La douzième et dernière épreuve d’Héraclès fut la capture de Cerbère. Celle-ci symbolise l’acquisition de la connaissance de ce qui « garde » l’accès à la divinisation du corps, de ce qui empêche une transformation prématurée
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Héraclès capturant Cerbère – Musée du Louvre
Eurysthée ordonna à Héraclès de se rendre chez Hadès et de lui ramener Cerbère.
Selon Hésiode, c’était un chien monstrueux doté de cinquante têtes (il en avait seulement deux ou trois selon d’autres traditions). Il accueillait les ombres qui arrivaient mais les empêchait de remonter à la lumière, dévorant celles qui se risquaient à franchir le seuil du royaume souterrain.
Hermès et Athéna aidèrent le héros dans cette tâche.
Selon Apollodore, lorsque le héros arriva aux portes de l’Hadès, les ombres s’enfuirent sauf deux d’entre elles, celles de la Gorgone Méduse et du héros Méléagre. Héraclès tira son épée contre Méduse, mais Hermès l’avertit qu’il ne s’agissait que d’une « ombre vaine ».
Pénétrant plus avant dans le royaume souterrain, il rencontra Thésée et son ami Pirithoos qui étaient encore « vivants » mais enchaînés pour avoir voulu enlever Perséphone. Certains disent qu’il délivra alors Thésée mais ne put libérer Pirithoos.
Pour redonner du sang aux ombres, le héros tua l’un des bœufs d’Hadès. Le bouvier Ménoitès en fut irrité et défia le héros à la lutte. Dans le combat, Héraclès lui brisa les côtes et il n’eut la vie sauve que grâce à l’intervention de Perséphone.
Enfin, le héros trouva Cerbère aux bords de l’Achéron (ou selon d’autres, du Styx).
Outre ses têtes monstrueuses, Cerbère était doté d’une queue constituée d’un serpent et une multitude de têtes de serpents couvrait son dos.
Hadès ayant interdit à Héraclès de se servir de ses armes, c’est à mains nues que ce dernier affronta le monstre. Malgré une morsure infligée par sa queue, il le maîtrisa (ou bien le persuada d’obéir) et le conduisit jusque dans la demeure d’Eurysthée. Ce dernier, terrorisé, ordonna à Héraclès de le reconduire dans l’Hadès.
Voir Arbre généalogique 1
Si le but des dix premiers travaux était la libération intégrale, et donc l’abolition des limites du mental et du vital, celui du dernier est d’initier la transformation du corps afin d’obtenir à terme sa divinisation et donc son universalisation. Selon les termes utilisés par Sri Aurobindo pour les différentes phases du yoga, celui de la « perfection » de la nature doit venir compléter celui de la « spiritualisation » et de la « psychisation » de l’être, et doit conduire à la réalisation d’une nature divine dans un corps divinisé. Il ne s’agit plus ici du travail fait en vue de la libération personnelle de l’aventurier de la conscience, mais de celui du Divin dans une nature totalement purifiée et réceptive à l’influence et au travail des forces qu’Il met en œuvre.
Ce travail conduit donc dans les profondeurs de la matière corporelle où doit s’opérer ultimement la jonction de l’Esprit avec le Divin involué. Ceci se produit au royaume d’Hadès, qui, rappelons-le, représente la force qui veille sur l’union dans l’inconscient de la matière. Ce dieu est à la fois celui « qui n’est pas visible » (qui demeure dans l’inconscient humain) et le principe d’une union totale en conscience (ΙΔ).
La première étape de ce processus est la prise de conscience de ce qui s’y oppose, dont l’image est la capture de Cerbère.
Contrairement aux éléments chassés du conscient qui ont trouvé refuge dans le subconscient (d’où ils peuvent toujours remonter à la conscience par l’action de Poséidon), il est impossible à ceux qui ont été rejetés à leur tour du subconscient dans l’inconscient de franchir la barrière en sens inverse. Autrement dit, une victoire acquise dans le corps est définitive, ce qui n’est le cas ni dans le mental, ni dans le vital où il faut sans cesse recommencer le même travail jusqu’à ce que l’obstacle soit « usé ».
Hormis Héraclès, les rares exceptions où les héros purent remonter de l’Hadès pourraient indiquer un travail inachevé ou la reprise d’un processus à un degré supérieur. Mais il peut s’agir d’une confusion des auteurs tardifs entre inconscient et subconscient. Pour ne citer qu’elles, les légendes de la libération de Thésée n’apparaissent pas avant Euripide au Ve siècle. Le mythe de la descente d’Orphée est encore postérieur.
Comme dans le travail des troupeaux de Géryon et avant de pouvoir s’approcher d’Hadès, le héros rencontre deux obstacles qui sont également figurés par un chien et un bouvier, Cerbère et Ménoitès.
Mais ici, il est seulement question de prendre conscience des obstacles : Héraclès ne doit tuer ni le chien, ni le bouvier. Hadès ne l’autorise pas même à se servir d’une arme quelconque pour maîtriser Cerbère.
Il ne s’agit donc que d’une toute première approche du travail du yoga dans le corps.
Avant de pouvoir avancer plus loin, il faudra qu’un certain nombre de réalisations soient effectives. Elles seront détaillées dans les Praxeis, les « actes libres » du héros que nous étudierons dans un prochain chapitre.
Si ce travail a pu commencer au temps des anciens Grecs ou même en ancienne Égypte, il se limita sans doute à un petit nombre de réalisations individuelles.
Notons toutefois que Pindare, dans la troisième Néméenne citée plus haut, semble dire qu’il fut un temps où ce travail était plus facilement réalisable au niveau individuel (les temps de « l’intuition »).
Il ne peut être question d’aborder ici en détail ce yoga du corps qui est longuement décrit dans les œuvres de Sri Aurobindo, de la Mère et de Satprem, et nous nous limiterons ici à l’examen des éléments indiqués dans le mythe.
Ce dont il faut d’abord se souvenir, c’est que l’on ne peut descendre dans les couches archaïques de la conscience corporelle pour y affronter les forces qui l’ont structurée que dans la mesure où l’on a réalisé l’ascension correspondante dans les mondes de l’Esprit (l’union permanente ou réalisation du Soi et la « psychisation » qui s’accompagne du sens de la « présence » divine).
Déméter et sa fille Perséphone œuvrent pour préparer cette descente.
Les auteurs qui mentionnent dans cette première étape l’aide d’Hermès et d’Athéna laissent entendre que le chercheur n’est pas encore installé dans le surmental.
Le chien Cerbère est le premier « gardien du seuil » de la transformation corporelle.
Rappelons que c’est le quatrième des enfants du couple Typhon-Échidna, de « l’ignorance » et de « l’arrêt de l’évolution dans l’union ». Il est le frère d’Orthros « le mensonge », de l’Hydre de Lerne « le désir » et de la Chimère « l’illusion ».
Selon les ascendants attribués à Typhon et Échidna, la victoire dans ce travail ne peut donc être envisagée qu’en remontant, pour Hésiode, aux racines de la vie, au niveau de Phorcys et Céto où se produit l’émergence du moi animal, et pour Apollodore, à la Nescience primitive, le Tartare.
Si Cerbère est une conséquence de l’ignorance mentale et de l’arrêt de l’évolution dans l’union, il doit être vaincu avec le dépassement du mental lors de l’installation de l’humanité dans le supramental. Il est donc le premier gardien du secret que les Anciens cherchaient, « l’immortalité » qui est non-dualité intégrale, non seulement en l’esprit mais aussi dans le vital et dans le corps (la victoire sur la mort ne signifiant pas obligatoirement un corps éternel mais une matière soumise à la conscience). Nous pouvons donc l’associer au « sens de la séparation » dans le corps (la racine spirituelle de l’ego mental-vital a été éliminée lors du travail des troupeaux de Géryon). Car ultimement, chacune des trois grandes étapes correspond à une universalisation : celle du mental, puis du vital et enfin du corps. Pour notre mentalité actuelle, s’il est déjà très difficile de concevoir l’universalisation du vital, ce l’est encore davantage pour celle du corps, qui implique la perte de la sensation de ses propres limites corporelles. L’Agenda de Mère et Les Carnets de l’Apocalypse de Satprem laissent entrevoir certaines caractéristiques de cette transformation.
Dans le chapitre consacré aux « Origines de la Vie », nous avons supposé que le nom Cerbère pourrait signifier « le principe qui entraîne le processus de la mort (de la coupure) » ou encore, avec les lettres structurantes, « le juste mouvement qui inverse le processus d’incarnation ». Ce dernier sens explique l’attitude de Cerbère vis-à-vis des ombres. S’il est accueillant pour celles qui entrent dans l’Hadès, il est réputé dévorer celles qui veulent en sortir: c’est-à-dire que les éléments ou forces qui ont terminé leur travail ou ont été chassés de l’évolution consciente et subconsciente, personnelle ou collective, ne peuvent plus y revenir.
Il est doté, selon les auteurs, d’un nombre variable de têtes dont nous ne pouvons qu’imaginer la signification : deux pour exprimer la dualité fondamentale, trois pour indiquer les plans où il est actif (physique, vital et mental), ou cinquante en signe d’une totalité dans le monde des formes.
Selon Apollodore, lorsqu’Héraclès descendit dans l’Hadès, il fut d’abord confronté à Méduse, la source de la peur et des processus de réponse à l’agression, mais il apprit d’Hermès qu’elle n’était qu’ombre vaine (le surmental informe le chercheur que la peur n’est ici qu’un leurre). Les écrits de Satprem (Carnets de l’Apocalypse) montrent toutefois qu’il faut descendre loin dans le corps, au-delà des peurs instinctives de dissolution ou d’éclatement du corps lui-même, pour atteindre un état libre de toute peur.
En dehors de Méduse, Méléagre est la seule ombre qui ne s’enfuit pas à l’arrivée d’Héraclès (Ulysse en rencontrera de nombreuses autres). Méléagre dirigea la chasse au sanglier de Calydon dont nous parlerons ultérieurement et qui traite de la maîtrise des énergies vitales primaires. Il symbolise « ce qui poursuit le travail d’exactitude ». Il fera promettre à Héraclès d’épouser sa sœur Déjanire, le parfait « détachement ». Si Méléagre ne fuit pas à l’arrivée du héros, c’est parce qu’il représente la seule méthode de yoga envisageable dans le corps, « l’exactitude » ou « sincérité parfaite », peut-être aussi le travail en douceur.
L’épisode de la libération de Thésée apparait pour la première fois avec Euripide, et fut repris par Apollodore. Il permit probablement de donner une suite aux exploits de Thésée. Mais il semble bien dans l’ordre des choses que le plus grand des rois d’Athènes – de ceux qui dirigent l’évolution de l’être intérieur – accompagné de Pirithoos « celui qui expérimente rapidement », tente la descente dans l’inconscient corporel. Cet épisode figurait, semble-t-il, dans des sources plus anciennes.
Toutefois, ce héros n’intervient pas dans les phases avancées du yoga car, comme l’indique l’unique sigma de son nom, il appartient encore au domaine de la dualité mentale. Nous examinerons dans un chapitre ultérieur les textes traitant de sa libération.
Puis, toujours selon Apollodore, le héros tua l’un des bœufs d’Hadès pour redonner du sang aux ombres « psychai » : il semblerait que cet épisode indique que le chercheur est obligé de sacrifier un « pouvoir » obtenu par les débuts d’une union dans le corps – par exemple celui de la guérison – afin de pouvoir réanimer des processus de conscience qui ont terminé leur travail dans le mental et dans le vital et doivent désormais s’appliquer au corps. Le travail est en effet un processus en spirale qui exige d’affronter les obstacles chaque fois à un niveau plus profond, mais le plus souvent selon des modalités apparentes similaires.
Le nom est mentionné ici pour rappeler que les « ombres » du royaume d’Hadès sont liées à la croissance de l’être psychique et représentent des acquis du chercheur.
Mais, comme ce fut déjà le cas pour la croissance du mental qui demanda de renoncer à de nombreux acquis du vital, le chercheur doit ici « sacrifier » des réalisations spirituelles.
Comme il s’agit d’une évolution, les forces d’opposition qui veillent à ce qu’elle se produise « de façon juste » se manifestent : ce fut l’irritation du bouvier d’Hadès, Ménoitès, la « conscience de l’existence séparée » qui se maintient jusqu’au niveau des cellules, le yoga du corps consistant précisément à leur rendre la conscience de l’Unité. Le héros brisa les côtes du bouvier et il n’eut la vie sauve que grâce à l’intervention de Perséphone : les côtes brisées font peut-être allusion à un « étouffement » du processus de séparation qui n’est plus soutenu par le « souffle ».
Le héros trouva alors Cerbère aux bords de l’Achéron.
Selon l’Odyssée, il y avait plusieurs fleuves dans le monde souterrain : « au bout de l’océan, se jettent dans l’Achéron le Pyriphlégéthon et le Cocyte dont les eaux viennent du Styx. Les deux fleuves au bruit retentissant confluent devant la Pierre. » Il était généralement admis que le Cocyte coulait en sens inverse du Pyriphlégéthon.
Pour comprendre ce passage d’Homère, il faut se reporter au symbole du Caducée avec ses deux courants d’énergie qui circulent en sens opposé.
Le Styx « ce qui redresse en Vérité » est un courant de conscience dont le franchissement « donne le frisson ». Il est alimenté par le dixième des eaux d’Océanos, « les courants de l’élargissement indéfini de la conscience ». Il est associé à la Sephira Malkut, l’une des dix Sephiroth ou centres d’énergie principaux du corps subtil dans la Kabbale.
Tout en bas est l’Achéron, symbole du « juste mouvement de la conscience Une (ou rassemblée) ». C’est ce fleuve (ou lac) que l’on doit franchir pour parvenir au royaume d’Hadès, en « l’Unité de la Conscience-Existence ».
Le Cocyte est le courant qui descend du Styx vers l’Achéron, vers les mondes d’Hadès et de l’inconscience : c’est donc un fleuve de « gémissement et de plainte ». Et le Pyriphlégéthon, coulant en sens inverse du Cocyte, est celui qui en remonte, le courant de l’aspiration ou du « feu consumant ».
C’est lorsque le chercheur parvient « au bord » d’une certaine exactitude dans le corps (au bord de l’Achéron) qu’il rencontre le premier gardien de l’unité dans le corps, Cerbère. Là aussi se trouve la « pierre », le roc qui doit être traversé pour atteindre l’unité.
Mais comme il ne s’agit pour le héros que du début du travail dans le corps, il lui fallut ramener Cerbère dans l’Hadès après l’avoir montré à Eurysthée.
Ici se termine la série des douze défis, les « athloi », dont seuls dix furent comptabilisés par Eurysthée. Mais les aventures du héros ne prennent pas fin ici car les aventures d’Héraclès se poursuivent avec les praxeis, « les actes libres ».