DIONYSOS

Cette page propose une interprĂ©tation des mythes liĂ©s Ă  Dionysos qui appartient Ă  la lignĂ©e de Cadmos et d’Harmonie, et donc figure dans le processus de purification-libĂ©ration. Il est symbole de l’extase ou de l’enthousiasme divin au sens premier du terme « celui qui est en dieu ».

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Dionysos tenant un cratĂšre

Dionysos tenant un cratĂšre – British Museum

Dans la lignĂ©e du Titan OcĂ©anos, le chapitre prĂ©cĂ©dent traitait de la descendance d’Europe et donc de l’évolution de l’intelligence discernante comme rĂ©sultat du processus d’élargissement de la conscience ou de l’« extension de la vision » obtenue par l’acquisition d’une « intelligence discernante ». Il s’agissait essentiellement du dĂ©passement des limites imposĂ©es par la nature infĂ©rieure et de la purification de l’intelligence supĂ©rieure des mĂ©langes de fonctions.
Nous abordons ici, dans la lignĂ©e du mĂȘme Titan, la descendance de Cadmos, frĂšre ou oncle d’Europe selon les sources qui ne traite plus ici de la purification de l’intelligence mais du traitement des mĂ©moires de l’évolution.

Voir Arbre généalogique 21 et Arbre généalogique 22

Nous adoptons ici la gĂ©nĂ©alogie dans laquelle Europe et Cadmos sont frĂšre et sƓur, issus d’AgĂ©nor et TĂ©lĂ©phassa. Nous avons dĂ©jĂ  mentionnĂ© dans le chapitre prĂ©cĂ©dent les incertitudes gĂ©nĂ©alogiques autour des deux personnages de BĂ©los et d’AgĂ©nor, fils de Lybie et de PosĂ©idon (Voir Ă  ce sujet T. Gantz, chapitre VI). Selon une premiĂšre tradition (PhĂ©rĂ©cyde), AgĂ©nor aurait eu deux Ă©pouses. Par Damno « la maĂźtrise (dans l’incarnation) » il fut le pĂšre de PhĂ©nix (Phoinix) « pourpre » et de deux filles, IsaiĂ© et MĂ©lia, qui contractĂšrent des unions respectivement avec Égyptos et Danaos. Ce PhĂ©nix est sans doute celui Ă  qui HomĂšre attribue la paternitĂ© d’Europe. Nous avons suggĂ©rĂ© que cette premiĂšre union dĂ©crivait une Ă©tape prĂ©liminaire du chemin, Ă  savoir une « maĂźtrise » rĂ©alisĂ©e par la volontĂ© de la personnalitĂ© extĂ©rieure. Avec les deux filles, ancĂȘtres d’HĂ©raclĂšs, commence alors vraiment le processus de libĂ©ration. Par une seconde Ă©pouse, ArgiopĂ© « celle qui s’exprime de façon lumineuse et pure », AgĂ©nor eut un fils, Cadmos. Cette version Ă©tablit ce dernier comme l’oncle d’Europe.
Dans une autre tradition, Cadmos et Europe sont frĂšres et sƓurs, enfants de PhĂ©nix.
Enfin, chez Apollodore et Hygin, Cadmos, Europe et PhĂ©nix sont issus d’AgĂ©nor et TĂ©lĂ©phassa, « la puretĂ© (colombe) au loin », ou ArgiopĂ©, « celle qui s’exprime de façon lumineuse, pure ». Le symbolisme du nom PhĂ©nix « pourpre » est obscur. Il est peut-ĂȘtre liĂ© au feu intĂ©rieur qui croĂźt avec l’élargissement de la conscience. )

Le mariage de Cadmos et d’Harmonie initie le processus de purification conduisant Ă  la libĂ©ration de la nature. En effet, cette voie, rappelons-le, se propose d’en accĂ©lĂ©rer l’évolution par la purification et la libĂ©ration de la sujĂ©tion aux couches infĂ©rieures du moi. Il ne s’agit pas tant de dĂ©couvrir de nouveaux horizons que de dĂ©gager les scories de l’évolution afin que le Nouveau puisse agir en nous.
Nombre de processus dĂ©crits ici sont rĂ©pĂ©titifs car ils s’attaquent Ă  des couches successives de nƓuds ou mĂ©moires. Le chemin spirituel est en effet une suite d’ascensions et d’intĂ©grations, de conquĂȘtes sur des plans de plus en plus Ă©levĂ©s qui permettent de descendre vers des obscuritĂ©s de plus en plus profondes, dans les archaĂŻsmes de notre nature inconsciente. Comme le yoga prĂ©conisĂ© par les mythes Ă©carte les dĂ©marches qui viseraient seulement une libĂ©ration individuelle dans les mondes de l’Esprit ou une fuite en quelque paradis et prend pour but la divinisation de la nature infĂ©rieure, il exige une transformation en profondeur de celle-ci.
Le processus examinĂ© ici suppose que le chercheur Ă  dĂ©jĂ  connu une premiĂšre expĂ©rience du RĂ©el, si fugitive soit-elle (Épaphos, celui qui a reçu le « toucher » de l’Absolu). Il fait des incursions dans le mental supĂ©rieur, acceptant l’intuition comme une aide sur son chemin. Il s’est engagĂ© plus ou moins consciemment dans un processus de purification (conscience des mouvements intĂ©rieurs, distanciation du monde extĂ©rieur et vigilance pour dĂ©mĂȘler les mĂ©langes et les autres sources d’impuretĂ©).

AgĂ©nor, ne voyant pas sa fille Europe revenir, envoya sa femme TĂ©lĂ©phassa et tous ses autres enfants Ă  sa recherche, leur interdisant de revenir avant qu’ils ne l’aient trouvĂ©e. Leurs recherches furent vaines et ils s’établirent en Thrace oĂč TĂ©lĂ©phassa mourut. (Certains disent que seul Cadmos fut envoyĂ© Ă  la recherche de sa sƓur.)
Cadmos dĂ©cida alors de consulter l’oracle de Delphes. Ce dernier lui dit de cesser ses recherches car il ne retrouverait pas sa sƓur, mais de suivre une vache qu’il rencontrerait sur son chemin. LĂ  oĂč elle se coucherait (ou tomberait d’épuisement) il devait fonder une ville.
Cadmos suivit les instructions de l’oracle. Il parcourut la Phocide oĂč il trouva une vache qui lui fit encore traverser une grande partie de la BĂ©otie (province qui portait alors le nom d’Aonie) avant de s’arrĂȘter.
PrĂ©alablement Ă  la pose de la premiĂšre pierre de fondation, Cadmos dĂ©cida de sacrifier la vache en l’honneur d’AthĂ©na. Comme il avait besoin d’eau lustrale, il envoya ses compagnons puiser de l’eau Ă  la source voisine. Celle-ci Ă©tait consacrĂ©e au dieu ArĂšs et gardĂ©e par un terrifiant dragon-serpent qui mettait Ă  mort tous ceux qui s’approchaient. Ses compagnons furent dĂ©cimĂ©s. Cadmos se rendit alors lui-mĂȘme Ă  la source et tua le dragon. Puis, sur les conseils d’AthĂ©na (ou d’ArĂšs), il sema les dents du Dragon mort dont surgirent de redoutables guerriers en armes, les « Spartoi » ou « SemĂ©s » qui s’entretuĂšrent, selon les uns dĂ©libĂ©rĂ©ment, selon d’autres involontairement. D’aprĂšs certains auteurs, Cadmos leur jeta des pierres, ce qui provoqua leur combat fratricide, chacun d’eux se croyant attaquĂ© par les autres.
Seulement cinq d’entre eux survĂ©curent qui Ă©tablirent les bases de la future citĂ©.
Pour avoir tuĂ© le Dragon qui Ă©tait un protĂ©gĂ© d’ArĂšs, Cadmos dut passer une annĂ©e au service d’ArĂšs. Puis Cadmos procĂ©da Ă  la construction de la CadmĂ©e qui prit plus tard le nom de ThĂšbes.

Cadmos combattant le dragon

Cadmos combattant le dragon – MusĂ©e du Louvre

La signification du nom Cadmos est obscure. Avec les lettres stucturantes, ce pourrait ĂȘtre « l’ouverture de la conscience Ă  la maĂźtrise ou au service ». La racine ΔΜ est en effet liĂ©e soit Ă  l’idĂ©e du dompteur (la maĂźtrise) soit Ă  celle de l’esclave (le service).
On peut aussi noter que la racine ÎșαΌ (issue de l’aoriste du verbe ÎșαΌΜω « travailler ») donnerait avec l’insertion du delta « le travail en vue de l’union ». Ce qui serait davantage en accord avec les notions de purification et libĂ©ration en vue de l’union portĂ©es par les hĂ©ros de cette branche.

La raison symbolique pour laquelle TĂ©lĂ©phassa et ses enfants ne purent retrouver Europe nous Ă©chappe. Peut-ĂȘtre est-ce simplement pour signifier que le processus d’élargissement de la conscience et celui de la purification vont progresser en parallĂšle mais en s’ignorant l’un l’autre.
ParallĂšlement Ă  l’élargissement de la conscience et Ă  l’affinement du discernement par sa participation au monde, le chercheur doit en effet procĂ©der Ă  une purification active des nƓuds de sa nature afin d’établir progressivement une Ă©galitĂ© parfaite. C’est la voie dont Cadmos sera le fondateur Ă  ThĂšbes « l’incarnation de la conscience intĂ©rieure », la plus importante des villes de BĂ©otie.

Toutefois, avant de parvenir Ă  ThĂšbes, Cadmos et TĂ©lĂ©phassa s’installĂšrent d’abord en Thrace, la province de l’ascĂšse, ce qui marque les dĂ©buts de la quĂȘte. C’est lĂ  que mourut TĂ©lĂ©phassa « la puretĂ© au loin », ce que nous pouvons comprendre comme l’indice de la fin de la pĂ©riode prĂ©paratoire.

Les dĂ©buts du yoga sont alors marquĂ©s par une pĂ©riode d’incertitude. Bien que sa voix intĂ©rieure (l’oracle Apollinien de Delphes) ait demandĂ© au chercheur de continuer sa route jusqu’à ce qu’il soit guidĂ© par « une lumiĂšre supĂ©rieure » (la rencontre de la vache), l’errance se poursuit encore un certain temps.
En effet, Cadmos parcourut d’abord la Phocide dont le nom est associĂ© au « phoque ». Cet animal est le symbole d’élĂ©ments vitaux, peut-ĂȘtre subconscients (ProtĂ©e, l’un « des vieillards de la mer » gardait les troupeaux de phoques de PosĂ©idon). Il Ă©voque surtout l’idĂ©e d’une transition (c’est un animal Ă  la fois d’eau et de terre). On peut donc sans doute associer cette traversĂ©e de la Phocide Ă  une pĂ©riode Ă  la fois d’errance et d’expĂ©riences subconscientes durant laquelle le chercheur ignore la direction Ă  suivre en ce qui concerne la quĂȘte.

Puis Cadmos rencontra la vache annoncĂ©e qui lui fit traverser la BĂ©otie : dans les dĂ©buts du chemin, aprĂšs la pĂ©riode d’errance, le chercheur est guidĂ© par une « lumiĂšre » et il lui est seulement demandĂ© de la « suivre ». ConcrĂštement, cela se traduit par des ouvertures qui revĂȘtent diffĂ©rentes formes : rencontres, lectures, etc.

Puis, par le sacrifice de la vache Ă  la dĂ©esse AthĂ©na, le chercheur reconnaĂźt que la « lumiĂšre » qui l’a guidĂ© pendant la phase prĂ©cĂ©dente prĂ©parait l’entrĂ©e sur le chemin.
Pour marquer ce dĂ©but d’engagement, il doit d’abord se purifier. (Bien que cela ne soit pas prĂ©cisĂ©, on peut en effet supposer que l’eau Ă©tait nĂ©cessaire Ă  la purification de l’officiant.)
Mais cette premiĂšre purification n’ira pas sans difficultĂ©s, car le mouvement de l’évolution s’y oppose (le dragon-serpent). En effet, lorsque l’on cherche Ă  accĂ©lĂ©rer celle-ci, toutes les anciennes lois s’y opposent.
Ce dragon Ă©tait un protĂ©gĂ© d’ArĂšs (ou mĂȘme son fils) : c’est donc un « gardien » qui veille Ă  la juste Ă©volution des formes. Si le chercheur n’est pas prĂȘt, s’il n’a pas conquis une individualitĂ© suffisante, il ne peut se prĂ©senter devant « les portes du temple ».
Aussi un certain nombre des composantes de la personnalitĂ© de surface doivent ĂȘtre transformĂ©es ou certains attachements cesser (certains compagnons de Cadmos tuĂ©s par le dragon). Cette purification peut sans nul doute ĂȘtre rapprochĂ©e des travaux prĂ©liminaires d’HĂ©raclĂšs, en particulier le meurtre des enfants que lui avait donnĂ©s MĂ©gara et la mort du lion du CithĂ©ron. Elle concerne l’arrogance mentale, la suffisance et les autres dĂ©fauts que nous avons dĂ©crits dans le premier chapitre. La prioritĂ© n’est plus l’affirmation de l’ego dans le monde mais le contact de l’ĂȘtre intĂ©rieur.
Lorsque la purification devient suffisante, c’est l’entrĂ©e symbolique sur le chemin : Cadmos tua lui-mĂȘme le dragon.
Le chercheur peut alors « poser les pierres de fondation » du processus qui doit le conduire Ă  « l’égalité » par la purification, l’ouverture et le rayonnement de tous les centres (chakras).
Dans la tradition primitive, la ville de ThĂšbes Ă©tait tout d’abord nommĂ©e CadmĂ©e. Elle fut fondĂ©e par Amphion et ZĂ©thos, les fils d’Antiope et de Zeus dont nous parlerons plus loin, et refondĂ©e par Cadmos. Selon une autre tradition qui conciliait les deux versions, Cadmos Ă©rigea seulement la citadelle ou ville haute de ThĂšbes « la CadmĂ©e » tandis qu’Amphion et ZĂ©thos construisirent la ville basse.

Sur les conseils d’AthĂ©na « la puissance qui dirige l’évolution de l’ĂȘtre intĂ©rieur » (ou sur ceux d’ArĂšs « la puissance qui veille Ă  la juste Ă©volution des formes »), Cadmos dut alors semer les dents du dragon. Selon certains auteurs, les dents auraient Ă©tĂ© semĂ©es par AthĂ©na et non par Cadmos. Il s’agirait alors davantage d’une consĂ©quence automatique de l’engagement sur le chemin que d’un mouvement de l’ego sous influence de la conscience supĂ©rieure.
Dans le processus de purification-libĂ©ration qui doit rendre les formes permĂ©ables Ă  l’action des forces de l’Esprit, le chercheur doit donc accepter de laisser venir Ă  la conscience les nƓuds Ă©volutifs, et mĂȘme de favoriser leur manifestation. Semer les dents du dragon, c’est opĂ©rer ce processus par une implication dans l’incarnation. Ces dents reprĂ©sentent les mĂ©moires cristallisĂ©es de l’évolution qui rĂ©sultent d’expĂ©riences non assimilĂ©es. Les actualiser (les « semer »), c’est donner l’occasion de leur rĂ©solution.

Pour effectuer le parallĂšle avec l’autre grande voie, certains auteurs (dont Apollonios de Rhodes dans son rĂ©cit de la quĂȘte de la Toison d’Or) affirment que la moitiĂ© des dents fut conservĂ©e pour ĂȘtre semĂ©e par Jason en Colchide. Dans les premiers pas dans la voie de l’ascension des plans de conscience, le traitement de certaines mĂ©moires serait alors imposĂ© Ă  un moment prĂ©cis du chemin par les plans supĂ©rieurs de l’ñme comme la condition de l’expĂ©rience de l’illumination. Mais avec Cadmos, il s’agit davantage de l’acceptation d’un processus (appelĂ© Ă  se renouveler de nombreuses fois) qui est « conseillé » par AthĂ©na et fait donc partie intĂ©grante du yoga.
On peut se demander cependant si Apollonios n’a pas adaptĂ© le mythe plus ancien de Cadmos.
Si un certain nombre d’élĂ©ments peuvent ĂȘtre rapprochĂ©s (l’ordre donnĂ© Ă  Jason par AiĂ©tĂšs et le conseil donnĂ© Ă  Cadmos par AthĂ©na, le travail de prĂ©paration et de purification sous la forme du labour du champ ou de la quĂȘte de l’eau lustrale, etc.) on peut toutefois y dĂ©celer quelques diffĂ©rences majeures.
Dans la quĂȘte de Jason, le chercheur doit prouver qu’il est capable de maĂźtriser « les pouvoirs de rĂ©alisation du mental lumineux » (mettre sous le joug les taureaux qui soufflent le feu) avant de permettre l’émergence des nƓuds et d’accĂ©der Ă  une expĂ©rience de grande « sensibilité » (la Toison d’or). Il doit aussi faire un travail sur lui-mĂȘme (le « labour du champ » est une mĂ©taphore courante pour dĂ©signer le « travail sur soi »). Puis il doit participer dans une certaine mesure Ă  la destruction des « spartoi » en fauchant ceux « qui Ă©taient encore Ă  demi enfouis et les retardataires qui partaient au combat ». Le mythe reprend toutefois une idĂ©e proposĂ©e dans l’autre voie, Ă  savoir l’annulation des nƓuds lorsqu’ils sont mis face Ă  face dans le contact avec le rĂ©el (la pierre lancĂ©e par Jason au milieu des guerriers et pour laquelle ils s’entretuent).
À l’inverse, dans l’histoire de Cadmos, la quĂȘte commence par un temps d’errance durant lequel le chercheur ne perd pas de vue la lumiĂšre qui lui a Ă©tĂ© donnĂ©e (Cadmos suit la vache). Puis aprĂšs un acte d’engagement, il est conduit Ă  une nĂ©cessaire purification qui prĂ©pare le traitement des mĂ©moires. Il met Ă  jour Ă©galement des lois d’énergie fondamentales (les SemĂ©s survivants), ce que n’avait pas permis la quĂȘte de la Toison. Enfin et surtout, le mythe de Cadmos laisse entendre la possibilitĂ© d’un choix, ce qui n’est pas le cas avec celui de Jason.

Il est important de noter que Cadmos ne se bat pas contre les SemĂ©s, mais seulement contre le Dragon-Serpent d’ArĂšs. Selon l’enseignement traditionnel, le chercheur ne doit pas en effet lutter avec ses « ombres » mais seulement « bousculer » les formes sclĂ©rosĂ©es. Celles-ci sont gardĂ©es par le Serpent qui veille sur l’évolution juste des formes (le Serpent consacrĂ© au dieu ArĂšs) car elles permirent en leur temps une stabilisation indispensable.

Lorsque le mythe dĂ©crit une guerre fratricide entre les « SemĂ©s », il s’agit seulement d’affirmer que certains nƓuds s’annulent lorsqu’ils sont mis en prĂ©sence. Cette confrontation peut ĂȘtre dĂ©libĂ©rĂ©e mais parfois aussi involontaire lorsqu’elle rĂ©sulte des Ă©vĂšnements de la vie.

A l’issue du combat des « SemĂ©s », il y eut seulement cinq survivants.
Le cinq caractĂ©rise le monde des formes. Ces cinq SemĂ©s survivants seraient alors les symboles des forces fondamentales qui soutiennent l’évolution des formes vivantes. C’est pourquoi ils sont dĂ©crits comme « l’assise de la future cité », ou « les fondateurs de ses castes militaires ». Ils ne doivent donc pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des traumatismes non rĂ©solus, mais comme les gardiens de la forme qui ne disparaĂźtront qu’avec le Supramental.
Ce sont donc de trĂšs puissantes Ă©nergies qui peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es Ă  la fois comme des obstacles et des forces destructrices tant qu’elles sont sous la forme de dents, d’énergies inconscientes, et Ă  l’inverse comme de puissants soutiens de la quĂȘte lorsqu’ils sont amenĂ©s Ă  la conscience.
Les traductions courantes renseignent peu sur leur nature. Les cinq SemĂ©s sont en effet nommĂ©s Chthonios « la terre (le corps) », Oudaios « souterrain ou qui sort de terre », HyperĂ©nor « fier de sa force », PĂ©loros « prodigieux ou monstrueux (d’une grandeur ou grosseur Ă©norme) » et Échion « le serpent ou la vipĂšre », c’est-Ă -dire la force Ă©volutive de concentration de la conscience ou son arrĂȘt, pervertie ou non.
Avec les lettres structurantes, on peut sans doute mieux apprĂ©hender leur sens : Échion « ΧΙ, l’arrĂȘt de l’évolution de la conscience, ce qui Ă©loigne du Divin », Oudaios « Δ+Ι l’union en conscience, ce qui rapproche du Divin, Chthonios « ΧΘ+ΝΙ l’évolution de la conscience Ă  partir du corps », HyperĂ©nor « ΄πΔρ+ΝΩ une puissante Ă©volution depuis la matiĂšre » et enfin PĂ©loros « racine ΠΔλ+ΩΥ le mouvement de l’ombre dans la matiĂšre ».

Pour clore cet Ă©pisode de la fondation de ThĂšbes, Apollodore et un scholiaste d’Hellanicus mentionnent qu’en punition d’avoir tuĂ© le Dragon qui Ă©tait un protĂ©gĂ© d’ArĂšs, Cadmos dut passer une annĂ©e des dieux Ă  son service.
Le dieu ArĂšs est le grand « contrĂŽleur » de l’évolution des formes et ne peut permettre de mouvements prĂ©maturĂ©s. Il ne suffit donc pas de dĂ©nouer les nƓuds, de libĂ©rer l’énergie, mais il faut tout aussitĂŽt la maintenir en des formes justes, d’oĂč la nĂ©cessitĂ© pour le chercheur d’en contrĂŽler strictement l’usage.

Le traitement des « mĂ©moires » est l’un des fondements du chemin spirituel. Autant dire qu’il occupe toute la vie du chercheur, depuis les nƓuds personnels, familiaux, de clans, de nations et de races, jusqu’aux mĂ©moires de la nature physique corporelle et cellulaire. Plus sa conscience sera dĂ©veloppĂ©e, plus le chercheur s’affrontera Ă  des nƓuds archaĂŻques puissants. Ceux-ci sont enkystĂ©s en l’homme au niveau mental, vital et corporel, jusque dans les structures symboliques les plus archaĂŻques et les plus denses hĂ©ritĂ©es de l’animalitĂ©, le systĂšme osseux et les dents.
Il faut souligner que dans ce processus, c’est toujours un afflux de lumiùre (la vache) qui appelle l’ombre correspondante (les spartoi) afin qu’elle soit dissoute.

Le mythe ne donne pas la nature exacte de ces mĂ©moires, tout simplement parce qu’elles sont innombrables, et dans un premier temps, propres Ă  chacun.
Que le corps ait conservĂ© les mĂ©moires de l’évolution est devenu une Ă©vidence scientifique. Le souvenir des traumatismes de la vie prĂ©sente n’est qu’un aspect de cette mĂ©moire gĂ©nĂ©rale qui inclut aussi par exemple les mĂ©moires trans-gĂ©nĂ©rationnelles.
Le sujet des mĂ©moires personnelles dites « karmiques » dĂ©borde le cadre de cet ouvrage. Toutefois, on peut imaginer chaque ĂȘtre humain comme un faisceau de lumiĂšre qui parfois se « densifie ». Il conserve alors la mĂ©moire de toutes ces « incarnations », du moins de tout ce qui a contribuĂ© Ă  la maturation de son ĂȘtre « psychique ».
Une incarnation donnĂ©e pourrait alors impliquer la volontĂ© de rĂ©soudre un certain nombre de problĂšmes qui tournent autour d’une « impossibilitĂ© majeure » dĂ©jĂ  rencontrĂ©e. Les conditions se mettraient alors en place pour fournir Ă  la fois l’obstacle, l’opportunitĂ© et les capacitĂ©s pour le rĂ©soudre.
On peut cependant aussi concevoir que l’ĂȘtre psychique choisit d’expĂ©rimenter une situation sans aucun rapport avec son passĂ©.

Les noces de Cadmos et d’Harmonie

Les « nƓuds » se manifestent sur chacun des plans de notre nature par toutes sortes de dis-Harmonies. Faire disparaĂźtre un nƓud, c’est donc retrouver l’Harmonie fondamentale sur ce point, c’est effectuer une dĂ©marche « d’exactitude » ou de « justesse ».
L’entrĂ©e dans la voie du « juste » est si importante que les noces de Cadmos et d’Harmonie seront l’une des deux seules unions d’un mortel avec une dĂ©esse Ă  laquelle les dieux assisteront (avec, beaucoup plus tard, celle de PelĂ©e et ThĂ©tis) alors mĂȘme qu’ils dĂ©sapprouvent toute union de ce type.

AprĂšs que Cadmos eut passĂ© une annĂ©e de servitude au service d’ArĂšs pour avoir tuĂ© le dragon, les dieux lui donnĂšrent pour Ă©pouse Harmonie, la fille d’Aphrodite et d’ArĂšs. Comme la mariĂ©e Ă©tait l’une des leurs, les dieux descendirent de l’Olympe pour assister aux noces. En cadeau, la mariĂ©e reçut de Cadmos un fameux collier, Ɠuvre d’HĂ©phaĂŻstos, celui-lĂ  mĂȘme que Zeus donna Ă  Europe en CrĂšte. (Diodore dit que ce fut un cadeau d’Aphrodite ou encore d’AthĂ©na qui offrit Ă©galement une robe.)
De cette union naquirent cinq enfants : un fils, Polydoros, l’arriĂšre-grand-pĂšre d’ƒdipe et quatre filles, AutonoĂ©, Ino, SĂ©mĂ©lĂš et AgavĂ©.
À la fin de leur vie, Cadmos et Harmonie furent transportĂ©s aux Îles des bienheureux. Selon Euripide et des auteurs plus tardifs, Dionysos fit la prĂ©diction « qu’ils seraient au prĂ©alable transformĂ©s en serpents et qu’à la tĂȘte d’une grande armĂ©e, ils mettraient Ă  sac de nombreuses citĂ©s jusqu’à ce qu’ils soient finalement vaincus le jour oĂč ils attaqueraient l’oracle d’Apollon ».

Le nom Harmonie signifie Ă  la fois un « ajustement » et une « juste proportion », c’est-Ă -dire la qualitĂ© d’élĂ©ments qui sont exactement Ă  leur place, non mĂ©langĂ©s – ce que nous appelons ici « pureté » (Ă  son premier niveau) – et dans un juste rapport les uns par rapport aux autres, « le juste ». (Avec les lettres structurantes, ce mot dĂ©crit « une Ă©volution d’une soumission Ă  la loi juste du parfait Ă©quilibre ».)

Harmonie est fille d’Aphrodite et d’ArĂšs, fruit attendu de « l’amour en Ă©volution » Ă  travers le processus de « transformation des formes ».
Issue de deux divinitĂ©s majeures, elle devrait Ă©galement figurer parmi les divinitĂ©s immortelles reconnues. De toute Ă©vidence, ce n’est pas le cas et la raison en est sans doute qu’HomĂšre considĂšre Aphrodite comme « l’amour en Ă©volution » (en tant que fille de Zeus et de DionĂ©). D’autre part, il faut se souvenir qu’ArĂšs est l’amant et non l’époux d’Aphrodite, qui est HĂ©phaĂŻstos.
Harmonie serait alors le symbole d’un Ă©tat en Ă©volution qui, dans son ultime perfection – un Ă©tat d’exactitude et d’égalitĂ© parfaite – est trĂšs Ă©loignĂ© de l’acception commune du terme harmonie. Elle reprĂ©senterait donc un Ă©tat que l’on pourrait dĂ©crire comme la « confiance (dans le Divin) » liĂ© Ă  l’évolution actuelle dans la dualitĂ© (elle est fille d’ArĂšs) qui implique l’existence de son opposĂ© liĂ© Ă  la peur, ses frĂšres DĂ©imos et Phobos, « l’Épouvante » et « la Crainte ». Ce qui expliquerait qu’elle puisse s’unir Ă  un mortel avec l’approbation des Olympiens.

Les noces de Cadmos et Harmonie seraient alors le symbole d’une voie d’incarnation de l’ĂȘtre intĂ©rieur (ThĂšbes) par laquelle « le travail de purification en vue de l’union » (Cadmos) prend pour but la confiance dans le Divin et l’égalitĂ© d’ñme (Harmonie).

Les dieux offrirent des prĂ©sents de toutes sortes, mais seuls une robe et un collier revĂȘtaient une importance qui se confirma par la suite.
La robe, symbole de la fonction, fut donnée par Athéna.
Le collier fut offert, selon les sources, par AthĂ©na, Aphrodite, ou mĂȘme Cadmos qui en aurait hĂ©ritĂ© de sa sƓur Europe, elle-mĂȘme l’ayant reçu de Zeus lorsqu’elle s’unit au dieu en CrĂšte. A la fois il « contient » (par analogie avec la ceinture) et pare. On peut donc l’associer Ă  la maĂźtrise ou Ă  la vĂ©ritĂ© (beautĂ©) de la parole.
Peut-ĂȘtre Ă©tablit-il aussi un lien avec celui qui l’offre, un signe d’appartenance.
Dans nombre de traditions, le son dĂ©finit l’essence, la VĂ©ritĂ© de toutes choses, et il est crĂ©ateur. Si l’homme doit prendre sa place comme puissance crĂ©atrice, il lui est donc indispensable d’apprendre Ă  maĂźtriser sa parole, puis de la rendre vraie. La parole juste permet de « nommer » en vĂ©ritĂ©.
Ce collier passera de mains en mains et nous le retrouverons en plusieurs occasions.

À la fin de leur vie, Cadmos et Harmonie furent trĂšs logiquement conduits aux Iles des Bienheureux, le lieu de l’accomplissement de « l’exactitude ».
Nombre d’auteurs Ă  la suite d’Euripide mentionnent toutefois leur transformation prĂ©alable en serpents, c’est-Ă -dire en processus Ă©volutifs qui doivent mettre fin Ă  nombre de structures de la personnalitĂ© (ils mirent Ă  sac de nombreuses citĂ©s), avant que la « parole » de l’ĂȘtre psychique ne prenne la direction de la quĂȘte (avant qu’ils ne se heurtent Ă  l’oracle d’Apollon). Le travail de purification/libĂ©ration doit donc permettre que l’ĂȘtre psychique passe au premier plan (la psychisation de l’ĂȘtre).

Les enfants de Cadmos et d’Harmonie

Les enfants de Cadmos et d’Harmonie illustrent diffĂ©rentes voies par lesquelles peut s’accomplir le travail de purification-libĂ©ration vers « l’exactitude » (puretĂ© et justesse). Rappelons Ă  ce propos que le chemin de purification doit toujours ĂȘtre considĂ©rĂ© en parallĂšle avec le processus de libĂ©ration dĂ©crit par les travaux d’HĂ©raclĂšs, car AgĂ©nor et BĂ©los sont jumeaux.
Cinq enfants sont nommés : un fils Polydoros, et quatre filles, Autonoé, Ino, Sémélé, et Agavé.
Trois des filles exposent des réalisations qui évoluent dans de mauvaises directions : Ino, Autonoé et Agavé.
Polydoros et SĂ©mĂ©lĂ© reprĂ©sentent, quand Ă  eux, les deux grandes directions, l’une dans « l’appel », l’autre dans la « consĂ©cration » afin de parvenir Ă  l’exactitude.

Ino ou l’ascĂšse excessive des dĂ©butants

Nous avons dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© Ino, symbole des dĂ©buts de la quĂȘte, lors de l’étude des premiers enfants d’Éole. Nous ne rappelons ici que les Ă©lĂ©ments essentiels de son histoire. Elle fut la seconde Ă©pouse d’Athamas « celui qui entre dans une certaine consĂ©cration (au RĂ©el) en vue de son Ă©volution intĂ©rieure », roi de BĂ©otie. Elle eut de lui deux enfants, LĂ©archos « la quĂȘte soumise Ă  des principes » et MĂ©licerte « celui qui travaille en force ». Jalouse des enfants d’un premier lit, Phrixos et HellĂ©, elle stigmatise l’erreur des dĂ©butants qui suivent un chemin selon des rĂšgles strictes, parfois excessives, et font appel Ă  la volontĂ© de l’ego pour retrouver leurs premiĂšres « expĂ©riences lumineuses ».

FrappĂ© de folie par HĂ©ra, Athamas fit pĂ©rir leur fils LĂ©archos sous ses flĂšches tandis qu’Ino s’enfonçait dans les profondeurs de la mer, leur fils MĂ©licerte dans les bras. Ce dernier fut alors renommĂ© Palaimon « le lutteur ». Ino devint LeucothĂ©e « la dĂ©esse blanche », une dĂ©esse marine que pourraient implorer dĂ©sormais les marins en perdition.

La soumission à des rÚgles strictes doit disparaßtre et le « travail en force » doit se transformer en une « ardeur pour la lutte » qui puise ses forces son énergie dans un vital harmonisé (Léarchos meure et Mélicerte doit désormais agir en tant que Palaimon, divinité marine).
De mĂȘme Ino, symbole de la quĂȘte tournĂ©e vers l’incarnation, doit se transformer en LeucothĂ©e, la dĂ©esse blanche, expression d’une quĂȘte de puretĂ© ou de justesse intĂ©rieure. Elle viendra alors au secours des marins en perdition et en particulier d’Ulysse : quand les chercheurs affronteront les difficultĂ©s du yoga, ils recevront l’aide de cette « exactitude » intĂ©rieure et des forces qu’elle suscite pour les surmonter.
La troisiĂšme Ă©pouse d’Athamas devait rĂ©orienter la quĂȘte dans la bonne direction : ThĂ©misto « la loi de ce qui est droit, juste », c’est-Ă -dire le juste mouvement d’évolution (du yoga).
Le mythe d’Ino marque donc la fin d’une mauvaise orientation et l’entrĂ©e sur la « voie Ă©troite » de la quĂȘte. Ce passage est confirmĂ© d’un cĂŽtĂ© par les premiers des quatre grands jeux « les Jeux Isthmiques » ou jeux du « passage Ă©troit » instaurĂ©s par Sisyphe, de l’autre par la migration d’Athamas de BĂ©otie en Thessalie.

Rappelons aussi qu’Ino Ă©leva avec ses enfants le petit Dionysos, fils de sa sƓur SĂ©mĂ©lĂ©. Elle l’avait recueilli lorsque cette derniĂšre fut consumĂ©e par l’éclat de Zeus, apparu Ă  sa demande dans toute sa magnificence. Quelle que soit l’étendue des imperfections des dĂ©buts du chemin, c’est en effet une pĂ©riode animĂ©e d’une forte aspiration qui fait grandir le feu intĂ©rieur sous ses aspects de consĂ©cration et de joie transformatrice.

Autonoé ou la déviance du chercheur « trop parfait »

La seconde des filles de Cadmos, AutonoĂ©, illustre une autre erreur du chemin. Elle ne concerne plus cette fois les dĂ©butants qui s’égarent dans la lettre plus que dans l’esprit et font preuve de raideur plus que de rigueur, mais les chercheurs assez avancĂ©s qui tombent dans le piĂšge de l’orgueil spirituel et se fient Ă  leur propre intelligence du chemin plutĂŽt qu’aux messages de l’ĂȘtre intĂ©rieur. Ils prennent la fin d’une Ă©tape trĂšs avancĂ©e pour le but ultime.

CyrĂšne (la sƓur de ThĂ©misto, troisiĂšme Ă©pouse d’Athamas) Ă©tait la fille du roi Lapithe Hypseus, lui-mĂȘme fils du dieu-fleuve PenĂ©e.
Elle aimait chasser les bĂȘtes sauvages. Alors qu’elle affrontait un lion Ă  mains nues, Apollon en tomba amoureux et l’emmena en Lybie pour s’unir Ă  elle. Elle donna au dieu un fils, AristĂ©e. Celui-ci fut confiĂ© aux Heures, nourri de nectar et d’ambroisie, et excella bientĂŽt dans toutes les activitĂ©s humaines : il connaissait parfaitement l’art de soigner, celui de prophĂ©tiser, la chasse et la conduite des troupeaux, tout autant que l’élevage des abeilles, la culture des oliviers et la prĂ©paration de la laine.
Il s’unit Ă  la fille de Cadmos, AutonoĂ©. Elle lui donna un fils, ActĂ©on, qui constitua une cĂ©lĂšbre meute de cinquante chiens et devint un trĂšs grand chasseur.
Mais ce dernier offensa la dĂ©esse ArtĂ©mis, soit en prĂ©tendant ĂȘtre meilleur chasseur qu’elle, soit encore en la surprenant nue alors qu’elle se baignait dans une source. Selon une autre source, il se plaça en concurrent de Zeus en courtisant SĂ©mĂ©lĂ©. Cela provoqua la colĂšre du dieu qui aurait alors demandĂ© Ă  ArtĂ©mis de mettre fin aux agissements de l’impudent.
La déesse punit Actéon en le transformant en cerf afin que ses chiens, ne le reconnaissant pas, le dévorent.
Pour StĂ©sichore, la dĂ©esse se contenta de le recouvrir d’une peau de cerf car « son dessein Ă©tait de l’empĂȘcher d’épouser SĂ©mĂ©lé ».

Les trois gĂ©nĂ©rations concernĂ©es par ce mythe dĂ©crivent le processus par lequel le chercheur, aussi avancĂ© soit-il, s’écarte du chemin juste.
La grand-mĂšre d’ActĂ©on, CyrĂšne « l’autoritĂ© souveraine » symbolise une « trĂšs grande maĂźtrise ». Elle est la sƓur de ThĂ©misto « la loi de ce qui est droit, juste » qui est la derniĂšre Ă©pouse d’Athamas dont nous venons de parler. Toutes deux sont filles d’HypsĂ©e « celui qui est tout en haut », un roi Lapithe, c’est-Ă -dire un chercheur qui est arrivĂ© Ă  un stade avancĂ© du yoga.
Rappelons que les Lapithes et les Centaures sont des peuples de Thessalie (la province des chercheurs engagĂ©s) issus du dieu fleuve PenĂ©e « l’évolution d’un juste Ă©quilibre ou d’une juste maĂźtrise » dans l’incarnation, car PenĂ©e Ă©tait uni Ă  Creuse « l’incarnation ». HypsĂ©e eut deux sƓurs qui toutes deux furent aimĂ©es d’Apollon, StilbĂ© « celle qui brille de beauté » et DaphnĂ© « le laurier ». Cette derniĂšre est le symbole de la victoire spirituelle apollinienne, la rĂ©alisation psychique.

CyrĂšne « une trĂšs grande maĂźtrise » reprĂ©sente le stade d’un chercheur qui combat son ego en utilisant sa propre nature « en vĂ©rité » comme arme (elle combat le lion Ă  mains nues dans les mĂȘmes conditions qu’HĂ©raclĂšs lors de son premier travail).
Cette maĂźtrise attire la venue au premier plan de la lumiĂšre de l’ĂȘtre psychique, Apollon. L’union du dieu avec CyrĂšne se produisit en Lybie, lieu de l’incarnation de la libĂ©ration. La maĂźtrise dans le yoga est alors suffisamment incarnĂ©e pour que se produise la fĂ©condation par l’ĂȘtre psychique et qu’apparaisse un travail en vue du « meilleur », AristĂ©e « celui qui tient le premier rang, le meilleur ».
Et le meilleur perdure tant que le chercheur suit « la juste loi de la consĂ©cration ». Aussi l’enfant est-il nourri de ce qui est nĂ©cessaire aux plus hautes instances de l’ĂȘtre, le nectar et l’ambroisie, nourritures d’immortalitĂ© d’ordinaire rĂ©servĂ©s aux dieux : le chercheur est alimentĂ© par des puissances de l’esprit avec ce qui soutient l’état de non-dualitĂ©.
ThĂ©misto lui apporte le sens de la plus haute rectitude, car elle est la fille du Lapithe HypsĂ©e « qui est Ă©levé ». Les Heures qui l’ont Ă©levĂ© sont EirĂ©nĂ© (Paix ou SĂ©rĂ©nitĂ©), DikĂ© (Justice), et Eunomia (Ordre), qui sont en termes de yoga, l’« équanimité », l’« exactitude » et « ce qui met chaque chose Ă  sa juste place » ou « pureté ».

AprĂšs un certain dĂ©veloppement (lorsqu’AristĂ©e est devenu adulte), le chercheur sait comment rĂ©-harmoniser les Ă©nergies (l’art de la guĂ©rison). Il a dĂ©veloppĂ© ses capacitĂ©s intuitives (la prophĂ©tie), acquis de l’endurance, de la patience et une dĂ©termination tournĂ©e vers le but (l’art de la chasse). Il sait orienter ses Ă©nergies dans une mĂȘme direction y compris celles qui sont rĂ©calcitrantes (il possĂ©dait l’art de conduire les troupeaux et « de rĂ©unir sur un seul sentier, dans un pacage fleuri des bandes de brebis indociles, arriĂ©rĂ©es ou vagabondes, en plaçant Ă  leur tĂȘte une chĂšvre qui stimule et rĂšgle la marche »). Il a pris conscience que rien n’est sĂ©parĂ©, que tout est divin (car « il composa la chanson pastorale de Pan, l’hĂŽte des montagnes »). Il travaille Ă  la maĂźtrise du mental-vital et utilise dans ce but des mantras (« il frappa l’un contre l’autre l’airain qui menaçait les abeilles tremblantes pour leur essaim ; enfin, pendant qu’elles bourdonnaient incessamment dans les voĂ»tes de leur ruche, il redoubla de sa main bruyante un son retentissant »). Il sait aussi comment Ɠuvrer Ă  sa purification (produire l’huile d’olive). Enfin, il s’est prĂ©parĂ© Ă  sa fonction (le vĂȘtement futur) par un travail de mise en ordre et un affinement (cardage et filage de la laine qui prĂ©cĂšdent le tissage).

Puis arrive un moment oĂč germe la dĂ©viance lorsque le chercheur s’en remet Ă  son propre esprit pour avancer vers l’égalitĂ© et la perfection : AristĂ©e s’unit Ă  AutonoĂ© « celle qui se dirige selon sa propre volonté » ou « celle qui est Ă  elle-mĂȘme son intelligence du chemin ou sa propre autoritĂ© spirituelle », la fille de Cadmos. Il espĂšre ou rĂ©alise une identification partielle avec le Divin alors que son ego perdure.
Au commencement, la dĂ©viance n’apparaĂźt pas. Le fils d’AristĂ©e et d’AutonoĂ©, ActĂ©on, symbole d’une « ouverture vers les hauteurs de l’esprit », hĂ©rite des rĂ©alisations de son pĂšre. C’est un grand chasseur accompagnĂ© d’une meute de cinquante chiens : le chercheur a dĂ©veloppĂ© une « totalité » d’outils ou capacitĂ©s intuitives dans le domaine de la poursuite des buts du yoga (cinquante chiens).
Mais la part d’ego qui se maintient encore veut conserver son emprise et s’affirmer comme meilleur guide de la purification que ce qui provient en lui du psychique (ActĂ©on prĂ©tend ĂȘtre meilleur chasseur qu’ArtĂ©mis). Le chercheur croit qu’il est parvenu au but. Toutes ses « habiletĂ©s intuitives » en yoga (ses chiens) se retournent alors contre lui car le chercheur doit aller au bout de son erreur.

Les nombreuses variantes concernant le motif de la mort d’ActĂ©on indiquent que le chercheur croit avoir rĂ©alisĂ© l’union et l’identification totale avec le Divin dans la mesure oĂč il pense avoir rĂ©alisĂ© une purification totale de son ĂȘtre ou ĂȘtre « libre » (il se croit digne de voir ArtĂ©mis nue et de rivaliser avec Zeus). En fait, Ă©tant lui-mĂȘme le juge de son expĂ©rience, si haute soit-elle, il est incapable de reconnaĂźtre que sa rĂ©alisation n’est qu’une Ă©tape intermĂ©diaire oĂč s’est immiscĂ© l’ego. Il a quittĂ© la voie de la juste consĂ©cration.
Cette réalisation peut faire illusion aux yeux du monde.

Si ActĂ©on est dĂ©vorĂ© sous la forme d’un cerf et non d’une biche, c’est sans doute pour indiquer que sa consĂ©cration dĂ©pend encore trop d’une volontĂ© de l’ego.
À ce niveau, les rĂ©alisations, mĂȘme offertes au Divin et de quelque nature qu’elles soient, ne peuvent en aucun cas remplacer ce « don de soi ».

Les deux premiĂšres filles de Cadmos, Ino et AutonoĂ©, dĂ©crivent donc les erreurs qui peuvent se poursuivre tout au long du chemin avec toutes les nuances intermĂ©diaires qui ne sont pas dĂ©crites : au dĂ©but, une ascĂšse trop formelle et parfois excessive qui s’appuie sur des principes et la volontĂ© de l’ego (Ino), et pour les chercheurs avancĂ©s, une dĂ©viance qui rĂ©sulte d’un manque de consĂ©cration. Le mythe exhorte donc Ă  la vigilance tout au long du chemin.

Les deux autres filles de Cadmos concernent davantage la nature de la purification qui doit s’effectuer dans un Ă©tat de consĂ©cration.
SĂ©mĂ©lĂ©, aussi nommĂ©e ThyonĂ© « celle qui dĂ©sire avec ardeur », incarne une intense aspiration Ă  « voir », c’est-Ă -dire Ă  « connaĂźtre » le Divin. Cette connaissance, mĂȘme si elle consume l’ĂȘtre dans un premier temps, conduirait, aprĂšs maturation, sur une voie « ensoleillĂ©e » qui donne l’expĂ©rience et la rĂ©alisation de l’ouverture du cƓur ou « ouverture psychique » (Dionysos est le fils de SĂ©mĂ©lĂ©).
Quant Ă  AgavĂ©, elle reprĂ©sente la voie qui associe de façon erronĂ©e le chemin de purification/libĂ©ration Ă  la souffrance (ou du moins Ă  une « adhĂ©sion Ă  son inĂ©luctabilité ») qui trouve sa source dans les mĂ©moires de l’évolution.
SĂ©mĂ©lĂ© et AgavĂ© peuvent le plus probablement ĂȘtre mises en rapport avec « le sentier obscur » et « le sentier ensoleillé » dont parlent MĂšre et Sri Aurobindo, le premier Ă©tant la voie ardue de l’effort tandis que le second est celui d’une soumission « enthousiaste ».
Le conflit opposant PenthĂ©e (fils d’AgavĂ©) Ă  Dionysos (fils de SĂ©mĂ©lĂ©) illustre donc la lutte intĂ©rieure du chercheur hĂ©ritant de la culture de l’effort ardu et de la souffrance et doutant qu’une voie pratiquĂ©e dans la dĂ©tente, la joie et la dĂ©votion puisse conduire plus rapidement vers le but.

AgavĂ© et son fils PenthĂ©e, ou l’attachement Ă  l’effort et Ă  la souffrance (le sentier obscur)

La troisiĂšme fille de Cadmos se nomme AgavĂ©. Elle s’unit Ă  l’un des « SemĂ©s » Échion et lui donna un fils, PenthĂ©e.
Celui-ci usurpa le trÎne de ThÚbes alors occupé par son grand-pÚre Cadmos et fit de la ville un modÚle parfait de cité grecque.
Mais les MĂ©nades Ă©taient Ă  ses yeux source de dĂ©sordre et de trouble. Prenant le nouveau dieu Dionysos pour un imposteur, PenthĂ©e s’opposait Ă  l’introduction de ses rites malgrĂ© les avertissements du devin TirĂ©sias (pour Euripide, il Ă©tait mĂȘme rĂ©solu Ă  Ă©radiquer son culte).
La mĂšre de PenthĂ©e, AgavĂ©, refusait aussi de croire que Zeus Ă©tait vraiment le pĂšre de Dionysos, ce qui contrariait beaucoup celui-ci. C’est pourquoi Dionysos la frappa de folie ainsi que toutes les femmes de la citĂ© et les envoya vagabonder avec ses MĂ©nades dans la montagne. Prenant alors l’apparence de l’un de ses dĂ©vots, il se laissa ensuite emprisonner Ă  dessein dans les Ă©tables et s’en Ă©chappa tout aussitĂŽt, dĂ©montrant ainsi ses pouvoirs. Puis il provoqua un tremblement de terre.
Il persuada alors PenthĂ©e de venir observer dans la montagne les femmes qui cĂ©lĂ©braient ses mystĂšres. Le roi devait se dĂ©guiser en femme pour ne pas attirer l’attention. AccoutrĂ© ainsi, il grimpa en haut d’un pin pour observer les femmes « en dĂ©lire ». Celles-ci l’aperçurent aussitĂŽt et le mirent en piĂšces, imaginant poursuivre un lion. Sa mĂšre AgavĂ© rapporta mĂȘme fiĂšrement Ă  ThĂšbes sa tĂȘte plantĂ©e sur une pique.

Il n’existe aucune mention avant le Ve siĂšcle avant J.-C. ni du mariage d’AgavĂ© ni de l’existence de son fils PenthĂ©e. La version la plus complĂšte qui nous est parvenue est celle d’Euripide, reprise par Nonnos au Ve siĂšcle de notre Ăšre.
L’essentiel de ce mythe provenant d’Euripide, nous devons faire les rĂ©serves habituelles pour son interprĂ©tation.
Le nom de la troisiĂšme fille de Cadmos, AgavĂ©, signifie « digne d’admiration, noble ». Mais il peut avoir de multiples autres sens sur la base de la racine « αγ » (mener, conduire, ou ĂȘtre pur) ou du prĂ©fixe « αγα » (trĂšs), avec le upsilon comme lettre structurante (Ă©tat de rĂ©ceptivitĂ©). Il porte donc des idĂ©es de purification et de rĂ©ceptivitĂ©. C’est l’idĂ©e d’une purification dans un Ă©tat de passivitĂ© que nous retiendrons, cohĂ©rente ici avec la voie de purification-libĂ©ration.
Cette façon d’aborder la purification par la souffrance, ici incarnĂ©e par AgavĂ© unie Ă  PenthĂ©e, est souvent liĂ©e Ă  l’idĂ©e que l’expiation de la faute est indispensable Ă  la croissance de l’homme vital-mental. Cette conception devra donc subir une mutation.
Le Yoga de Sri Aurobindo ne prend jamais la souffrance comme base ou comme but. Elle ne confĂšre aucun mĂ©rite et n’est nullement agrĂ©able au divin. Elle indique au contraire une rĂ©sistance Ă  la transformation. Elle ne doit en aucun cas ĂȘtre encouragĂ©e.
Mais cela ne se fera que progressivement car son cousin germain Labdacos (fils de Polydoros et grand-pĂšre d’ƒdipe) qui pĂ©rit aprĂšs PenthĂ©e, « pensait Ă  peu prĂšs comme lui ».
Le but initial de la purification est dĂ©viĂ© lorsqu’une perversion issue des mĂ©moires de l’évolution le prend pour but. En effet, AgavĂ© s’unit Ă  l’un des cinq SemĂ©s survivants, Échion « la vipĂšre » ou « l’arrĂȘt de la conscience dans l’incarnation (ΧΙ+Ω) ». (Le nom Échion peut ĂȘtre rapprochĂ© de celui d’Échidna, avec le khi pris dans son acception nĂ©gative, c’est-Ă -dire « l’arrĂȘt »).
Se dĂ©veloppe alors une volontĂ© de purification sans conscience, donc sans discernement. Elle entraĂźne une adhĂ©sion-identification Ă  l’effort et la souffrance induite, fondĂ©e en partie sur la culpabilitĂ© et incarnĂ©e par le fils du couple perverti, PenthĂ©e. Ce dernier nom signifie en effet « souffrance, pleurs » et avec les lettres structurantes « une immobilisation de l’évolution intĂ©rieure, Π+ΝΘ ».

On peut mieux cerner le type de dĂ©viance introduit dans cette voie du yoga par Échion Ă  la lumiĂšre de la phrase de Sri Aurobindo :
« Car le mental de l’homme est la dupe de son moi animal,
Il abrite en lui-mĂȘme un Elfe sinistre
Amoureux de la douleur et du péché
Dans l’espoir que ses sensualitĂ©s gagneront.
L’Elfe gris frĂ©mit d’horreur devant les flammes du ciel
Et de toutes choses heureuses et pures ;
C’est seulement par le plaisir et la passion et la douleur
Que son drame peut durer. »
Il est fait ici rĂ©fĂ©rence Ă  une dĂ©viance sans rapport avec le masochisme. Il s’agit plutĂŽt d’une adhĂ©sion Ă  la souffrance qui a Ă©tĂ© enregistrĂ©e dans notre mĂ©moire archaĂŻque lors de la formation du moi animal (avec Phorcys et CĂ©to, les enfants de Pontos). C’est un stade ou le vital se nourrit d’égale façon du plaisir et de la souffrance.
D’une maniĂšre ou d’une autre, ce qui prime dans cette voie difficile, c’est l’effort et la souffrance en tant que principe de purification et de libĂ©ration. Par voie de consĂ©quence, toute manifestation de joie et de dĂ©votion devient suspecte et sujet Ă  caution : non seulement PenthĂ©e devient le roi de ThĂšbes (Nonnos nous dit mĂȘme qu’il usurpa le trĂŽne alors que Cadmos Ă©tait toujours vivant) mais encore il cherchait Ă  Ă©radiquer le culte de Dionysos.

Le chercheur organise alors parfaitement ses constructions mentales sur la base de cette adhésion à la purification dans la souffrance, faisant de la ville un modÚle parfait de cité grecque. Il rejette la voie de la dévotion « enthousiaste », ses pratiques et ses expressions (le culte de Dionysos, ses rites et les Ménades).

Le chercheur refuse de considĂ©rer que l’expression d’un « enthousiasme » pour le Divin, qu’une voie d’extase mystique, puisse ĂȘtre un chemin juste en accord avec le principe d’évolution du plus haut de la conscience (AgavĂ© et son fils PenthĂ©e refusent de considĂ©rer que Dionysos puisse ĂȘtre un fils de Zeus).
Toutefois, les avertissements du devin TirĂ©sias laissent entendre que le chercheur a l’intuition qu’il fait fausse route en refusant cette mystique d’extase. De plus, toutes les tentatives faites pour Ă©branler ses certitudes le sont en vain : que ce soit la tentative de gagner Ă  sa cause les parties intuitives (les femmes de la citĂ©), ou les « signes » que la vie fait surgir et que le chercheur ne peut ignorer (les « dĂ©monstrations » du dieu) ou encore des secousses vitales et corporelles, c’est-Ă -dire des Ă©branlements psychologiques et des maladies physiques (le dieu se libĂšre de ses chaĂźnes et provoque un tremblement de terre qui fait s’effondrer les Ă©tables).

Le chercheur est alors conduit Ă  observer plus attentivement, du point de vue des connaissances occultes les plus hautes, en se mettant au diapason des Ă©nergies qu’il refuse, dans un Ă©tat de rĂ©ceptivitĂ© (PenthĂ©e est invitĂ© par Dionysos Ă  observer les Bacchantes et les femmes de ThĂšbes dĂ©lirantes du haut d’un pin, dĂ©guisĂ© en femme). Rappelons que le Thyrse dionysiaque de mĂȘme que le CaducĂ©e d’HermĂšs portent Ă  leur extrĂ©mitĂ© une pomme de pin, symbole du fruit de la Connaissance occulte.
Mais les Bacchantes, parmi lesquelles se trouve sa mĂšre, le perçoivent alors comme un lion et le tuent (selon Nonnos, elles sont « des tueuses de lions » et donc des tueuses d’ego) : les parties de l’ĂȘtre qui sont consacrĂ©es « voient en vĂ©rité » lĂ  oĂč l’ego s’accroche Ă  ses nƓuds et Ă  la souffrance, et mettent fin Ă  cette erreur d’orientation.
Ce sont les attributs de la « folie mystique » que de pouvoir dĂ©celer le faux et de l’ébranler dans ses racines. On peut comparer cela, Ă  un niveau supĂ©rieur, au rĂŽle jouĂ© par le « fou du roi ».

Pour que le processus s’opĂšre jusqu’au bout, une mutation profonde est nĂ©cessaire. Le chercheur doit isoler le principe qui l’a fait dĂ©vier (AgavĂ© doit se dissocier d’Échion).
C’est la partie qui est revenue la premiĂšre dans le chemin juste (AgavĂ©) qui supprime le support mental qui cautionne et organise cette dĂ©viance (AgavĂ© coupe la tĂȘte de son fils PenthĂ©e). C’est ce qui a gĂ©nĂ©rĂ© l’erreur qui est le mieux Ă  mĂȘme de la corriger.

AgavĂ© reprĂ©sente donc la voie qui choisit l’effort et la souffrance comme prix Ă  payer pour la victoire. Sri Aurobindo admet toutefois que chacune des Ă©preuves rencontrĂ©es sur cette voie puisse ĂȘtre l’occasion d’un progrĂšs sensible : « Souvent elles paraissent nous montrer en nous-mĂȘmes les difficultĂ©s que nous avons Ă  surmonter, et nous dire : c’est ici que tu dois vaincre. MalgrĂ© tout, c’est une voie trop sombre et difficile que nul ne devrait suivre qui n’y est pas contraint par la nĂ©cessitĂ©. »

Sémélé et son fils Dionysos

SĂ©mĂ©lĂ©, en revanche, reprĂ©sente la voie opposĂ©e de la confiance absolue dans la GrĂące. Elle demande de se laisser porter dans la dĂ©tente, sans crainte, sans s’affliger de rien, dans la tranquillitĂ© du mental et du vital, et surtout dans une acceptation joyeuse de tout ce qui vient. Dans cette voie, la souffrance subjective est faible ou nulle, et la souffrance objective ne peut affecter l’ĂȘtre profondĂ©ment.

SĂ©mĂ©lĂ© Ă©tait trĂšs belle. Zeus en tomba amoureux et la prit pour amante. Il venait chaque nuit la rejoindre en secret, ce qui suscita la jalousie d’HĂ©ra. Celle-ci fĂ©licita alors SĂ©mĂ©lĂ© d’avoir un amant si haut placĂ© puis lui suggĂ©ra de lui demander une preuve qu’il Ă©tait bien celui qu’il prĂ©tendait ĂȘtre et qu’il l’aimait vraiment. (Selon certains, elle se prĂ©senta Ă  SĂ©mĂ©lĂ© sous la forme de sa vieille nourrice BĂ©roĂ© ou celle de l’une de ses amies). D’autres disent que SĂ©mĂ©lĂ© se croyait mĂ©prisĂ©e et demanda Ă  Zeus de lui apparaĂźtre tel qu’il se montrait Ă  sa femme HĂ©ra.
Le dieu s’introduisit alors dans la chambre de son amante, montĂ© sur son char, maniant la foudre et jetant des Ă©clairs. SĂ©mĂ©lĂ© mourut d’effroi et fut consumĂ©e. Cependant, comme elle Ă©tait enceinte des Ɠuvres de son amant divin, elle accoucha prĂ©maturĂ©ment avant de mourir et Zeus installa le nouveau-nĂ© dans son propre corps – dans sa cuisse pour certains auteurs – jusqu’au terme. (Dans une autre version, Zeus extirpa lui-mĂȘme le prĂ©maturĂ© de six ou sept mois du corps de SĂ©mĂ©lĂ© mourante.) Lorsque le temps fut venu, le dieu mit au monde Dionysos sur le mont Nysa, au pied du mont HĂ©licon.
Plus tard, grĂące Ă  l’intervention de Dionysos qui la ramena du royaume d’HadĂšs, SĂ©mĂ©lĂ© accĂ©da Ă  l’immortalitĂ© et prit place sur l’Olympe sous le nom de ThyonĂ©.

Avant de rentrer dans le dĂ©tail de ce mythe, il est nĂ©cessaire d’en avoir une vue synthĂ©tique car il prĂ©sente Ă  la fois un dĂ©but de voie juste, une dĂ©viance et son redressement. Il aborde sans doute le rapport des voies contemplatives aux voies d’extase mystiques, et parmi ces derniĂšres, les bonnes et les mauvaises extases.
Initialement, le rapport du chercheur au Divin est juste, puisque Zeus est tombĂ© amoureux de SĂ©mĂ©lĂ©. Certains disent que cela arriva alors que SĂ©mĂ©lĂ© se lavait dans l’Asopos, le dieu-fleuve ancĂȘtre d’Achille, et donc le signe que ce mythe concerne une phase avancĂ©e du chemin.

La liaison avec le Divin, au niveau du surmental, est effective mais le chercheur, tout en Ă©tant conscient de cette liaison, en ignore la nature exacte et surtout la puissance potentielle (Zeus vient chaque nuit auprĂšs de SĂ©mĂ©lĂ©, mais sans se montrer dans toute sa gloire). C’est une expĂ©rience qui se renouvelle depuis un certain temps, Zeus visitant SĂ©mĂ©lĂ© pendant les six ou sept mois symbolique que dura leur union.

Jusqu’à ce moment-là, tout se passe bien et le processus de purification suit son cours.
La signification du nom SĂ©mĂ©lĂ© est obscure. Elle est fille de Cadmos qui appartient Ă  la lignĂ©e d’OcĂ©anos et d’Harmonie, cette derniĂšre Ă©tant fille d’Aphrodite et d’ArĂšs : elle reprĂ©sente donc une expression de « l’exactitude » dans le processus de croissance de l’amour vers laquelle doit tendre le chercheur par la voie de la purification/libĂ©ration. Avec les lettres structurantes, nous pouvons comprendre qu’il s’agit Ă  la fois d’une progression de la circulation des Ă©nergies et de la consĂ©cration en vue de la libĂ©ration (ÎŁ+Μ+Λ).
Sémélé est belle (donc vraie), sinon Zeus ne pourrait la prendre pour amante.
Mais « la puissance de limitation qui veille Ă  ce que rien ne reste en arriĂšre » dĂ©cĂšle une faille : l’impatience du chercheur qui le conduit Ă  vouloir des preuves que le Divin l’accompagne. Elle instille le doute dans son esprit et le persuade de demander confirmation de ce qu’il ressent ĂȘtre un contact avec le Divin (HĂ©ra convainc SĂ©mĂ©lĂ© d’obtenir de Zeus qu’il se manifeste dans toute sa puissance).
À ce stade, une partie du chercheur est encore dans l’exigence ou du moins dans l’attente de recevoir du Divin en retour de ses demandes. Mais cette exigence semble incontournable sur le chemin, aussi peut-on dire que SĂ©mĂ©lĂ© ne commit pas vraiment de faute – contrairement Ă  Minos qui refusa de sacrifier le taureau – car c’est HĂ©ra qui suscita la demande.
Chez Hygin et Ovide, HĂ©ra prit l’apparence de la vieille nourrice de SĂ©mĂ©lĂ©, BĂ©roĂ© « l’incarnation du mouvement juste » : la vieille femme reprĂ©sentant gĂ©nĂ©ralement la sagesse, ce doute se manifeste sous un aspect trompeur, une forme familiĂšre en laquelle le chercheur a mis sa totale confiance.
Le chercheur attend des preuves et « tire » en conséquence les forces spirituelles prématurément.

Dans l’absolu, le Divin sait mieux que nous ce qui est bon pour nous et il n’y a donc pas lieu de s’en occuper. L’attitude juste est d’accepter tout ce qui vient avec joie, de ne jamais en rejeter la faute sur l’extĂ©rieur mais de le considĂ©rer comme une occasion d’évolution, tout en combattant ce qui doit l’ĂȘtre. Mais la nature humaine est ainsi faite que sous la pression de l’aspiration Ă  Ă©voluer et du besoin de connaissance, l’homme demande des signes.
Selon les termes de Sri Aurobindo, l’attitude juste est de « vouloir le Divin avec une totale confiance et la volontĂ© de s’abandonner entre ses mains afin qu’il fasse le travail en nous ; de compter sur lui plus que sur ses propres efforts. Cette disposition de l’ĂȘtre se dĂ©veloppe lorsque le mental et le vital entrent dans le calme, que le mental s’ouvre Ă  la lumiĂšre et que le vital paisible laisse le Divin l’ouvrir Ă  son calme et sa joie ».

Pour tous les auteurs, Zeus rĂ©pondit Ă  la requĂȘte de SĂ©mĂ©lé : Ă  toute demande sincĂšre, mĂȘme celle qui trouve son origine cachĂ©e dans une imperfection de la nature du chercheur, il y a une rĂ©ponse de l’Absolu. Certains auteurs disent mĂȘme que Zeus avait fait la promesse Ă  SĂ©mĂ©lĂ© d’exaucer toutes ses priĂšres : le chercheur aurait ainsi acquis la certitude que le Divin ne l’abandonnerait jamais et ferait toujours le mieux pour son Ă©volution.
À cette demande formulĂ©e avec force et insistance, le Divin rĂ©pond par une puissante extase mystique, une plĂ©nitude divine qui possĂšde l’ñme. Le chercheur est possĂ©dĂ© par le Divin, mais ne peut en supporter l’intensité : il est littĂ©ralement « consumé », en proie Ă  une « ivresse divine ».
Cela peut se traduire par des maladies psychiques, Ă  tout le moins par des dĂ©bordements qui seront illustrĂ©s chez certains auteurs par les MĂ©nades ou les Bacchantes dans la tradition plus tardive. Il est probable que ces dĂ©bordements aient seulement figurĂ© dans les textes Ă  partir d’Euripide que nous rangeons parmi les auteurs non-initiĂ©s, car initialement, les MĂ©nades « les InspirĂ©es » sont les nourrices du jeune Dionysos, et donc des expressions justes.
Les MĂ©nades sont des esprits de la nature (des nymphes). Elles Ă©taient appelĂ©es initialement Thyades « les inspirĂ©es », et donc portaient le mĂȘme sens que les MĂ©nades. Avec les lettres structurantes Θ΄, elles signifient « celles qui fonctionnent depuis l’intĂ©rieur ». Elles furent dĂ©peintes plus tard sous les traits de femmes en proie au dĂ©lire mystique.

Mais quels que soit les dĂ©gĂąts initiaux apparents, cette premiĂšre expĂ©rience de prise de possession de l’ñme par le Divin n’est pas perdue, car Zeus « rĂ©cupĂšre » l’enfant prĂ©maturĂ©.
Toutefois, il peut y avoir dÚs ce moment-là de « bonnes » et de « mauvaises » extases.
Les « bonnes » extases seraient celles pour lesquelles le chercheur est parfaitement maßtre de sa nature vitale et ne permet aucun débordement.
Les « mauvaises » extases seraient dues à des débordements vitaux dans un chercheur qui ne peut contenir les forces qui font irruption en lui.

Si le chercheur rĂ©siste aux dĂ©bordements et poursuit sa voie de purification avec persĂ©vĂ©rance, patience et endurance, alors il est sĂ»r de parvenir au but, de « possĂ©der » le Divin et « d’ĂȘtre possĂ©dé » par Lui. Cette maturation est entreprise par le plus haut du surmental qui place le rĂ©sultat de cet enthousiasme dans son lieu de plus grande force (Zeus place l’enfant prĂ©maturĂ©, le futur Dionysos, dans sa cuisse).
Lorsque le moment est venu, se manifeste une « joie », une « ivresse divine » ou extase de l’union dans une nature maĂźtrisĂ©e et purifiĂ©e, et donc sans dĂ©bordements, car Dionysos naĂźt immortel, donc dans un Ă©tat d’unitĂ©.
Cette prise de possession de l’ñme par le Divin confĂšre toutefois des capacitĂ©s inhabituelles qui mettent au jour les agissements de l’ego, en soi et Ă  l’extĂ©rieur.
Plus tard Dionysos ira rechercher sa mĂšre dans l’HadĂšs et celle-ci prit alors le nom de ThyonĂ© « l’enthousiaste », accĂ©dant sur l’Olympe Ă  l’immortalitĂ©. Ce nom porte Ă  la fois les idĂ©es de « ce qui aspire avec ardeur », de « possession ou d’inspiration par le divin » et de « sacrifice offert aux dieux ». Il est construit avec les mĂȘmes lettres structurantes qu’AthĂ©na, Θ(΄)+Ν, « l’évolution de la croissance de l’ĂȘtre intĂ©rieur ou divin intĂ©rieur » mais intĂšgre de plus l’idĂ©e de rĂ©ceptivitĂ©-consĂ©cration donnĂ©e par le upsilon.

Le mythe de Dionysos ne dĂ©crit donc pas une expĂ©rience de l’ascension des plans de conscience, ni une expĂ©rience du Soi – de l’union avec le Divin en l’esprit lorsque cesse toute identification avec le corps, le vital et le mental, union qui ignore le devenir – mais une prise de possession de l’ñme du chercheur par le Divin, une rĂ©ponse du Divin Ă  une aspiration « enthousiaste » mais qui « tire » souvent au dĂ©but trop violemment. La puissance du Divin, au lieu de pĂ©nĂ©trer un Ă©tat d’équilibre et d’équanimitĂ©, provoque alors instabilitĂ© et dĂ©mence.
Comme SĂ©mĂ©lĂ© est une fille de Cadmos et d’Harmonie, elle reprĂ©sente alors un but d’exactitude sur le chemin de la croissance de l’amour par le travail de purification de l’impatience.
Le mythe du Minotaure pointait le risque d’enfermement dans une structure mentale rigide qui guettait le chercheur dans le yoga de la Connaissance. Mais la voie incarnĂ©e par Europe semble cependant avoir Ă©tĂ© la voie de yoga recommandĂ©e, celle de l’exactitude dont sont porteurs Minos et Rhadamanthe, « les rois de justice ». Le mythe de SĂ©mĂ©lĂ©, qui concerne davantage le yoga de la DĂ©votion, attire l’attention sur la nĂ©cessitĂ© absolue de la patience et d’une maturation suffisante de cette dĂ©votion dans la puissance du plus haut du mental. C’est pour cela que Sri Aurobindo a beaucoup insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© de purification du mental supĂ©rieur (Buddhi) comme Ă©tape prĂ©liminaire.
Ce qui pourrait le mieux synthĂ©tiser le mythe de Dionysos, ainsi que le rapport d’AgavĂ© et de son fils PenthĂ©e avec Dionysos, est l’aphorisme suivant de Sri Aurobindo :
« La douleur est comme la poigne de notre MĂšre qui nous apprend Ă  supporter l’ivresse divine et Ă  grandir en extase. Sa leçon se fait en trois Ă©tapes : endurance d’abord, puis Ă©galitĂ© d’ñme, enfin l’extase. » La gestation de Dionysos en Zeus serait l’apprentissage de l’endurance et ses aventures de la maturitĂ© celui de l’égalitĂ© d’ñme.

Naissance et jeunesse de Dionysos

Zeus mit au monde Dionysos (en le sortant de sa cuisse) sur le mont Nysa afin de le protĂ©ger de la haine d’HĂ©ra. Puis il demanda Ă  HermĂšs de le confier aux Nymphes qui vivaient lĂ . Mais HĂ©ra ayant dĂ©couvert la cachette, il fut confiĂ© Ă  sa tante Ino et Ă  son Ă©poux Athamas qui l’élevĂšrent (Ă  moins, selon d’autres auteurs, que ce ne fĂ»t l’inverse et que l’enfant ne fut confiĂ© aux Nymphes qu’aprĂšs la mort d’Ino).

Cet épisode de la seconde naissance justifie le surnom parfois attribué à Dionysos, « le deux fois né ».
On pourrait faire le rapprochement avec la seconde naissance, celle en l’Esprit ou « mariage spirituel ». La vision par SĂ©mĂ©lĂ© de Zeus dans sa gloire serait alors le symbole du premier contact prĂ©figurant cette union, le temps des « fiançailles spirituelles ».
HomĂšre ne mentionne Dionysos, « joie pour les mortels », que trĂšs briĂšvement mais il affirme sa divinitĂ© dĂšs sa naissance, bien qu’il soit le fils d’une simple mortelle. Ce n’est donc pas un hĂ©ros qui naĂźt homme et progresse jusqu’à la divinisation, mais directement un dieu : c’est donc une expĂ©rience de non-dualitĂ© qui va se dĂ©velopper avec le yoga. HĂ©siode en parle Ă©galement comme d’un immortel (a-thanatos)

Le mont Nysa ne correspond Ă  aucune montagne connue et de multiples suppositions ont Ă©tĂ© Ă©mises par les Anciens concernant sa localisation. Il est pour nous purement symbolique et pourrait n’ĂȘtre lĂ  que pour confirmer la signification du nom de Dionysos qui comporte les mĂȘmes lettres structurantes, Ν+ÎŁ, en rĂ©fĂ©rence Ă  « l’évolution de la conscience humaine » dans un Ă©tat de rĂ©ceptivitĂ©-soumission (avec le upsilon ΄). Dionysos serait alors le symbole du chemin qui conduit « l’évolution humaine vers l’union consciente avec le Divin (ΔΙ) », celui qui donne le sens de la « PrĂ©sence ».
La forme primitive du nom chez HomĂšre et HĂ©siode est ΔÎčÏ‰ÎœÏ…ÏƒÎżÏ‚, ce qui Ă©largit l’idĂ©e de la formation du mot Ă  partir du gĂ©nitif de Zeus en insistant avec le omĂ©ga sur « l’incarnation » de la voie, la descente dans le corps. (Qui conduit vers ce que Satprem appelle « le matĂ©rialisme divin ».)

Dionysos porte de nombreux autres noms, en particulier Iacchos et Bacchos qui fut repris par les Latins sous le nom de Bacchus pour dĂ©signer le dieu. Iacchos est le symbole de « la conscience qui s’ouvre au centre de l’ĂȘtre » tandis que Bacchos est le symbole du mĂȘme mouvement pĂ©nĂ©trant la matiĂšre. Tous deux ont pour lettres structurantes ΚΧ, « l’ouverture de la conscience au centre ».
Nous retiendrons pour Dionysos l’idĂ©e d’une « capacitĂ© d’ouverture » Ă  l’influx divin.

Dionysos est sans doute l’un des personnages de la mythologie autour duquel s’est dĂ©veloppĂ©e la plus grande complexitĂ© et confusion, jusqu’à transformer le dieu qui apporte la joie de l’extase en un dieu d’orgies Ă©thyliques.
Car il s’est produit un dĂ©tournement progressif au cours du temps du symbolisme de Dionysos qui a fait de ce fils de Zeus un dieu orgiaque au sens dĂ©prĂ©ciatif du terme, alors que « l’orgie dionysiaque » est d’abord une cĂ©lĂ©bration inspirĂ©e des mystĂšres. En effet, tout ce qui est relatif aux « orgies » dans les mythes primitifs est absolument indĂ©pendant du vin.
L’Orphisme, en s’appropriant le dieu pour le mettre au service de sa propre thĂ©ologie du dĂ©membrement et remembrement d’un dieu, a sans doute contribuĂ© Ă  cette confusion.

Si HomĂšre le qualifie de « dĂ©lirant » (ΌαÎčÎœÎżÎŒÎ”ÎœÎżÏ‚), il faut davantage l’entendre selon les paroles de saint Paul « Que nul ne se dupe lui-mĂȘme ! Si quelqu’un parmi vous se croit sage Ă  la façon de ce monde, qu’il se fasse fou pour devenir sage ; car la sagesse de ce monde est folie auprĂšs de Dieu ». Et les fervents de Dionysos deviennent Â«Â Î”ÎœÎžÎ”ÎżÏ‚, en le Divin », des « enthousiastes » ou des « émerveillĂ©s ».

AthĂ©na et Dionysos sont les deux seuls dieux qui vĂ©curent une pĂ©riode de maturation Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme de Zeus. Ils partagent donc un privilĂšge qui les diffĂ©rencie des autres dieux. Le combat du guerrier pour la spiritualisation du mental et la croissance de l’ĂȘtre intĂ©rieur, reprĂ©sentĂ©s par AthĂ©na, ont poursuivi leur croissance non par un travail spĂ©cifique de yoga, mais par l’adhĂ©sion au courant cosmique de dĂ©veloppement de l’Intelligence en l’homme (gestation de MĂ©tis en Zeus). C’est seulement lorsqu’AthĂ©na surgit adulte et dĂ©jĂ  en armes de la tĂȘte du dieu que sa participation au yoga devient partie intĂ©grante du chemin.
Dionysos en revanche, n’a entamĂ© sa gestation que par l’adhĂ©sion Ă  la voie de consĂ©cration ensoleillĂ©e (en SĂ©mĂ©lĂ©), mais c’est le supraconscient qui l’a menĂ©e Ă  terme (la rĂ©ponse de l’esprit et la fin de la gestation en Zeus). Et Ă  l’inverse d’AthĂ©na, il apparaĂźt comme un ĂȘtre fragile dans sa jeunesse. Sa puissance et son « intransigeance » ne cesseront ensuite de croĂźtre.

Si certains auteurs posthomĂ©riques l’ont fait figurer parmi les douze Olympiens, ce n’est pas uniquement du fait de son immortalitĂ©, car de nombreuses autres divinitĂ©s de mĂȘme statut pourraient alors Ă©galement y prĂ©tendre.
Pour appartenir au cercle restreint des douze, plusieurs conditions nous semblent devoir ĂȘtre rĂ©unies pour lesquelles nous ne pouvons faire qu’un certain nombre d’hypothĂšses.
Tout d’abord, la divinitĂ© doit ĂȘtre immortelle de naissance, c’est-Ă -dire participer d’un Ă©tat non-duel.
Ensuite, elle doit descendre du Titan Cronos, soit en tant que frĂšre ou sƓur de Zeus, soit en tant qu’enfant de Zeus et d’une dĂ©esse immortelle. C’est-Ă -dire qu’elle doit trouver son origine dans le supraconscient humain le plus haut, le surmental. (Aphrodite est ici considĂ©rĂ©e comme fille de DionĂ© selon la filiation homĂ©rique et non selon celle d’HĂ©siode oĂč elle est issue de l’écume de la mer ; Maia, la mĂšre d’HermĂšs, est une immortelle Ă  part entiĂšre car son pĂšre Atlas est assimilĂ© Ă  un Titan.)
Mais toutes les divinitĂ©s qui remplissent ces deux conditions n’appartiennent pas aux douze Olympiens, telles par exemple les Kharites, les Muses, les Heures et les Moires ou mĂȘme HadĂšs, mĂȘme si elles sont parfois citĂ©es par certains auteurs comme rĂ©sidant sur l’Olympe.
Il s’ensuit au moins une troisiĂšme condition indispensable qui est une participation active Ă  l’évolution humaine dont le chercheur puisse ĂȘtre conscient. Cela expliquerait que ni HadĂšs, dieu de l’inconscient, ni les Moires par exemple ne figurent parmi les douze.
Les mortels divinisĂ©s, tels HĂ©raclĂšs ou GanymĂšde, ne peuvent appartenir Ă  ce cercle restreint parce qu’ils ne remplissent pas la premiĂšre condition.
Pour faire figurer Dionysos parmi les douze, il Ă©tait donc nĂ©cessaire que SĂ©mĂ©lĂ© ait un statut d’immortelle. C’est pourquoi Dionysos dut descendre chez HadĂšs pour rechercher sa mĂšre et lui confĂ©rer ce statut. Certains auteurs pouvaient alors le faire figurer parmi les forces qui participent au yoga, en remplacement, bien sĂ»r, d’un autre dieu.

De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les Ă©pisodes concernant la maturitĂ© du dieu sont expliquĂ©s par les spĂ©cialistes du monde grec comme un refus de l’introduction du culte Dionysiaque. Dans la prĂ©sente Ă©tude, il s’agirait plutĂŽt d’une mise en garde des chercheurs qui sont invitĂ©s Ă  Ă©viter de « tirer » Ă  eux les puissances spirituelles et Ă  se mĂ©fier des extases se produisant dans des natures manquant de purification et de maĂźtrise.

Dionysos et Lycurgue

Lycurgue, fils de Dryas, poursuivit Dionysos et ses nourrices jusqu’au bas de la montagne sacrĂ©e Nysa (ou NysĂ©ion) en les frappant avec un aiguillon, ce qui causa une telle frayeur au petit Dionysos que ce dernier plongea sous la mer oĂč il fut recueilli par la dĂ©esse ThĂ©tis. Zeus priva alors Lycurgue de la vue et ce dernier vĂ©cut trĂšs peu de temps aprĂšs cela, car il Ă©tait haĂŻ des dieux immortels.

La version du mythe de Lycurgue exposĂ©e ici est celle d’HomĂšre. (Celle d’Apollodore situe l’épisode alors que Dionysos est dĂ©jĂ  adulte.)
Son interprétation peut varier selon le sens donné au nom Lycurgue.
Lycurgue est un fils de Dryas « l’arbre » ou « le chĂȘne ». Le chĂȘne vert, symbole de force, est l’arbre consacrĂ© Ă  Zeus. De grands chĂȘnes croissent dans la forĂȘt de Dodone en Épire, lieu oĂč se tient l’oracle de ce dieu. Dryas reprĂ©sente donc un mouvement issu du plus haut de la nature vitale qui « pourchasse » ce qui veille sur la croissance de cette possibilitĂ© de pĂ©nĂ©tration du Divin dans l’ĂȘtre (les nourrices).
Dans de nombreuses versions, Lycurgue est un roi de Thrace. Il représente donc un obstacle qui surgit chez les chercheurs pratiquant une puissante ascÚse (tels que le doute, la tradition établie, etc.).
Dans une premiĂšre interprĂ©tation, Lycurgue signifierait « celui qui repousse la lumiĂšre naissante, λυÎș+eÏÎłÏ‰Â Â». Ce sens semble toutefois contredit par les mythes dans lesquels figurent des Lycurgue homonymes.
Chez Sophocle, Lycurgue est roi des Édoniens. Il serait alors une expression du « plus haut du plaisir, de la jouissance » qui fait obstacle Ă  la pĂ©nĂ©tration du Divin dans l’ĂȘtre.
Dans l’interprĂ©tation opposĂ©e, Lycurgue exprimerait « le dĂ©sir passionnel de la lumiĂšre, λυÎș+ÎżÏÎłÎ·Â Â» et donc un mouvement Ă©galement trop empreint de vital. Fils de Dryas, il symboliserait alors un dĂ©sir vital trop puissant de cette possession par le Divin, dĂ©sir qui deviendrait de la mĂȘme maniĂšre un obstacle.

Dans tous les cas, il s’agirait d’une incompatibilitĂ© entre la descente dans l’ĂȘtre du Divin et le vital non rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©. PhĂ©rĂ©cyde abonde dans ce sens en affirmant que les nourrices sont les Hyades, sƓurs des PlĂ©iades, symboles des Ă©tapes qui comblent la sĂ©paration dans le vital. Cette descente peut seulement ĂȘtre pleinement rĂ©alisĂ©e lorsque le chercheur a dĂ©passĂ© les dualitĂ©s vitales, l’attirance et le dĂ©goĂ»t, le j’aime/j’aime pas.
L’exigence d’une soumission intĂ©grale Ă©tant impossible pour les dĂ©butants et mĂȘme encore trĂšs longtemps sur le chemin, cette « capacitĂ© d’ouverture » doit d’abord grandir au contact des forces vitales pures (Dionysos cherche refuge aux racines de la vie, lĂ  oĂč la joie vitale est pure, chez la dĂ©esse ThĂ©tis, mĂšre d’Achille et fille de NĂ©rĂ©e « le vieillard de la mer »).
Le plus haut dans la conscience du chercheur l’oblige alors Ă  un retournement vers l’intĂ©rieur (Lycurgue est privĂ© de la vue par Zeus) afin qu’il comprenne pourquoi ce nouvel Ă©tat s’est temporairement Ă©vanoui (Dionysos s’est rĂ©fugiĂ© dans le subconscient vital).
Dans un yoga bien menĂ©, dans un effort juste qui n’est pas contrainte, cette opposition du vital non purifiĂ© ne peut durer longtemps, car elle ne rĂ©siste pas aux forces qui soutiennent l’évolution (les dieux haĂŻssaient Lycurgue et celui-ci vĂ©cut trĂšs peu de temps).
La tradition post-homĂ©rique raconte que Dionysos rendit fou Lycurgue, lequel prenant son fils Dryas pour une vigne, lui coupa les extrĂ©mitĂ©s des membres : Lycurgue, Ă  travers son fils, devenait ainsi incapable d’agir.

Dionysos et les pirates

Ce mythe concerne l’opposition qui se lĂšve lorsque « l’ouverture » devient consĂ©quente. Il fait pendant en quelque sorte Ă  celui du Minotaure, car il exprime aussi une volontĂ© de l’ego de s’approprier les bĂ©nĂ©fices de la progression.
Des pirates s’emparĂšrent de Dionysos qui leur Ă©tait apparu sur le rivage sous les traits d’un bel adolescent. Voyant qu’ils pourraient en tirer profit, ils essayĂšrent de le ligoter, mais les liens se dĂ©tachĂšrent aussitĂŽt. Le pilote du navire pressentit alors la vraie nature du prisonnier et tenta en vain de convaincre les autres de le relĂącher mais le capitaine s’y refusa. Alors du vin parfumĂ© se rĂ©pandit dans le navire et une vigne portant de beaux fruits envahit les mĂąts. Ces signes terrifiĂšrent les marins. Dionysos se changea ensuite en un lion effroyable puis fit apparaĂźtre un ours pour dĂ©montrer sa puissance.
Le lion dévora le capitaine et les autres marins, hormis le pilote qui fut sauvé par le dieu ; ils se jetÚrent dans la mer et furent changés en dauphins.

Lorsque l’ouverture et la joie intĂ©rieure deviennent manifestes, des Ă©lĂ©ments Ă©gotiques dans l’ĂȘtre veulent en tirer profit (les pirates voulurent entraver Dionysos « adolescent »). Seul le pilote, celui qui oriente le yoga, pressent l’origine de cette joie croissante et essaye en vain de convaincre sa nature rebelle. Il s’appelait HĂ©cator, nom qui peut ĂȘtre rapprochĂ© de celui d’HĂ©cate « celle qui vise des buts lointains » ou « celle qui est hors de l’aveuglement de l’esprit », cousine germaine d’Apollon et ArtĂ©mis par AstĂ©ria, sƓur de LĂ©to.
Pour contrer ces mouvements captateurs, « l’ouverture Ă  la possession par le Divin » utilise les moyens mĂȘme de l’ego (Dionysos se change en lion) avant de dĂ©montrer sa puissance (l’ours).
Seul le pilote fut sauvé par Dionysos.

Dionysos et les Minyades

Cette histoire traitĂ©e au chapitre deux (Les cinq premiers enfants d’Éole) rend compte du diffĂ©rend qui oppose ceux qui donnent la prioritĂ© Ă  la recherche des vertus ou aux exercices ascĂ©tiques et se mĂ©fient des voies qui entrainent des manifestations de dĂ©votion extatique. Ce qui est exposĂ© ici comme un conflit extĂ©rieur peut ĂȘtre Ă©galement une opposition intĂ©rieure.
Cette histoire semble concerner plus particuliÚrement les occidentaux qui ont une espÚce de recul instinctif devant les manifestations extérieures de la dévotion
Rappelons que les Minyades refusaient de suivre les mystĂšres de Dionysos, niant mĂȘme la divinitĂ© du dieu. PrĂŽnant les travaux d’AthĂ©na, elles rĂ©prouvaient la conduite dĂ©rĂ©glĂ©e des Bacchantes qu’elles accusaient de cĂ©lĂ©brer dans l’oisivetĂ© un culte chimĂ©rique. Tout en travaillant sur leurs mĂ©tiers Ă  tisser, elles se racontaient des histoires Ă©difiantes.

Une histoire similaire de refus de suivre les rites de Dionysos a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©e au premier chapitre avec la folie des filles de ProĂŻtos. Elle soulignait les risques de dĂ©rĂšglements provoquĂ©s par des expĂ©riences ou des constructions spirituelles rĂ©alisĂ©es dans les mondes de l’esprit avec un refus du chercheur d’inclure dans le yoga plus de dĂ©votion.

Dionysos et Icarios

Sous le rĂšgne de Pandion I, Dionysos rendit visite Ă  Icarios et lui offrit du vin. Ce dernier vivait prĂšs d’AthĂšnes avec sa fille Érigone qui n’était pas encore mariĂ©e. Voulant rĂ©pandre les bienfaits du dieu, Icarios distribua cette nouvelle boisson aux bergers qui la trouvĂšrent agrĂ©able et la burent sans y ajouter d’eau. Pris d’ivresse, ils se crurent empoisonnĂ©s et tuĂšrent Icarios. Sa fille se pendit et son chien se laissa mourir auprĂšs d’elle.

Cette histoire se dĂ©roule sous le rĂšgne du roi d’AthĂšnes Pandion I, c’est-Ă -dire dans les dĂ©buts de la quĂȘte lorsque le chercheur qui se donne au Divin a encore une forte tendance Ă  travailler en force pour obtenir la maĂźtrise. Le personnage d’Icarios doit ĂȘtre rapprochĂ© de celui d’Icare « l’intelligence habile » mise au service de la maĂźtrise de soi et non plus Ă  celui de la purification. Elle avertit du risque que cette « conscience mentale habile » (Icarios) veuille utiliser l’extase divine au profit d’élĂ©ments qui ne sont pas prĂȘts Ă  la recevoir pure (les bergers). Et la perturbation introduite dans ces structures mentales Ă©lĂ©mentaires dĂ©truisent cette intelligence habile (les bergers tuent Icarios), l’élaboration de son but (sa fille) et son intuition (son chien).

Dionysos et Ariane

Selon la ThĂ©ogonie d’HĂ©siode, Ariane, rendue immortelle par Zeus, Ă©pousa Dionysos.
PhĂ©rĂ©cyde ajoute qu’elle fut abandonnĂ©e sur l’üle de Dia par ThĂ©sĂ©e sur l’ordre d’AthĂ©na alors qu’ils revenaient de CrĂšte aprĂšs la mort du Minotaure. La dĂ©esse lui annonça alors qu’elle deviendrait l’épouse de Dionysos, ce qui se produisit peu aprĂšs lorsque le dieu fit son apparition sur l’üle.
HomĂšre prĂ©sente une version bien diffĂ©rente des autres auteurs puisqu’il ne semble pas unir Dionysos et Ariane. Un passage de l’OdyssĂ©e relate ainsi l’histoire : « Ulysse rencontra Ariane au royaume d’HadĂšs. ThĂ©sĂ©e l’avait autrefois enlevĂ©e de CrĂšte puis emmenĂ©e vers la colline de la sainte AthĂšnes, mais il n’avait pu jouir de son rapt. En effet, Ariane fut dĂ©noncĂ©e par Dionysos et pĂ©rit frappĂ©e par ArtĂ©mis dans l’üle de Dia cernĂ©e par les flots. »

Dionysos et Ariane entourés de satyres

Dionysos et Ariane entourĂ©s de satyres  – Metropolitan Museum of Art 

Ariane est une fille de Minos « l’évolution de la consĂ©cration » et de PasiphaĂ© « celle qui rayonne pour tous », elle-mĂȘme fille du soleil HĂ©lios. Petite-fille d’Europe « une large vision » ou « grande ouverture de conscience », elle reprĂ©sente « le mouvement juste de la conscience pour l’évolution vers l’union », ce qui permet de se sortir des enfermements.
Dans la tradition homĂ©rique, l’union Dionysos-Ariane ne peut s’effectuer dans le yoga ordinaire par manque de purification (Ariane est tuĂ©e par ArtĂ©mis). Elle a donc lieu dans l’HadĂšs, selon HĂ©siode : au niveau du yoga corporel, les voies de la dĂ©votion et des Ɠuvres ont convergĂ© vers une mĂȘme rĂ©alisation.
Mais cette derniĂšre doit d’abord ĂȘtre parvenue Ă  la non-dualitĂ© (rendue immortelle par Zeus pour devenir l’épouse de Dionysos nĂ© immortel).
La couronne d’or offerte par ce dernier reprĂ©sente l’ouverture la plus parfaite de la conscience.

Les enfants de Dionysos

Dans les sources archaĂŻques, Dionysos n’a pas d’enfants. Selon les traditions plus tardives, il en aurait eu plusieurs d’Ariane parmi lesquels Oinopion « la joie dans l’incarnation », Thoas « l’impĂ©tuosité » ou « l’intĂ©riorité », Staphylos « grappe de raisin (ce qui annonce l’extase) ».
Enfin, Apollodore fait de DĂ©janire « le dĂ©tachement » la fille Ă  la fois d’Oineus « l’ivresse » comme pĂšre humain dans la lignĂ©e de ProtogĂ©nie (Japet) et de Dionysos « l’extase » comme pĂšre divin, ce qui laisserait entendre que le vrai « dĂ©tachement » se situe Ă  la convergence de deux grandes unions mystiques, celle dans le Soi et celle du Divin qui prend possession de l’ñme.

Attributs de Dionysos

Dionysos et ses MĂ©nades sont porteurs du thyrse. C’est un bĂąton surmontĂ© d’une pomme de pin, symbole de l’essence de la connaissance secrĂšte qui atteste que celui qui est possĂ©dĂ© par le Divin accĂšde Ă  la vraie Connaissance.
(Le nom « thyrse » signifierait avec les lettres structurantes « le juste mouvement Ă  l’intĂ©rieur dans un Ă©tat de rĂ©ceptivité ».)

Polydoros

Si les filles de Cadmos et d’Harmonie peuvent ĂȘtre associĂ©es Ă  la prise de conscience de certains buts Ă  rĂ©aliser dans cette voie de la recherche de l’harmonie, Polydoros reprĂ©sente davantage la partie directement active. L’ensemble doit permettre de rĂ©aliser « l’exactitude », c’est-Ă -dire apporter « la juste vision dans le mental, la juste impulsion et le juste sentiment dans le vital, le juste mouvement et la juste habitude dans le physique ».
Son nom signifie le plus probablement « celui qui se donne beaucoup, le don de soi » sans que l’on puisse Ă©carter tout Ă  fait le sens des « nombreux dons (que l’on reçoit) », dons que l’on peut supposer ĂȘtre des dons spirituels parmi lesquels des capacitĂ©s crĂ©atrices nouvelles, principalement dans le domaine des arts.

Rien ne permet d’affirmer avec certitude que, dans les mythes primitifs, Polydoros ait eu une descendance. Ce n’est qu’à la fin du Ve siĂšcle que la liaison avec ƒdipe est Ă©tablie, dans les Ă©crits d’HĂ©rodote et des Tragiques (Eschyle, Sophocle et Euripide). Toutefois, comme ce dernier hĂ©ros est associĂ© Ă  des mythes traitant Ă©galement de purification et de rĂ©-harmonisation – les guerres des Sept contre ThĂšbes et celle des Épigones -, la filiation semble cohĂ©rente.

En revanche, le rattachement d’Antiope Ă  Polydoros est plus complexe Ă  saisir, car deux filiations distinctes sont donnĂ©es, conduisant Ă  deux chronologies diffĂ©rentes de la fondation de ThĂšbes qui marquent l’entrĂ©e dans le processus de purification active.
Nous traiterons les histoires concernant Antiope et ses fils Amphion et ZĂ©thos dans un prochain chapitre, avec la lignĂ©e de Polydoros. Mentionnons seulement ici que les dĂ©buts du processus sont marquĂ©s par une erreur d’orientation de yoga reprĂ©sentĂ©e par Lycos et son Ă©pouse DirkĂ©. Celle-ci maltraita Antiope durant de nombreuses annĂ©es : le chercheur perçoit dĂ©jĂ  quelques lueurs de vĂ©ritĂ© (Lycos) mais se dirige dans une fausse direction (le nom DirkĂ© indique une inversion par rapport Ă  DikĂ© «  juste maniĂšre d’agir »). Dans le mĂȘme temps, les bases du processus de purification sont posĂ©es relativement facilement tandis que le chercheur commence Ă  faire l’expĂ©rience de « la nuit ». Polydoros s’unit en effet Ă  NyctĂ©is « la nuit », sƓur d’Antiope, qui lui donna un fils Labdacos, pĂšre de LaĂŻos et grand-pĂšre d’ƒdipe.

Annexe : Le dieu Pan, les Satyres et les SilÚnes, les CourÚtes, les Corybantes, les Cabires et les Telchines

Ces divinitĂ©s mineures qui interviennent peu dans les grands mythes sont dĂ©crites dans des sources contradictoires et souvent obscures. Suivre l’évolution de leur symbolisme au cours du temps nĂ©cessiterait donc une Ă©tude particuliĂšre qui sort du cadre de cet ouvrage.

Le dieu Pan

Nous traitons ici ce dieu car il est souvent citĂ© comme faisant partie du cortĂšge de Dionysos. Il est souvent comparĂ© aux Satyres et aux SilĂšnes car son apparence est proche de la leur. Toutefois, contrairement aux premiers, Pan est un dieu. Il n’a pas non plus d’affinitĂ© pour la boisson qui favorise l’émergence du vital non purifiĂ©. Ses cornes, ses oreilles et ses pattes de bouc doivent donc relever d’un autre symbolisme : celui des attributs de la chĂšvre qui accĂšde Ă  l’Esprit par le plus haut du vital, et non celui d’une force vitale brute. (On se souviendra que Zeus fut allaitĂ© par une chĂšvre, AmalthĂ©e).

Il est presque inconnu dans les temps archaĂŻques, car seul l’hymne homĂ©rique Ă  Pan composĂ© postĂ©rieurement au VIe siĂšcle en atteste l’existence. Son influence s’est affirmĂ©e Ă  l’époque classique et il semble ĂȘtre devenu progressivement une divinitĂ© importante de l’Orphisme. Il est en effet souvent reprĂ©sentĂ© dans la suite de Dionysos.
Selon l’hymne homĂ©rique, il est nĂ© en Arcadie sur le mont CyllĂšne, d’HermĂšs et d’une Nymphe dont le dieu tomba amoureux.
Selon d’autres sources, il serait le fils de PĂ©nĂ©lope et d’Ulysse, ou mĂȘme d’Apollon.
Quelle que soit sa filiation, elle renvoie toujours Ă  des expĂ©riences trĂšs avancĂ©es sur le chemin : soit au plus avancĂ© des chercheurs (Ulysse), soit au surmental (HermĂšs), soit encore au rayonnement de l’ĂȘtre psychique (Apollon).
Fils d’HermĂšs, il reprĂ©sente une rĂ©alisation du surmental, la capacitĂ© de descendre dans les couches profondes du vital et/ou d’atteindre ses sommets. Le pĂšre n’est en aucune façon troublĂ© par l’apparence rustre de son fils, car seul le plus haut du mental peut intĂ©grer la totalitĂ© de l’ombre.
Sa mĂšre, une nymphe fille de Dryops, exprime « la conscience ou la vision dans le vital » Ă  un niveau trĂšs archaĂŻque du dĂ©veloppement humain. Elle correspond aux Ă©nergies de la nature qui animent « l’arbre », et mĂȘme le plus Ă©voluĂ© d’entre eux, le « chĂȘne » (Dryas). L’Arcadie, province dans laquelle est situĂ©e la ville d’Olympie, est Ă©galement le symbole d’une rĂ©gion trĂšs avancĂ©e de la quĂȘte.

Pan est donc l’expression d’une force ou d’un plan que le chercheur rencontre dans les stades avancĂ©s de la quĂȘte, un plan aux racines de la vie oĂč tout est considĂ©rĂ© et intĂ©grĂ©, en accord avec le nom du dieu « Pan (ΠαΜ, tout) ». Il exprime l’intĂ©gration de l’ombre inhĂ©rente Ă  la plongĂ©e dans les couches du vital archaĂŻque et la rĂ©vĂ©lation du « vital vrai » ou « vital cosmique (Pan) ». C’est pourquoi, dĂšs sa naissance, HermĂšs le prĂ©senta Ă  Zeus et aux autres immortels qui tous sans exception se rĂ©jouirent. Car si Pan avait une allure quelque peu inquiĂ©tante qui pouvait causer des « paniques sans fond (qui submergent le chercheur) », il Ă©tait « joyeux au fond du cƓur » : seul un chercheur parvenu sur le plan surmental peut rencontrer Pan sans ĂȘtre dĂ©stabilisĂ© par ce que reprĂ©sente ce dieu-chĂšvre et trouver la joie au-delĂ  de toute peur.
Symbole de la jonction surmental-vital profond et de la joie qui accompagne la dĂ©couverte du vital vrai, il devint un grand dieu de l’Orphisme.

Pan est aussi dotĂ© d’une vue perçante qui l’apparente aux voyants (dotĂ©s de surcroĂźt de discernement) qui regardent le monde « d’en haut », car il surveille ses moutons depuis les cimes.
Comme son pĂšre, il joue magnifiquement de la flĂ»te (la Syrinx) dont les auteurs tardifs lui attribuent l’invention (alors que ce fut HermĂšs son inventeur dans la tradition classique, aprĂšs que ce dernier eut donnĂ© la Cithare Ă  Apollon.) Il est donc l’expression d’une certaine capacitĂ© d’adhĂ©sion au « rythme » et Ă  « l’harmonie » (l’exactitude et la puretĂ©).

Expression du surmental, il put intervenir avec son pĂšre HermĂšs pour tirer d’un mauvais pas son grand-pĂšre Zeus aprĂšs que celui-ci eut vaincu les gĂ©ants (lors d’un combat qui se produit Ă  un stade trĂšs avancĂ© sur le chemin et que nous aurons l’occasion d’étudier plus loin.). Selon Apollodore, Typhon avait des ailes sur tout le corps, sa taille Ă©tait si dĂ©mesurĂ©e qu’il dĂ©passait toutes les montagnes et que souvent mĂȘme sa tĂȘte touchait les astres. Le haut de son corps n’était qu’entrelacement de serpents. Durant le combat, il sectionna les nerfs des mains et des pieds de Zeus (ou ses tendons) et les dissimula. HermĂšs et Pan les dĂ©robĂšrent et les remirent en place dans le corps du dieu, ce qui permit sa victoire finale.
Dans les luttes du yoga les plus avancĂ©es, le processus d’expansion de la conscience (Zeus) perd sa facultĂ© d’action (les tendons coupĂ©s) et ne peut vaincre Ă  lui seul l’ignorance fondamentale (Typhon) si n’intervient le surmental (HermĂšs) et sa capacitĂ© d’intĂ©gration de l’ombre qui ouvre sur le vital vrai ou vital cosmique (Pan).
La littĂ©rature tardive, sous l’influence du christianisme, donna une image dĂ©voyĂ©e de ce dieu qui fut, semble-t-il, trĂšs honorĂ© dans l’Orphisme. Elle le montre poursuivant les nymphes dans la campagne, la plupart du temps sans succĂšs.

Les Satyres et les SilĂšnes

Les plus anciennes sources font des Satyres et des SilÚnes (qui sont les plus ùgés des Satyres) des descendants de Phoronée. Elles les décrivent comme sans valeur et inaptes au travail et ne mentionnent de lien ni avec HermÚs ni avec Dionysos.
Les premiĂšres reprĂ©sentations figurĂ©es les dĂ©peignent comme des ĂȘtres mi-humains mi-Ă©quins accompagnant le cortĂšge de Dionysos.
Puis ils Ă©voluent vers l’humain avec seulement quelques particularitĂ©s animales, d’abord Ă©quines puis caprines (queue, oreilles, protubĂ©rances cornues). Ils sont alors munis de thyrses et de flĂ»tes de Pan.
Le plus souvent citĂ©s comme des fils d’HermĂšs et des participants au cortĂšge de Dionysos, ils seraient dans ce dernier cas des expressions joyeuses du surmental associĂ©es Ă  la voie de la jouissance divine.

Les CourĂštes, Corybantes, Dactyles, Telchines et Cabires

Notre propos n’est pas d’en faire ici une Ă©tude approfondie car ils interviennent peu dans les grands mythes.
Leurs lieux de rĂ©sidence pourraient donner une premiĂšre indication. Les Dactyles du mont Ida « l’union » pourraient concerner la rĂ©alisation de la non-dualitĂ© en l’esprit (Zeus est nĂ© sur ce mont). Les Telchines de l’üle de Rhodes « rose » seraient liĂ©s Ă  la croissance de l’ĂȘtre psychique tandis que les CourĂštes et les Corybantes « les inspirĂ©s » de Phrygie « brĂ»ler » concerneraient la croissance du feu intĂ©rieur, tout comme les Cabires.

Le nom CourĂštes signifie « jeunes guerriers », symbole des chercheurs qui s’engagent sur le chemin. Ou encore, avec ÎșÎżÏ…ÏÎżÏ‚ et la lettre structurante T, ils reprĂ©sentent une aide pour le chercheur « qui commence Ă  aspirer ».
En se livrant Ă  de bruyantes danses guerriĂšres, ils permirent la croissance de Zeus Ă  l’abri des recherches de son pĂšre Cronos. Dans certaines lĂ©gendes, Zeus sortit mĂȘme de leur tĂȘte : ils auraient ainsi permis l’émergence de « la conscience humaine » mentale supra-consciente. Ils existaient donc lors de l’Âge d’or, sous le rĂšgne de Cronos, pendant la croissance vitale de l’humanitĂ©.
On dit qu’ils inventĂšrent l’art de travailler le mĂ©tal (la confection des premiers outils efficaces pour les labours, la chasse, etc., c’est-Ă -dire les premiers outils pour le travail sur soi et pour la quĂȘte), la garde des troupeaux (la concentration, la conservation des expĂ©riences et des rĂ©alisations, etc.), l’art de la chasse (la vigilance, la conscience tĂ©moin et le discernement) et celui de l’élevage des abeilles (la croissance de l’ĂȘtre psychique), autrement dit les prĂ©liminaires du chemin spirituel.

Les Cabires sont liĂ©s aux MystĂšres de Samothrace, lieu d’initiation probablement davantage rĂ©servĂ© aux petits MystĂšres. Dans un drame perdu d’Eschyle, ils auraient accueilli les Argonautes. On les appelait « les grands et puissants dieux ». Ils Ă©taient censĂ©s protĂ©ger les initiĂ©s de tous les dangers, et plus spĂ©cialement de ceux de la mer, les dangers issus du plan vital.