LE TAUREAU DE CRÈTE

Eurysthée ordonna à Héraclès de ramener vivant le Taureau de Crète. Ce travail symbolise la capacité du chercheur à contenir sans artifices la puissance réalisatrice du mental lumineux

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Héraclès et le Taureau de Crète

Héraclès et le Taureau de Crète – Musée du Louvre

Lorsqu’Héraclès arriva dans cette île, il sollicita l’aide de Minos qui, selon les versions, accepta ou refusa. Le héros s’empara alors du taureau en le saisissant par une corne, le ramena à Tirynthe, le montra à Eurysthée puis le relâcha.

Ce septième travail est celui qui comporte le moins d’indications annexes, sauf à le rapprocher des autres récits où interviennent un taureau, ce que n’ont pas manqué de faire les Anciens.
Selon certains, ce taureau était celui qui emmena Europe en Crète, que Zeus ait pris cette apparence ou que le taureau ait simplement été envoyé par le dieu. Selon d’autres, c’est celui que Poséidon fit sortir de la mer à la demande du roi Minos lorsque ce dernier voulut prouver sa légitimité à régner.
Rappelons en effet que Minos avait promis de sacrifier l’animal au dieu. Mais devant la splendeur du taureau qui émergeait des flots, il avait décidé de le garder dans ses troupeaux et d’en offrir un autre en sacrifice, choisi parmi ses propres bêtes. Pasiphaé en tomba amoureuse et se confia à Dédale qui intervint pour permettre l’union qui fut à l’origine du Minotaure.
D’une manière ou d’une autre, le taureau s’était réfugié dans la plaine de Marathon.
Nous avons vu précédemment que le roi d’Athènes Égée avait envoyé Androgée, fils de Minos, le combattre. L’échec et la mort d’Androgée fut la cause de la guerre menée par Minos contre Athènes. Vainqueur, ce dernier imposa un lourd tribut aux Athéniens : tous les neuf ans, de jeunes Athéniens étaient offerts au Minotaure. C’est Thésée qui, quelque temps plus tard, en chemin pour combattre le Minotaure, maîtrisera le taureau et l’offrira en sacrifice. Par ce geste, il accomplira ce que Minos n’avait pas su réaliser bien longtemps auparavant.
Cette victoire de Thésée fait donc écho au septième travail d’Héraclès qui doit donc être compris à la lumière du mythe du Minotaure dont nous ne reprendrons ici que les éléments essentiels.
Le symbolisme du taureau est différent à la fois de celui de la vache, principe illuminateur de la conscience apportant la Connaissance, et du cheval, principe de la force et du pouvoir (généralement associé au vital).
Dès la plus haute Antiquité, le taureau a représenté le garant de la fertilité. Il est donc le symbole de la puissance fécondante de l’Esprit, du principe générateur du Nouveau, de la descente de la Conscience divine et de sa force dans la matière et donc par extension, de la capacité créatrice et réalisatrice.
Nous avons adopté dans cette étude la signification symbolique du taureau donnée par Sri Aurobindo : « le pouvoir du mental lumineux ».

En aucune façon il ne peut donc être question de banalement « tuer » le taureau, mais seulement de le « sacrifier », c’est-à-dire de mettre ce pouvoir, non au service de l’ego, mais à celui de l’Absolu en s’appuyant sur la perception du juste apportée par l’être psychique.
Le symbole du sacrifice doit être compris dans les mythes comme la réalisation progressive de la « transparence » à l’influence et à l’action de l’Absolu, ce qui explique qu’en Hyperborée, le pays d’Apollon, les choses et les êtres n’ont plus d’ombre.
La notion de « sacrifice » est amplement développée par Sri Aurobindo dans le Tome 1 de la Synthèse des Yogas, « Le Yoga des Œuvres »
Le refus de Minos de sacrifier le taureau à Poséidon dénote que le chercheur n’a pas encore pris à ce moment-là la mesure de la puissance de son ego.

Jason, le premier, dut démontrer sa capacité de maîtrise en mettant sous le joug les taureaux d’Aiétès afin de labourer le champ d’Arès : avant que ne se produise la première réponse des plans de l’esprit, le chercheur devait prouver ses aptitudes à contrôler ce « pouvoir du mental lumineux », ce dont seule était capable jusqu’alors une vision et un pouvoir spirituel d’ensemble issu de l’âme auxquels le chercheur n’avait pas accès (Aiétès). À ce stade, il ne s’agissait que de brefs éclairs du mental illuminé (ou même des plans de l’intuition et du surmental) dans la progression dans le mental supérieur.

Ce travail concerne donc tous les chercheurs qui s’élèvent au-dessus du mental ordinaire et pénètrent dans ce que Sri Aurobindo appelle « la zone intermédiaire » dans laquelle le chercheur commence à recevoir des influences d’en haut et à vivre des expériences sans avoir procédé à une purification suffisante de sa nature extérieure. Il peut alors devenir la proie de pouvoirs inférieurs ou hostiles qui veulent agir par son intermédiaire. Lorsque les forces des plans supérieurs se déversent, il s’ensuit souvent une inflation de l’ego qui se sent fort, divinisé, lumineux. Le mental et surtout le vital ont tendance à s’en emparer et à les utiliser aux fins de l’ego, ou alors, ce qui revient au même, ils mêlent les exigences de celui-ci et le service de quelque chose de plus haut. Ses projets et ses créations sont alors sous l’influence de l’ego ou de forces hostiles, même si le chercheur croit les avoir offerts au Divin.
Sri Aurobindo note aussi que « l’impersonnalité » n’est pas le Divin, et que nombre de ceux qui se prétendent dans une conscience impersonnelle et libérés de l’ego parce qu’ils obéissent à une force plus grande que leur personnalité, peuvent en fait être sous l’influence d’une force étrangère au Divin, force qui maintient son emprise par un élément de leur personnalité et de leur ego. Sri Aurobindo, Nouvelles lumières sur le yoga, Bases de la sâdhanâ
Selon Sri Aurobindo, si le chercheur est suffisamment purifié et sincère, s’il n’est pas anormalement vaniteux, égoïste ou ambitieux, s’il reçoit de son maître spirituel une direction sûre ou est suffisamment vigilant, ou encore si son être psychique conduit son être extérieur, il peut éviter les pièges de cette zone intermédiaire et ceux du mélange des influences spirituelles avec un ego non purifié, ou bien encore traverser cette zone avec un minimum d’ennuis.
Les exploits de Thésée donnent un aperçu général, selon les Anciens, des conditions ou purifications requises pour éradiquer le Minotaure, y compris la victoire contre les Pallantides, et la lutte contre le taureau de Marathon.

La description de ce travail d’Héraclès ne précise pas si le héros a évité ou surmonté les difficultés évoquées ci-dessus. Le mythe énonce seulement la nécessité de franchir cette zone pour faire irruption dans les plans supérieurs de la conscience spirituelle. Le chercheur devrait alors en principe être à l’abri de toute chute grave de type Minotaure et capable d’utiliser le pouvoir du mental lumineux sans en être perturbé et en le « sacrifiant » de façon juste.

Héraclès doit donc démontrer sa capacité à maîtriser sans artifices – à mains nues – le pouvoir du mental lumineux. Celui-ci doit pouvoir s’exprimer dans une nature en cours de purification et être mis au service de son « but de vie » ou sa « tâche ». Ce qui implique un détachement progressif de tout souci de résultat, de tout attachement à l’acte et à ses fruits.
Selon Diodore, Héraclès revint en Grèce sur le dos du taureau, ce qui signe une parfaite maîtrise de ce pouvoir du mental éclairé.