©pressives et schizo-paranoĂŻdes qui semblent ĂȘtre Ă  la base de la constitution du psychisme humain et sont illustrĂ©es par les deux monstres Charybde et Scylla. Jason ne fera que passer Ă  proximitĂ© de leurs repaires mais, beaucoup plus tard sur le chemin, Ulysse ne pourra les Ă©viter, manquant y laisser la vie, car nul ne peut Ă©viter de s’y confronter Ă  ce stade.

Le vital Ă©motif (CĂ©to) est le siĂšge d’émotions (amour/haine, joie/tristesse, etc.) qui ne peuvent durer car il leur manque l’appui d’une volontĂ© mentale qui persĂ©vĂšre.
Le vital-mental (Phorcys) donne quant Ă  lui une expression mentale aux sensations, dĂ©sirs, Ă©motions, passions et autres mouvements du vital central et du vital Ă©motif sans faire le moins du monde jouer l’intelligence.
De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le vital Ă©motif et le vital mental sont encore trĂšs marquĂ©s par les commencements de la vie, avec une tendance prononcĂ©e pour la rĂ©pĂ©tition qui procure la satisfaction de la sĂ©curitĂ© et du connu. Leur tendance naturelle est de tourner en rond dans des cercles trĂšs Ă©troits de dĂ©sirs et d’intĂ©rĂȘts.
Dans cette partie du vital naĂźt le germe d’une facultĂ© de distanciation et d’observation, racine du moi rĂ©flexif humain.

Le fonctionnement d’une humanitĂ© sur ces deux plans ressemblerait assez Ă  celui de la plupart des hommes d’aujourd’hui car les couches supĂ©rieures du mental proprement humaines sont relativement peu utilisĂ©es.

Phorcys (ÎŠÎżÏ+Κ) est le mouvement « qui entraine une ouverture de la conscience » sous l’influence de la force de fusion qui avait prĂ©cĂ©demment contribuĂ© Ă  l’élaboration des rudiments de l’instinct, tandis que CĂ©to (Κ+΀) est « l’ouverture de la conscience au sentiment de quelque chose qui la dĂ©passe » et donc l’introduction d’une distanciation-coupure sous l’influence de la force de sĂ©paration. Ce mot signifie aussi « trĂšs grand animal de mer : baleine
 ». C’est-Ă -dire une maturation maximum sur le plan vital. Il ne s’agit pas encore de deux fonctionnements irrĂ©conciliables comme intuition et raison sembleront l’ĂȘtre dans le mental mais d’une simple polarisation de la puissance de vie, sans antinomie. On pourrait dire que ce sont seulement des « tendances vers ». C’est pourquoi Phorcys et CĂ©to forment un couple.

Comme leur frĂšre NĂ©rĂ©e, ces deux divinitĂ©s appartiennent au plan vital et sont donc des divinitĂ©s marines. Mais un nouveau fonctionnement du mental va façonner le type primitif des pensĂ©es, basĂ©es sur des rudiments de mĂ©moire et d’instinct (conscience intuitive au niveau vital) et sur des automatismes qui, s’appuyant sur la mĂ©morisation et la rĂ©pĂ©tition, deviendront des habitudes.
Il faut concevoir ce mode de pensĂ©e primitive davantage comme une raison-rĂ©flexe que comme ce que nous appelons raison. Elle suscite une formidable tension observable chez certains animaux domestiques s’efforçant de comprendre la volontĂ© et le langage de l’homme.
Le niveau de CĂ©to est le dernier plan du vital avant le stade que nous appelons « homme ». C’est un Ă©tat de transition prĂ©cĂ©dant la naissance de l’ego humain, dont le premier niveau est « le mental corporel » incarnĂ© par la plus jeune des sept PlĂ©iades.

Le couple Phorcys-CĂ©to est donc le troisiĂšme plan de croissance de la Vie. Certains auteurs anciens ont pu dire que sa demeure est Ithaque, l’üle d’Ulysse, le plus avancĂ© des chercheurs, car c’est le point ultime atteint par les maĂźtres grecs dans leur capacitĂ© d’intervention sur les plans de la conscience archaĂŻque, bien que leur inventaire en ait Ă©tĂ© plus complet (avec Thaumas et NĂ©rĂ©e).

Le couple eut quatre groupes d’enfants qui rĂ©capitulent les caractĂ©ristiques du cerveau limbique Ă©noncĂ©es ci-dessus : les GrĂ©es (au nombre de deux ou trois selon les auteurs), les trois Gorgones, Échidna et le Serpent des HespĂ©rides.

Les Grées.

Le nom « GrĂ©es », ΓΡ+Ι, indique « l’impulsion pour un dĂ©veloppement juste de la conscience ». S’appuyant sur un systĂšme nerveux Ă©lĂ©mentaire, cette impulsion se traduit par des Ă©changes d’information et d’ordres entre « ce qui sent » et « ce qui perçoit, centralise et organise ».
Leur nom, gĂ©nĂ©ralement traduit par « les vieilles », dĂ©crit seulement un mĂ©canisme archaĂŻque. Chez HĂ©siode, elles se nomment Pemphredo et Enyo (en Ă©volution). (S’y ajouta ultĂ©rieurement DĂ©ino « celle qui craint ou danse en rond ».)
Rien dans les lĂ©gendes primitives n’affirme qu’elles aient Ă©tĂ© vieilles. Et dans les reprĂ©sentations anciennes, elles Ă©taient magnifiquement vĂȘtues.
Cependant, dĂšs le cinquiĂšme siĂšcle, PhĂ©rĂ©cyde les dĂ©peint comme de vieilles femmes dont la caractĂ©ristique essentielle est de n’avoir qu’un seul Ɠil et qu’une seule dent pour elles trois, qu’elles utilisent chacune leur tour.
Cet Ɠil et cette dent sont les symboles d’embryons de mĂ©moire (les dents, qui sont les structures corporelles les plus archaĂŻques, reprĂ©sentent les mĂ©moires gravĂ©es dans le corps) et d’embryons de conscience intuitive/instinctive (l’Ɠil). Ils rĂ©sultent de l’irruption du mental dans la vie, sous ses deux aspects sĂ©paration et fusion. La mĂ©moire est l’outil du mental sĂ©parateur, tandis que la vision au sens de « vision pĂ©nĂ©trante », celle par exemple des cyclopes, est celui du mental intuitif.
Ce sont elles qui, dans le mythe de PersĂ©e, indiquent au hĂ©ros le chemin vers les nymphes qui, Ă  leur tour, lui donneront l’équipement nĂ©cessaire pour vaincre la Gorgone MĂ©duse : le chercheur doit donc remonter trĂšs loin dans ses mĂ©moires archaĂŻques pour trouver les armes nĂ©cessaires Ă  la victoire sur la peur.

Les 3 Gorgones

Gorgone, Musée du Louvre

Gorgone, Musée du Louvre, Paris

Le second groupe d’enfants de Phorcys et CĂ©to est formĂ©, selon HĂ©siode, par les trois Gorgones.
Elles habitent en extrĂȘme Occident, prĂšs des HespĂ©rides, aux « origines de la vie ».
Elles ont pour nom SthĂ©no « force, vigueur », EuryalĂ© « grande vie impĂ©tueuse » et MĂ©duse (Medousa) « celle qui protĂšge ». Les deux premiĂšres font rĂ©fĂ©rence Ă  des caractĂ©ristiques de la vie naissante, la mise en action de grandes forces et sont immortelles, c’est-Ă -dire inhĂ©rentes au processus de la vie.
MĂ©duse, Ă  l’inverse de ses deux sƓurs, est mortelle. Ce point important signifie que dans le cours de l’évolution, elle est amenĂ©e Ă  disparaĂźtre. Dans ses plus anciennes reprĂ©sentations, elle apparaĂźt sous la forme d’un personnage ailĂ©, semble-t-il asexuĂ©, avec une tĂȘte impressionnante censĂ©e faire peur, dont jaillissent des serpents.
Elle est donc liĂ©e Ă  une dĂ©formation de l’énergie de vie, qui fut sans doute nĂ©cessaire pour l’évolution de l’animal ou de la part encore animale en l’homme, mais qui ne le sera plus pour l’Homme futur. Nous aborderons son symbolisme en dĂ©tail avec le mythe de PersĂ©e.

Tuile Gorgoneion, Italie du Sud, vers 540 avant J.-C.

Tuile Gorgoneion, Italie du Sud, vers 540 avant J.-C.

Ni HomĂšre, ni HĂ©siode ne dĂ©crivent les Gorgones, mais la tradition communeplus tardive en fait des ĂȘtres monstrueux et effrayants. Certaines lĂ©gendes affirment qu’elles ont des cheveux gris dĂšs la naissance : elles s’enracinent donc dans le passĂ© et n’existent que par la mĂ©moire. Pour les rencontrer il est donc nĂ©cessaire de descendre profondĂ©ment en soi.

Mais la caractĂ©ristique principale de MĂ©duse est qu’elle pĂ©trifie quiconque la regarde.
Ce qui paralyse (change en pierre), c’est bien sĂ»r la peur.
Le nom « Gorgone » est formĂ© des lettres Γ+ΡΓ que l’on peut interprĂ©ter comme une impulsion qui revient vers sa source, qui s’interrompt et se rĂ©tracte.
Sur le bouclier d’Agamemnon dĂ©crit par HomĂšre, la tĂȘte de MĂ©duse est flanquĂ©e de Phobos et DĂ©imos qui pourraient Ă©voquer l’éventail de la peur, depuis la crainte jusqu’à l’épouvante.
Certains auteurs donnent aux Gorgones des Ă©cailles de dragon et des mains de bronze, symboles respectivement d’une certaine invulnĂ©rabilitĂ© et d’une puissante emprise.

MĂ©duse s’unit Ă  PosĂ©idon, dont elle eut deux enfants, Chrysaor « l’homme au glaive d’or » et PĂ©gase « le cheval ailĂ© », qui ne pourront toutefois venir au jour du vivant de celle-ci. MĂ©duse prĂ©pare donc aussi, Ă  partir d’une fĂ©condation par le subconscient, la maturation du plus haut niveau des Ă©nergies vitales : un « pouvoir dans le vital » libĂ©rĂ© de la peur et de son assujettissement Ă  l’ignorance sĂ©parative (PĂ©gase, le cheval ailĂ©) et une VolontĂ© purifiĂ©e apte Ă  l’utiliser, « inflexible » dans sa justesse (Chrysaor, l’Homme au glaive d’or).
Ce Pouvoir et cette VolontĂ© ne peuvent surgir que par l’action rĂ©pĂ©tĂ©e et progressive de la conscience mentale la plus haute, celle d’un fils de Zeus, PersĂ©e, qui « tranche » les racines du dĂ©sir, de la peur, de l’attachement, des rĂ©pulsions, du manque et de la souffrance.

Chrysaor Ă©pousa CallirhoĂ©, « ce qui s’écoule harmonieusement », laquelle lui donna GĂ©ryon, un gĂ©ant Ă  trois tĂȘtes, le plus puissant de tous les mortels. Les troupeaux de ce dernier dont les bĂȘtes Ă©taient pourpres – c’est-Ă -dire les pouvoirs divins de la vie -, paissaient avec ceux d’HadĂšs, sous la houlette du berger Eurytion et de son chien Orthros.
HĂ©raclĂšs, dans l’un de ses derniers travaux, devra ramener ces troupeaux Ă  MycĂšnes.
C’est un travail mythique qui se passe en extrĂȘme Occident, donc Ă  la racine de la vie.
Nous verrons qu’il s’agit pour le chercheur de vaincre la soumission aux trois modes de la nature appelĂ©s « gunas » (modes que dans une premiĂšre approche nous appellerons inertie, action et Ă©quilibre). Pour rĂ©ussir, le hĂ©ros devra emprunter la barque du soleil HĂ©lios, c’est-Ă -dire des moyens appartenant au plan supramental. Lorsque la VolontĂ© purifiĂ©e peut agir dans les couches profondes de l’ĂȘtre, le chercheur peut affronter les derniers « gardiens » et rĂ©cupĂ©rer les « rĂ©alisations » qui permettront de poursuivre le yoga avec le travail dans le corps.

Échidna

Monstre amphibie, Musée Carnavalet, Paris

Monstre amphibie, Musée Carnavalet, Paris

Échidna, le troisiĂšme enfant du couple Phorcys-CĂ©to, est la force « qui bloque ou met fin Ă  l’évolution dans et vers l’union (Χ+ΔΝ) », autrement dit une force Ă©volutive qui oriente dans une mauvaise direction, vers la sĂ©paration, d’oĂč l’interprĂ©tation courante du nom : « la vipĂšre ». Pour Apollodore, elle est fille du Tartare et donc un monstre issu des profondeurs de la Nescience.
Elle est souvent dépeinte dans sa partie supérieure comme une nymphe aux yeux noirs et dans sa partie inférieure comme un serpent horrible : ce qui paraßt plaisant est en fait soutenu par une force qui vrille, une perversion qui sépare.
C’est un monstre Ă©norme contre lequel on ne peut rien, qui ne ressemble en rien aux mortels ni aux dieux Ă  l’écart desquels elle vit dans une grotte loin sous la terre : le chercheur ne comprend pas sa raison d’ĂȘtre ni son origine et ne peut la combattre, ni par les pouvoirs de sa personnalitĂ© ni par ceux de ses plus hautes facultĂ©s mentales. C’est une Ă©nergie perverse qui ne lui est pas intelligible.
Selon HĂ©siode, « elle nous dĂ©vore tout cru dans les profondeurs sacrĂ©es de la terre divine » : c’est-Ă -dire qu’elle agit au plus profond de notre matiĂšre corporelle, cellulaire, et que c’est lĂ , en consĂ©quence, le seul endroit oĂč nous pourrons la combattre.

Elle s’unit Ă  Typhon, symbole de l’ignorance, le dernier nĂ© des enfants de Gaia avec le Tartare (ou selon HomĂšre, un fils d’HĂ©ra) que Zeus envoya dans le Tartare aprĂšs avoir donnĂ© naissance Ă  AthĂ©na. Typhon Ă©tait un monstre si terrible qu’il pouvait menacer l’ordre divin Ă  lui seul. Ainsi, chaque fois qu’un nouvel Ă©tat apparaĂźt sur la terre, la force opposĂ©e se dĂ©chaĂźne.

L’alliance de ces deux monstres, Échidna et Typhon, faite de perversion et d’ignorance, fut Ă  l’origine du « mal » sous la forme de quatre grands monstres (et indirectement de deux autres encore) : c’est-Ă -dire que lorsque le mental rĂ©flexif s’imposa dans l’humanitĂ© et que celle-ci fut prĂȘte pour la dĂ©couverte intĂ©rieure (la naissance d’AthĂ©na), entra simultanĂ©ment en action une puissance d’ignorance qui fit alliance avec le mouvement Ă©volutif dĂ©jĂ  perverti par le sentiment de sĂ©paration. Ce phĂ©nomĂšne provoqua ce que les traditions appelĂšrent « la chute de la Vie » : la vĂ©ritĂ© devint Orthros le mensonge ou plutĂŽt l’inverse du mouvement de croissance de l’ĂȘtre intĂ©rieur, c’est-Ă -dire le mouvement extĂ©riorisant de l’ego humain nĂ©cessaire Ă  l’affirmation de soi (Orthos dans lequel est insĂ©rĂ© le Rho de l’inversion). La conscience se transforma en ChimĂšre, l’illusion. La joie cĂ©da la place Ă  l’attachement, au dĂ©sir et Ă  la souffrance, reprĂ©sentĂ©s par l’Hydre de Lerne. La conscience de l’éternitĂ© fut niĂ©e par la mort, obscurcissement de la conscience dont CerbĂšre est le gardien. Ce dernier est le dernier rempart qui empĂȘche la rĂ©union des royaumes de l’UnitĂ© avec ce qui Ă©volue dans l’incarnation.
Puis, du chien Orthros et de sa mĂšre Échidna, ou selon d’autres de la ChimĂšre, naquirent les deux autres monstres, le Lion de NĂ©mĂ©e « l’ego » et Phix, la Sphinge, « la sagesse pervertie ».

De grands hĂ©ros durent affronter tous ces monstres : ce furent BellĂ©rophon pour la ChimĂšre, ƒdipe pour la Sphinge et HĂ©raclĂšs pour tous les autres.

Les autres enfants de Phorcys : le Serpent des Hespérides, Thoosa et Cratais.

Selon les auteurs, Phorcys est gratifié de quelques autres enfants qui expriment les premiÚres émergences et consolidations du moi animal.
Le serpent des HespĂ©rides est la force positive de l’évolution qui veille sur les pommes de la Connaissance : cette derniĂšre ne peut ĂȘtre acquise avant que le chercheur n’ait retracĂ© en conscience les mĂ©moires et les fonctionnements de la vie primitive, dont les images sont les GrĂ©es, les trois Gorgones et la vipĂšre Échidna, et plus prĂšs de l’origine, les enfants du Vieillard de la mer NĂ©rĂ©e.
Selon HomĂšre, Phorcys eut encore deux autres enfants :
Thoosa « rapide », la mĂšre du Cyclope PolyphĂšme qu’elle conçut avec PosĂ©idon. PolyphĂšme « celui qui rend manifeste (perceptible) beaucoup de choses » est le symbole de perceptions instinctives, extrĂȘmement rapides et trĂšs peu mentalisĂ©es.
Crataïs « force, vigueur », la mÚre de Skylla « celle qui déchire (en référence au mouvement primordial de séparation ou morcellement) ».

Eurybié

Le cinquiĂšme et dernier enfant de Pontos est EurybiĂ© « grande force ou vie large ». C’est le plan de la vie que l’humanitĂ© n’abordera qu’à la fin de la traversĂ©e du mental, lors de son Ă©tablissement dans le plan supramental, c’est-Ă -dire lorsque cesseront la suprĂ©matie de Typhon « l’ignorance » et la perversion d’Échidna. La nature est suffisamment sage pour ne pas libĂ©rer les puissances de la vie avant que l’homme ne soit capable de s’en servir selon le plan divin et non selon celui de son ego.
Les Ă©tapes actuelles de la vie ne comprennent donc que les quatre premiers enfants de Pontos : c’est pourquoi les serpents du caducĂ©e d’Iris, qui semble-t-il ne comportait que deux anneaux, s’arrĂȘtent Ă  la frontiĂšre qui sĂ©pare l’état de la vie actuelle (Phorcys-CĂ©to) de celui d’EurybiĂ©.

Unie Ă  Crios, EurybiĂ© eut toute une sĂ©rie de petits-enfants, « les souffles » ou « vents » divins (les aides Ă  l’évolution : Eurus, Notos, ZĂ©phyr et BorĂ©e), ainsi que les rĂ©alisations de la vie divine (Gloire, Victoire, Puissance et Force). L’un de ses trois enfants est PersĂšs « la transformation », pĂšre de la mystĂ©rieuse HĂ©cate qui gouvernera la conscience de l’Homme futur, « car elle a sa part de la terre, de la mer stĂ©rile et du ciel Ă©toilĂ© », liant ainsi tous les plans de la conscience.

Ainsi se termine la description des plans de la vie, associĂ©s aux deux premiers cerveaux. Le troisiĂšme et dernier, dit cortical, est l’outil mental par excellence, instrument de l’individuation permettant l’accomplissement puis le dĂ©passement de la personnalitĂ©, soumise alors progressivement Ă  l’ĂȘtre intĂ©rieur. Entre autres capacitĂ©s, il apporta Ă  l’humanitĂ© la rĂ©flexivitĂ©.
C’est le cerveau qui nous est le plus familier, Ă  tout le moins dans sa partie sĂ©paratrice : le cerveau gauche, logique.
Expression de la croissance mentale humaine, il n’est pas associĂ© aux enfants de Pontos, mais Ă  ceux d’Atlas, les PlĂ©iades.