LA LIGNÉE DE L’ASOPOS : ACHILLE

La lignée de l’Asopos illustre la purification des couches profondes du vital effectuée successivement par Éaque, Pélée et Achille. Les autres lignées majeures impliquées dans la guerre de Troie comprennent : la lignée de Tantale, la lignée royale troyenne, la lignée de Sparte, la lignée de Maia et la lignée de Déion.

Pélée luttant avec Thétis qui prend la forme du feu puis d'un gros chat, en présence de Chiron et d'une Néréide

Pélée luttant avec Thétis qui prend la forme du feu puis d’un gros chat, en présence de Chiron et d’une Néréide – Staatliche Antikensammlungen

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Voir Arbre généalogique 25

Bien que cela ne soit pas précisé, nous pouvons suivre Apollodore qui fait du dieu-fleuve Asopos un fils d’Océanos, comme tous les autres fleuves, symboles des courants de conscience-énergie qui travaillent à l’évolution.
Le nom Asopos, comme celui de sa femme Métope, est en rapport avec « la vision » (Οψ). Il signifierait « le marécageux » ou « celui qui voit la boue ». On pourrait alors y voir le travail de yoga qui plonge dans les bourbiers du subconscient et de l’inconscient.
Nous avons déjà rencontré quelques-unes des vingt filles de l’Asopos, qui chacune représente un mouvement important du yoga.
– Antiope « un renversement de conscience » qui marque l’entrée dans le processus de purification. Selon Homère, elle eut de Zeus deux fils, Amphion et Zéthos, les fondateurs de Thèbes, la ville où s’incarne le processus de purification/libération. (Toutefois, nous avons aussi considéré lors de l’étude de ces deux héros une autre filiation par Nyctéus.)
– Thébé « le processus d’incarnation de la conscience intérieure » : elle s’unit à Zeus et donna son nom à la ville éponyme.
– Ismène « la volonté personnelle » qui s’unit à Argos « le lumineux », symbole du chercheur de vérité.
– Harpina « une forte évolution des renversements d’équilibre » : elle s’unit au dieu Arès et lui donna Oinomaos « celui qui désire vivement l’ivresse divine », le père d’Hippodamie « la maîtrise des énergies (vitales) ». (Nous avons vu qu’il existait d’autres filiations pour Oinomaos.)
– Salamis « un élan vers la consécration » : elle s’unit à Poséidon, le dieu qui régit le subconscient, et lui donna Cychreus « l’ouverture de la conscience au juste mouvement de l’accomplissement » qui fut le père de Chariclo « une joie célèbre ». Celle-ci s’unit au grand guérisseur Chiron « celui qui manie les énergies de façon juste (à travers les mains) » à qui furent confiés nombre de grands héros dans leur jeunesse, dont Achille.
– Et la plus importante, Égine « le besoin d’évolution » : Zeus l’enleva pour la conduire à Oinoné « la structure pour l’évolution de la joie (le cellier) ». Ce fut Sisyphe « l’intellect » qui révéla à l’Asopos le coupable du rapt. Le dieu-fleuve voulait empêcher l’union de Zeus avec sa fille mais ce dernier, avec sa foudre, le découragea de le poursuivre.
Cet enlèvement perpétré contre la volonté du père montre une réticence du chercheur qui « voit le marécage humain profond » à s’engager plus avant dans cette voie de descente (refus que Zeus s’unisse à Égine). L’intellect apporte son soutien à ce refus (Sisyphe dénonce Zeus à l’Asopos).
Cet enlèvement laisse donc entendre un changement de direction dans le yoga : le supraconscient apporte son soutien au « besoin d’évolution » pour le conduire vers « une structure pour l’évolution de la joie ».

Avant de poursuivre avec l’histoire d’Éaque, fils d’Égine et de Zeus, il nous faut évoquer l’union d’Égine avec Actor (Aktor) « le guide » ou « le juste mouvement d’ouverture de la conscience vers l’esprit ».
Celui-ci est soit un fils de Déion « l’union en conscience » (le dernier fils d’Éole que nous avons étudié), soit un fils de Myrmidon « une fourmi » et de Pisidicé « celle qui cherche la juste manière d’agir » : il représente donc la volonté de trouver le juste dans les mouvements insignifiants du quotidien (au niveau de la fourmi).
D’Actor et d’Égine naquit Ménoitios « celui qui se maintient dans l’esprit » qui engendra lui-même Patrocle « les ancêtres glorieux », soit les réalisations passées auxquelles le chercheur s’accroche pour ne pas poursuivre le yoga au-delà de la libération en l’esprit. Le renversement eut lieu durant la guerre de Troie quand Patrocle fut tué par Hector, lorsque le chercheur cesse de se « maintenir dans l’esprit » et surtout, cesse de « s’accrocher aux réalisations du passé ».

Éaque

Éaque « l’ouverture de la conscience » est un fils de Zeus et d’Égine, et donc incarne une nouvelle impulsion donnée par le supraconscient au « besoin d’évolution ». Si l’on considère que le nom Éaque est formé à partir de Αια qui est une autre forme du nom Gaia « la Terre » (la matière ou le corps), ce nom exprimerait alors « une ouverture de la conscience corporelle ».
Son seul nom évoquerait alors un retournement majeur dans le yoga qui ne considérait pas jusque-là comme possible la transformation corporelle. Toutefois, le renversement définitif ne peut encore se produire car la libération mentale et vitale n’est pas totalement accomplie (étape marquée par les morts d’Hector et d’Achille).

Selon un scholie de Pindare, arrivé à l’âge adulte, Éaque se retrouva seul sur une île et en fut affligé. Zeus transforma alors toutes les fourmis en hommes et femmes, créant le peuple des Myrmidons : cette histoire indiquerait une nouvelle attention portée aux infimes mouvements de la conscience sous l’impulsion du supraconscient.

Éaque était « le plus pieux de tous les Grecs », et aussi « le meilleur au combat comme au conseil ». Pindare ajoute qu’il rendait des jugements lors des disputes entre les dieux. Certains auteurs tardifs affirment même qu’il siégeait dans l’Hadès aux côtés de Minos et Rhadamanthe.
Éaque symbolise donc le chercheur le plus avancé dans les trois yogas, celui de la Dévotion (c’est le plus pieux), celui de la Connaissance (le meilleur au conseil) et celui des Œuvres (le meilleur au combat).
Pour Pindare, c’est même un chercheur installé dans le surmental, pouvant discerner en lui-même et régler les conflits de forces agissant dans le surmental (Éaque traite à égalité avec les dieux et arbitre leurs disputes). Rappelons en effet que le plan du surmental, bien que très élevé, participe encore de la dualité. Ce n’est pas encore le plan de l’Unité du supramental.

Éaque participa avec Apollon et Poséidon à la construction des murailles de Troie. Apollon, ayant vu trois serpents s’élancer vers le haut des murailles et l’échec des deux premiers à l’atteindre, prédit alors que la cité serait prise du côté construit par Éaque, et même par un de ses propres descendants :
Pindare nous dit que ni la lumière psychique, ni le travail sur le subconscient ne peuvent seuls opérer le renversement (la tentative manquée des deux premiers serpents). C’est le travail sur les trois voies de yoga en vue de l’ouverture à « une nouvelle conscience (corporelle) » qui provoque la réorientation du yoga (la cité sera prise du côté construit par Éaque).
Mais lorsqu’elle s’éveille, cette nouvelle conscience qui œuvre par la triple voie (le yoga intégral) commence par contribuer à établir une protection pour permettre la spiritualisation de la conscience. C’est cette protection qui cèdera la première par l’action d’un des propres descendants d’Éaque, c’est-à-dire également sous l’effet de ce triple yoga des Œuvres, de la Dévotion et de la Connaissance. Autrement dit, la consolidation de l’erreur troyenne par les premiers pas dans cette nouvelle ouverture de la conscience (corporelle) ne peut être évitée. Et c’est dans le corps et par le yoga intégral que se produira le renversement.

Éaque « une ouverture de la conscience (corporelle) » eut une première union avec Endéis « le feu intérieur », la fille de Chiron « la concentration de la conscience qui évolue de façon vraie » et de Chariclo « une joie célèbre ».
De cette union naquirent deux fils, Pélée « celui qui vit dans la boue (qui plonge dans les profondeurs de l’humain) » et Télamon « le résistant, l’endurant ».
Cette première union annonce une descente du chercheur dans la boue du subconscient et avertit qu’une grande endurance sera nécessaire pour effectuer ce nouveau yoga.

D’une seconde union avec Psamathé « le sable », fille du vieillard de la mer Nérée « l’évolution du mouvement vrai », Éaque engendra Phocos « le phoque ». Nérée est le symbole des tous premiers jaillissements de la vie qui émerge de la matière. Psamathé peut être assimilée à du « sable intérieur », c’est-à-dire à « une terre propre », des « mouvements vrais », à opposer à la boue dans laquelle plonge le chercheur (Pélée). Phocos « le phoque » symboliserait alors la capacité d’adaptation et de transformation, la souplesse, le juste travail de la conscience qui descend dans le vital pour la transformation en se jouant des difficultés.

Phocos suscita la jalousie de ses frères, soit parce qu’il était meilleur aux jeux, soit parce qu’il était le préféré d’Éaque. Aussi Pélée et Télamon (ou seulement l’un des deux), ourdirent-ils la mort de Phocos. À la suite de ce meurtre, ils furent bannis par leur père. Télamon se réfugia à Salamine et Pélée en Phtie à la cour d’Eurytion qui le purifia du meurtre.

Cette adaptabilité donne de meilleurs résultats dans le yoga que le travail des profondeurs ou même que l’endurance (Phocos est meilleur aux jeux que Pélée ou Télamon), et se positionne naturellement dans la continuité de la nouvelle ouverture de conscience (il est le préféré d’Éaque).
Mais le chercheur ne peut sans doute le comprendre, car cette adaptabilité dans la légèreté, bien qu’elle fasse ses preuves, ne peut encore être admise par le chercheur encore accroché à ses vieux schémas de yoga (Pélée et Télamon sont jaloux). Les réalisations qui jailliront plus tard de cette exigence de « souplesse », incarnées par la descendance de Phocos, n’ont pas encore leur place puisque la guerre de Troie n’a pas eu lieu. C’est pourquoi Pélée fut purifié du meurtre.
(Pindare toutefois ne semble pas cautionner cette hypothèse car il dit ne pas pouvoir justifier le crime.)

Phocos et ses fils

Avec les enfants de Phocos, nous anticipons très largement sur les derniers développements du yoga. Toutefois, il nous faut en dire un mot ici car nous ne reviendrons pas sur cette lignée. En effet, la descendance de Phocos exprime l’une des plus grandes (re)découvertes effectuées par Mère dans son yoga, la puissance du mantra pour insuffler une nouvelle conscience dans la matière corporelle. Au ratiocinage dépressif cellulaire qui indéfiniment tourne en rond est substitué un ensemble de sons porteurs d’une énergie vraie et d’un espoir joyeux de transformation par le don de soi.

Phocos « l’adaptabilité » s’unit à Astérodia « la voie de la lumière qui se manifeste par une multitude d’éclats (étoilée) » dont il eut deux fils, Panopée « celui qui a une vision de l’ensemble » et Crisos « celui qui distingue » et donc celui qui « voit » ou perçoit tous les éléments en détail et leur juste place dans l’ensemble.

Panopée eut un fils Épéios, probablement « une conscience stable ». Assisté d’Athéna, il fut le constructeur du cheval de Troie. C’est en effet dans le chercheur « ce qui a la vision de l’ensemble » qui peut voir ce qui doit être accompli afin de mettre fin, avec l’aide du guide intérieur, à une conception du chemin spirituel qui n’est plus en accord avec le dessein divin de l’évolution.
Dans l’Iliade, Épéios dit de lui-même qu’il est bon à la boxe mais malhabile à la guerre : Rappelons que parmi les Dioscures, c’est Pollux « celui qui est doux en tout » qui est le boxeur et fut le seul survivant du conflit qui les opposa à leurs cousins Idas et Lyncée. Le boxeur accompli serait donc « un artiste de la non-dualité » ou de « l’intégration », au-delà de la maîtrise dans laquelle excelle Castor, le dompteur de chevaux.
Ici, la vision de l’ensemble (Panopée) confère des qualités à la conscience – souplesse, adaptabilité, agilité, rapidité, concentration, calme intérieur et force – qui ne permettent pas la justesse de l’action dans les détails de la dualité, celle qui est donnée par Crisos.

Si le premier fils donne la clef pour opérer le renversement, le second donne celles de l’étape suivante, le perfectionnement de la nature jusque dans le corps.
En effet, le second fils de Phocos, Crisos « celui qui distingue », celui qui voit tous les éléments dans le détail et leur juste place dans l’ensemble, eut un fils Strophios « l’enroulement » qui s’unit à Anaxibie « ce qui règne sur la vie », une sœur d’Agamemnon. Le chercheur met ainsi en évidence le processus fondamental à la racine de la vie, celui de la répétition et de l’enroulement, processus qui doit être transformé afin de permettre une nouvelle évolution dans le corps.
Cette transformation permet de franchir une porte majeure dans le yoga : Strophos et Anaxibie eurent pour fils Pylade « la porte de l’union (avec le Divin) ». En fait, il ne s’agit pas tant de supprimer que de changer ce que le corps répète depuis des millénaires de façon obsessionnelle, qui est, dans la conscience cellulaire, une profonde désespérance. Reconnecter la conscience cellulaire à sa source divine, telle est la porte à franchir.
Pylade « la porte de l’union » est le meilleur ami d’Oreste « le juste mouvement de l’intégrité », fils d’Agamemnon, « celui qui aspire avec une puissante volonté intelligente ». Il épousa Électre, symbole du « mental illuminé », l’une des filles d’Agamemnon, qui lui donna deux enfants, Médon « le vrai pouvoir » et un Strophios « l’enroulement » homonyme : lorsque le nouveau mouvement est imprimé dans la conscience cellulaire, alors apparaît le vrai pouvoir divin.

Télamon et ses fils : Teucer et le « grand » Ajax

Nous avons vu que la filiation de Télamon ne fait pas l’unanimité. Homère ne le mentionne jamais comme un Éacide (de la lignée d’Éaque) et Phérécyde lui donne pour père un certain Aktaios qu’il ne nous est pas possible de situer dans les généalogies. Toutefois, faute d’éléments, nous retiendrons ici la filiation habituelle dans laquelle il est fils d’Éaque et Endéis.

Télamon « l’endurant » est impliqué à deux reprises dans les aventures d’Héraclès.
Dans le neuvième travail, La Ceinture de la reine des Amazones, il tua Mélanippé « l’énergie noire, déformée », sœur de la reine : il est logique que ce soit « l’endurance » qui vienne finalement à bout, dans les étapes les plus avancées du yoga, des énergies déviées dans le bas vital.

Il participa également à la prise de Troie lorsqu’Héraclès revint pour se venger de Laomédon, longtemps après la fin des travaux. Il reçut en récompense la fille de Laomédon, Hésione, « la sérénité ». Il engendra le héros Teucer (Teukros) « l’ouverture juste vers les sommets de la conscience » et aussi « la meilleure appréhension du but » car il était considéré comme le meilleur archer grec, celui qui s’approche le mieux du but lointain.
(Ce dernier ne doit pas être confondu avec le Teucer homonyme qui donna sa fille à Dardanos, participant ainsi à la fondation de la lignée troyenne. Le premier conduit vers l’union en l’esprit tandis que le second permet beaucoup plus tard de poursuivre le chemin de liberté.)

Une génération après l’expédition d’Héraclès à laquelle participait son père Télamon, il s’engagea très activement dans la guerre de Troie aux côtés de son demi-frère Ajax « travail d’élargissement de la conscience (vers le bas) ». Il fut cependant très mal accueilli par son père à son retour de Troie qui l’accusa de ne pas avoir défendu son frère et l’exila : lorsque commence le yoga corporel, le chercheur a quelque mal à accepter la perte des moyens supérieurs de Connaissance dont il disposait précédemment (le « grand » Ajax). Ils lui sont en effet « retirés ».

L’union principale de Télamon se noua avec Ériboia « une puissante illumination dans l’incarnation » (aussi appelée Périboia par de nombreux auteurs), fille d’Alcathoos « celui qui expérimente très rapidement », qui lui donna un fils célèbre le grand Ajax « le travail d’élargissement de la conscience (dans la verticalité) » qui œuvre à l’union esprit/matière.
Il est qualifié de « grand » pour le distinguer du « petit » Ajax, fils d’Oilée « la libération poursuivie par la seule personnalité », qui mourut lors du retour de Troie tué par Poséidon. Nous verrons plus loin que ce petit Ajax fut la cause de nombreuses pertes dans l’armée achéenne, mais que sa plus grande faute fut de poursuivre Cassandre afin de la violer. Ce faisant, il manqua de respect à la déesse Athéna, ce qui valut à son peuple, les Locriens, une expiation de mille années.
Les deux Ajax accomplirent de nombreux exploits durant la guerre de Troie.

Pélée

Pélée « celui qui oeuvre dans la boue », l’autre fils d’Éaque et d’Endéis, participa à nombre des grandes aventures collectives : la conquête de la Toison d’Or, les jeux funèbres en l’honneur de Pélias, la guerre contre les Amazones, la chasse au sanglier de Calydon et l’expédition d’Héraclès contre Troie. Il représentait en effet le travail du chercheur sur la part obscure de son être, travail qui commence dès l’entrée sur le chemin.
Deux autres aventures doivent être examinées à son sujet.

Tout d’abord, la tentative de séduction dont il fit l’objet de la part de la femme d’Acastos, fils de Pélias dans la lignée de Salmonée (fils d’Éole).
Hippolyte trompa son mari Acastos en prétendant que Pélée avait voulu la déshonorer, alors que c’était elle qui lui avait fait des avances. Acastos projeta de tuer Pélée en se servant de l’épée de Dédale, mais Chiron détourna le danger. Plus tard, Pélée retourna à Iolkos et détruisit la cité, tuant à la fois Acastos et Hippolyte.
Cet épisode est en général situé juste après la chasse au sanglier de Calydon.
Nous avons rencontré Acastos « celui qui recherche une grande pureté » lors de l’étude des enfants d’Éole. C’est un fils de Pélias « le sombre », celui qui entraîna Jason dans la quête de la Toison d’Or, et donc le symbole d’une première plongée du chercheur dans son « ombre ». Le fils de Pélias, Acastos, exprime la quête active de pureté qui accompagne cette ascèse débutante.
Selon Pindare, Acastos est uni à une Hippolyte Kréthéis. Or Hippolyte semble pouvoir indifféremment revêtir les deux sens opposés « l’énergie vitale déliée, libérée » ou « l’énergie vitale repoussée, contrainte » qui peuvent être admis aussi bien l’un que l’autre pour la compréhension du neuvième travail d’Héraclès. En effet, l’énergie vitale ne doit être ni assouvie pour satisfaire l’ego, ni contrainte.
Il ne s’agit pas de revenir à l’énergie animale – qui est « pure » à son niveau mais résulte d’une union inconsciente avec le Réel – par sa seule délivrance de l’emprise mentale, mais de dépasser l’homme par le haut, par un au-delà du mental.
Mais il ne s’agit pas non plus de contraindre ou d’annuler l’énergie de vie, car elle est indispensable au développement du yoga.
Il faut donc, au-delà de cette alternative, parvenir à une juste maîtrise puis au dépassement de l’action des trois modes de la nature ou guna (la conquête de la ceinture d’or d’Hippolyte dans le neuvième travail d’Héraclès).
Le chercheur tout au long de son yoga, pourra se laisser entraîner vers ces deux excès, ce qui sera illustré par l’amour du héros pour une amazone. Mais comme il se rapproche toujours davantage de la ceinture d’or, c’est-à-dire de la parfaite maîtrise, Pindare peut qualifier ici Hippolyte « la force vitale déliée » de Kréthéis « l’équilibrée, la tempérée », c’est-à-dire la stabilisation dans le troisième guna (sattva le principe d’équilibre) qui à son tour devra être dépassée.
Toutefois, les obstacles augmentant en proportion de l’avancée sur le chemin, il y a encore une tentative des énergies de vie de détourner du chemin juste le chercheur « qui s’avance dans l’ombre » (Hippolyte veut séduire Pélée).
Cette tentative semble suffisamment inconsciente pour que le chercheur tente d’utiliser les armes de l’habileté mentale (l’épée de Dédale) pour justifier un possible égarement que la partie véridique du vital saura finalement empêcher (le bon centaure Chiron, fils du Titan Cronos, détourna le danger).
Dans une période plus avancée du yoga (après la chasse au sanglier de Calydon), le chercheur mettra fin à la fois à tout excès dans la volonté de maîtrise et la recherche de pureté. Celles-ci ne peuvent perdurer lorsque le chercheur veut maintenir son action dans le monde tout en effectuant un yoga avancé dans le corps (Pélée détruisit Iolkos et tua Acastos et Hippolyte).

Le mariage de Thétis et Pélée et la naissance d’Achille

La Titanide Thémis, mère des Moires qui tiennent entre leurs mains le destin, avait révélé que Thétis, fille de Nérée, mettrait au monde un enfant plus puissant que son père. Aussi, Zeus et Poséidon qui la courtisaient mirent un frein à leur ardeur et les dieux s’accordèrent pour l’unir à Pélée, car celui-ci était le plus pieux des mortels à qui les dieux avaient donné de somptueux présents depuis sa naissance. L’Iliade mentionne en effet une Polydoré « de nombreux dons » qui serait une fille d’un premier mariage de Pélée avec une Antigone homonyme.
Pélée fut obligé de capturer Thétis en maintenant fermement sa prise, car c’était une divinité marine douée du don de métamorphose qui se changea successivement en un feu puissant, un serpent puis un lion effrayant.
Thémis est la Titanide des lois divines qui sont perçues par l’être intérieur. Elle connaît donc l’évolution humaine à venir et sait qu’un jour viendra où le règne des dieux touchera à sa fin : ce sera la fin des créations surmentales, des grandes impulsions évolutives issues de ce plan (religions, mouvements civilisateurs, etc.). Comme c’est une Titanide, les lois qu’elle énonce sont d’un rang supérieur à celles émises par les dieux : ce sont des lois de Vérité. Aucune puissance du surmental, supraconsciente ou subconsciente, ne peut les outrepasser (Zeus et Poséidon sont obligés de s’effacer).

Dans le monde des mortels, il est logique qu’un fils soit plus puissant que son père, car la descendance symbolise toujours un accroissement de pouvoir sur le Réel. En revanche, sur le plan des dieux, un fils plus puissant que son père indique un renversement profond dans l’évolution. Ce fut le cas une première fois avec Cronos qui mutila son père Ouranos, puis ensuite avec Zeus qui détrôna les Titans, et à chaque fois, l’ordre du monde en fut bouleversé : les bases évolutives changèrent.
Cette fois-ci, – au temps d’Homère – les initiés savaient que le temps n’était pas encore venu pour ce renversement (le passage de la conscience mentale au supramental) mais qu’une étape intermédiaire entre l’homme actuel et l’homme supramentalisé devait être préparée. En effet, déjà le subconscient et le supraconscient s’intéressaient à la transformation des couches profondes du vital : Zeus et Poséidon courtisaient Thétis, fille de Nérée « le vieillard de la mer ».

Il était donc nécessaire de fournir une nouvelle impulsion dans l’humanité. Mais celle qui se produit ici est à l’inverse du schéma habituel puisqu’il y a fécondation d’une déesse de haut rang par un mortel, fut-il le plus « consacré » aux dieux (Pélée est le plus pieux des mortels).  C’est la première fois que survient la possibilité d’un travail conjoint de la force spirituelle qui règne sur les couches archaïques du vital et d’un chercheur parvenu à ce niveau d’égalité et de don de soi. Tel fut le rôle dévolu à Pélée et Thétis.

Pélée avait été doté par les dieux de somptueux présents depuis sa naissance : le chercheur à ce stade du yoga a accumulé une quantité remarquable d’expériences et de réalisations qu’il applique désormais aux infimes mouvements de la conscience (Pélée est fils d’Éaque, « roi des fourmis »).
Toutefois, à l’époque d’Homère, les initiés considéraient que cette « fécondation » était à la limite des possibilités humaines. Il fallait en effet que Pélée arrive à maîtriser successivement sans faiblir un feu tout puissant, un lion redoutable et parfois un terrible serpent :
le chercheur devait être capable de supporter le feu tout puissant de l’esprit qui descend dans le corps. Mère et Satprem décrivent ce feu comme une foudre compacte qui tuerait instantanément celui qui n’est pas préparé.
il doit pouvoir arracher les racines de l’ego, ce qui l’oblige à supporter une extrême souffrance.
enfin, il doit maîtriser le serpent gardien de l’étape actuelle de l’évolution afin d’en changer le cours.

Comme pour les noces de Cadmos et d’Harmonie, tous les dieux assistèrent à celles de Thétis et Pélée qui se tinrent sur le mont Pélion. Chiron offrit une lance de frêne et Poséidon les chevaux immortels Xanthos et Balios qui seront plus tard ceux d’Achille.
Le mariage se déroula symboliquement sur le mont Pélion, lieu de résidence des Centaures, car c’est dans les profondeurs cachées de l’être que doit se poursuivre le travail de purification.
La lance de frêne symbolise la transformation du vital duel en non-duel, représenté par les chevaux immortels d’Achille, Xanthos « le détachement », et Balios « le vital converti au yoga ».

Quelque temps plus tard, Thétis mit au monde Achille.
Elle tenta de le rendre immortel, le plongeant la nuit dans le feu pour dissoudre la part mortelle héritée de son ascendance humaine, et le jour le frottant d’ambroisie. Pélée l’ayant surprise et voyant l’enfant se convulser dans le feu, prit peur, et mit fin au projet de son épouse.
Thétis retourna alors dans les profondeurs de la mer auprès de son père Nérée et de ses sœurs les Néréides, tandis que Pélée restait dans son palais à Phthie. Toutefois, elle n’abandonnera pas complètement son fils, lui apportant son soutien lors des évènements importants de sa vie.
Achille fut confié à Chiron pour son instruction, en particulier en l’art de la médecine. Selon Apollodore, c’est alors que l’enfant d’abord nommé Ligyron fut appelé Achille.
Certains disent aussi qu’il tuait les bêtes sauvages durant sa jeunesse.
Quant à Pélée, il termina sa vie dans l’île des Bienheureux.

La première manifestation de la pénétration de la conscience dans les couches inférieures du vital doit parfaire l’exactitude et l’adaptabilité, afin de rendre la nature vitale « transparente » à l’action du Divin : c’est ce qu’exprime le nom Liguron « celui qui rend un son clair et mélodieux » et aussi « celui qui est souple, flexible ». C’est le travail du chercheur correspondant aux premières années d’Achille jusqu’à ce qu’il soit confié à Chiron.

Dès le commencement de cette phase, les forces divines tentent d’opérer une purification intégrale de la nature. C’est la déesse Thétis qui officie, symbole de la force qui règne sur la racine du vital, car il ne s’agit plus du tout ici de la libération en l’esprit, mais de celle de la Nature.
Le chercheur n’est pas conscient du travail qui est effectué sur lui (l’enfant est plongé dans le feu durant la nuit) mais il peut observer l’accroissement de sa sensibilité et la libération progressive des mécanismes de la Nature (il est frotté d’ambroisie durant le jour). La libération de la Nature, c’est l’abolition de ses limites et de ses lois : le chercheur commence donc à expérimenter les premières transformations des sens.
Cette transformation augmente en lui la joie claire et le rire de l’âme (rappelons que c’est Ganymède « la joie » qui distribue l’ambroisie).

Mais le chercheur prend peur devant cette transformation profonde, car s’il lui faut abandonner tous ses attachements et tous ses repères, il doit aussi supporter de puissantes énergies qui traversent son corps et y travaillent (il se convulse dans le feu). Et cette peur fait cesser la transformation.
Autrement dit, la possibilité de la transformation est directement liée à l’acquisition d’une parfaite équanimité y compris dans le corps. Tant qu’il reste des peurs physiques, l’homme ne peut supporter très longtemps les énergies divines, bien qu’elles demeurent très proches et disponibles dans les temps forts du yoga (la proximité des époux ne put durer longtemps bien que Thétis soit toujours présente et agissante lors des évènements importants de la vie d’Achille, comme par exemple son départ à la guerre).

Il existe une tradition relativement tardive selon laquelle Achille fut baigné par Thétis dans le Styx, fleuve dont les eaux conféraient l’invulnérabilité. Comme la déesse le tenait par le talon, seule cette partie de son corps restait vulnérable. Aussi mourut-il lors de la guerre de Troie d’une flèche qui l’atteignit à cet endroit.
Le chercheur est proche de la non-dualité, puisque rien ne peut plus le blesser dans aucune partie de lui-même à l’exception de celle qui le connecte à la matière (le talon). Cette partie non encore unifiée peut sans doute être associée au mental physique.

Achille fut instruit par le centaure Chiron « celui qui agit dans la nature inférieure en manipulant les énergies de façon juste », dans les arts de la chasse (la vigilance et la concentration sur les énergies vitales), du dressage (la maîtrise), de la lyre et du chant (l’harmonie extérieure et intérieure) et en particulier celui de la médecine, qui implique à la fois les capacités de réharmonisation et la connaissance des énergies et des plans de conscience.
Considérant cette phase du Yoga, il est logique qu’il poursuive le nettoyage des mouvements archaïques du vital (Achille tue les bêtes sauvages).

La signification du nom Achille est obscure. San doute peut-on le rapprocher pour son interprétation des mots Achaios (les Achéens) et Achéloos qui incluent les idées de concentration, rassemblement et libération. Nous avons donné au Khi le sens de concentration, origine, béance, annulation, arrêt mais aussi celui d’achèvement, accomplissement. Avec les lettres structurantes (Χ+ΛΛ), Achille serait donc « celui qui travaille pour accomplir la double libération », celle de l’Esprit et celle de la Nature, telles que Sri Aurobindo les décrit dans le Yoga de la perfection de Soi.

Calchas était réputé pour être le meilleur des augures, car c’est Apollon qui l’en avait instruit : il savait le présent, l’avenir et le passé. Il fut le devin attitré des Achéens durant toute la guerre de Troie. Mais après la guerre, il dut céder la place à un plus grand devin que lui, Mopsos, qui lui, était fils d’Apollon.
Quand Achille eut neuf ans, Calchas prévint que Troie ne pourrait être prise sans lui. Mais Thétis savait que si son fils s’engageait dans la guerre, il n’en reviendrait pas. Elle le déguisa alors en fille et le confia à Lycomède.

Calchas « le pourpre », fils de Thestor « la rectitude intérieure ou sincérité », représente un état intuitif très vrai lié à l’ascension des plans de conscience, hérité toutefois d’une certaine intimité avec la lumière psychique (Apollon lui a enseigné son art). Peut-être la couleur pourpre est-elle le symbole du pouvoir dans le vital qui vient par la connaissance.
Mais l’intuition qui provient d’une expression directe de l’être psychique lorsque celui-ci passe au-devant de l’être, représentée par Mopsos « ce qui pénètre dans l’être consacré » qui est lui fils d’Apollon, est de loin supérieure à une lumière psychique qui ne fait qu’illuminer le mental et le préparer. Cette transition ne se produisit toutefois qu’après la guerre de Troie.
Avec Calchas, le chercheur peut déjà appréhender sa « tâche » et dans une certaine mesure les évènements qui vont jalonner son yoga (il connaît le futur…), voir comment les évènements de sa vie passée l’ont conduit avec la plus grande précision à chaque instant (le passé…) et il est libre de l’illusion (le présent).

L’aventurier de la conscience comprend alors qu’il ne pourra jouir de « l’accomplissement de la libération sur les deux plans mental et vital » – c’est-à-dire de la réalisation complète des états de sagesse et de sainteté – qu’un temps très court s’il veut poursuivre le chemin vers l’union intégrale de l’esprit et de la matière, dans les profondeurs de l’inconscient corporel (Thétis savait que s’il s’engageait dans la guerre, il n’en reviendrait pas.)
En fait, la poursuite du yoga au-delà de la « libération » illustrée par la mort d’Achille marque une rupture avec les anciens yogas. Si certains initiés s’y engagèrent, il semblerait bien que sa possibilité même fut totalement oubliée lors des trois derniers millénaires.
L’accomplissement de cette libération est toutefois nécessaire avant de poursuivre le yoga, car la guerre ne peut être gagnée sans l’intervention d’Achille.

Achille avait neuf ans – le temps d’une gestation – lorsque Thétis le déguisa en fille : l’aventurier qui a presque accompli cette libération est protégé par des forces spirituelles pour qu’il ne s’engage pas trop vite dans la nouvelle direction. Ces forces insistent sur le développement de sa partie réceptive, sa consécration à la Suprême Réalité, et le confient à ce qui en lui « cherche la lumière », aspire à la Vérité (Lycomède « celui qui a pour dessein la lumière »).
Nous poursuivrons dans les chapitres à venir l’histoire d’Achille et de son fils Néoptolème « le nouveau guerrier », c’est-à-dire le chercheur du nouveau yoga.

Phocos et ses fils Panopée et Crisos, le grand Ajax et son demi-frère Teucer ainsi qu’Achille sont les symboles des capacités définies par Mère pour accéder au monde supramental :
– « Capacité d’élargissement indéfini de la conscience sur tous les plans, y compris le matériel
– Plasticité illimitée pour pouvoir suivre le mouvement du devenir
– Egalité parfaite abolissant toute possibilité de réaction de l’ego »
Ces héros étant des Myrmidons, agissent tous dans un mouvement qui s’intéresse aux « toutes petites choses », celles que l’on considère comme sans aucune importance. Pour Mère, ce sont les pires obstacles, « ces toutes petites choses qui appartiennent au mécanisme subconscient et qui font que dans la pensée, vous êtes libre, dans le sentiment vous êtes libre, même dans l’impulsion vous êtes libre, et que physiquement vous êtes l’esclave. »