EUROPE, THÉSÉE ET LE MINOTAURE, DÉDALE ET ICARE

Dans cette page est proposée une interprétation de plusieurs grands mythes : Europe, Thésée et le Minotaure, Dédale et Icare. Est exposée en particulier une grande erreur spirituelle symbolisée par le Minotaure et le labyrinthe construit par Dédale pour l’abriter.

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Europe sur le dos de Zeus transformé en taureau

Europe sur le dos de Zeus transformé en taureau

Europe est le symbole d’une ouverture de conscience et son fils Minos d’une réceptivité qui s’unit à une lumière supérieure (Pasiphaé). Mais par suite d’un manque de purification, le chercheur va mettre cette lumière au service d’un pouvoir de réalisation, ce qui va générer la grande aberration spirituelle du Minotaure. Le chercheur va de plus édifier autour de cette aberration une forteresse mentale, le labyrinthe.

Si l’on n’est pas sincère, si l’on accorde plus d’intérêt à satisfaire l’ego, à être un grand yogi, à devenir un surhomme, qu’à rencontrer le Divin ou à acquérir la conscience divine qui vous permettra de vivre dans le Divin ou avec lui, alors un flot de pseudo-expériences ou d’expériences falsifiées s’introduit, on est conduit dans les dédales de la zone intermédiaire, ou on tourne en rond dans les ornières de ses propres formations.

Sri Aurobindo

Europe, Minos, Pasiphaé et le Minotaure

Voir Arbre généalogique 23

Avec ce chapitre et les deux suivants, nous revenons à la descendance d’Océanos et donc au chemin de purification-libération qui prolonge l’effort de rassemblement de l’être (ou de concentration de la conscience) initié avec son fils Inachos, lequel donna son nom à la lignée (les Inachides).
Rappelons que cette lignée concerne la « psychisation » de l’être (la venue au premier plan de l’être psychique) par la voie de la nature en perfectionnant, purifiant et libérant ses processus.
Avant d’entrer en détail dans le mythe d’Europe, il n’est sans doute pas inutile de rappeler brièvement la succession généalogique que nous avons examinée dans le chapitre consacré aux ancêtres d’Héraclès.
Inachos « l’évolution du rassemblement de la conscience » fut suivi de Phoronée « celui qui porte l’évolution », puis de Niobé « la Mère des vivants », symbole de celui qui s’engage sur le chemin de l’éveil après avoir eu une première expérience de contact avec « Cela qui existe vraiment ». Viennent ensuite les deux fils de Niobé, Argos « le lumineux » et Pelasgos « le sombre », représentant les deux parties opposées de la nature du chercheur engagées ensemble dans la quête.

La lignée se poursuit avec une première ouverture de la conscience, Io et son fils Épaphos « l’attouchement du divin», symbole d’un premier contact extrêmement fugitif avec le Réel. Ce premier contact est sans doute une expérience commune à tous les hommes, même si elle est la plupart du temps confondue avec une joie vitale et ne laisse qu’une trace très vague dans la conscience.
Cette ouverture est de courte durée car le mouvement qui met en chemin – le manque ou le besoin – n’est pas encore assez puissant pour projeter l’être dans une quête consciente. Il s’ensuit une longue période de maturation durant laquelle le futur chercheur subit l’épreuve de la « liberté » : c’est l’évolution de l’individuation dans l’incarnation représentée par Libye, symbole d’une évolution subconsciente car cette héroïne est unie au dieu Poséidon.
De cette union naquit des jumeaux, Bélos et Agénor.
La descendance de Bélos « l’incarnation de la libération » qui décrit les nécessités de cette voie a déjà été étudiée en grande partie dans la descendance de Bélos avec le mythe de Persée et les six premiers travaux d’Héraclès.

Nous allons suivre dans ce chapitre l’une des deux branches de la descendance d’Agénor « le courageux, le noble » ou encore « celui qui conduit l’évolution dans l’incarnation », personnage dont la lignée concerne davantage les expériences et les obstacles rencontrés sur cette voie (Cf. Planche 23).

Agénor s’installa en Phénicie. Selon les auteurs, sa femme est nommée Argiopé « vision claire » ou Téléphassa « la pureté au loin (la colombe) », noms qui tous deux évoquent le processus de purification. La colombe est en effet symbole de la paix, mais surtout celui de la pureté (toujours au sens de « chaque chose à sa place »).

Nous avons considéré ici les filiations données par Apollodore, mais il faut préciser qu’il y a de très nombreuses incertitudes généalogiques autour de Bélos et d’Agénor qui ont été examinées par Timothy Gantz. Nous en retiendrons que chez certains auteurs, une première épouse d’Agénor nommée Damno « la maîtrise » eut trois enfants, deux filles et un fils, Phénix. (Les deux filles épousèrent leurs deux cousins, Danaos et Égyptos, ancêtres d’Héraclès que nous avons déjà rencontrés.) Le nom Damno décrit une maîtrise réalisée par la puissance de la volonté personnelle, la capacité d’être « maître en sa demeure ». C’était sans doute l’un des premiers accomplissements exigés par les initiés à l’entrée sur le chemin.
Agénor eut alors pour seconde épouse Téléphassa, qui lui donna une fille et un fils, Europe et Cadmos. C’est à l’histoire d’Europe et de sa descendance que nous allons nous intéresser ici, celle de Cadmos faisant l’objet du prochain chapitre.

Tandis que le chercheur progresse dans les efforts de purification décrits par le mythe de Persée et les six premiers travaux d’Héraclès, il ouvre sa conscience et acquiert une vision plus vaste et plus vraie symbolisée par Europe. (Pour Homère, Europe est fille de Phoinix, lui-même fils d’Agénor. Avec les lettres structurantes, le nom Phoinix peut être compris comme « l’évolution de la descente dans l’être d’une luminosité ».)

Bien qu’il n’y ait pas de corrélation précise entre la progression dans les plans de conscience et les expériences vécues dans cette voie de libération, on peut remarquer qu’Agamemnon et Ménélas descendent de Stéropé par leur grand-mère paternelle et d’Europe par leur mère Aéropè. Ce qui impliquerait une certaine équivalence de niveau entre l’accès au mental supérieur (Stéropé est la quatrième des Pléiades) et l’expérience représentée par Europe.
Mais la prudence qui conduisit les Anciens à séparer soigneusement la description des travaux des expériences rencontrées sur le chemin (même si des auteurs tardifs se sont risqués à proposer des équivalences) prévaut également ici.

Selon les spécialistes, l’étymologie du mot Europe est obscure. Deux pistes d’interprétations peuvent être suivies ici. Soit on considère le mot construit avec ευρυ et οψ, ce qui donne une « large vision », soit avec les lettres structurantes ευρυ+Π « un large équilibre » ou « une large maîtrise ».
Compte tenu de sa place dans les arbres généalogiques, la seconde hypothèse semble la plus vraisemblable, d’autant plus que les devins ne figurent pas dans sa descendance mais dans celle de l’ascension des plans de conscience ou dans celle d’Apollon.
(Si l’on adopte la « vision large », il ne faut pas la considérer comme une conséquence du développement mental mais plutôt comme une ouverture de la conscience résultant de la purification et permettant d’approcher davantage la Vérité.
Un grand nombre d’enseignements spirituels emploient également le terme « voir », car ce qui est éprouvé par le chercheur se rapproche souvent davantage de la « vision » que de la « sensation » qui, elle, concerne plutôt les débuts du chemin.)

Europe et ses enfants

Europe était si belle que Zeus en tomba amoureux.
Tandis qu’elle cueillait des fleurs avec ses suivantes dans une prairie de Phénicie, Zeus vint s’allonger à ses pieds sous la forme d’un taureau d’une éclatante blancheur. Selon certains, il avait une haleine de rose, et selon d’autres, il séduisit Europe en exhalant un crocus. Confiante, celle-ci le caressa et s’assit sur son dos. Aussitôt, le taureau s’élança dans la mer et nagea jusqu’en Crète. Là, Zeus s’unit à elle après avoir repris sa forme divine et de leurs amours naquirent deux enfants, Minos et Rhadamanthe (auxquels certains ajoutent Sarpédon).

Europe « un vaste équilibre (ou juste vision) » est belle : elle représente donc un premier mouvement « vrai » de purification de l’être extérieur qui permet à cette conscience élargie d’être contactée et fécondée par le plan supérieur de l’esprit (Zeus). Il y a toujours en effet une réponse des plans supraconscients lorsque la nature a atteint un niveau suffisant d’évolution, du fait de la mutuelle attirance de l’Esprit et de la Nature qui émerge de l’inconscience (le crocus semble en effet être ici le symbole d’une mutation, car c’est une fleur qui pousse au changement de saison). « L’haleine de rose » de Zeus désigne également un « souffle du nouveau », la rose étant le symbole de la renaissance spirituelle et de la grande délicatesse de l’éternel nouveau (celle d’Éos, la déesse « aux doigts de rose »).

Le plus haut de la conscience « soutient » cet élargissement de la conscience et cette maîtrise puis l’entraîne vers une nouvelle étape d’évolution. L’arrivée en Crète marque l’entrée dans une étape « protégée » du chemin, car nul étranger ne pourra y entrer ni en sortir, du moins jusqu’à ce que le géant de bronze Talos soit tué par Médée.
En outre, on peut considérer que le choix de la Crète revêt une triple signification :
Géographique, car elle fut le plus probablement le lieu de migration de la spiritualité dominante entre la Phénicie et la Grèce (Agénor venant d’Égypte, fonda son royaume en Phénicie).
Symbolique, car avec les lettres de son nom (ΚΡ+Τ), elle pourrait représenter une ouverture de la conscience selon le mouvement juste sur le plan de l’esprit. Sans doute peut-on aussi voir dans le taureau – symbole du pouvoir de réalisation du mental lumineux – le signe de l’appartenance de l’époque minoenne et de la Grèce archaïque à l’ère du taureau, époque qui constitua une transition du monde Égyptien antique marqué par le signe du Bélier au monde chrétien qui vit sa croissance sous celui des Poissons (cf. les ères zodiacales symboliques de 2160 ans).
Historique, par la succession des civilisations dominantes, Minoenne puis Mycénienne.

Avec l’intervention de Zeus, l’énergie spirituelle qui soutient le chercheur sous la forme d’un « pouvoir de réalisation du mental lumineux », l’emporte de son plein gré mais dans l’ignorance de sa destination. Il se retrouve alors à la fois en état « d’ouverture », de « maîtrise », et dans un certain isolement, ce qui permet une première fécondation par l’Esprit. Celle-ci produit une impulsion pour un nouveau travail de « justesse » selon le sens symbolique des deux enfants que Zeus engendra avec Europe, Minos et Rhadamanthe. Ils confirment une « psychisation » progressive de l’être qui amène le vrai discernement, la juste vision dans le mental, le sentiment vrai dans le vital et l’exactitude dans l’action.
La tradition tardive a fait de Sarpédon un troisième fils de Zeus et Europe, mais nous nous limiterons ici à la version homérique dans laquelle Sarpédon est petit-fils de Bellérophon, celui qui a vaincu l’illusion, et fils de Laodamie, celle qui a vaincu la « séparation » (fille que Bellérophon eut avec une princesse Lycienne, au pays de « la lumière naissante »). Il s’agit d’un stade plus avancé dans la progression spirituelle que celui représenté par Minos et Rhadamanthe

Minos et Rhadamanthe étaient réputés pour leur sagesse et leur justice.
Minos fut le premier civilisateur des Crétois et leur donna des lois remarquables directement inspirées par Zeus. Il fut célèbre aussi pour l’étendue de son empire maritime et fut même le premier à l’obtenir selon ce qu’affirme Apollodore.
Le nom de Minos, par ses lettres structurantes, indique une évolution de la « réceptivité » alliée à l’équilibre des mouvements de séparation (la conscience témoin) et d’identification (qui conduit à la vraie compassion). Il représente donc « la purification de l’intelligence » (l’intelligence la plus haute, la buddhi) afin de réaliser un juste équilibre et un parfait discernement. Il est le symbole de l’évolution du « juste » acquis par la combinaison de la distanciation et de l’identification. Le chercheur est réceptif aux messages du maître intérieur et s’est fixé une ligne de conduite dans son yoga qui lui est « venue » des hauteurs de l’esprit et non de son intellect ; il a obtenu une grande maîtrise sur le monde vital, émotions, pulsions, désirs, préférences, etc. (Il instaura des lois remarquables inspirées par Zeus et fut célèbre aussi pour l’étendue de son empire maritime).

Minos est donc le symbole de l’évolution de la « conscience discernante » la plus haute qui ne sera pas obtenue sans difficulté car le chercheur doit aussi apprendre par ses erreurs : ce sera l’expérience douloureuse du Minotaure.
Comme Cadmos et Europe sont frère et sœur, cette évolution s’effectue par l’implication dans le monde.
À terme, cette « conscience discernante » ou « intelligence purifiée » permettra au chercheur de s’aventurer dans l’inconscient corporel et d’y intervenir afin d’établir le juste mouvement et la juste habitude dans le physique (l’oméga de son nom indiquant en effet une ouverture vers le corps, la matière). En effet, selon Homère, Minos dispensait après sa mort la justice aux ombres dans le royaume d’Hadès. Il était en cela aidé par son frère Rhadamanthe, réputé pour sa sagesse et sa tempérance, et l’un des rares héros qui furent admis à séjourner dans l’île des Bienheureux.

À partir de Platon ou plus généralement lors du glissement des vérités mythologiques vers les croyances eschatologiques, il ne s’agira plus du royaume des ombres mais de celui des morts. À Minos et Rhadamanthe fut adjoint Éaque, le grand père d’Achille, parangon de rectitude. Triptolème « celui qui se bat sur trois fronts » (et donc sans doute dans les trois domaines de l’inconscient mental, vital et corporel) est parfois ajouté à cette liste.

En gage d’amour, Zeus fit à Europe plusieurs présents : un chien de chasse qui ne laissait échapper aucune proie, un épieu de chasse qui ne ratait jamais son but et le géant de bronze nommé Talos qui gardait la Crète de telle sorte que personne ne pouvait plus entrer ni sortir. Certains disent qu’il lui offrit aussi un merveilleux collier fabriqué par Héphaïstos.

Le géant Talos sera tué par Médée au retour de la quête de la Toison d’Or. Minos héritera du chien et de l’épieu qu’il transmettra à Procris, comme nous allons le voir plus loin. Quant au collier, il sera à l’origine de nombreuses aventures.
Lorsque vint le temps pour Zeus de se séparer d’Europe, il fit en sorte qu’elle épouse le roi de Crète Astérion (ou Astérios).

Lorsque le chercheur s’engage sérieusement dans la voie de purification et de libération, une aide issue des plans supérieurs lui est offerte.
Le premier cadeau est un géant de bronze dont le symbolisme a été examiné en détail dans le chapitre précédent. Rappelons qu’il représente une certaine détermination rigide dans la capacité de « mise à distance » ou « d’isolement » animée par une « Volonté » supérieure. La protection induite est surtout nécessaire au commencement du chemin, lorsque le chercheur travaille à sa purification afin de mettre chaque élément de sa nature « à sa juste place », avant que le « psychique » ne soit en mesure de le faire.
Le rôle de Talos « celui qui supporte, qui endure » est principalement d’éviter l’intrusion des étrangers, et donc pour le chercheur l’irruption d’éléments perturbateurs qui sont alors détruits au contact de cette « protection ». En effet, Talos faisait le tour de la Crète trois fois par jour, et se chauffant à blanc, prenait les étrangers dans ses bras afin de les faire périr.

  • Le second présent de Zeus à Europe fut un chien de chasse qui ne lâchait jamais sa proie.
    Les principales caractéristiques symboliques du chien sont le flair, la fidélité et la vigilance.
    Ici, l’action du chien ne lâchant pas sa proie témoigne d’une capacité à maintenir la conscience fixée sur le but poursuivi. Elle ne résulte pas de ce que l’on appelle d’ordinaire la volonté qui est un effort et une tension en vue de réaliser un but que l’on s’est fixé, mais plutôt d’une aspiration et d’une détermination. Celles-ci permettent d’abandonner sans effort, par un « flair » spirituel plus ou moins conscient, tout ce qui n’est pas en accord avec un chemin et une « tâche » dont les contours se distinguent à peine.
    Au lieu de se laisser entraîner dans la première voie qui se présente à lui – rappelons que le chercheur à ce stade est en quête du maître ou de sa voie – il fait des choix « instinctifs » plus ou moins conscients. Ces choix concernent bien évidemment les différentes voies spirituelles ou occultes qui se présentent sur son chemin. Ces choix s’imposent le plus souvent en contradiction avec ceux du monde en matière de réussite sociale, d’épanouissement relationnel ou de sécurité.
  • Comme troisième présent, Zeus donna à Europe un épieu de chasse qui ne manquait jamais son but : si le chien de chasse permet de garder le cap sans se disperser, l’épieu garantit la réalisation des objectifs.
    Une fois que le but est repéré par l’âme et toutes les énergies tendues vers sa réalisation, l’épieu donne les capacités nécessaires pour l’atteindre : ce qui est visé est automatiquement atteint. Là encore, comme c’est un cadeau de Zeus, il n’y a pas d’effort à faire ni de mise en œuvre de la volonté personnelle : tout est organisé par « une main supérieure » pour que se mette en place les éléments nécessaires à la réalisation de la « tâche ».

Mais cette aide ne sera pas maintenue au-delà du nécessaire. La « protection » sera supprimée après la première grande expérience de contact (le géant Talos sera tué par Médée). La « vigilance » et « l’attention » se retourneront alors contre le chercheur lorsque son mental voudra les récupérer à ses propres fins (Procris cèdera le chien et le javelot à Céphale qui la tuera par méprise).
Les « aides » sont en effet toujours données à des moments précis du chemin et pour un temps limité.

  • Le dernier cadeau de Zeus fut un collier. Il avait été forgé par Héphaïstos, le dieu générateur des formes nouvelles.
    Tout collier embellit, c’est-à-dire « rend vrai ». Il focalise l’attention sur la gorge, donnant plus de justesse à la parole émise ou plus généralement de nouvelles possibilités d’expression. Il établit un lien symbolique, ici avec les plus hauts plans de l’esprit (Zeus). C’est une capacité « de mise en ordre » en accord avec « l’exactitude » d’Harmonie. En effet, selon certains, Cadmos hérita ensuite du collier de sa sœur Europe et l’offrit à Harmonie en cadeau de noces. Il fut par la suite prétexte à diverses aventures.

En résumé, un travail de purification des mélanges et de suppression des limites afin de contacter et d’établir le « juste » en soi (Minos et Rhadamanthe) est impulsé par le supraconscient (Zeus) en résultat d’un élargissement de la conscience et d’une vaste maîtrise (Europe). En support, sont offerts plusieurs cadeaux : une protection des influences et forces extérieures, une certaine capacité de discernement, un soutien pour atteindre les buts visés et une capacité de mise en ordre dans l’expression. Un lien s’établit dans la conscience entre les hauteurs de l’esprit et l’être extérieur.

Avec Europe et ses enfants, le chercheur « déblaie » le chemin selon une progression qui est détaillée dans la quête de la Toison d’Or. Il doit progresser, sans renier sa participation au monde, dans le discernement et l’établissement de règles de conduite, vers ce qui est « juste ». Il doit devenir capable d’évaluer les éléments qui émergent de son subconscient, de porter un regard neuf sur les évènements de sa vie, une attention plus précise aux « signes » (par exemple à ses « rêves » qu’il peut apprendre à interpréter comme des indications ou des soutiens sur son chemin.)

Minos épousa Pasiphaé, l’une des deux filles d’Hélios, dont il eut quatre garçons et plusieurs filles parmi lesquelles Ariane et Phèdre.
En dehors de cette union légitime, il eut de très nombreuses liaisons, ce qui causa la colère de Pasiphaé qui lui jeta un sort : chaque fois qu’il s’unissait avec une autre femme, sa semence n’était que serpents et scorpions et celle-ci mourait.

Pasiphaé « celle qui rayonne pour tous » ou « en tout » représente le rayonnement de « la lumière de Vérité » vers laquelle tend le chercheur qui parfait « la purification de son intelligence discernante » (Minos) lorsqu’elle est située dans la descendance d’Hélios « la lumière supramentale ». Toutefois, une telle filiation n’est apparue que tardivement à partir d’Isocrate au IVe siècle av. J.-C. même si elle a été largement reprise par les auteurs postérieurs (Apollodore, Hygin, Diodore). Rappelons en effet qu’Aiétès et Circé sont les seuls enfants d’Hélios mentionnés dans les mythes primitifs.
Cette incertitude sur sa filiation peut donc conduire à des interprétations différentes selon que l’on considère qu’elle représente pour le chercheur l’expérience d’une vraie lumière issue du supramental et pénétrant dans l’être à travers le surmental, ou seulement celle de « formations » issues du mental ou du vital cosmique et manipulées par des forces de ces plans qui utilisent le chercheur pour se réaliser. Les expériences peuvent en effet tout aussi bien provenir des forces de la lumière que des forces de l’ombre. S’il n’y avait aucune déformation, si Pasiphaé était l’expérience d’une lumière non déformée symbolisée alors par une vache, elle pourrait s’unir au taureau sans problème. Si elle a besoin d’un artifice pour que l’union se réalise, soit l’expérience est celle d’une vraie lumière qui a ensuite été déformée par l’ego, soit elle est celle d’une fausse lumière (donc dénaturée dès l’origine).
Dans le premier cas, elle résulterait alors d’une expérience d’illumination dont la lumière a été déformée et pervertie dans sa descente à travers les plans du mental pour être « objectivée » par l’intellect. Cette interprétation serait conforme aux variantes qui décrivent la passion de Pasiphaé comme le résultat d’un « envoûtement » par Poséidon.
Comme le chercheur est très désireux de transformer l’expérience en réalisation mais ne sait comment opérer, il confie malencontreusement cette tâche à son « habilité mentale » (Dédale), ce qui donnera inévitablement naissance à une réalisation monstrueuse.
Si l’on rejette la filiation Hélios-Pasiphaé, le mythe ne permet pas de lever l’ambigüité (vraie ou fausse expérience de lumière). Mais dans tous les cas de figure, il s’agit d’une déviation se produisant pendant la traversée de ce que Sri Aurobindo appelle « la zone intermédiaire », traversée consécutive au manque de purification de l’être extérieur.
En examinant ce mythe dans le détail, nous adopterons la filiation qui a été le plus souvent adoptée par les Anciens, celle dans laquelle Pasiphaé est fille d’Hélios. Le Minotaure est alors la conséquence d’une expérience réelle d’illumination, que ce soit celle du cœur (une ouverture psychique) ou du mental.

(Pour être complet, il faut aussi mentionner la version très fragmentaire du Catalogue des Femmes dans laquelle le Minotaure est fils, non pas du taureau, mais de Minos : « Elle (Pasiphaé) conçut de Minos un enfant puissant et terrible, une merveille à voir ». Il s’agit alors d’un effort de purification de l’intelligence discernante qui prend pour but un rayonnement, union qui produit un monstre, ce qui suppose une déviance de l’un ou de l’autre.)

Il faut aussi noter que dans la mythologie primitive, les unions de déesses et de « mortels » étaient réprouvées par les dieux. Les seules exceptions furent les mariages de Cadmos et d’Harmonie, de Minos et Pasiphaé, puis de Thétis et Pelée. En effet, les dieux peuvent s’unir aux mortelles car des parties du chercheur appartenant à la dualité peuvent être soumises à des impulsions issues de la non-dualité. À l’inverse, un état de non-dualité (une déesse) ne peut d’ordinaire s’unir à un mouvement « séparé » (un mortel) car la dualité ne peut féconder l’unité.
Il y a toutefois trois exceptions notables.
Tout d’abord, l’union de Cadmos et d’Harmonie. Toutefois, dans la version de Samothrace, Harmonie n’est pas une fille d’Aphrodite et d’Arès, mais de Zeus et de la Pléiade Électre. Il ne semble donc pas qu’Harmonie ait été considérée comme une déesse à part entière.
La seconde exception est l’union de Thétis avec Pelée, l’un des mortels les plus « avancés » sur le chemin. Mais Thétis retourna aussitôt au fond de la mer, signe que la non-dualité vitale n’était encore qu’une réalisation future.
Enfin, l’union de Minos et Pasiphaé, troisième exception, ne figure pas dans les mythes archaïques. Elle porte en germe une chute spirituelle du fait que le mental et surtout le vital n’ont pas été suffisamment purifiés. C’est une telle chute qui est illustrée dans le mythe du Minotaure.

Les enfants légitimes de Minos et de Pasiphaé, ceux qui résultent d’une véritable purification de l’intelligence discernante tendant vers la lumière – Phèdre, Ariane, Catrée, Glaucos, etc. – expriment quant à eux les manifestations et les conséquences justes des expériences spirituelles résultant d’une progression de la psychisation de l’être.

Toutefois, au commencement du chemin, le chercheur est attiré par de multiples « buts » (différentes voies ou pratiques de yoga) sur lesquels il ne peut jamais rester fixé (représentés par les autres femmes de Minos qui meurent) car la purification de l’intelligence discernante et surtout la connaissance du « vrai but » ou de la « raison d’être » sont loin d’être acquis.
En tant que fille du Soleil, Pasiphaé dispose de pouvoirs « magiques » comme sa sœur Circé, c’est-à-dire de facultés totalement étrangères au vital ou au mental. Cette « lumière de Vérité » fait donc en sorte que les directions qui ne correspondent pas à son « chemin juste » soient abandonnées, quelle que soit par ailleurs leur valeur. Toute possibilité de s’y engager réellement est annihilée car le travail du chercheur dans chacune de ses voies porte en lui-même les germes de la fin de son engagement (les serpents et les scorpions de sa semence).
En réalité, le sort lancé par Pasiphaé est donc aussi une protection dans les débuts du chemin en ce sens qu’il évite les errements inutiles.

Le mythe de Procris ou la fin de la dispersion et de la prédominance du mental logique dans la recherche de son propre chemin

Procris, fille du roi d’Athènes Érechthée, épouse de Céphale, avait dû se réfugier en Crète auprès de Minos. Celui-ci s’éprit d’elle et la pressa de s’unir à lui. Elle accepta en échange du chien et du javelot dont Minos avait hérité de sa mère Europe. Auparavant, pour se prémunir du sort jeté à Minos, elle lui donna une potion fabriquée avec la « racine de Circé ».

Parmi ces voies qui ne lui correspondent pas, une seule échappe toutefois temporairement à la destruction : elle est représentée par Procris « celle qui met au premier plan l’ouverture juste de la conscience », la fille d’Érechthée, le sixième roi d’Athènes. (Selon le seul Hygin, elle est l’arrière grand-mère d’Ulysse.)
Dans cet épisode de sa vie, Procris est unie à Céphale « le mental pleinement développé (son couronnement) », signe que le mental à son plus haut niveau de développement est en quête d’une ouverture de conscience.

Procris, pour une raison ou une autre, s’était réfugiée en Crète auprès de Minos.
Cette insistance sur le « juste mouvement d’ouverture de la conscience » aide le chercheur à affiner sa connaissance du vrai chemin en lui donnant « la racine du discernement fondée sur la vision du détail » (la racine de Circé) : c’est en s’attachant aux détails (aux mouvements infimes de la perception et de la conscience) que le chercheur pourra discerner sa tâche. En contrepartie, dans la mesure où il commence à percevoir son chemin, il est obligé d’abandonner sa volonté personnelle dans la recherche d’une voie (le chien et le javelot, les tous premiers cadeaux de Zeus) au profit d’une « attention » supérieure.

Procris revint alors à Athènes, se réconcilia avec Céphale. Mais bientôt, elle devint soupçonneuse devant les fréquentes absences de son mari qui partait chasser. Aussi se cacha-t-elle dans les buissons pour l’épier. Sans la reconnaître, Céphale la tua en lançant dans le fourré le javelot « qui ne ratait aucun but » et que Procris lui avait rapporté de Crète. Céphale fut jugé sur la colline de l’Aréopage et condamné à l’exil perpétuel.
Après avoir orienté le chercheur dans la bonne direction, le « juste mouvement d’ouverture de la conscience » redevient le but du mental le plus développé dans ce qui mène la quête (Procris retrouve Céphale). On a vu que celui-ci est le fils de Déion, le plus avancé des enfants d’Éole, et représente donc l’accomplissement du mental dans la voie de l’ascension des plans de conscience. Mais ce mental, si évolué soit-il, n’est pas à même de suivre le juste mouvement d’évolution de la conscience au-delà d’un certain stade. (Céphale ne reconnaît pas Procris et la tue).
La mort de Procris, fille du sixième roi d’Athènes, peut être comprise comme le moment où le chercheur, ayant mis fin à la dispersion dans sa quête, trouve son propre chemin. C’est aussi le moment où le chercheur prend conscience que le mental ne doit pas interférer avec l’être psychique (l’exil perpétuel de Céphale).

La conception du Minotaure

Lorsqu’il quitta Europe, Zeus la donna pour épouse au roi Astérios. Lorsque ce dernier mourut, Minos, afin de prouver au peuple Crétois sa légitimité au trône, affirma que tout ce qu’il demanderait aux dieux lui serait accordé. Il pria donc Poséidon de faire sortir un taureau de la mer, lui promettant en échange de le lui sacrifier.
Lorsqu’un magnifique taureau émergea de la mer, Minos obtint donc la royauté, mais devant la beauté du taureau, il choisit de le garder dans ses troupeaux et de sacrifier une bête de moins belle allure.
(Dans la version de Diodore, ce n’est qu’après plusieurs années que Minos refusa de sacrifier à Poséidon le plus beau taureau de ses troupeaux comme il en avait coutume.)
Poséidon rendu furieux par ce parjure (ou cette offense) fit en sorte que Pasiphaé s’éprenne du taureau.
Or Dédale résidait en Crète à cette époque-là. C’était le meilleur de tous les artisans. Pasiphaé s’étant confiée à lui, Dédale lui permit de réaliser son désir en construisant une vache en bois qu’il recouvrit d’une peau de génisse. Pasiphaé prit place à l’intérieur et l’accouplement put ainsi avoir lieu. De cette union naquit le Minotaure. C’était un être hybride dont le corps était celui d’un homme et la tête celle d’un taureau. Loin de le rejeter à la naissance, Pasiphaé l’éleva.

Ce mythe du Minotaure revêtait aux yeux des Anciens une importance particulière. C’était en effet le seul avertissement de la mythologie qui justifiait à lui seul une histoire complexe alors que les autres « erreurs » du chemin étaient mentionnées avec beaucoup moins de détails par de courtes anecdotes et souvent par le seul nom d’un personnage. Ainsi en est-il par exemple de celles qui furent combattues par Thésée avant qu’il ne rejoigne Athènes, ou encore celles qui sont figurées par la descendance des sœurs de Sémélé (les autres filles de Cadmos).

Ce mythe concerne donc si ce n’est les chutes les plus graves, du moins les actions qui risquent de retarder le plus le chercheur dans sa progression. Elles résultent de l’association d’expériences spirituelles et d’un ego insuffisamment purifié et en général privé d’une juste direction spirituelle. Elles surviennent lorsque le chercheur a entamé le processus de purification destiné à faire venir l’être psychique au premier plan (représenté par la descendance de Cadmos) et lorsqu’il s’est ouvert au mental supérieur dans une large maîtrise (Europe, sœur de Cadmos).
Ce mythe concerne la traversée de la zone intermédiaire et concerne donc essentiellement les chercheurs qui se sont engagés sur le chemin et commencent à avoir des expériences significatives.

Pour entrer dans une juste compréhension de ce mythe, il est tout d’abord nécessaire de préciser le symbolisme du taureau, différent à la fois de celui de la vache (principe illuminateur) et du cheval (principe de la force et du pouvoir).
Dès la plus Haute Antiquité, le taureau fut le symbole de la puissance créatrice, le principe générateur du nouveau. Par analogie, il fut aussi celui de la puissance fécondante, le garant de la fertilité.
Ainsi, le dieu Apis à tête de taureau de la mythologie égyptienne qui tient entre ses cornes le disque solaire (symbole du supramental) était le héraut du dieu Ptah « le créateur des formes ». Il annonçait donc leur renouvellement.

Mais c’est par le symbolisme des Védas auquel semble avoir en partie puisé la mythologie grecque (peut-être à travers celle de l’Égypte) que nous appréhenderons le mieux sa signification. Nous nous référerons ici à l’interprétation qu’en a donnée Sri Aurobindo dans « Le Secret du Véda ».
La vache y est décrite comme la Mère universelle, la lumière suprême cachée dans le subconscient, ou encore comme les lumières du soleil cachées dans l’obscurité dont émergent les rayons. Elle symbolise donc la conscience sous forme de connaissance.
Le taureau est associé à la puissance fécondante de l’Esprit, à la descente de la Conscience divine et de sa force. Il est « le Mâle unique », « le premier né, celui qui mugit dans les deux firmaments », « le Taureau d’abondance qui a grandi par la sagesse du voyant », « le maître des énergies de la pensée », qui soutient et féconde la pensée de lumière.
Le taureau qui sort de la mer (ou qui naît dans les troupeaux de Minos) apporte donc des possibilités créatrices nouvelles. Comme il est également le « complémentaire » de la vache, « puissance illuminative », il représente également la « puissance réalisatrice ». Nous l’associerons donc, selon la définition de Sri Aurobindo, au « pouvoir de réalisation du mental lumineux ».
Dans ce mythe, le fait qu’il soit envoyé par Poséidon indique une influence issue du subconscient, et le fait qu’il sorte de la mer, son expression à travers le plan vital.

Au commencement, Europe est mariée à Astérios « étoilé », ce qui indique que le chercheur a déjà vécu de nombreuses expériences « infimes » de la lumière de vérité.
Dans la première période, il stabilise son « ouverture de conscience » et parvient à un fonctionnement relativement « juste ». Minos et Rhadamanthe sont en effet des « rois de justice ».
Aussi le chercheur aspire-t-il de façon plus ou moins subconsciente à une réponse du Réel pour le conforter dans son chemin, convaincu que c’est le travail de purification de l’intelligence discernante qui doit diriger la quête (c’est à Poséidon que Minos fait sa demande, déjà persuadé de sa légitimité à régner).

À cette attente, le Divin répond par l’octroi d’un magnifique « pouvoir de réalisation du mental lumineux » ou « pouvoir de renouvellement par le Mental lumineux », sans toutefois que le chercheur puisse clairement en identifier l’origine ni surtout la nature (l’apparition du taureau est une action de Poséidon).
C’est à ce moment qu’intervient la déviation majeure du fait de la nature imparfaitement purifiée du chercheur : au lieu de considérer cette « capacité » pour ce qu’elle est, un signe d’encouragement et une réponse à son aspiration, le chercheur se l’approprie (Minos conserve le taureau dans ses troupeaux). Il veut conserver pour lui les meilleurs fruits du yoga, en particulier ceux qui peuvent lui apporter reconnaissance, pouvoir, admiration, etc. Il s’attribue ce pouvoir de réalisation résultant d’un mental clair, considérant cela comme lui appartenant de droit, comme résultat de ses propres efforts, au lieu de le consacrer au service du Divin.
Il peut même sans doute considérer que ce « glissement » est sans grande importance, car Minos dans certaines versions offre un autre taureau « presque aussi beau ». A l’extrême, cette déviance peut même passer inaperçue, demeurer dans le subconscient.
La variante, selon laquelle Minos a sacrifié durant quelques années le plus beau de ses taureaux avant de s’y refuser, indique que ce « glissement » du service de la Vérité à celui de l’ego n’est pas toujours immédiat.

Le subconscient dont est issu ce pouvoir sanctionne tout aussitôt cette appropriation. Il fait en sorte que s’opère une confusion dans le chercheur et que les capacités dont il veut s’approprier les fruits trouvent à s’employer au service des résultats perturbés d’une expérience lumineuse : Pasiphaé est « envoutée » au point de tomber amoureuse du taureau. Dans la mesure où une puissance issue du supramental ne peut en aucune façon traduire autre chose que la Vérité, Pasiphaé peut simplement être « masquée » par un mélange avec d’autres plans (« envoutée »). C’est-à-dire qu’ « une lumière qui devrait briller pour tous » (Pasiphaé) va être en quelque sorte « éteinte » par un attachement inconsidéré à ce que le chercheur perçoit comme sa tâche. Dès lors, le chercheur est persuadé que son expérience participe de « La Vérité » et de cette confusion naîtra un monstre qui n’aurait jamais dû voir le jour, le Minotaure.

Dédale et le labyrinthe

Mais ce monstre ne peut réellement apparaître et entrer en action qu’avec l’aide de « l’intelligence habile » appliquée à la quête, Dédale. Car il s’agit dans ce mythe d’une récupération par l’ego d’une expérience illuminative qui ne pourrait avoir lieu sans la participation active de « l’habileté dans les œuvres ».

Avant de poursuivre l’histoire de Pasiphaé, il nous faut donc mettre en lumière la signification exacte de ce personnage et la raison de sa venue en Crète.
Dédale appartient à la lignée des rois d’Athènes qui expriment les éléments qui prédominent lors des différentes étapes de la croissance de l’être intérieur (Θ+Ν) et la dirigent. Il ne figure pas toutefois dans la branche aînée, seule légitime héritière du trône, mais dans une branche cadette. Il est l’un des artisans de cette évolution et même l’un des plus efficaces, car le plus habile des artisans. Mais il ne peut prétendre en aucune façon en prendre la direction. Si les Anciens l’ont distingué de Sisyphe, c’est qu’il concerne « l’habileté dans le yoga » mise consciemment au service de la quête, alors que Sisyphe symbolise « l’effort » de l’intellect dans le cadre général de l’évolution.

Dédale jouissait d’une réputation d’architecte et de sculpteur extraordinaire. Il était célèbre pour l’impression de vie que dégageaient ses automates.
Son neveu Talos était son apprenti. Il dépassa bientôt son maître, inventant divers outils (parmi lesquels la scie de fer en s’inspirant de la mâchoire d’un serpent). Jaloux, Dédale le précipita du haut de l’Acropole. Lors de l’enterrement, Dédale proclamait qu’il enterrait un serpent et se justifiait auprès des passants en disant qu’il obéissait ainsi à la loi sacrée. Celle-ci faisait en effet obligation d’enterrer les serpents morts. Après ce meurtre, Dédale dut quitter la Grèce. Il se réfugia en Crète auprès de Minos.
C’est alors que Pasiphaé se confia à lui.

Le père de Dédale est le plus souvent Eupalamos « la main habile », l’acte qui provient de l’intelligence. Mais d’autres auteurs le nomment Métion, symbole d’une intelligence supérieure de l’ordre de la Métis. Ce Métion (aussi parfois donné pour le grand-père de Dédale) est le frère du huitième roi d’Athènes, le second Cécrops.
La mère d’Eupalamos est Alkippé « une grande force » ou selon d’autres une Mérope homonyme. L’héroïne principale qui porte ce nom est la femme de Sisyphe. Méropé signifie « mortel » (donc duel) ou « une demi vision », celle de l’intellect.
Les trois enfants du couple sont Perdix, Métiadousa, et Dédale. Perdix « la perdrix » semble être pour les anciens Grecs le symbole de la ruse, caractéristique essentielle de Sisyphe « le plus rusé d’entre les hommes ». Et Métiadousa a le sens d’une « habileté reçue ».

Dédale est le plus habile des artisans, à la fois architecte, sculpteur et inventeur d’automates. Comme héritier de l’intelligence – descendant de Métion – il est donc le plus habile à élaborer des formes mentales parfaitement structurées.
Son nom signifie simplement « habileté ».
Il est spécialement doué pour construire des sculptures et des automates (« des éléments qui se meuvent par eux-mêmes ») qui donnent l’impression d’être vivants, tels par exemple des trépieds qui se déplacent seuls. Ces automates sont des constructions mentales qui sont totalement cohérentes et se développent sans l’appui d’aucune référence extérieure : ce sont donc des systèmes fermés (qui ne laissent aucune place à l’évolution surgissant du contact avec le non-moi) qui donnent toutefois l’illusion d’être ouverts, évolutifs et vrais (vivants, donc en accord avec le Réel).
En comparaison, les automates d’Héphaïstos servent les besoins évolutifs selon l’ordre de l’Absolu et non celui du mental, bien que les dieux soient des forces elles aussi figées à l’intérieur de leur propre rôle. Selon Homère, ils ont l’intelligence dans leurs cœurs, une voix (une perception exacte de ce qui « est » car la voix nomme et distingue), et ils ont appris leur rôle des dieux immortels (ils sont « programmés » depuis le plan de la non-dualité.)

Si le mental logique est parfaitement utile quand il occupe la place à laquelle la Nature l’a destiné, il doit pour cela s’élever au maximum de ses possibilités. C’est ce que refuse Dédale. En effet, le meurtre de son neveu Talos (ou Calos) décrit le refus d’évolution du chercheur vers une intelligence supérieure et sa stagnation dans une « habileté » logique fondée sur la mémoire.
Talos, celui qui « endure » ou « persévère », ou Calos « beau » (donc « vrai), fils de Perdix « l’intelligence rusée », représente aussi une habileté mentale. Mais à la différence de celle de Dédale, elle est davantage réceptive. On peut donc l’associer au mental supérieur. Avec Talos, le chercheur comprend que le processus d’évolution se fait par ascension et intégration (la scie inventée par l’observation de la mâchoire du serpent).
Dédale est donc le symbole d’un intellect puissant qui bloque l’évolution du chercheur par des formes mentales rigides non évolutives, des systèmes de pensée clos. Ce dernier refuse, à un certain moment de la quête, de suivre le sens de l’évolution (Talos) et d’accepter la suprématie du mental supérieur. Il se justifie alors à ses propres yeux, persuadé d’être dans le juste et d’honorer l’évolution (Dédale annonce qu’il enterre un serpent selon la loi sacrée).
L’intelligence qui refuse d’évoluer n’est plus alors une aide mais un obstacle.

Dédale est donc le symbole d’un intellect puissant qui bloque l’évolution du chercheur par des formes mentales rigides non évolutives, des systèmes de pensée fermés. L’intelligence qui s’enferme n’est plus alors une aide mais un obstacle.
C’est à cette « intelligence habile » que « l’expérience illuminative » demanda son soutien en vue de s’associer à « la puissance de renouvellement mental » (Pasiphaé a confié son attirance pour le taureau à Dédale afin qu’il l’aide).
Le chercheur, par son intellect, se livre alors à une première tromperie, mais en toute bonne foi : il plaque une forme fausse sur son expérience afin qu’elle corresponde à ce qu’il est impatient d’incarner. C’est un premier acte d’enfermement, de limitation.

Cette partie du mythe, comme on l’a évoqué plus haut, pourrait laisser entendre qu’il n’y a pas eu de véritable expérience d’illumination préalablement à l’existence du Minotaure. Mais nous avons admis que ce mythe pouvait s’appliquer dans les deux cas, quelle que soit l’origine de l’expérience. Cela correspond à ce qu’en dit Sri Aurobindo qui nous fait identifier Pasiphaé « soit à des idées-vérités qui se déversent d’en-haut dans la conscience lorsqu’on entre en contact avec certains plans de l’être, soit à des formations vigoureuses venues des mondes plus vastes du mental et du vital ».

L’intervention du « mental habile » ne se limite pas à cette première manipulation car Dédale construisit alors un immense labyrinthe-palais pour héberger le Minotaure. C’était une demeure aux détours tortueux. Selon d’autres, il était déjà construit lorsque naquit le monstre. Il avait la particularité que nul ne pouvait retrouver la sortie une fois qu’il y était entré.

Notons bien que si certains décrivent le Labyrinthe comme un lieu où le Minotaure est confiné, il faut comprendre qu’il s’agit davantage de dissimuler cette perversion à la conscience que de l’enfermer dans une prison. C’est pourquoi certains en font un palais.
Construit par « l’intelligence habile » au service de la quête, il est donc le symbole d’une construction mentale érigée pour soutenir la volonté de réalisation d’une expérience pervertie car non consacrée, issue d’une purification insuffisante. Il faut donc comprendre ce Labyrinthe comme un système de pensées ou de représentations (ou même une « doctrine ») que le chercheur a élaboré à partir de sa compréhension du chemin. « Ses détours tortueux » sont le résultat des élaborations du mental qui peut soutenir tout aussi facilement une thèse que son inverse. De l’extérieur, il peut donner l’illusion d’un palais ou d’une structure cohérente, qui serait une expression de la vérité. Mais ses « détours tortueux » sont l’inverse de la Vérité qui est toujours simple et porteuse d’évidence.
Ses bases ont été mises en place pendant les débuts de la quête souvent bien des années avant que n’apparaisse l’énergie créatrice-réalisatrice (Dédale se situe en effet au niveau du huitième roi d’Athènes), ce qui fait dire à certains que Dédale avait déjà construit ce palais avant même l’apparition du Minotaure.

Le Labyrinthe est donc le symbole d’une autojustification d’une expérience spirituelle faussée, une forme dans laquelle une puissance de réalisation rayonnante dévoyée par l’ego peut se déployer librement.
Le chercheur se leurre lui-même car Dédale n’est pas le représentant d’une puissance pervertie en elle-même mais celui d’un outil qui se met au service de la force pervertie. Il excelle simplement à construire des systèmes qui trouvent en eux -mêmes leur propre justification et finalité (les automates). La seule erreur initiale réside dans le fait que le taureau n’a pas été sacrifié par manque de purification de l’intelligence discernante (l’erreur est le plus souvent imputée à Minos).

La particularité essentielle du Labyrinthe est que l’on peut y entrer, mais jamais en sortir. C’est-à-dire que toutes les idées, tous les concepts, tous les apports nouveaux sont incorporés à « l’édifice » sans jamais pouvoir en ébranler la structure, le fortifiant même chaque jour davantage.
Certains peuvent ainsi passer une vie entière dans une structure mentale qu’ils ont eux-mêmes élaborée. Souvent, comme ils ont clamé bien haut leur « grande expérience », ils en entraînent d’autres à leur suite, les subjuguant, car les créations de Dédale « ont l’air vraies ». Il y a ainsi eu, et il y a encore de nos jours, un très grand nombre de Minotaures de la spiritualité, gourous autoproclamés.

Tout laisse supposer que le chercheur n’est pas conscient de son enfermement.
C’est pourquoi on peut voir, sur le dessin d’une céramique et dans certains textes, Pasiphaé s’occuper avec soin de cet enfant-monstre : l’expérience continue à alimenter et à protéger la réalisation monstrueuse qu’elle a produite.
Virgile rapporte aussi que « le Labyrinthe recelait dans ses murs aveugles un lacis de couloirs, l’ambigüité fallacieuse de mille parcours, où les marques d’une route se rompaient sur une erreur qu’on ne discernait pas et d’où l’on ne pouvait revenir ».
Si parfois certains ajoutent que le Labyrinthe est « couvert », c’est sans doute pour insister sur le fait que cette prison mentale n’est pas perméable aux influences d’en haut.

Certains textes donnent au Minotaure le nom d’Astérios « étoilé ». Il porte alors le même nom que le roi de Crète auquel Zeus avait marié Europe, et donc père adoptif de Minos. Le Minotaure serait alors dans ce cas le symbole d’expériences spirituelles mineures que le mental et ses constructions labyrinthiques cristallisent et auxquelles ils confèrent une importance exagérée.
Il est intéressant de noter aussi qu’il existe une représentation du dieu fleuve Achéloos datant du Ve siècle avant J.-C. en Grèce avec une tête de taureau, sachant que ce dieu-fleuve est le père des Sirènes (symboles de séductions mentales trompeuses).

En tout état de cause, le mythe exprime une erreur majeure sur le chemin confirmée d’un côté par le lourd tribut que Minos imposa à Athènes, affaiblissant ainsi les forces vives consacrées à la quête, et de l’autre par le combat final de Thésée contre le Minotaure.
Cette erreur due à un manque de purification de l’intelligence discernante s’est installée progressivement. Elle résulte d’une attitude fausse du chercheur qui débute avec l’attrait de Minos pour d’autres femmes que Pasiphaé et se poursuit au point que ce dernier maintient en vie le Minotaure par le tribut de sept jeunes gens et sept jeunes filles qu’Athènes doit donner chaque année, affaiblissant les forces qui devraient être consacrées à la quête.
Dans la version classique que nous avons suivie, Minos est donc seul responsable. Ainsi peut-on lire sur un antique parchemin : « Pasiphaé refusa qu’on jetât sur elle l’opprobre et reprocha à Minos, seul coupable selon elle, de n’avoir pas sacrifié le taureau à Poséidon ».

Le Minotaure est représenté avec un corps d’homme et une tête (et souvent aussi une queue) de taureau.

Dans la seconde partie du mythe, l’accent est mis sur les lourdes conséquences dues à la prolongation de l’existence du Minotaure. C’est encore une fois Minos qui en fut à l’origine car il imposa à Athènes le tribut à la suite de la mort de son fils Androgée dont nous reprendrons l’histoire plus loin.

Selon Sri Aurobindo, le passage dans la « zone intermédiaire » où le chercheur court le risque de la « déviance du Minotaure » peut être évité si le chercheur développe une sincérité sans défaut et une soumission absolue à une juste direction.
Il nous semble utile d’insérer ici des passages d’une lettre de Sri Aurobindo adressée à un de ses disciples qui décrit, beaucoup mieux que nous ne saurions le faire, cette déviance si grave et si répandue que les Anciens ont jugé bon d’y consacrer un mythe entier :

« Toutes ces expériences sont de même nature et ce qui s’applique à l’une s’applique aux autres. À part quelques-unes qui ont un caractère personnel, ce sont soit des idées-vérités comme il s’en déverse d’en-haut dans la conscience lorsqu’on entre en contact avec certains plans de l’être, soit des formations vigoureuses venues des mondes plus vastes du mental et du vital qui, dès lors qu’on y est directement ouvert, font irruption et veulent se servir du sâdhak pour se réaliser. Quand elles pénètrent ou se déversent d’en haut, elles apparaissent avec une grande force, suscitent un sentiment très vif d’inspiration ou d’illumination, une grande sensation de lumière et de joie, une impression d’élargissement et de pouvoir. Le sâdhak se sent libéré des limites normales, projeté dans un monde d’expérience nouveau et merveilleux, empli, élargi, exalté ; par ailleurs ce qui vient se conjugue avec ses aspirations, ses ambitions, ses conceptions de l’accomplissement spirituel et de la siddhi yoguique et va même jusqu’à se présenter comme la réalisation et l’accomplissement. Il se laisse très facilement emporter par cette splendeur et cette irruption et croit avoir réalisé davantage qu’il n’a véritablement accompli : quelque chose de définitif ou du moins de souverainement vrai. À ce stade, il lui manque d’ordinaire la connaissance et l’expérience indispensables qui lui diraient que ce n’est là qu’un début très incertain et très mélangé ; (…) Il peut aussi ne pas comprendre que s’il applique avec précipitation ce qu’il réalise ou reçoit comme si c’était définitif, il risque soit de tomber dans la confusion et l’erreur, soit de s’enfermer dans une formation partielle où se trouve peut-être un élément de Vérité spirituelle, mais celui-ci sera sans doute éclipsé par des adjonctions mentales et vitales plus contestables qui le déformeront tout à fait. (…) Il s’agit en fait d’un état intermédiaire, d’une zone de transition entre la conscience ordinaire dans le mental et la véritable connaissance yoguique. On peut la franchir sans dommage, en percevant immédiatement ou très tôt sa véritable nature et en refusant d’être retenu par ses demi-lumières et par ses expériences tentatrices, mais imparfaites et souvent mélangées et trompeuses. On peut s’y égarer, suivre des voix fausses et des conseils mensongers, et l’aboutissement est un désastre spirituel ; ou l’on peut s’installer dans cette zone intermédiaire, refuser d’aller plus loin, et y construire quelque demi-vérité que l’on prend pour la vérité totale, ou devenir l’instrument des pouvoirs de ces plans de transition ; c’est ce qui arrive à beaucoup de sâdhak et de yogis. Submergés par la première irruption d’un état supranormal et le sentiment de pouvoir qu’il apporte, ils sont éblouis par une petite lumière qui leur semble une illumination extraordinaire ou par le contact d’une force qu’ils prennent à tort pour la Force divine tout entière (…) Ils en viennent très aisément à penser qu’ils sont dans la pleine conscience cosmique (…) ou encore ils ont l’impression d’être eux-mêmes dans une conscience entièrement illuminée.
Il existe des dangers plus graves dans cette zone d’expérience intermédiaire. Car les plans auxquels le sâdhak a maintenant ouvert sa conscience – et dont il ne reçoit pas, comme auparavant, de simples aperçus et quelques influences, mais directement le plein impact – lui envoient une foule d’idées, d’impulsions, de suggestions, de formations de toutes sortes, souvent tout à fait opposées les unes aux autres, incohérentes ou incompatibles, mais qui se présentent de manière à estomper leurs manques et leurs différences, avec une force, une plausibilité et une richesse d’arguments très grandes ou en suscitant un sentiment convaincant de certitude. Submergé par ce sentiment de certitude, cette intensité, cette apparence de profusion et de richesse, le mental du sâdhak entre dans une grande confusion qu’il prend pour une organisation et un ordre plus vastes » ;
(Suit un passage non transcrit ici dans lequel Sri Aurobindo insiste sur le fait que le chercheur peut être le jouet de forces d’autres plans.)
« Le sâdhak croit qu’il n’est plus du tout dans l’ancienne petite conscience, parce qu’il se sent en contact avec quelque chose de plus vaste ou de plus puissant, (…) et pense qu’il s’est débarrassé de l’ego ; mais cette absence illusoire d’ego dissimule souvent un ego magnifié. (…)
C’est une zone que de nombreux sâdhak doivent traverser, dans laquelle beaucoup errent longtemps et d’où un grand nombre ne ressortent jamais. (…) Une sincérité centrale, une humilité fondamentale préservent aussi de beaucoup de dangers et de désagréments. (…) L’erreur, l’égarement, le mélange d’ignorance s’introduisent en toute liberté et sont autorisés à le faire parce que le sâdhak doit être mis à l’épreuve des forces de ce monde, apprendre par expérience, grandir à travers l’imperfection jusqu’à la perfection (…)
On a l’impression d’être devenu impersonnel (…)
Des suggestions du plan vital commencent en outre à s’introduire : pullulement d’imaginations romanesques, fantaisistes ou ingénieuses, interprétations secrètes, pseudo-intuitions, prétendues initiations aux choses de l’au-delà, qui excitent ou obnubilent le mental et sont souvent présentées de manière à flatter et à magnifier l’ego et l’importance personnelle, mais ne se fondent sur aucune réalisation spirituelle ou occulte confirmée et relevant de la vérité. (…)
Le passage par cette zone intermédiaire qui n’est pas obligatoire, car de nombreux sâdhak empruntent un chemin plus étroit, mais plus sûr – est décisif ; ce qui en sortira sera sans doute une création très vaste ou très riche ; mais lorsqu’on s’y embourbe, le rétablissement est difficile, pénible, et n’est assuré qu’après un long combat et un long effort. »

Avant de poursuivre l’histoire du Minotaure, nous allons examiner la lignée des rois d’Athènes car plusieurs personnages importants de cette lignée y sont impliqués, parmi lesquels Dédale et surtout Thésée qui mettra fin à la tyrannie du monstre.

LES ROIS LÉGENDAIRES D’ATHÈNES

Voir Arbre généalogique 26

Homère ne mentionne qu’un seul roi d’Athènes, Érechthée, un fils de Gaia la Terre élevé par Athéna. En effet, nous avons déjà signalé que cet initié ne décrivait que les phases les plus avancées du chemin, se contentant de faire quelques allusions aux autres.
D’autre part, il semble n’y avoir eu jusqu’au Ve siècle avant J.-C. que quatre rois légendaires, la lignée ayant été ensuite progressivement complétée au cours des siècles jusqu’aux origines du chemin avec le souci de la rendre cohérente avec les mythes des autres branches. Dans ce dernier but, des ponts furent établis afin de mettre en rapport les évènements remarquables de la quête avec des rois particuliers de cette lignée.

Chaque lignée royale représente un processus ou un enseignement particulier. La mythologie en compte plus d’une dizaine : celles de Crète, de Lycie, ou d’Arcadie ou encore celles de Thèbes, Argos, Athènes, Mycènes, Spartes, Calydon, Tirynthe, Corinthe, Troie, etc. Parmi elles, la lignée d’Athènes tient une place particulière parce qu’elle structure les phases principales du chemin en rapport avec la croissance de l’être intérieur et la spiritualisation de l’être mental (Athéna, déesse qui veille à la croissance de l’être intérieur, est également fille de Zeus et Métis). Autrement dit, elle intègre à la fois la progression dans l’ascension des plans de conscience et le chemin de purification vers la libération totale.
Toutefois, la liste canonique de ses rois fut établie assez tardivement et ne semble pas faire l’unanimité parmi les auteurs anciens. On devra donc l’envisager avec circonspection.

Le tout début de la quête est marqué par l’affrontement d’Athéna et de Poséidon pour devenir la divinité tutélaire d’Athènes. Poséidon était en effet arrivé le premier en Attique, la quête commençant bien évidemment pour chacun d’entre nous sur le plan subconscient. Suite à un arbitrage des Olympiens, l’olivier offert à la ville par Athéna l’emporta sur le présent de Poséidon, un étalon noir invincible au combat ou selon d’autres une mer salée qu’il fit jaillir d’un coup de trident sur l’Acropole.

Il s’agit donc de passer d’une démarche subconsciente à un yoga conscient. Poséidon est en effet le dieu qui supervise la période de croissance précédente, quand l’homme ne se préoccupe par encore du sens de sa vie et se contente de marcher dans les ornières tracées par la nature. Il ne peut offrir que ce qui est en rapport avec le plus haut de la nature vitale subconsciente, « la force vitale » représentée ici par un étalon noir (une force ou un pouvoir vital non purifié) ou une mer salée (une immense énergie vitale).
Diverses significations peuvent être associées à l’olivier : pureté, paix, sagesse et victoire. Les vainqueurs des Jeux Olympiques étaient couronnés avec une couronne d’olivier sauvage. (Ces jeux furent fondés par Pélops qui fut le premier héros à acquérir la maîtrise du vital – il épousa Hippodamie « celle qui dompte le cheval » – et furent plus tard rénovés par Héraclès à la fin des travaux.)
Le symbolisme le plus probable de l’olivier se rapporte donc au processus de purification-libération que doit guider Athéna.

Les trois premiers rois : les préliminaires de la quête

Le premier roi d’Athènes (ville alors nommée Cécropie) « naquit de la terre ». Il s’appelait Cécrops. (Certains disent qu’avant lui régnait Aktaios, qui pour d’autres était aussi le père de la femme de Cécrops). Le bas de son corps était constitué d’une queue de serpent. Il épousa Aglauros, fille d’Aktaios, qui lui donna trois filles, Hersé, Pandrosos et une autre Aglauros ainsi qu’un garçon Érysichton.
Hersé eut d’Hermès un fils nommé Céphale qui devint si beau qu’il fut enlevé par Éos, la déesse de l’aube, qui selon certains lui donna trois enfants, Tithon, Éosphoros et Phaéton.
De son côté, la seconde Aglauros eut une fille de son union avec le dieu Arès, Alkippé.
Les trois filles de Cécrops (« les Cécropides ») moururent lors de la naissance du quatrième roi d’Athènes Érichthonios, effrayées par son apparence ou mordues par des serpents.

Le second roi d’Athènes, Cranaos, naquit également « du sol ». Il eut de sa femme Pédias trois enfants : Atthis (qui donna son nom à l’Attique), Cranae et Cranaechme. Il régna sur l’Attique pendant le déluge de Deucalion.

Le troisième roi est Amphictyon, selon les uns « né du sol », selon les autres fils de Deucalion. Il détrôna Cranaos, prit sa place et s’unit à sa fille Atthis.
C’est sous son règne de douze années qu’eut lieu la fondation de Thèbes par Cadmos.

Chacun de ces trois premiers rois représente une période particulière précédant l’entrée sur le chemin. La toute première est marquée par un éveil de la conscience humaine dans une personnalité mentale-vitale encore puissamment sous l’emprise de l’évolution naturelle animale. Ceci est illustré par le corps de Cécrops, mi-homme, mi-serpent.
Le nom de celui qui le précéda en Attique (qui est pour certains son beau-père), Aktaios « celui qui réside sur le rivage », indique un changement d’état, peut-être un premier mouvement vers l’intériorité, une aspiration à dépasser la satisfaction immédiate des besoins du corps et du vital.

Le premier roi d’Athènes, Cécrops

Sur la base des lettres structurantes, Cécrops indique « une ouverture de conscience infusée dans l’être depuis les plans supérieurs ».
Comme les trois suivants, ce premier roi est « né du sol ». Selon la tradition spirituelle, toute évolution majeure est toujours réalisée par la conjonction d’un appel du Divin involué dans la matière et d’une réponse du Divin en l’Esprit.
Son mariage avec Aglauros « brillante » ou « qui donne de l’eau claire » évoque une volonté de purification de la nature vitale émotionnelle. Deux de leurs filles s’unirent aux dieux Arès et Hermès qui donnèrent les premières impulsions en vue du travail de discernement.

Si l’on se fie au nom des trois filles – Aglauros « brillante » ou « qui donne de l’eau claire », Hersé « une goutte de rosée » et Pandrosos « tout est de la rosée » – il y aurait durant cette première période une certaine aspiration naturelle vers la pureté. Celle-ci disparaîtra dès que la quête prendra forme avec le quatrième roi car les trois jeunes filles se jetteront dans le vide.

Cette première période donne cependant quelques brillants résultats.
En effet, Aglauros eut d’Arès « la force qui sépare et tranche », une fille Alkippé « une puissante énergie (vitale) ». Ce moment du chemin peut sans doute être mis en rapport avec le combat d’Héraclès contre le lion du Cithéron, combat qui lui aussi précède les grands travaux. Là commence la lutte contre le gaspillage des énergies dû à la suffisance et à l’arrogance mentale, à l’amour propre excessif, à l’habitude de se justifier, aux projections, à la susceptibilité, etc.

D’autre part, Hersée « la rosée » eut d’Hermès un fils nommé Céphale « la tête » (homonyme du Céphale plus connu qui est fils de Déion). Ce dernier devint si beau qu’Éos l’enleva (Éos est la déesse de l’aube, le moment qui précède l’apparition de la lumière de vérité). Il symbolise donc une évolution mentale qui permet de déboucher sur des étincelles de vérité spirituelle. Éos et Céphale eurent pour enfants :

  • Éosphoros « celui qui apporte l’aube », un homonyme du fils d’Astraéos et d’Éos, lequel fut appelé plus tardivement Lucifer « le porteur de lumière » chez les Romains. Il incarne ici le début de la spiritualisation du mental.
  • Phaéton « celui qui brille au-dedans » dont le nom évoque des expériences de contact intérieur par le développement mental. On peut le rapprocher du Phaéton homonyme, fils du soleil Hélios, qui voulut conduire le char de son père mais ne put y parvenir, obligeant Zeus à le foudroyer pour éviter une conflagration universelle. L’existence de ce Phaéton dans la descendance du premier roi d’Athènes indique une tendance fréquente des chercheurs débutants à se croire beaucoup plus avancés sur le chemin qu’ils ne le sont en réalité.
  • Tithonos « l’évolution intérieure vers le plan de conscience le plus haut ». Si on le rapproche du Tithonos homonyme le plus connu, frère de Priam et aimé d’Éos, qui reçut de Zeus l’immortalité mais non la jeunesse éternelle, c’est-à-dire qui représente un chercheur uniquement tourné vers les hauteurs de l’esprit, qui contacte le non-duel (immortalité) mais oublie l’adaptation au mouvement du devenir (la jeunesse éternelle), alors il décrit aussi un mouvement qui manque d’incarnation.
    Phaéton est parfois aussi nommé comme un fils de Tithonos. Cette variation dans la filiation exprime que le rayonnement intérieur peut naître aussi bien directement de la spiritualisation du mental que de la croissance de l’être intérieur qui doit permettre de faire passer l’être psychique au premier plan.

Enfin, la troisième fille Pandrosos eut d’Hermès un fils Céryx « le héraut » (aussi nommé parfois comme fils d’Aglauros ou de Hersé). Ce nom peut être rapproché du clan des Céryces (Kérukes) qui officiaient à Éleusis avec celui des Eumolpides. On peut comprendre que si ces derniers recevaient les « ordres intérieurs » du subconscient, Eumolpos étant fils de Poséidon, les Céryces issus d’Hermès en donnaient l’interprétation. D’où la fonction de héraut attribuée à Céryx. Celui qui se prépare au chemin doit en effet apprendre à interpréter la parole intérieure.

C’est sous le règne de Cécrops qu’Athéna devint la déesse tutélaire de l’Attique.

Le second roi d’Athènes, Cranaos

Cranaos « dur, âpre, rocailleux » est lui aussi issu de la terre (d’un processus d’incarnation). Il introduit une période dans laquelle le chercheur est attiré par les voies « dures » ou « excessives ». Il est aussi décrit comme le plus remarquable des Athéniens de cette époque. On dit en effet que c’est lui qui donna à la ville de Cécropie le nom d’Athènes. Il eut de sa femme Pédias, trois enfants :
– Atthis « la conscience intérieure qui tend vers le haut » qui donna son nom à l’Attique, la région qui entoure Athènes. Elle fut la femme du troisième roi, Amphictyon.
– Cranae « dur ».
– Cranaechmé « dur et sans ouverture supérieure ».
De cette période résultent deux tendances.
Celle qui, à la suite de Cranae et Cranaechme, entraîne le chercheur vers des pratiques « excessives » et « dures » qui ne peuvent donner de résultats ni se poursuivre car les personnages n’ont pas de postérité.
Celle d’Atthis « la conscience intérieure qui tend vers le haut » qui, en s’unissant à Amphictyon « celui qui bâtit tout autour », travaille sur « l’environnement » intérieur du chercheur pour établir les bases de la quête.

Selon Apollodore, Cranaos régnait sur l’Attique pendant le déluge de Deucalion, période durant laquelle le chercheur est pris dans une tourmente, signe d’un nettoyage émotionnel intense de quelques nœuds profondément ancrés.

Le troisième roi d’Athènes, Amphictyon

Le troisième roi est Amphictyon « celui qui bâtit tout autour » (ou « tout ce qui concerne les fondations » et peut-être aussi « tout ce qui a trait à l’ouverture aux mondes supérieurs »). Il chassa son prédécesseur du trône et épousa sa fille Atthis.
Son règne dura douze ans, période qui correspond à une totalité symbolique d’expérience.
Autrement dit, la quête ne pourra vraiment commencer que lorsque le futur chercheur n’aura plus d’attrait majeur pour ce que peut lui offrir la vie ordinaire.
De même, le chercheur opte pour la croissance de l’être intérieur (Atthis), rejetant les expériences excessives (Cranae et Cranaechmé).
Le nom de ce roi peut impliquer également la nécessité du développement de la personnalité au mieux de ses capacités.
C’est sous son règne qu’eut lieu la fondation de Thèbes par Cadmos, et donc le tout début du chemin de purification-libération et d’incarnation de la vie intérieure.

Le quatrième roi d’Athènes, Érichthonios : l’entrée sur le chemin

Depuis Cécrops, Athéna était la divinité tutélaire de l’Attique. Un jour, Héphaïstos la poursuivit de ses assiduités. La déesse le repoussa mais ne put éviter que la semence du dieu ne tombât sur sa jambe. Elle s’essuya avec un flocon de laine qu’elle jeta à terre. La Terre-Mère Gaia fut alors fécondée et mit au monde Érichthonios. Selon certains, tout comme Cécrops et la plupart de ceux qui naquirent de la terre, son corps se terminait par une queue de serpent.
Athéna revendiqua cependant le droit de l’élever comme son enfant. Elle le recueillit sur l’Acropole et s’en occupa jusqu’à ce qu’il fût en âge de monter sur le trône.
Certains disent qu’elle avait dissimulé l’enfant aux regards en le plaçant dans un coffre avec deux serpents. Mais les filles de Cécrops et d’Aglauros ouvrirent le coffre, et, sans doute effrayées par les serpents, se jetèrent dans le vide et périrent.
Érichthonios épousa la naïade Praxithéa dont il eut un fils, Pandion I, qui s’unit à Zeuxippé.
C’est durant le règne d’Érichthonios que Danaos fonda la citadelle d’Argos.
Ce roi est également réputé avoir fondé les Jeux « Panathénées ».

Le quatrième roi d’Athènes, Érichthonios, ouvre une phase majeure dans la progression, celle qui consacre l’entrée sur le chemin. C’est pourquoi les trois rois précédents sont passés sous silence chez nombre d’auteurs. Par le symbolisme de son fils Pandion I « celui qui consacre tout à l’union en conscience », cette phase aboutit à un premier engagement du chercheur.

Le nom Érichthonios peut être compris soit comme définissant « celui qui est fortement ancré dans le sol », c’est-à-dire « très incarné », soit comme une « rupture », les deux sens pouvant jouer ici : l’incarnation dans la mesure où les fondations doivent être solidement établies, et la rupture parce que s’ouvre une nouvelle phase qui « rompt » avec le monde ordinaire.

À ce tout début du chemin, le chercheur est encore loin d’avoir trouvé son maître (ou sa voie). Il parcourt le plus souvent diverses branches de la spiritualité ou des sciences occultes. Puis vient un temps où il veut imposer une forme précise à sa quête, « nommer » sa voie. C’est pourquoi Héphaïstos, le créateur des formes spirituelles, tente de faire violence à Athéna. Mais la partie de la conscience qui « veille sur le chemin de la croissance intérieure » (Athéna), celle qui dirige et organise la quête, est éternellement vierge. Elle ne peut donc se laisser enfermer dans aucune forme. Ou encore, la décision de s’engager sur le chemin ne lui appartient pas car elle relève de l’Absolu (Gaia) et non d’une puissance du surmental (Athéna).
Toutefois le mythe laisse entendre qu’elle prend acte de celle que le chercheur choisit, même si elle en laisse la fécondation et la gestation à l’Existence-Conscience suprême (le sperme répandu sur sa jambe qu’elle essuie et jette sur la terre Gaia). De plus, elle revendique de s’occuper de l’enfant jusqu’à sa maturité, veillant ainsi sur les balbutiements de la quête. L’engagement du chercheur dans des « voies » qui ne lui correspondent pas vraiment semble en effet incontournable et constitue une préparation. Athéna n’entérinera le choix définitif de la voie qu’après une « brisure », un changement de direction incarné par Érechthée, le petit-fils d’Érichthonios. En effet, le frère jumeau de celui-ci, Boutès, sera son « prêtre », celui qui sert d’intermédiaire entre le ciel et la terre. Le chercheur trouvera alors « sa » voie ou « son » maître.

Comme premier guide de la quête, Érichthonios est logiquement éduqué sur l’Acropole, « la partie la plus haute » d’Athènes.
C’est le début de la période où le chercheur décide de donner la priorité à la quête plutôt qu’à l’acquisition de biens matériels ou qu’à une recherche de jouissance, de reconnaissance ou de pouvoir. (Il semblerait que la quête spirituelle proposée par les initiés grecs n’exigeait en aucune façon de se retirer du monde. C’est ce que semble confirmer le peu qui est connu de l’initiation et des mystères. Il ne s’agissait donc pas d’un abandon des biens, devoirs et satisfactions du monde mais d’un apprentissage de leur juste gestion.)
C’est pourquoi Érichthonios institua les « Panathénées », ces jeux qui célèbrent les chercheurs qui décident de « se donner entièrement à Athéna, à la quête du divin intérieur ».
C’est donc aussi le temps de la construction de la citadelle d’Argos par Cadmos, lorsque le guide intérieur prend en charge le processus de purification vers la libération totale.
C’est à ce moment que disparaissent les premières « conceptions » de la quête (que meurent Aglauros, Hersé et Pandrosos, filles de Cécrops) pour être remplacées par un but plus vrai et plus incarné. C’est l’évolution (les serpents) qui met fin aux premières images « éthérées » du chemin (les Cécropides furent effrayées soit par la queue de serpent d’Érichthonios, soit par les serpents qu’Athéna avait placés dans le coffre auprès de l’enfant).

Le cinquième roi d’Athènes, Pandion I

Érichthonios s’unit à Praxithéa « l’acte divin » : le chercheur prend pour but « l’acte vrai ou juste » ou encore « l’acte qui naît de l’intérieur ». Cette union conduit à une première consécration représentée par Pandion I « celui qui se donne entièrement à Zeus (à l’union en conscience) », consécration encore imparfaite et largement mêlée d’ego. En effet, Pandion I prit pour femme Zeuxippé « mettre le vital sous le joug » qui exprime une tendance à travailler en force pour obtenir la maîtrise.
Pandion I n’a pas d’histoire en propre. Certains auteurs signalent cependant que sous son règne, le premier Minos régna sur la Crète, rendant ce premier don de soi effectué dans le cadre de la direction de la quête (les rois d’Athènes) concomitant de celui qui est fait dans le cadre du chemin de purification de l’intelligence discernante (Minos).
(Notons que Praxithéa et sa sœur Zeuxippé, respectivement épouses d’Érichthonios et de Pandion I, sont des Naïades, les nymphes des sources et des rivières : même si elles représentent une certaine pureté et simplicité, elles n’en demeurent pas moins liées au plan vital.)

Pour passer à la phase suivante de la quête, il faut qu’intervienne une rupture, un renversement. C’est ce qui se passe avec Érechthée « celui qui brise », l’un des quatre enfants de Pandion I.

Les sixième, septième et huitième rois : la découverte de la voie personnelle et la scission intérieure

Pandion I et Zeuxippé eurent quatre enfants, des fils jumeaux, Érechthée et Boutès, et deux filles, Procné et Philomèle.

Nous allons commencer l’étude des enfants de Pandion I par celle de ses filles, car leur histoire un peu complexe à première lecture illustre un refus du chercheur de laisser affleurer la vérité à sa conscience : Philomèle « celle qui aime les pommes », c’est-à-dire « celle qui aime la connaissance » eut en effet la langue coupée. Son histoire tente donc de mettre en lumière les rapports justes que doit entretenir « la vigilance » (Térée) avec d’une part « la quête de connaissance » (Philomèle) et d’autre part l’ascèse qui « met en avant la purification » (Procné).
L’accent est mis ici sur le fait que les deux voies d’ascension des plans de conscience (Japet) et de psychisation ou purification-libération (Océanos) doivent être pratiquées en parallèle.

Pandion I donna sa fille ainée Procné au roi de Thrace Térée (fils d’Arès) qui l’avait aidé dans une guerre frontalière contre Labdacos, le roi de Thèbes. Térée emmena alors sa jeune épouse en Thrace et celle-ci lui donna un fils, Itys.
Après quelque temps, comme elle se sentait seule, Procné demanda à son mari d’aller chercher sa sœur Philomèle à Athènes. Celui-ci accepta mais viola cette dernière sur le chemin du retour. Pour qu’elle ne puisse parler, il lui coupa la langue et la tint cachée dans la campagne, affirmant à sa femme qu’elle était morte. (Selon Apollodore, il l’épousa même, devenant bigame, et continua de coucher avec elle.)
Mais Philomèle broda le récit de ses souffrances sur une tapisserie qu’elle fit parvenir à sa sœur. Les deux sœurs une fois réunies se vengèrent de Térée en lui servant pour son repas les chairs de son fils Itys qu’elles avaient fait cuire. Puis elles s’enfuirent vers le sud. Dès que Térée découvrit la nature exacte de son repas, il partit à la poursuite des fugitives. Sur le point d’être rattrapées, elles implorèrent l’aide des dieux qui transformèrent tous les acteurs en oiseaux : Procné en rossignol, Philomèle en hirondelle et Térée en huppe.

Le premier épisode de ce récit décrit l’aide que Térée « le guetteur » et donc « l’observation, la vigilance » – qui est ici un processus séparateur – apporta à Pandion I « celui qui se donne entièrement à l’union en conscience » dans une guerre de frontière contre Labdacos, roi de Thèbes. Le chercheur a donc du mal à définir dans sa vie les limites entre ce qui doit être soumis à un processus de purification-libération par les moyens de l’action personnelle (Labdacos) et ce qui doit être offert au Divin afin qu’il le transforme.
La vigilance (Térée) se range du côté de la consécration (Pandion I) car il vaut toujours mieux s’appuyer sur le Divin que sur ses propres forces. A ce stade, la vigilance sert aussi à se remémorer l’engagement pour la quête.

La seconde partie du récit est fondée sur le sens du nom des deux sœurs que nous comprenons comme définissant deux buts distincts du yoga, le processus de purification et la connaissance : Procné est en effet celle qui « met en avant la purification » tandis que sa sœur Philomèle « celle qui aime les pommes » est symbole de la quête de connaissance.
Si les deux « buts » (les sœurs) doivent être poursuivis simultanément, les moyens n’en sont pas mes mêmes.
Ces deux buts peuvent être rapprochés sans nul doute des deux lignées principales d’Océanos et de Japet qui définissent les processus d’ouverture de la conscience par la purification-libération (la voie selon la Nature) et de l’ascension des plans de la conscience mentale (la voie selon l’Esprit). Ces deux processus une fois accomplis, la « descente » des puissances de l’Esprit et la transformation de la nature deviennent alors possibles, selon la description de la troisième phase du yoga intégral faite par Sri Aurobindo.

Après l’aide reçue dans le « discernement des limites » (la guerre de frontières avec Labdacos), la partie du chercheur qui conduit la quête oriente sa « vigilance » vers le processus de purification (Pandion I, roi d’Athènes, donna sa fille Procné en mariage à Térée, roi de Thrace). De cette union naquit un fils, Itys « tour, circonférence » que l’on peut comprendre comme « une conscience haute » ou encore une conscience « qui fait le tour », c’est-à-dire une conscience plus globale.

Comme de juste, les deux « voies-sœurs » (purification et connaissance) souhaitent se rapprocher et œuvrer de concert. Mais « la vigilance, l’observation » qui appartient au mental logique duel et qui est un processus légitime lorsqu’il s’applique à la purification-libération, ne peut prétendre au processus de connaissance par identification (Térée ne peut ramener Philomèle sous son toit). Le mental logique peut seulement tenter de s’approprier la connaissance de force (le viol de Philomèle), ce qui la limite et bloque sa manifestation en vérité (Térée l’enferme et lui coupe la langue). La Connaissance est ainsi malmenée par le mouvement de la quête encore beaucoup trop liée au mental.

Mais il est impossible d’isoler totalement les deux processus : une communication indirecte s’établit (Philomèle envoie à sa sœur une tapisserie brodée de ses malheurs).
Les deux voies-sœurs font alors en sorte que la vigilance passe à un niveau supérieur par « assimilation » d’une « conscience plus globale » (Itys fut servi en nourriture à Térée).  Cette vigilance se transforme alors en « discernement » (ou en « la pure attention » de Krishnamurti). Il ne s’agit pas d’un mouvement actif du chercheur mais d’un renversement opéré par l’union des deux voies sans que le chercheur en soit conscient (Térée ne reconnaît pas ce qu’il mange). Ce dernier met un certain temps avant d’intégrer la transformation (Térée poursuit les deux sœurs) puis les trois processus deviennent alors, par l’intervention des dieux, des expressions mentales supérieures. Procné est transformée en rossignol, l’oiseau qui émet le plus beau chant et chante la nuit : la volonté de purification devient une manifestation de la vérité active dans les périodes d’obscurité spirituelles. Philomèle devient l’hirondelle messagère du printemps : l’amour de la Connaissance se tourne vers le nouveau.  Et Térée est changé en huppe : la vigilance se transforme en « attention » et devient un support de l’être psychique qui guide la quête en vérité.

Érechthée, sixième roi d’Athènes, ses enfants et son frère Boutès

Érechthée et Boutès étaient frères jumeaux. À la mort de leur père Pandion I, ils se partagèrent l’héritage. Érechthée reçut la royauté et épousa Praxithéa (une homonyme de la femme du quatrième roi Érichthonios) dont il eut de nombreux enfants. Son frère Boutès devint un prêtre d’Athéna et de Poséidon. Il épousa sa nièce Chtonia.

Les enfants de Pandion I se partagèrent l’héritage et tout semble indiquer que ce fut en bon accord.
Le nouveau guide de la quête, représenté ici par Érechthée dont le nom signifie « briser », opère par son union avec Praxithéa (la seconde du nom) une mutation vers « l’acte juste ».
Il se dissocie de la partie en lui qui d’une part s’occupe des expériences et des réalisations spirituelles et d’autre part fait le lien avec les forces conscientes et subconscientes qui mènent la quête (son frère Boutès « le bouvier » hérita du sacerdoce et devint le prêtre d’Athéna et de Poséidon). C’est ce qui en lui assume le chemin d’incarnation (Boutés épousa sa nièce Chtonia « de la terre »).

Certains disent que sous le règne d’Érechthée, Déméter apporta à Athènes le secret de la culture des céréales, c’est-à-dire que c’est le moment de la quête où le chercheur peut comprendre les raisons profondes et les buts des pratiques proposées dans les diverses voies spirituelles (ou même élaborer de telles pratiques pour lui-même) en vue du perfectionnement de sa nature et du travail dans l’inconscient en vue de la réalisation de l’union (Déméter).

De sa femme Praxithéa, Érechthée eut plusieurs garçons, parmi lesquels deux fils – un Cécrops homonyme (le deuxième du nom) et Métion – ainsi que quatre filles, Procris, Orithye, Creuse et Chtonia. (Certains ajoutent une Méropé homonyme).

Creuse

Creuse « l’ouverture juste de la conscience » ou « le processus d’incarnation » s’unit à Xouthos « clair, d’un jaune d’or » ou « l’évolution intérieure vers l’équilibre esprit-matière » – un fils d’Hellen et donc un frère d’Éole – et lui donna trois enfants, Achaios, Ion et Diomédé.
Les deux fils représentent respectivement les Achéens et les Ioniens qui désignent chez Homère l’ensemble des Grecs considérés sous deux aspects du yoga : le « rassemblement des différents éléments de l’être » (pour œuvrer dans une même direction) ou « la concentration de la conscience » en ce qui concerne les Achéens ; le travail « d’évolution de la conscience » pour les Ioniens. Diomédé « celle qui se préoccupe de l’union en conscience » est la contrepartie « passive » des deux précédents, le but à atteindre.

Orithye

Orithye « celle qui s’élance sur la montagne » (peut-être aussi « celle qui prend soin de ce qui se produit à l’intérieur ») fut enlevée par Borée. Ce dernier est le vent du Nord, l’aide spirituelle pour l’incarnation et le travail du yoga. Il l’emmena en son royaume de Thrace, le pays de l’ascèse, où elle lui donna quatre enfants :

– deux fils célèbres (les Boréades), Calaïs « celui qui appelle » ou « celui qui travaille à la rectitude » et Zétès « la recherche ». Ce sont des êtres ailés, et donc des mouvements de la conscience mentale. Et par leur filiation, ils appartiennent déjà aux débuts de la quête où s’exerce essentiellement le mental analytique. Nous les avons déjà rencontrés dans la quête de la Toison d’Or, lancés à la poursuite des Harpies. Ils participent alors à l’investigation des perturbateurs de la conscience, dans la limite des possibilités de cette conscience analytique.
– Cléopâtre « les ancêtres glorieux » qui devint la femme du devin Thrace Phinée « l’évolution des capacités intuitives » développées par l’ascèse. Ce dernier fut débarrassé des Harpies « les perturbateurs mentaux » par les Boréades (il s’agit ici de la conscience de surface). Ce qui permet au chercheur de retrouver « les acquisitions anciennes ». Nous devons comprendre cela comme une « réactualisation » de connaissances acquises en d’autres temps.
– Chioné « d’une blancheur de neige » ou « l’évolution de la concentration de la conscience ». Elle eut un fils de Poséidon, Eumolpos « celui qui chante et danse bien », soit une certaine justesse dans l’expression et dans les actes suite au processus de purification. Mais cette exactitude ne peut se maintenir comme l’exprime le mythe suivant :

Chioné s’unit à Poséidon et mit au monde Eumolpos à l’insu du dieu. Pour ne pas être découverte, elle jeta l’enfant à la mer. Il fut recueilli par son père Poséidon qui le confia à sa fille pour qu’elle l’élève. Il grandit en Éthiopie, ignorant de sa filiation maternelle et donc de son appartenance à la lignée athénienne.
Devenu adulte, Eumolpos fut l’auteur d’une tentative de viol et d’un complot contre le roi de Thrace à qui il finit par succéder. Il se lia aussi d’amitié avec les habitants d’Éleusis.
Durant le règne d’Érechthée, une guerre survint entre Athènes et Éleusis. Cette dernière cité fit appel à Eumolpos qui combattit aux côtés des Éleusiniens avec un vaste contingent venu de Thrace. Érechthée consulta l’oracle de Delphes qui promit la victoire aux Athéniens si le roi sacrifiait l’une de ses filles. Il sacrifia donc la plus jeune et toutes les autres s’immolèrent aussi. Durant la bataille, Érechthée tua Eumolpos. (Dans certaines sources, il survécut et officia aux mystères d’Éleusis.) Courroucé par la mort de son fils, Poséidon tua Érechthée. Cécrops II devint alors septième roi d’Athènes.
D’autres disent que les Éleusiniens vaincus acceptèrent un traité de paix par lequel ils se soumettaient à Athènes mais gardaient seuls la responsabilité des mystères.

Il y a ici une différence importante de générations puisque Érechthée est l’arrière grand-père d’Eumolpos, mais ce n’est que l’une des nombreuses interrogations que soulèvent les différentes versions de ce mythe. Nous nous en tiendrons ici à celle d’Apollodore.

L’« exactitude » s’est développée à l’insu du chercheur, à travers l’intervention du subconscient. En effet, non seulement Eumolpos « celui qui chante et danse bien » est fils de Poséidon, mais il a aussi été élevé par une fille du dieu.
Cependant cette « justesse » dans la quête ne peut se maintenir car le chercheur tente d’obtenir différents avantages par la force, en particulier la direction de l’ascèse (Eumolpos tente de violer la sœur de son épouse et complote contre le roi de Thrace).
Puis le conflit entre Athènes et Éleusis exprime la difficulté, à ce moment-là, à mettre en cohérence la perception intérieure du chemin juste (Athènes) et les principes, enseignements et directives de la quête édictés par les Écoles des Mystères (Éleusis).
La partie du chercheur qui ignore la provenance de ce qui l’a conduit à l’attitude juste fait qu’il se range du côté des principes et pratiques avec lesquels il s’est familiarisé (Eumolpos qui s’était lié d’amitié avec les Éleusiniens devient leur allié contre Athènes).
Malgré cette « trahison d’Eumolpos » (il s’est positionné du mauvais côté, puisqu’il appartient en réalité à la lignée athénienne), la direction de l’être intérieur prévaut sur les formes imposées de la quête à condition que le chercheur accepte un certain renoncement à ses buts (le sacrifice des filles).
Cette histoire incite le chercheur à toujours davantage faire confiance à son être intérieur plutôt qu’aux lois et directives édictées par les différentes voies, si vénérables puissent-elles être par ailleurs, et quelles que soient leurs apparentes véracité et justesse.
La déviance est alors redressée (Eumolpos est tué) et la quête passe à une autre phase, les formes qui faisaient obstacle à la progression ayant été « brisées » (Poséidon détruit Érechthée et toute sa maison).

Procris

Nous avons traité l’histoire de Procris « celle qui met au premier plan l’ouverture juste de la conscience » précédemment dans ce chapitre. Elle représente la fin de la prédominance du mental logique dans la quête.
Elle est unie à Céphale « le mental pleinement développé, le couronnement », signe que le mental analytique est à son plus haut niveau de développement et en quête d’une ouverture de conscience.
Elle possède la racine de Circé « la racine du discernement fondée sur la vision du détail » qu’elle offrit à Minos pour le guérir de ses multiples « dispersions » (attraits pour d’autres femmes). En contrepartie, il fut obligé de céder la vigilance et la volonté tendue vers la recherche d’une voie (le chien et le javelot, les tous premiers cadeaux de Zeus).
Elle indique donc que le chercheur a définitivement trouvé sa voie personnelle ou son maître.

Chtonia

Chtonia « la terre » épousa son oncle Boutès, celui des deux frères qui reçut en héritage la prêtrise d’Athéna et de Poséidon : elle indique la nécessaire incarnation de la spiritualité.
Aucun enfant n’est mentionné.

Cécrops II, septième roi d’Athènes, et son frère Métion

Le second Cécrops apparaît lorsque prennent fin les premières « formes » de la quête. Il n’a pas d’histoire en propre, car il semble avoir été ajouté pour des raisons chronologiques. Son nom indiquerait, tout comme le premier Cécrops, « une ouverture de conscience infusée dans l’être depuis les plans supérieurs ».
Il eut comme fils un second Pandion qui lui succéda sur le trône d’Athènes. Mais ce dernier ne devait pas régner longtemps car il en fut chassé par ses neveux, les fils de son frère Métion. Selon d’autres, le seul fils de Métion qui participa au complot fut Eupalamos, le père de Dédale. Pandion II se réfugia à Mégare.
Pandion II « celui qui consacre tout à l’union en conscience » marque une nouvelle étape dans la consécration (ou le don de soi) qui génère presque automatiquement l’apparition d’une force d’opposition, puisque toute nouvelle lumière permet d’affronter des « ombres » toujours un peu plus fortes.
C’est donc à ce moment que se produit un glissement à la suite duquel « les expressions actives de l’intelligence habile » (les fils de Métion) ou seulement « l’habileté dans les œuvres » (Eupalamos), ne se soumettent plus à la direction de l’être intérieur, celle qui met en avant « la consécration » (Pandion II), mais prennent elles-mêmes la direction de la quête. Ce glissement, s’il se produit en même temps que certaines grandes expériences, sera la cause de l’une des plus grandes chutes spirituelles décrites dans la mythologie, le Minotaure et son Labyrinthe.
La consécration se maintient cependant dans son essence (Pandion II se réfugie à Mégare).

Avec Métion et sa descendance, nous retrouvons des personnages que nous avons rencontrés au commencement de notre étude du mythe du Minotaure. Métion est le symbole d’une certaine sagesse de l’ordre de la Métis « l’intelligence la plus haute ». Il est selon les auteurs, soit le père, soit le grand-père de Dédale.

Cette chronologie des rois d’Athènes permet de situer l’histoire de Pasiphaé et de Dédale après la rencontre du maître (ou de la voie).
L’usurpation de la direction de la quête par le mental analytique permet alors que naisse et grandisse le Minotaure et qu’une magnifique construction mentale labyrinthique l’abrite. Ce qui conduit à l’affaiblissement des forces consacrées à la quête (le tribut imposé par Minos).
Il est intéressant de souligner que l’erreur du Minotaure se produit non pas dans un abandon provisoire du chemin comme on pourrait s’y attendre, mais bien au contraire alors que le chercheur s’y est engagé encore plus profondément (Pandion II).

Les huitième, neuvième et dixième rois d’Athènes

Lorsque Pandion II fut chassé d’Athènes, il se réfugia à Mégare. Là, il épousa Pylia, la fille du roi Pylas, qui lui donna quatre fils : Égée, Pallas, Nisos et Lycos. Peu après, Pylas céda à Pandion II le trône de Mégare.
Après la mort de Pandion II, ses quatre fils montèrent une expédition contre Athènes, en chassèrent les fils de Métion et se partagèrent le royaume.

Pandion II « celui qui donne tout pour réaliser l’union en conscience avec le Réel » représente la partie du chercheur désireux de tout consacrer à la quête, cherchant « le passage » (Pylia, la « porte ») vers la « réalisation », tandis que c’est « l’intelligence » qui dans les faits dirige la quête (les fils de Métion).
Il ne lui reste comme domaine que « les grandes lignes » ou « l’essence » de la quête (Mégare).
C’est pendant son règne à Mégare que grandit le Minotaure en Crète tandis que le mental gouverne à Athènes. La quête n’en pâtira vraiment que plus tard, sous le règne de son fils Égée, lorsque Minos imposera un lourd tribut aux Athéniens après la mort de son fils Androgée.
Dans cette phase, ce qui voudrait « tout donner au Divin » se fait submerger par son « habileté dans les œuvres » ou son « habileté mentale » (Eupalamos et Dédale) par suite d’un manque de consécration (le refus de Minos de consacrer le taureau).

Mais, lorsque s’épuise l’impulsion initiale (à la mort de Pandion II) le chercheur s’aperçoit que la quête s’est mal orientée et décide d’en rendre les rênes à sa consécration, même s’il n’a pas encore vraiment pris conscience de l’impasse du Minotaure et du Labyrinthe. Il a fallu cependant que s’écoule une génération symbolique pour permettre à la consécration de se fortifier suffisamment dans l’incarnation (le temps que les fils de Pandion II accèdent à la maturité et soient en mesure de chasser les fils de Métion).
Ceci toutefois n’est qu’un début de redressement et ne met pas fin à la suprématie grandissante du Minotaure.

Les fils de Pandion II (Égée, Pallas, Nisos et Lycos) et le tribut imposé par Minos à Athènes.

Égée s’imposa rapidement comme seul détenteur du pouvoir même si l’un de ses frères, Pallas, qui symbolise une résistance au changement, contestait sa position dominante.
Lycos « une très faible lumière (celle qui précède l’aube) » représente une première prise de conscience du problème.
Pallas est la force d’équilibre qui peut se muer en force d’inertie, celle qui veut faire perdurer le Labyrinthe et le Minotaure. C’est surtout lui qui prétendit s’opposer à Égée pour la royauté. Il mourut avec ses cinquante fils, tués par Thésée lorsque le héros parvint à Athènes à son retour de Crète.
Nisos enfin symbolise la personnalité en évolution, sous les deux aspects d’une intuition qui s’éveille et d’un puissant fonctionnement duel.

Lycos

Lycos s’installa soit en Lycie soit en Messénie, à Aréné. Il était doté de pouvoirs prophétiques. Certains lui attribuent la fondation du culte d’Apollon-lycien. Il fut l’ancêtre d’une lignée de prêtres Athéniens, les Lycomides. Pour d’autres, il initia Apharée et sa femme Aréné aux mystères des grandes déesses, Déméter et Perséphone.
La récupération du trône d’Athènes par les fils de Pandion II implique que la croissance de l’être intérieur n’est plus sous la direction exclusive du mental logique et que se révèle une perception plus juste du chemin.
Lycos « la lumière qui naît avant l’aube », comme ses nombreux homonymes de la mythologie, évoque une lumière psychique vraie mais à peine perceptible. Elle permet de pressentir les erreurs, de s’approcher de l’être psychique et d’avoir quelques intuitions exactes (la fondation du culte d’Apollon-lycien et les pouvoirs prophétiques).
Lycos s’installa à Aréné, la ville « de l’évolution du mouvement juste » et épousa une femme au nom éponyme.
Cette nouvelle clarté intérieure entraîne le chercheur toujours plus loin sur la voie de la « sincérité » et de la disparition de ses « masques ». Il initie en effet Apharée, celui qui s’applique à être « sans masques », aux mystères de Déméter et de Perséphone. Il s’agit là d’une initiation « avancée » aux mystères. En effet, Apharée (fils de Périérès, lui-même cinquième ou sixième fils d’Éole) s’unit à Gorgophoné « celle qui a tué la peur » qui lui donna les deux très grands héros, Idas et Lyncée, « l’union en conscience » et « la vision acérée » (dans le détail) dont l’exercice simultané est le vrai « discernement ». Apharée, celui qui enlève ses « masques », œuvre en vue du « mouvement juste » (Aréné).

Pallas

Pallas, un autre fils de Pandion II, s’installa dans la partie sud de l’Attique. Certains disent qu’il était irrité par la puissance croissante de son frère Égée et même qu’il lui contesta la royauté. Sophocle dit de lui qu’il nourrit les géants (« gigantes »). Et Diodore nous apprend qu’Égée redoutait une alliance entre Androgée, fils de Minos, et les fils de Pallas.
Mais ce n’est que bien plus tard, à la génération suivante, que Pallas marcha sur Athènes avec ses cinquante fils, les Pallantides. Thésée le tua, ainsi que tous ses fils.

Les nombreux Pallas de la mythologie interviennent dans des épisodes où leurs attributions symboliques semblent à priori contradictoires.
C’est tout d’abord un surnom d’Athéna ainsi que le nom de son amie d’enfance dont elle causa accidentellement la mort. En sa mémoire, la déesse façonna une statue – le Palladium (ou Palladion) – qui fut récupérée par Ilos, le fondateur de Troie, et devait assurer l’invincibilité de la cité tant qu’elle demeurerait entre ses murs.
Un second Pallas est fils de Lycaon, roi d’Arcadie. Selon certains, il prit en charge Athéna dès sa naissance.
Un autre est le fils du couple de Titans Crios et Eurybié. Uni à Styx, il engendra la Victoire, la Force, l’Ardeur et le Pouvoir.
Un autre encore est l’un des géants nés d’Ouranos et de Gaia qu’affronteront dans un terrible combat les dieux alliés à Héraclès.
Ces personnages représentent donc des réalisations à différents niveaux. C’est le Pallas fils de Crios qui donne la clef car il forme avec ses deux frères Astraios et Persès la trilogie création-destruction-équilibre.
Ce nom peut donc être interprété au moyen des lettres stucturantes, comme une puissance qui maintient l’Équilibre, une force de cohésion (Π+ΛΛ). Cette puissance agit tantôt de façon bénéfique lorsqu’il faut consolider des acquis récents ou lorsqu’elle sert de base pour une nouvelle progression, tantôt comme un obstacle lorsque cette stabilisation se mue en inertie et fait obstacle au nouveau. Ceci explique que Pallas « nourrisse les Géants » que les dieux devront vaincre lors de la Gigantomachie (lors du travail dans le corps).

Dans ce mythe, Pallas représente un équilibre qui devient un obstacle à la transformation. Dans un premier temps, cet équilibre a pour fonction la stabilisation de cette seconde phase de la consécration (Pandion II) sous tous ses aspects : ceci est représenté par les cinquante fils de Pallas (une totalité dans le monde des formes). Il a cependant tendance à s’opposer dès le début au mouvement de transformation (Pallas revendique le trône). Puis de plus en plus, alors que grandissent ses cinquante fils, il représentera « une stabilité accomplie » que Thésée devra renverser. Le héros le tuera ainsi que ses fils lorsqu’il montera sur le trône d’Athènes à son retour de Crète, ayant vaincu le Minotaure.

Nisos

Nisos représente l’évolution de la personnalité du chercheur, et surtout la poursuite de la spiritualisation du mental, car il a une mèche de cheveux roux sur le sommet du crâne.

Égée et la conception de Thésée

Égée épousa en premières noces Méta, fille de Hoplès, puis en secondes noces Chalciopé (Khalkiopé) mais aucune d’entre elles ne put lui donner d’enfants. Comme il vieillissait et craignait que sa succession ne tombât entre les mains de ses frères, il alla consulter l’oracle de Delphes qui lui dit : « Ne délie pas, toi, le plus excellent des hommes, la bouche qui fait saillie au bas de l’outre (à vin) avant d’être parvenu au plus haut de la ville d’Athènes. »
À son retour de Delphes, Égée, déconcerté, se détourna de sa route pour demander conseil à Pitthée roi de Trézène (fils de Pélops et donc petit-fils de Tantale) car il était réputé pour sa sagesse. Pitthée comprit immédiatement le sens de l’oracle mais n’en souffla mot car il voulait que sa fille Aéthra porte l’enfant d’Égée. Aussi, ayant enivré celui-ci, il introduisit sa fille dans son lit.
Certains disent que le dieu Poséidon s’unit la même nuit à la jeune femme, devenant « le père divin » de Thésée, Égée n’étant que « son père humain ».
Au réveil, comprenant ce qui s’était passé, Égée fit promettre à la jeune femme, au cas où elle porterait un fils, de l’élever mais de garder secret le nom de son père. Il plaça ensuite une épée et des sandales qui lui appartenaient sous un rocher non loin de là. Puis il demanda à Aéthra de conduire son fils en ce lieu lorsqu’il serait suffisamment fort pour déplacer le rocher, et de l’envoyer à Athènes muni de ces objets.
Égée rentra alors à Athènes où il fit célébrer les Jeux Panathénées.

Le nom Égée exprime « une impulsion dans la conscience (au plus haut de celle-ci) ». Si l’on considère qu’il est formé sur la même racine que celui de la chèvre, il est symbole « de la personnalité la plus affinée » ou encore « la raison d’être » qui implique de développer « ce par quoi on excelle ». Cette impulsion est la plus légitime pour diriger la quête à cette période précise, même si c’est plutôt à une « stabilisation » de sa nouvelle forme de consécration que le chercheur aspire (l’opposition de Pallas).

Toutefois, la situation se prolonge avec d’un côté le Labyrinthe et le Minotaure, et de l’autre « l’impulsion à poursuivre la quête » (d’une façon juste puisque c’est un roi d’Athènes) qui s’inquiète de la suite du chemin (Égée ne peut avoir d’enfants). Mais rien ne laisse entendre que le chercheur à ce stade ait pleinement pris conscience de son erreur majeure.

La première femme d’Égée, Méta (nom à rapprocher de celui de Métis « l’intelligence suprême ou sagesse discernante ») est fille d’Hoplès « la préparation ». Elle indiquerait une tentative de répondre à l’inquiétude par le mental. Cependant, même si cette tentative « prépare le terrain », elle n’offre aucune solution (Méta ne peut donner d’héritier à Égée).
La seconde femme d’Égée, une Chalciopé homonyme « une attitude inflexible » (fille de Rhexénor « celui qui rompt (les rangs ennemis) ») illustre un deuxième essai de résolution aussi vain que le premier car elle ne peut non plus lui donner d’enfant.

Le chercheur opère alors un retournement vers l’intérieur (l’oracle de Delphes) pour trouver une solution (pour avoir un héritier) car la quête risque à terme de prendre une mauvaise direction (Égée vieillissant craignait que sa succession ne tombât entre les mains de ses frères).
Il reçoit une réponse mais ne peut en saisir la teneur. Il devra poursuivre jusqu’à son terme le travail de spiritualisation de son être mental et de croissance de son être intérieur (les hauteurs d’Athènes) sans vouloir orienter la quête selon son désir (sans « délier la bouche qui fait saillie au bas de l’outre », c’est-à-dire sans chercher à avoir un héritier). Autrement dit, il ne lui est pas demandé de décider par lui-même de ce qui doit être l’essentiel de son travail, mais de développer un état de confiance.

Mais le chercheur ne comprend pas le langage de son être intérieur et se tourne en conséquence vers ce que représente Pitthée, roi de Trézène. Pour cela, il doit « se détourner de son chemin ».
Au lieu de poursuivre dans la voie du perfectionnement de soi-même, il doit se concentrer sur son manque essentiel. Pitthée figure en effet dans la lignée de Tantale. C’est un fils de Pélops et d’Hippodamie et donc un frère d’Atrée, père d’Agamemnon et Ménélas. Il représente dans le chercheur une expression du « manque », de « l’aspiration » et de « l’endurance », une volonté d’incarner la voie à travers la maîtrise du vital et non une fuite dans les hauteurs de l’esprit.

Pitthée a une fille Aéthra « un ciel clair » qui représente une conscience mentale supérieure purifiée et rayonnante. (Chez Homère, l’éther Αιθηρ est la partie rayonnante la plus pure et la plus élevée de l’atmosphère ». Le mot est dérivé du verbe qui signifie « enflammer », « brûler » avec une notion de lumière et d’éclat.)  La poursuite de l’idéal (Pitthée) a entraîné la nécessité de clarifier et spiritualiser le mental (Aéthra) mais il faut en trouver les moyens. L’opportunité en est offerte par l’arrivée d’Égée « l’impulsion à la transformation ».
Mais la réorientation du chercheur dans cette direction se produit de façon plus ou moins subconsciente : d’une part Poséidon participe à la fécondation, d’autre part Égée est enivré et ne prend conscience de l’union qu’à son réveil, sans savoir si elle portera des fruits. Autrement dit, le chercheur ne sait pas exactement où le conduit cette expérience, mais il la maintient dans sa conscience pour faire le lien le moment venu : c’est pourquoi Égée laisse des indices pour que Thésée « retrouve » les moyens (les armes) et la façon de procéder (les sandales) qui ont déjà été portés par son père (les moyens adaptés et déjà expérimentés).

Le chercheur ne mesurera que beaucoup plus tard l’extrême importance du travail qui va se poursuivre durant une longue période (car le héros doit ignorer qu’il est le prétendant légitime au trône jusqu’à ce qu’il parvienne à Athènes).
Pendant cette phase de gestation (la croissance du héros), il s’enfoncera encore davantage dans l’impasse du Labyrinthe, perdant nombre d’énergies utiles à la quête sous l’effet du tribut imposé par Minos.

Égée et Nisos

De retour à Athènes, Égée, ayant affermi sa position sur le trône, organisa les Jeux Panathénées (fondés par son aïeul Érichthonios). L’un des fils de Minos, Androgée, un des plus grands athlètes de sa génération, vint à Athènes pour y participer et remporta tous les prix. Pour une raison qui varie selon les auteurs, Égée le fit assassiner ou bien l’envoya combattre le taureau de Marathon qui le tua. Égée craignait en effet les fils de son frère Pallas dont Androgée était devenu l’ami. (Pour d’autres, Androgée mourut assassiné par ses rivaux lors de jeux célébrés en l’honneur de Laïos.)
Lorsque Minos apprit le décès de son fils, il se prépara pour mener une guerre contre Athènes. Ayant la maîtrise de la mer, il fit le siège de Mégare, une cité alliée des Athéniens dont le roi était Nisos, l’un des frères d’Égée. Nisos avait deux filles, Scylla et Eurynomé. (Nisos est parfois nommé parmi les enfants de Déion).
Nisos se révéla un adversaire redoutable car il avait au sommet du crâne une mèche de cheveux pourpres qui le rendait invulnérable et garantissait la sécurité de sa ville tant qu’il y demeurait. Mais sa fille Scylla tomba amoureuse de Minos (ou bien fut séduite par lui car il lui avait offert des colliers d’or). Aussi, tandis que son père dormait, elle lui arracha sa mèche protectrice afin que Minos put s’emparer de Mégare.
Quelques auteurs racontent que Minos, indigné par la trahison de Scylla, l’attacha à la poupe (ou à la proue) de son bateau. Et selon certains elle se noya.

Si une partie du chercheur, en raison d’une consécration encore trop empreinte d’un attachement aux résultats, est à l’origine de la déviance majeure du Minotaure, les autres enfants de Minos et Pasiphaé représentent les aspects positifs de la progression par l’implication dans le monde.
Androgée est l’un deux. Son nom signifie « l’homme-terre » et comporte un oméga en signe d’ouverture vers la matière. Il représente « l’homme incarné ».
Il participa aux Jeux Panathénées ouverts à ceux qui désirent « tout consacrer à la quête ». Ces jeux qui impliquent de nombreux héros dans des disciplines sportives symboliques peuvent être assimilés à une évaluation des outils et modalités du travail intérieur.
C’est la voie de l’incarnation représentée par Androgée qui est alors reconnue comme la meilleure dans toutes les disciplines : aucune ascèse ne peut prévaloir sur celle de l’incarnation « juste ».
Mais celle-ci, parvenue à un certain équilibre, avait tendance à se suffire à elle-même (amitié d’Androgée avec les fils de Pallas). Elle pouvait coexister avec l’enfermement dans le labyrinthe mental construit autour d’une expérience spirituelle.
Il était donc nécessaire de bousculer cette inertie. C’est pourquoi Égée, roi d’Athènes, fit en sorte qu’Androgée meure d’une manière ou d’une autre.

Dans l’une des versions, Androgée dut combattre le taureau de Marathon. C’est celui que Minos avait conservé dans ses troupeaux puis qu’Héraclès avait dû ensuite ramener à Eurysthée avant de le relâcher dans la plaine de Marathon. Androgée périt en l’affrontant. C’est Thésée qui finalement le capturera et l’offrira en sacrifice.
La mort d’Androgée démontre que l’incarnation n’est pas assez puissante à ce stade pour résister aux « attachements » et à l’attrait pour « la puissance de réalisation du mental lumineux » qui permirent l’existence du Minotaure et de son Labyrinthe.
Thésée, en tuant le taureau, mettra fin au risque d’apparition de tout nouveau Minotaure (le chercheur quitte la « zone intermédiaire » décrite plus haut).
Le travail du Taureau de Crète réalisé par Héraclès laisse entendre qu’un chercheur sincère ne tombe pas obligatoirement dans le piège du Minotaure.

(La version dans laquelle Androgée meurt assassiné lors de jeux célébrés en l’honneur de Laïos n’a été ajoutée que pour faire un pont avec le processus de purification figurant dans la lignée de Cadmos. La mort de Laïos précède le travail de purification des centres d’énergie – les guerres de Thèbes – comme ici la mort d’Androgée se situe avant le travail de redressement effectué par Thésée.)

C’est la mort d’Androgée qui marque le début de l’affaiblissement des forces consacrées à l’évolution de l’être intérieur. En effet, Minos va successivement soumettre Mégare puis Athènes, imposant à cette dernière un amoindrissement de ses forces vives (le tribut des jeunes gens).

Le nom Mégare peut être compris comme « le juste mouvement dans les orientations principales ». La ville est alors gouvernée par un frère d’Égée, Nisos « l’évolution de la personnalité ».
C’est une ville proche d’Athènes, son avant-poste. Autrement dit, la croissance de l’être intérieur « s’appuie » sur « l’évolution de la personnalité ». Celle-ci a déjà une certaine connexion avec les mondes de Vérité, car Nisos a une mèche pourpre au sommet du crâne. Tant que le contact avec les plans supérieurs est maintenu, « la personnalité en évolution » permet de conserver une organisation exacte dans ses principales orientations (la mèche rendait Nisos invulnérable et garantissait la sécurité de sa ville tant qu’il y demeurait).
Mais cette personnalité a mis en évidence en elle-même les deux mouvements opposés, l’un qui morcelle et juge (Scylla « qui déchire »), l’autre qui insiste sur une « organisation d’ensemble harmonieuse » (Eurynomé).
(Scylla est un homonyme du monstre que rencontreront Jason et Ulysse durant leurs quêtes.)

La guerre qui opposa Minos à Égée témoigne donc d’un conflit intérieur. La force de séparation fait pression dans la conscience du chercheur pour s’imposer à sa « purification de l’intelligence discernante » (Minos) comme la seule possibilité de résolution du conflit, annihilant pour cela l’intuition naissante (Scylla tombe amoureuse de Minos et arrache la mèche rouge de son père Nisos).
À nouveau, après le Minotaure et le Labyrinthe, le chercheur se fait prendre à son propre piège.

Il perd alors sa faculté de percevoir « les grandes directions exactes » de son évolution (Minos fait tomber Mégare). Il est cependant suffisamment conscient à ce stade pour ne pas poursuivre dans cette voie de la séparation, même si elle lui a temporairement donné l’avantage (Minos est « dégoûté » par la trahison de Scylla).
À partir du moment où le chercheur, déjà sous l’emprise du Labyrinthe, se sépare du processus d’incarnation (la mort d’Androgée), il s’éloigne toujours davantage du chemin juste, poussé en cela par une force de séparation qui l’y aide même s’il la renie.

Puis Minos attaqua Athènes qui était gouvernée par Égée.
Comme cette ville résistait mieux que Mégare, la guerre s’éternisa jusqu’à ce que, perdant patience, Minos implorât l’intervention de son père Zeus. Ce dernier envoya alors sur Athènes une sécheresse qui entraîna la famine (selon certains, il envoya aussi une peste). Les Athéniens consultèrent alors l’oracle de Delphes qui leur recommanda de satisfaire aux demandes de compensation de Minos. Celui-ci imposa un tribut qui devait être payé chaque année (ou tous les neuf ans) : Athènes devait envoyer sept jeunes gens et sept jeunes filles pour être offerts au Minotaure.

Non seulement le chercheur s’est enfermé dans une structure mentale rigide, mais il a aussi perdu le contact avec la réalité (Androgée) et ses capacités intuitives (la mèche de Nisos) qui lui permettait malgré tout de rester fidèle aux grandes orientations de sa quête. Cependant, même s’il est en « faillite » provisoire, le chercheur a affiné ses compréhensions du chemin et entrepris certains travaux intérieurs (les autres enfants de Minos).
C’est alors le cœur même de sa quête qui est touché dans son aspiration évolutive (Athènes gouvernée par Égée « l’impulsion à la transformation ») par une purification de l’intelligence insuffisante qui maintient davantage encore le chercheur dans son erreur (Minos).

Même si Minos a dévié du chemin, il ne faut pas oublier qu’il est fils de Zeus, donc un demi-dieu. Pour Hésiode, Minos est « le roi entre les rois », et pour Homère « le familier de Zeus ».
Malgré ses nombreuses déviances, il est donc supérieur à Égée qui n’est qu’un simple mortel. Sa légitimité est évidente dans l’orientation de la quête, même si cela doit passer par une accentuation de l’erreur. En effet, la purification de l’intelligence par l’implication dans le monde est le travail incontournable et prioritaire du chemin, même si le chercheur doit se fourvoyer dans des impasses car il apprend souvent beaucoup plus vite de ses comportements erronés que des vertueux.
C’est pourquoi Minos, malgré son erreur d’orientation, fut soutenu par Zeus « le plus haut du supraconscient » lorsqu’il demanda réparation pour le meurtre de son fils Androgée et voulut s’assurer de la soumission d’Athènes. Le dieu envoya en réponse une famine sur Athènes : les forces supérieures, paradoxalement, s’opposent à la volonté de discernement (Égée est marié à Aéthra « un mental supérieur éclairé »). Autrement dit, le chercheur est plongé encore davantage dans l’illusion.
On pourrait s’étonner que Zeus soutienne Minos, mais en fait, l’Absolu permet toujours que les erreurs se développent jusqu’à leur terme. Selon Sri Aurobindo, toutes les forces sur tous les plans sont légitimées à poursuivre jusqu’au bout la ligne qui est la leur.
C’est toujours un premier glissement hors du chemin par insincérité (manque de consécration, ici du taureau par Minos) qui entraîne dans une longue errance. Et ceci est vrai pour tout : le tout premier moment de tout mouvement contient le déroulement dans son ensemble. C’est donc à ce seul instant du commencement, instant qui peut être extrêmement fugitif, que l’on a la possibilité d’exercer un choix et d’orienter les choses différemment. C’est vrai pour une maladie, dans la seconde où on la perçoit. C’est vrai pour une rencontre amoureuse, qui va parfois lier pendant plusieurs années avant de pouvoir être dénouée, parce que l’on n’a pas fait attention et/ou pris en compte notre sentiment intérieur.
Quand le processus est enclenché, il est extrêmement difficile sinon impossible de l’arrêter. Ceci acquiert une encore plus grande importance dans le chemin spirituel. C’est pourquoi Mère a donné le message suivant :
« Ceux qui veulent aider la Lumière de Vérité à triompher des forces d’obscurité et de mensonge peuvent le faire en observant soigneusement la source initiale de leurs mouvements et de leurs actions afin de discerner les impulsions venant de la Vérité et celles qui viennent du mensonge, pour obéir aux unes et refuser ou rejeter les autres. La possibilité de ce discernement spécial est l’un des premiers effets de l’apparition dans l’atmosphère terrestre de la Lumière de Vérité…»

Les perceptions provenant de sa lumière intérieure lui font comprendre qu’il ne pourra s’en sortir sans sacrifier une partie de ses travaux de yoga et de ses buts. Autrement dit, il va lui falloir abandonner ce qui semble à ses yeux soit comme des buts majeurs du yoga, soit comme des travaux destinés à acquérir des vertus dont il se fait un rempart de pureté (Après avoir consulté l’oracle Apollinien de Delphes, Égée doit accepter de satisfaire aux demandes de compensation de Minos en sacrifiant chaque année quatorze jeunes gens, sept de chaque sexe).
Le rythme imposé et le nombre d’années où cela perdura, variable selon les auteurs, laisse entendre qu’on ne peut savoir combien de temps le chercheur restera enfermé dans son labyrinthe : des mois, des années, des vies…
Il faudra en effet que Thésée, le dixième roi d’Athènes, le fils d’Egée, procède au nettoyage préalable de nombre d’illusions ou d’erreurs de yoga avant de pouvoir s’attaquer à la racine du problème, au Minotaure lui-même.

LES EXPLOITS DE THESEE

Dès qu’il fut devenu assez fort, Thésée fut conduit par sa mère jusqu’au rocher et se saisit sans difficulté des sandales et de l’épée. Puis, selon les instructions laissées par Égée, il partit pour Athènes par la voie terrestre qui était infestée de brigands.

La ville de Trézène est située sur la côte au sud de l’Argolide. Il y avait donc une route maritime pour rejoindre Athènes. Plutarque ajoute que Thésée avait été prévenu par sa mère et son grand-père de la présence de brigands sur la voie de terre mais qu’il refusa d’en prendre une autre.
L’étymologie du nom Thésée est inconnue. Avec les lettres structurantes, il exprimerait un « retournement vers l’intérieur » (et peut-être « la conscience humaine qui agit depuis l’intérieur »). Pour les auteurs qui font intervenir Poséidon dans sa conception, ce mouvement est au départ le plus souvent subconscient.
Ce héros représente donc un nouveau mode d’action dans la quête, résultat de « l’impulsion à la transformation » (Égée) orientée vers « une clarification du mental » (Aéthra) obtenue par la purification de l’intelligence. Aéthra n’est pas l’épouse légitime d’Égée, et donc aussi longtemps que durera le paiement du tribut, elle ne représente pas la préoccupation essentielle du chercheur dans sa quête (Égée est roi d’Athènes, alors marié à Chalciopé « la vison ou la parole d’airain », c’est-à-dire « la dureté » de celui qui ne peut accepter de changer de position, l’inflexibilité).
Une graine de « clarté » a donc été semée dans le chercheur en dépit de sa raideur. Mais il a sans doute énormément de mal à admettre que ce à quoi il a consacré beaucoup de temps, d’argent, et d’énergie, puisse avoir été une illusion où l’ont conduit ses rêves du passé.

Au départ, le travail se fait sans que le chercheur soit conscient qu’il participe de la quête (Égée ignore la naissance et la croissance de Thésée). Ce n’est qu’après une purification préliminaire (les confrontations de Thésée aux brigands) exécutée en dehors de ce qu’il croit être les lois du chemin, et après la reconnaissance que le travail de « clarification de l’intelligence » a constitué une démarche préalable indispensable à la quête (la reconnaissance de Thésée par son père Égée), que le Minotaure pourra être vaincu.

Lorsque ce nouveau mode de conscience devient assez puissant, il se place automatiquement au service de la quête (Thésée récupère les sandales et l’épée d’Égée et se met en route pour Athènes). Toutefois, le chercheur ne peut encore faire la liaison avec la quête pour de multiples raisons : Thésée ignore sa filiation, Poséidon « le subconscient » fut un acteur de sa conception, Nisos a perdu sa mèche pourpre et Athènes paye un lourd tribut.
Autrement dit, le chercheur n’a plus la capacité d’évaluer ce qui est le plus important pour la quête.
À ce moment du chemin, le chercheur ne peut plus se fier qu’à sa « clarté mentale ». C’est en effet sa mère Aéthra qui lui transmet les volontés de son père.

C’est cette « clarté mentale » associée à un contact intérieur qui va lui permettre de réaliser un important travail de purification, illustré par plusieurs confrontations à des brigands. Ces nettoyages préliminaires sont indispensables car les sources d’impureté doivent être éliminées avant que le chercheur ne puisse combattre ce qui en fait n’en est qu’une conséquence, l’ensemble Minotaure-Labyrinthe.
Il s’agit ici de ce que Sri Aurobindo considère comme une tâche indispensable au début du chemin : la purification de l’intelligence supérieure (la buddhi). Il énonce qu’il y a deux sources essentielles d’impureté : les conséquences d’une évolution dans l’ignorance séparative (union de Typhon et d’Échidna) et le mélange de fonctions (par exemple le vital qui perturbe l’intellect). C’est de ce mélange dont il sera essentiellement question dans les exploits préliminaires de Thésée.
En effet, dans la mesure où l’on aborde le yoga par la spiritualisation du mental, la première tâche est de « purifier l’intelligence et la volonté, au niveau du mental inférieur, de ce qui les limite et leur communique un mouvement faux ou une direction fausse ». C’est pourquoi l’essentiel de ces travaux se situera dans l’isthme de Corinthe, province de Sisyphe qui est le grand-père de Bellérophon, vainqueur de l’illusion.

Les « brigands » illustrent des processus subconscients sévissant dans la « zone intermédiaire » qui impliquent que le chercheur se croit dans une juste démarche. Ils illustrent à la fois des voies de yoga erronées et des expériences particulières pour chaque chercheur, les unes et les autres ayant permis qu’existe et se développe le Minotaure.

Si Thésée doit rejoindre Athènes par la voie terrestre – le yoga étant habituellement un voyage par mer – c’est sans doute pour exprimer non seulement que la purification va se faire en partie dans le corps, mais aussi hors des sentiers habituels du yoga et de ses lois.

Lorsque Thésée parviendra à Athènes, il y trouvera le roi Égée uni à Médée : ces exploits préalables à la victoire sur le Minotaure se situent donc quelque temps après la quête de la Toison d’Or et la séparation de Jason et Médée.

Premier exploit : « l’homme à la massue de fer »

A Épidaure, Thésée tua Périphètès, aussi appelé Korynétès « l’homme à la massue de fer». Pour compenser la faiblesse de ses jambes, il portait un gourdin de fer dont il se servait pour tuer les voyageurs qui passaient chez lui. Quand il fut attaqué par la brute, Thésée lui prit sa massue – dont il ne devait plus se séparer – et le tua.

Cette histoire ne figurait pas dans la liste la plus ancienne des exploits de Thésée, celle que nous a transmise Bacchylide au Ve siècle avant J.-C. Elle n’a donc aucun rapport direct avec la purification de l’intelligence. Elle a sans doute été ajoutée comme une condition sine qua non de tout processus de purification : l’incarnation qui implique de confronter sa conception du chemin à la vérité des faits et d’agir en conséquence (ajustement incessant du moi au non-moi).

Les « jambes faibles » traduisent un manque d’incarnation, un manque d’ancrage dans la réalité, c’est-à-dire une impossibilité à voir la réalité en face et à agir en conséquence.
L’incarnation est pourtant un préalable à tout processus de purification, car elle implique une sincérité qui oblige à confronter sa conception du chemin et son action à la vérité des faits et à agir en conséquence, par l’ajustement incessant du moi au non-moi.
Pour compenser, le chercheur détruit violemment en lui d’autres possibilités de sa nature qui ne demandent qu’à se manifester (les passants) en établissant une forme de yoga qui établit des cadres et des moyens d’action rigides. Il manque de souplesse et d’adaptabilité.
Ce premier exploit dénonce les voies qui contrebalancent leur fuite de la réalité par des règles rigides et sévères qui limitent les capacités du chercheur.
Sri Aurobindo s’est fermement opposé à cela, affirmant que son yoga ne visait pas une spiritualité qui contraint l’homme et l’appauvrit, mais celle qui épanouit toutes ses potentialités. Il prenait pour exemple les sociétés qui virent le plus grand développement des arts et des connaissances, et qui furent aussi les plus riches sur le plan spirituel.
Le nom Périphètès est peut-être en rapport avec tout ce qui tourne autour « d’intuitions spirituelles » ou de « ce qui est reçu d’en haut ». Ne pouvant trouver de point d’application juste par manque d’incarnation, elles génèrent des processus déviants.
Périphètès est souvent décrit comme un fils d’Héphaïstos et d’Anticlée, une « forme spirituelle » partielle qui cherche « la gloire en retour » car ce qui vient d’en haut se conjugue avec les aspirations et les ambitions du chercheur.

Deuxième exploit : « l’homme qui courbe les pins »

Sur l’Isthme de Corinthe, il tua Sinis surnommé Pityocamptès « celui qui courbe les pins », un fils de Poséidon (ou de Polypémon et Siléa, la fille de Corinthos) qui obligeait les voyageurs à maintenir des pins courbés. Trop faibles pour y parvenir, ils étaient projetés dans les airs et périssaient de mort cruelle.
Pour d’autres auteurs, Sinis s’associait aux voyageurs et soudainement relâchait sa prise. Ou encore, le voyageur attaché à deux pins courbés était écartelé lorsque les liens qui maintenaient les arbres étaient soudainement coupés. Thésée le tua de la même manière.

L’Isthme de Corinthe est lié à Sisyphe et donc à l’intellect. Sinis, dont le nom signifie « dévastateur, malfaiteur » et aussi « l’évolution de la personnalité (Σ+Ν) », représente la poursuite d’une action intellectuelle dont les mobiles sont inconscients car il est fils de Poséidon. Ses parents humains sont Polypémon « celui qui est très nuisible » et Siléa « une pensée libre ».
Courber le pin, c’est exercer une contrainte sur les énergies naturelles qui produit une accumulation de forces sous pression que le chercheur ne peut maîtriser faute de purification suffisante. C’est le relâchement soudain qui occasionne les dégâts.
Notons que la pomme de pin située au sommet du caducée est le symbole de la connaissance occulte. La mention de cet arbre spécifique dans le mythe pourrait alors évoquer des pratiques d’ordre occulte.

De manière plus générale, cette histoire s’applique à toutes les contraintes, en général soutenues par l’intellect, que le chercheur ou certaines écoles spirituelles peuvent exercer sur la nature physique ou vitale sous couvert de buts spirituels.
L’ascèse doit se fonder non sur une contrainte mais sur une maîtrise qui s’établit naturellement lorsque le chercheur accède à un plan supérieur et vit dans les énergies de ce plan.

Troisième exploit : « la laie Phaia »

A Crommyon il tua la laie appelée Phaïa d’après le nom de la vieille femme qui l’avait élevée. Selon certains, elle était issue d’Échidna « la vipère » et de Typhon « l’ignorance ».

Phaïa signifie « obtenu par mélange de blanc et de noir », et donc gris. Ce sens dérive le plus probablement de la lettre structurante Φ (phi) « une pénétration de la conscience dans les plans inférieurs ». Plus la lumière descend dans les couches denses, plus elle s’assombrit. Le Phi a donné également les racines Φα, Φυ etc. « briller, rayonner » comme résultat de la pénétration de la conscience.
Crommyon est une ville de Mégaride (entre Corinthe et Athènes) qui signifie « oignon », peut-être en signe des « couches » que le chercheur doit purifier au fur et à mesure.
La laie, femelle du sanglier, nous renvoie aux autres sangliers de la mythologie : celui des monts de l’Érymanthe chassé par Héraclès et surtout l’épopée héroïque de la chasse au sanglier de Calydon.
La laie Phaia évoque donc les impuretés issues des « mélanges » de fonctions hérités de l’évolution, en particulier ceux dus à l’irruption des énergies des plans du vital inférieur dans les plans supérieurs.
Il s’agit d’éléments très frustres et très archaïques du vital. C’est pourquoi il est dit que Phaia est fille de l’évolution pervertie associée à l’ignorance (issue d’Échidna « la vipère » et de Typhon « l’ignorance »).
La vieille femme pourrait symboliser un état passif qui, depuis très longtemps, a laissé se développer ce mélange dans le chercheur.

Cet exploit se situe également dans l’isthme de Corinthe, et donc toujours au pays de l’intellect dominant (Sisyphe), car une des premières nécessités est de purifier l’intelligence de l’irruption des mouvements du bas vital.
Selon Plutarque, le héros entreprit cet exploit « pour ne pas avoir l’air de toujours agir par nécessité » : c’est une façon de dire que le chercheur ne sentait pas intérieurement la nécessité impérative de cette purification, mais qu’il l’a tout de même entreprise.
Cette histoire fustige les voies qui prétendent par exemple que l’exercice de la sexualité peut être une voie vers l’union avec l’Absolu.
Ce problème est assez complexe et très discuté. Sri Aurobindo affirme que c’est une question de vibrations. La sexualité peut être compatible jusqu’à un certain point avec le chemin spirituel, mais il arrive un moment où certaines vibrations vitales deviennent incompatibles avec les vibrations les plus hautes. En revanche, la sexualité doit tomber naturellement quand le moment est venu, quand le chercheur n’a plus aucune animalité en lui, et toute contrainte « par principe » » est une absurdité.

Quatrième exploit : « Sciron »

Avant d’arriver en Mégaride, Thésée rencontra Sciron qui était installé en bordure de mer dans un amas de rochers qui portaient son nom, « les Roches Scironiennes ». Il était selon certains fils de Pélops ou même de Poséidon. Il détroussait les passants ou bien les forçait à lui laver les pieds, et pendant qu’ils s’exécutaient, il les précipitait du haut des falaises dans la mer.
Thésée lui ôta la vie.

L’histoire se déroule aussi en Corinthie. Le nom du brigand Sciron signifie « éclats de pierre » et avec les lettres « celui qui perpétue l’ombre ». Il incarne une déviation qui résulte des « nœuds » du chercheur, « l’amas de roches  », et qui lui retire ses capacités ou bien le fait mépriser certaines parties de sa nature qui sont ensuite condamnées à s’effacer. Les nœuds sont bien sûr subconscients (il est fils de Poséidon).
La fausse humilité consiste à s’abaisser devant les hommes, alors qu’il faut relever la tête devant eux et la courber devant le Divin seul.
Selon d’autres sources, un crabe géant finit d’exterminer les passants et s’en nourrit : le crabe est un symbole de la pulsion d’appropriation ou de captation, qui se transforme ensuite en cupidité.
Cette histoire pourrait dénoncer les voies qui exigent que les disciples donnent tous leurs biens à la réalisation de buts humains et qui les obligent à s’humilier devant le maître.

Cinquième exploit : « Cercyon »

À Éleusis en Attique, il s’opposa au roi Cercyon qui forçait les voyageurs à lutter avec lui et les tuait. Thésée l’obligea au combat et le tua en le soulevant dans les airs puis en le projetant sur le sol.
(Cercyon est le plus généralement considéré comme un fils de Poséidon, parfois aussi d’Héphaïstos.)

Cette confrontation se déroule à Éleusis, une ville où se tenait une célèbre École de Mystères qui délivrait les différents degrés de l’initiation. Le nom Cercyon signifiait originellement « bâton » et fait probablement référence à un combat symbolique où la mort était en jeu.
Le chercheur est donc obligé d’entrer dans un combat qui va le confronter à la mort, et surtout à une mort à lui-même, et dont le vainqueur semble désigné d’avance (le brigand est ici le roi).
Là encore, les évènements vont être dirigés par le subconscient (le roi est fils de Poséidon).
Pour que ce mouvement erroné cesse, l’adversaire doit être séparé de sa base, de ses appuis habituels et de ses certitudes (Thésée isola le brigand du sol).
Le chercheur doit dans ce travail accepter de remettre radicalement en cause ses croyances sur les justes attitudes dans le yoga.

Cette histoire dénonce donc les voies dans lesquelles les disciples sont contraints par la peur, et énonce qu’ils doivent s’y affronter en renonçant à leurs appuis habituels.

Sixième exploit : « Procruste »

À Érinéos, non loin d’Athènes, Thésée rencontra et tua un vilain connu sous les noms de Procruste, Damastès ou Polypémon qui avait sa demeure « à côté » de la route. En effet, ce dernier avait installé deux lits, l’un court et l’autre long. Il offrait l’hospitalité aux voyageurs et faisait coucher les petits sur le grand lit en les martelant et les étirant à la dimension du lit, et les grands dans le petit lit en sciant ce qui dépassait de leur corps.

Le chercheur est maintenant presque arrivé à Athènes.
Procruste est « celui qui commence par frapper », Damastès « celui qui soumet par la force ».
Cette histoire dénonce la tendance que peut avoir le chercheur bien intentionné à entrer dans des formes contraires à sa nature, en agissant selon des idées préconçues sur le yoga. Cette attitude peut déformer ou mutiler gravement certaines de ses capacités naturelles qui lui ont été données pour le yoga.

Cette histoire exprime également que le disciple doit être guidé selon sa nature.

Thésée à Athènes

Ayant purgé la route des brigands, Thésée arriva alors à Athènes où régnait son père Égée alors marié à la magicienne Médée. Après le meurtre de ses enfants, celle-ci avait rejoint Athènes sur un chariot tiré par des dragons ailés (des énergies mentales évolutives puissantes) fourni par son grand père Hélios.
Rappelons que Médée « le dessein de l’âme » est la petite-fille d’Hélios et l’arrière petite-fille d’Hypérion, et donc une expression lointaine de la puissance illuminative du supramental.
Elle fit en sorte qu’Égée l’épouse. Ainsi se maintient encore un certain temps l’influence des plans supérieurs qui s’est manifestée lors de la conquête de la Toison d’Or.
Avant de pouvoir vaincre le Minotaure, il y a encore une dernière étape à franchir : la reconnaissance de Thésée par son père Égée, c’est-à-dire la compréhension et l’intégration que les épreuves traversées font partie du yoga de croissance de l’être intérieur.

En arrivant à Athènes, Thésée trouva le roi Égée uni à Médée qui lui avait promis qu’il serait bientôt père grâce à ses drogues. En effet, il n’avait pu avoir d’enfants de ses deux premières épouses Méta et Chalciopé, et il ignorait la naissance de Thésée conçu d’Aéthra quelques vingt ans auparavant, conception à laquelle avait participé Poséidon. Médée lui donna alors un fils, Médos (ou Médéios).
Lorsque Thésée se présenta au roi, celui-ci ne le reconnut pas, mais Médée perçut qui il était. Comme elle craignait que son propre fils Médos ne puisse accéder au trône, elle le dénonça à Égée en invoquant un complot. Le roi envoya alors Thésée combattre le taureau de Marathon, escomptant bien qu’il serait anéanti par la bête. Ce taureau était celui dont Pasiphaé était tombée amoureuse et qu’Héraclès avait poursuivi lors de son septième travail.
Durant la poursuite, Thésée fut hébergé pendant une tempête par une vieille femme nommée Hécalé. Puis il soumit le taureau à sa volonté (avec le secours d’Athéna selon certaines représentations anciennes).
Médée voulut alors l’empoisonner en lui faisant servir un poison par son père. Mais Égée reconnut au dernier moment l’épée que portait Thésée comme étant celle qu’il avait lui-même caché sous un rocher.
Il chassa alors Médée et son fils Médos hors du royaume. Cette dernière retourna dans son pays natal de Colchide. Là, Médos rendit le pouvoir à son grand-père Aiétès qui avait été détrôné par son frère Persès.
Thésée fut alors reconnu comme l’héritier du trône.

Ce moment du récit marque la convergence de différentes évolutions.
– Au retour de Colchide, Jason a remis le royaume de Thessalie entre les mains d’Acastos « la sincérité », fils de Pélias : une première grande expérience spirituelle a été suivie d’un engagement dans une voie de « sincérité ».
– Médée et Jason ont comploté la mort de Pélias : le chercheur a trouvé « sa » voie ou « son » maître.
– Dédale a construit un palais pour le Minotaure. Athènes, vaincue par Minos, doit payer un tribut : malgré la rencontre de la voie (ou du maître), le chercheur a fait passer les réalisations (y compris celles qu’il pense avoir mises au service du Divin) avant sa « soumission » et il a construit une forteresse mentale pour les justifier.
– Sans que le chercheur ne puisse la rattacher à la quête, une vaste entreprise de purification de l’intelligence s’est poursuivie, entraînant avec elles le nettoyage de grandes illusions et erreurs du chemin (les exploits de Thésée).

Les conditions sont donc réunies pour que le chercheur quitte définitivement la zone intermédiaire (que soit éradiquée l’erreur du Minotaure). Mais Thésée doit auparavant parfaire le travail de purification.

Médée, alors unie à Égée, représente une puissance supérieure qui est encore présente pour préparer la grande confrontation. Son union avec Égée indique qu’il devait y avoir une dernière tentative pour que se réalise le dessein de l’âme et non celui de la personnalité – même si celle-ci est un peu « éclairée » -, c’est-à-dire pour que l’être psychique passe au premier plan.
Son rôle est maintenant de mettre Thésée à l’épreuve avant qu’il ne s’embarque pour la Crète : le chercheur doit démontrer sa maîtrise lors de la descente des forces supérieures. Aussi Médée suggéra-t-elle à Égée qui n’avait pas encore reconnu son fils de l’envoyer combattre le taureau qui ravageait la plaine de Marathon.

La façon dont elle s’y prit pour convaincre Égée varie selon les auteurs mais n’a ici qu’une importance secondaire. Il y a donc d’abord une tentative de prouver que « ce qui dirige la croissance de l’être intérieur » n’est pas à même de maîtriser le pouvoir de réalisation du mental lumineux (que Thésée ne pourrait maîtriser le taureau de Marathon).
En chemin, Thésée fut hébergé par une vieille femme Hécalé « celle qui est paisible, sans crainte », ce qui signifie que le chercheur est entré dans une certaine tranquillité. Cet état de relatif abandon au Réel est une condition indispensable de la victoire. C’est pourquoi Thésée tua le taureau apparemment sans aucune difficulté, preuve que le chercheur a renoncé à décider lui-même de ses réalisations à venir.

Le dessein de l’âme tente ensuite de convaincre le chercheur de mettre fin à son ego par une action de l’ego lui-même, avec l’aide d’une méthode hautement spirituelle issue des plus hauts plans de l’esprit (Médée voulut empoisonner Thésée en lui faisant servir un poison par son père). Mais cela échoue encore, car le chercheur intègre à ce moment-là que les épreuves traversées étaient nécessaires à son évolution (Égée reconnut son fils Thésée).
L’échec de cette tentative mit fin au soutien apporté par l’âme (ou par le supraconscient le plus élevé, Médée étant une descendante d’Hypérion « la conscience la plus haute») qui se maintenait depuis la rencontre de Médée avec Jason. Le vrai but de l’âme est alors renvoyé à un lointain futur, le chercheur devant encore accomplir bien des purifications avant que cela ne puisse se réaliser. Il lui faudra en effet réaliser au préalable une parfaite transparence lui permettant d’être un canal parfait pour le projet divin. Ce sera l’objet de la chasse au sanglier de Calydon, de la victoire contre la Sphinge et des Guerres de Thèbes, puis d’un premier renversement avec la guerre de Troie qui marque la réalisation de la libération complète, avant que ne s’accomplisse le retour d’Ulysse « celui qui réalise la transparence ».
Médée repartit donc en Colchide auprès de son père.

Le retour d’Aiétès sur le trône qui avait été usurpé par son frère Persès signale que les forces issues du supramental prédominent à tour de rôle selon les nécessités du chemin. La phase de purification réalisée par Thésée s’est donc déroulée sous l’influence de la force transformatrice, Persès.

Les conditions sont alors réunies pour que le chercheur quitte définitivement la zone intermédiaire, que soit éradiquée l’erreur du Minotaure.

LA MORT DU MINOTAURE

Lorsque le troisième tribut composé de sept jeunes gens et de sept jeunes filles dut être envoyé en Crète, Thésée était du nombre. (Selon d’autres, il se porta volontaire espérant mettre fin au tribut.) Il s’embarqua sur un navire athénien et convint avec son père que des voiles blanches seraient déployées s’il était vainqueur et des voiles noires s’il avait été tué par le Minotaure.

Dans une variante qui semble assez ancienne, Minos et Thésée faisaient ensemble le voyage par mer vers Athènes. Cette version suppose que Minos était venu chercher lui-même le tribut en Crète et avait exigé que Thésée, alors fils de Poséidon, en fasse partie. Lors de la traversée, Minos se montra incapable de se maîtriser et porta la main sur l’une des jeunes filles, Ériboia. Furieux, Thésée l’affronta en se vantant de ses origines divines car il était fils de Poséidon. Minos, lui aussi d’origine divine, pria son père Zeus d’envoyer un éclair pour confirmer sa filiation puis défia Thésée de prouver la sienne. Pour cela, il jeta un anneau par-dessus bord et demanda à Thésée de le récupérer. Ayant sauté dans la mer, Thésée fut conduit par les dauphins au fond de l’océan au royaume de Poséidon et de sa femme Amphitrite où il récupéra l’anneau. Bacchylide ajoute qu’il put contempler les Néréides en train de danser et qu’Amphitrite lui donna un vêtement pourpre resplendissant et une couronne de roses sombres, un ancien cadeau d’Aphrodite « rusée ».

La mention du troisième tribut implique que plusieurs années symboliques ont été nécessaires pour procéder aux purifications préliminaires et peut-être aussi que plusieurs occasions se sont déjà présentées de sortir du Labyrinthe. Selon la terminologie de Sri Aurobindo, cela correspond à une longue errance dans la zone intermédiaire qui détourne et affaiblit la quête.

Dans la variante, c’est Minos lui-même qui vient chercher le tribut et choisit Thésée : c’est donc le travail de purification de l’intelligence qui a l’intuition du moment opportun pour mettre fin au Minotaure. Mais le chercheur est encore bien imparfait, travaillant surtout sur le plan de la conscience mentale. Il manque de maîtrise et cherche à s’approprier de force « une puissante illumination » ou « un mouvement très juste » (il violente Ériboia).
Le conflit entre Minos et Thésée ainsi que l’épisode de l’anneau établissent un rapport d’égalité entre le travail de purification de l’intelligence discernante (issue du plus haut de la conscience car Minos est fils de Zeus) par l’implication dans le monde et celui de la personnalité qui travaille depuis l’intérieur à cette même purification (et qui a commencé de façon subconsciente, car Thésée est fils de Poséidon).
Il est nécessaire en effet de garder à l’esprit qu’Europe et Cadmos sont frère et sœurs et qu’ils œuvrent donc par une implication dans le monde dont Thèbes est le symbole.
Les deux héros reconnaissent mutuellement leur ascendance divine : le chercheur prend conscience que les deux modes de travail sont aussi importants l’un que l’autre. Autrement dit, la conscience tournée vers l’intérieur (Thésée) est tout aussi indispensable que celle qui travaille au discernement (Minos) par la participation au monde.
Chacun démontre que sa familiarité avec un domaine lui permet d’œuvrer de façon positive dans son complémentaire.
C’est la familiarité de Thésée avec les profondeurs de l’être qui lui permet de travailler à éclaircir l’intelligence (le héros est en effet accueilli par les dauphins et par les dieux de ce royaume).
Et c’est la familiarité de Minos avec les hauteurs de l’esprit qui lui permet de réaliser un juste discernement dans l’incarnation.
Le travail de l’un sans celui de l’autre conduit inévitablement à des errances spirituelles.

Lorsque Thésée descend dans les profondeurs, il peut contempler la danse des Néréides : le chercheur est capable de percevoir déjà à ce stade les courants de forces primordiales à l’œuvre au plus profond de sa nature et ne se cache plus à lui-même la réalité de ces mouvements.
De plus, lui sont offerts deux cadeaux qu’il pourra rapporter à la surface et donc conscientiser : avec le manteau de pourpre il reçoit le signe de sa plus haute fonction ou de sa « place » dans la manifestation, et avec la couronne de roses « sombres », il reçoit celui d’une ouverture à l’amour vrai encore mêlée d’ombre. Ces roses qui avaient été offertes par Aphrodite « rusée » à Amphitrite illustrent les détours que prend l’Amour pour se manifester progressivement dans la conscience humaine.

Lorsque Thésée arriva en Crète, Ariane, l’une des filles de Minos et de Pasiphaé, tomba amoureuse du héros et s’engagea à l’aider en échange d’une promesse de mariage. Elle demanda à Dédale le moyen de sortir du Labyrinthe. Le célèbre architecte le lui indiqua : Thésée devait dérouler derrière lui une pelote de fil qui lui permettrait au retour de retrouver son chemin en rembobinant le fil. Thésée, grâce à ce stratagème, s’engagea dans le Labyrinthe, tua le monstre puis sortit du Labyrinthe sans encombre. (Nous adoptons ici la version généralement admise et considérons avec Phérécyde qu’Ariane ne reçut de Dionysos la couronne lumineuse, parfois mentionnée à la place du fil, qu’après avoir été abandonnée dans l’ile de Dia par Thésée.)

Par son père Minos, Ariane est une petite-fille d’Europe et de Zeus, et par sa mère Pasiphaé « celle qui brille pour tous », une petite-fille du soleil Hélios. Elle représente donc, sur le chemin de la purification, une synthèse d’une « vision large » ou d’un « vaste équilibre » (Europe) qui conduit à un travail de « purification de l’intelligence discernante » dans l’incarnation (Minos) et d’un rayonnement issu du plan de vérité. Elle est très belle donc très vraie.
Elle est porteuse d’une lumière « pure » sans perturbation, contrairement à son père Minos. C’est cette « lumière discernante » qui permettra à Thésée de pénétrer à l’intérieur du Labyrinthe construit par Dédale pour mettre fin à l’hémorragie de l’énergie qui devrait être consacrée à la quête (le tribut offert au Minotaure) puis d’en trouver la sortie.
Son nom signifie avec les lettres structurantes « un mouvement juste de la conscience évoluant vers l’union au Réel ».

Ariane tomba amoureuse de Thésée : dans le chercheur, la « lumière discernante » s’offre comme seul but du mouvement intérieur. Appliquée sur la partie de l’être du chercheur qui a construit le « palais-prison » mental, elle donne les clefs pour gagner le centre de ce labyrinthe sans s’y perdre, afin de prendre conscience de sa nature réelle en déjouant sa complexité. Elle obtient de l’intellect habile de quoi déjouer les enfermements qu’il a lui-même élaborés (Ariane interrogea Dédale et donna le fil à Thésée).

Le chercheur est alors à même de mettre fin au détournement de l’énergie spirituelle qui a été mise au service de l’ego d’une manière ou d’une autre : Thésée tue le Minotaure.

Thésée tuant le Minotaure

Thésée tuant le Minotaure – Musée du Louvre

Comme le combat lui-même tient peu de place dans le mythe, nous devons comprendre que le travail essentiel est la purification préalable (les exploits de Thésée en route vers Athènes).
Sur certaines céramiques, Thésée est représenté capturant le Minotaure et le sortant du Labyrinthe avant de le tuer : ce détail préciserait que le chercheur ne peut prendre conscience de la racine de la déviance et n’y remédier qu’après l’avoir isolée de ses constructions mentales.

Après la mort du Minotaure, le Labyrinthe permit encore que prenne fin l’influence de Dédale « l’habileté mentale » car Minos l’y enferma avec son fils.
Les mythes ne précisent pas ce qu’il advint finalement de cette construction. On peut faire l’hypothèse que privée de tout support vital, elle ne fut plus qu’une coquille vide qui perdit progressivement de son importance.

Comme de coutume dans les mythes, la fin de l’histoire est de moindre importance et fait en conséquence l’objet de nombreuses variantes.
Selon Phérécyde, sur le chemin du retour, Thésée abandonna Ariane sur l’ordre d’Athéna lors d’une escale sur l’île de Naxos (parfois nommée Dia). Aphrodite annonça alors à Ariane qu’elle deviendrait l’épouse de Dionysos, ce qui advint peu après lorsque le dieu arriva sur l’île et lui fit présent d’une couronne d’or.
Selon Hésiode, Zeus la rendit immortelle, la soustrayant aussi à la vieillesse.
Selon Homère enfin, Ariane fut tuée par Artémis dans l’île de Dia, Dionysos témoignant de la trahison de Thésée.

D’une manière ou d’une autre, ces récits indiquent que le chercheur est loin d’avoir acquis à ce stade une « lumière discernante » approfondie (Minos, père d’Ariane, a commis de nombreuses erreurs en ce domaine).
Si Homère fait périr Ariane sous les flèches d’Artémis, c’est pour signifier la fin du « mouvement juste de la conscience vers l’union » après la mort du Minotaure. Le chercheur doit en effet poursuivre sa purification. Le Catalogue des Femmes confirme cette interprétation en ajoutant que Thésée avait trahi le serment fait à Ariane car il était tombé amoureux d’une autre (Aiglé « éclat », fille de Panopéus « une vision élargie »), ce dont Dionysos fut témoin.
Le chercheur préfère donc poursuivre dans le sens d’une « brillance » apportée par le travail d’élargissement de la « vision » (peut-être même une certaine « célébrité ») que dans son chemin d’union en conscience.

En tout état de cause, et comme expliqué dans les autres versions, cette aide (Ariane) ne peut à ce moment-là rester « proche » du chercheur (Thésée). C’est pourquoi Athéna imposa à Thésée de la laisser sur l’île de Dia « l’union en conscience ».
Symbole du « mouvement juste de la conscience évoluant vers l’union », Ariane est le partenaire naturel de Dionysos qui incarne la voie de l’extase mystique. Le dieu en fait donc son épouse et lui accorde la non-dualité et l’adaptation au mouvement du devenir (l’immortalité et la jeunesse éternelle). Elle n’était en effet que partiellement divine, étant fille d’un mortel (Minos).

Lorsqu’il fut en vue des côtes, Thésée oublia de hisser les voiles blanches. Son père, apercevant les voiles noires, se jeta du haut de l’Acropole d’où il guettait le retour de son fils et mourut.

Comme ce fut le cas pour les purifications préliminaires, ce qui a impulsé les dernières ignorera jusqu’au bout la façon dont aura été mené le combat contre l’enfermement dans la structure mentale. (Égée, qui a perdu l’appui de Médée, croit en effet que Thésée a échoué dans son combat contre le Minotaure).
Quand vient le moment de mettre un terme final à ce que le chercheur poursuivait corps et âme, celui-ci peut imaginer pendant une courte période que sa quête a échoué (Égée se jette du haut de l’Acropole) alors qu’une part de lui-même a vaincu.

Nous étudierons la fin de la vie de Thésée et sa descendance dans un chapitre ultérieur. Nous pouvons cependant noter ici certaines actions de Thésée lors de son accession au trône qui exposent assez clairement l’état du chercheur à ce moment de la quête, bien que ces faits ne soient rapportés que par des historiens.

Au retour de Crète, Thésée succéda à son père sur le trône dès son arrivée à Athènes. Puis il réunit sous l’autorité d’une seule ville les habitants de l’Attique afin qu’il n’y eût plus qu’un seul peuple d’un même état, rassemblant les douze communautés (il réalisa le « synœcisme »). Il promit une démocratie dans laquelle il réduirait ses pouvoirs à ceux de chef de guerre et de gardien des lois.

Désormais, les parties de l’être qui cherchent à réaliser le contact avec l’être psychique et à le faire passer au premier plan – celles qui correspondent aux tribus symboliques de l’Attique – collaborent de façon plus systématique et harmonisée dans la même direction. Elles travaillent sous la guidance d’un contact intérieur capable de maintenir le cadre de la quête et d’impulser l’énergie nécessaire à la poursuite de la purification-libération. Ce contact sera désormais seulement un organe de supervision des différents travaux de yoga et non plus comme auparavant le moteur presque exclusif du processus de purification (Thésée promit une démocratie dans laquelle il réduirait ses pouvoirs à ceux de chef de guerre et de gardien des lois.)

Lors de son accession au trône, Thésée affronta son oncle Pallas et ses cinquante fils et les tua.
Certains auteurs situent cet épisode avant le départ du héros vers la Crète, d’autres à son retour à l’époque de son accession au trône. (Nous écartons la version d’Euripide qui place l’évènement beaucoup plus tard lors du mariage de Thésée et de Phèdre.)
Nous avons vu que Pallas représentait un état d’équilibre, « ce qui est ou doit être établi ».
Quel que soit le moment du combat, la mort de Pallas et de ses cinquante fils indique la nécessité pour le chercheur de renverser un état d’équilibre parachevé dans sa forme (cinquante fils) auquel il était parvenu au temps du Minotaure.

Dédale et Icare

Nous avons quitté Dédale alors qu’il aidait Ariane à faciliter l’orientation de Thésée dans le Labyrinthe.
L’histoire de son exil hors de Crète varie selon les sources et nous retiendrons la plus répandue, celle qui se produit par les airs, même si aucune source ancienne ne peut l’attester. (Dans les autres versions, la fuite hors de Crète eut lieu par mer.)

Minos enferma Dédale dans le Labyrinthe avec son fils Icare qu’il avait eu d’une esclave de Minos, Naucraté.
Dédale fabriqua des ailes avec des plumes et de la cire pour lui-même et pour son fils. Avant que ce dernier ne prenne son envol, il lui recommanda de ne pas s’élever trop haut de crainte que sous l’effet du soleil la cire ne fonde, et de ne pas voler trop près de la surface de la mer pour éviter que les plumes ne se détachent (ou que les ailes ne soient alourdies) sous l’effet de l’humidité.
Icare ne tint aucun compte de ces conseils et dans son excitation s’éleva tout droit vers le soleil. La cire fondit, les plumes se détachèrent et il se tua en tombant dans la mer. Après avoir donné une sépulture à son fils, Dédale rejoignit la Sicile et trouva refuge auprès du roi Cocalos.

Minos « la purification de l’intelligence discernante » avait une esclave nommée Naucraté « celle qui domine sur mer » (la maîtrise de soi). La mer n’est pas ici le symbole du vital mais celui de la navigation, c’est-à-dire le processus d’évolution dans la quête.
Une autre interprétation serait fondée sur Naucraté en tant que « pouvoir vital » ou « pouvoir sur le vital ». Toutefois, de manière générale, le terme employé pour la force vitale est hippo (hippodamie est celle qui dompte le vital) et non nau qui est un terme davantage réservé aux bateaux et à la navigation. Cette dernière est associée au mouvement de la quête, Jason et Ulysse étant de grands navigateurs.
Dédale fit de Naucraté sa femme. Par cette alliance, « l’habileté » se met au service exclusif de la maîtrise de soi alors que celle-ci était jusqu’alors contenue par le travail de purification (Naucraté était esclave de Minos).
Le résultat en est Icare, « une conscience purement mentale » par laquelle le chercheur est maître de lui-même mais sans avoir fait le sacrifice de l’ego.
Apollodore laisse entendre que Minos était furieux contre Dédale, non parce qu’il avait construit la vache en bois à la demande de Pasiphaé, mais parce qu’il avait favorisé la fuite de Thésée et d’Ariane. Dédale « l’intelligence habile » la plus développée, malgré sa mise au service de la quête, peut donc parfois agir à l’encontre de celle-ci. Ce mental logique perfectionné est un outil à double tranchant, neutre en lui-même, dont l’orientation ne dépend que de la main qui l’utilise. Lorsqu’il est mis au service d’une puissance non consacrée ou lorsque l’ego l’installe sur le devant de la scène, toutes les errances deviennent possibles. Plus cet outil est perfectionné, plus la consécration est nécessaire, car la lumière de l’intellect peut éteindre celle de l’Esprit.
C’est pourquoi Dédale « l’habileté dans les œuvres » figure dans une branche cadette de la lignée des rois d’Athènes. Cette habileté qui génère des moyens de yoga ayant l’apparence de la vérité (les automates) et sur l’autojustification mentale (le Labyrinthe) pour organiser la quête contribue de bonne foi au maintien des pires errances (le Minotaure). Mais elle peut aussi contribuer à déjouer ce qu’elle a elle-même élaboré car elle est toujours avide de résoudre un problème (Dédale donne à Ariane le moyen de s’échapper du Labyrinthe).

Nous avons vu qu’en quittant la Crète, Thésée avait promis à Ariane de l’épouser lorsqu’ils auraient rejoint Athènes. Cette réorientation de la quête est soutenue par ce qui l’organise mentalement (Dédale a favorisé la fuite de Thésée et d’Ariane).
Ce changement de direction correspond à la sortie de la « zone intermédiaire » et le début d’une autre période de la quête, le passage d’une « porte » symbolisée par Pulia, femme du huitième roi d’Athènes Pandion II.
Désormais l’intellect dans la quête devra être utilisé à sa juste place, comme l’outil d’exécution de ce qui est perçu par l’intuition.
Toutefois, avant de pouvoir remplir exactement son rôle, il faut qu’il ait également abandonné toute prétention à atteindre de par ses propres forces les royaumes de l’Esprit. C’est l’histoire contée par le mythe d’Icare.

Le travail de « justesse » renonce donc à prendre appui sur l’intellect : Minos enferme Dédale et son fils dans le Labyrinthe qui n’a plus la moindre raison d’être depuis la mort du Minotaure. « L’habileté mentale » développe alors les moyens pour échapper à ses propres constructions afin de parvenir à une synthèse supérieure. Mais comme le mental ne peut s’élever au-dessus de lui-même par ses propres forces, il a besoin pour cela d’artifices.

Dès lors, les destins du père et du fils suivent des cours différents. Le mental logique qui a appris à se tenir à sa juste place (Dédale) poursuivra sa route sain et sauf, car l’intellect qui a été formé par la Nature pour être un mental d’exécution n’est pas destiné à disparaître, même s’il doit cesser de régner en maître.
En revanche, l’intellect qui a contribué à une parfaite maîtrise de soi (Icare) et qui prétend se hisser vers les hauteurs de l’esprit au moyen d’artifices (les ailes comme symbole d’un mental artificiellement développé) se détruira bien qu’il ait été prévenu intérieurement des dangers encourus. S’il est sincère, le chercheur est donc averti : s’il tente de s’élever trop haut au moyen de l’intellect ou s’il tente d’approcher de trop près le vital, ses artifices ne résisteront ni au feu de la Vérité (le feu du soleil Hélios), ni à la dissolution ou au mélange avec le vital. (Dans la version de Diodore, il n’est fait mention que de l’ascension d’Icare, Dédale se maintenant au contraire près de la surface de l’eau pour maintenir le bon degré d’humidité de ses ailes.)
Ainsi sont démontrées les limites de « l’habileté mentale » : elle ne peut ni procéder à la purification des profondeurs du vital ni permettre de gagner les hauteurs de l’esprit. Les mythes ne précisent pas ce qu’il advint finalement du labyrinthe qui n’était plus désormais qu’une coquille vide.

Après avoir enterré son fils, Dédale se réfugia en Sicile à Camicos chez le roi Cocalos.
Minos n’avait pas cessé en effet de le poursuivre après qu’il se fut enfui de Crète. Dans tous les pays où il cherchait Dédale, Minos apportait un coquillage en spirale en promettant une forte récompense à celui qui réussirait à faire passer un fil au travers, sachant que seul Dédale pourrait en trouver le moyen. Dédale y arriva en effet en perçant un trou et en y introduisant une fourmi attachée à un fil.
Minos n’eut pas le temps d’exécuter sa vengeance car il mourut ébouillanté par les filles de Cocalos (le plus probablement avec de la poix).
Depuis lors, Minos est le principal juge en enfer aux côtés de son frère Rhadamanthe.
Quant à Dédale, il demeura en Sicile.

La fin de la vie des grands héros est le plus souvent passée sous silence dans les récits des initiés. Les sources disponibles sont tardives.
Ici, la fin de Minos montre un processus par lequel la « purification de l’intelligence discernante » met le mental logique devant une impossibilité apparente et l’oblige à se révéler pour que le chercheur n’y soit plus soumis. Lorsque le « mental habile » est mis à sa juste place, l’équilibre supérieur (ou discernement) est acquis : Minos peut mourir. Mais la recherche d’équilibre, de consécration et de discernement se poursuit dans l’inconscient corporel, au royaume d’Hadès où Minos est l’un des juges.
Ceci semble confirmé si l’on considère, avec les lettres structurantes, que le nom Cocalos signifie « celui qui appelle l’ouverture de la conscience dans la matière ». Ses filles permettront alors de définir les objectifs de l’action de « l’intelligence discernante » dans le corps, c’est-à-dire la transformation du « mental des cellules ».

Les enfants de Minos

Si l’on excepte le Minotaure que de rares auteurs, on l’a vu, placent dans la descendance de Minos, tous les autres enfants de ce fils de Zeus sont l’expression d’un élargissement de la conscience dans l’équilibre ou d’une évolution de l’intelligence discernante (Minos, fils d’Europe) en vue de la réalisation de la lumière de Vérité en tout l’être (Pasiphaé).
– En sus d’Androgée que nous avons déjà rencontré, symbole du juste processus d’incarnation – c’est-à-dire de l’alignement de tous les plans de l’être pour qu’ils œuvrent dans une même direction – sont mentionnés le plus généralement :
– Catrée, fils aîné de Minos et son successeur sur le trône. Il a une certaine importance dans la mesure où sa fille est la mère d’Agamemnon et de Ménélas. Il représente ce qui travaille à une ouverture juste et équilibrée dans l’esprit.
– Deucalion « celui qui appelle l’union » (qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme fils de Prométhée), père du héros Idoménée.
– Glaucos « brillant » qui doit être également distingué du fils de Sisyphe du même nom.
– Ariane (ou Ariadné) « le mouvement juste de la conscience vers l’union, le retour à l’évidence » qui assista Thésée dans le Labyrinthe.
– Phèdre « lumineuse, claire, pure » qui fut l’épouse de Thésée bien après sa victoire sur le Minotaure et marque la fin de la première liaison du héros avec une Amazone. Nous aborderons son histoire dans un autre chapitre.
– Certains ajoutent à cette liste Acacallis, Xénodicé et Euryalé, la mère d’Orion chez Hésiode. (Pindare mentionne aussi Euxanthios, un fils qu’il aurait eu de Dexithéa.)

Catrée, successeur de Minos sur le trône et dernier roi de Crète

Catrée, fils aîné de Minos, lui succéda sur le trône de Crète. Son nom comporte en partie le même groupe de lettres stucturantes « ΤΡ » qu’Atrée et Tros, les fondateurs des deux lignées qui s’opposeront à Troie. Déchiffré sur cette base, son nom signifie « une ouverture de la conscience à un fonctionnement juste sur les plans supérieurs ». (Ce qui est cohérent avec le symbolisme de la Crète décrypté de la même manière : ΚΡ+Τ « mouvement juste de l’ouverture de la conscience sur les plans supérieurs ».)
Catrée eut quatre enfants, un fils Althaimènes « celui qui fait croître l’âme » et trois filles, Apémosyne « celle qui est sans souffrance », Aéropè « une vision mentale » et Clymène « célèbre ».

Althaimènes, accompagné de sa sœur Apémosyne, avait fui la Crète pour Rhodes car un oracle avait prédit à Catrée que l’un de ses enfants le tuerait.
À Rhodes, le dieu Hermès s’éprit d’Apémosyne mais il ne pouvait la rattraper à la course. Aussi eut-il recours à une ruse pour assouvir sa passion. Apémosyne relata l’épisode à son frère qui refusa de la croire, la soupçonnant d’avoir eu une liaison avec un mortel. Il la frappa si violemment qu’elle en mourut.
Quelque temps plus tard, Catrée, âgé et soucieux de perpétuer la lignée royale, débarqua à Rhodes pour retrouver son fils depuis longtemps perdu de vue. Croyant avoir affaire à des pirates, son fils le tua sans le reconnaître puis mourut de chagrin à son tour.

La période qui suit la mort de Minos implique que le chercheur est depuis longtemps sorti de la « zone intermédiaire », qu’il est parvenu à un juste discernement psychique. En conséquence, la recherche d’une vaste ouverture ou vision qui marque la progression dans le mental supérieur (Europe) touche presque à sa fin : Catrée est l’un des derniers rois de Crète et ses enfants Althaimènes « celui qui fait croître l’âme » et sa sœur Apémosyne « celle qui est sans souffrance » (qui a dépassé le stade de la souffrance psychologique) émigrent à Rhodes « la rose », symbole de la terre où s’épanouit l’être psychique.

Le chercheur ressent confusément un changement (car un oracle avait prédit à Catrée qu’un de ses propres enfants le tuerait). D’autre part, il travaille à la réalisation d’un état « sans souffrance psychologique », signe d’un détachement qui est l’une des caractéristiques du surmental. (C’est pourquoi Hermès s’éprit d’Apémosyne et la poursuivit.)
Toutefois, le chercheur est relativement incrédule quant à la nature de sa réalisation (Althaimènes refuse de croire sa sœur lorsqu’elle affirme sa liaison avec Hermès). Le travail d’identification à la souffrance psychologique prend fin ici (par la mort d’Apémosyne).

Après le départ vers Rhodes d’Althaimènes et de sa sœur Apémosyne, et donc longtemps avant de se rendre lui-même à Rhodes, Catrée craignit que l’oracle annonçant sa mort ne se réalise par la main de l’une de ses deux autres filles, Aéropé ou Clymène. Aussi les confia-t-il à un marin, Nauplios, pour être vendues à l’étranger. Mais ce dernier offrit Aéropè comme épouse à Atrée, roi de Mycènes (ou à son frère Plisthènes) et garda Clymène pour lui-même. Aéropé fut la mère d’Agamemnon et de Ménélas, et Clymène celle de Palamède, Oiax et Nausimédon.

Nauplios « celui qui navigue habilement sur le chemin » donna pour épouse Aéropè « la vision (mentale) supérieure » à Atrée, père d’Agamemnon et de Ménélas.
Ce récit fait donc la transition entre la période qui clôt le travail sur le discernement et le grand conflit intérieur qui s’ensuivra avec la guerre de Troie, car le mariage eut lieu une génération auparavant.
Nauplios se garda bien de vendre Clymène « célèbre » et l’épousa : en effet, « l’habileté sur le chemin » a le souci de transmettre ses acquis.
Clymène donna à Nauplios plusieurs enfants.
Oiax est le symbole de celui qui travaille à la réalisation d’une égalité de conscience entre le haut et le bas (Ι+Ξ).
Nausimédon « le maître de la navigation » est celui qui dirige son chemin.
Palamède « l’artisan de l’union» fut un inventeur très ingénieux, en particulier celui des poids et mesures : le chercheur a une bonne évaluation de ce qui est juste. Il fut aussi impliqué dans la conception de l’alphabet grec et parfois dans l’invention des nombres (il possède la clef des symboles). Nous le retrouverons dans la guerre de Troie.

Deucalion et son fils Idoménée

Deucalion, second fils de Minos, succéda à son frère Catrée sur le trône de Crète lorsque ce dernier fut tué accidentellement par son fils. Il rétablit de bonnes relations avec Athènes en offrant à Thésée sa sœur Phèdre pour épouse.
Il eut un fils Idoménée qui est généralement considéré comme le dernier descendant d’Europe à régner sur la Crète. Dans son vieil âge, ce dernier se battit à Troie en emmenant avec lui un contingent de Crétois. Réputé comme l’un des plus vaillants guerriers, il se proposa pour combattre Hector en combat singulier. Il s’en retourna en Crète sain et sauf.

Deucalion (mot d’origine incertaine qui signifie peut-être « celui qui appelle l’union supérieure ») fut le successeur de Catrée « l’ouverture de la conscience à un juste développement sur les plans supérieurs » sur le trône de Crète. Par association avec son homonyme qui subit le déluge, il représente en tout état de cause une transition vers une autre phase de la quête.
Après la sortie de la zone intermédiaire (la victoire de Thésée sur le Minotaure), il est possible de reprendre la progression spirituelle de manière juste, ce qu’exprime le rétablissement de bonnes relations entre Athènes et la Crète. L’alliance fut scellée par l’union de Thésée et de Phèdre « la pure, la brillante », expression d’un discernement brillant qui réoriente la quête vers une nouvelle étape.
Le fils de Deucalion, Idoménée « celui qui désire l’union » fut le dernier descendant d’Europe à régner sur la Crète. Il est le symbole de l’intelligence discernante qui a été développée au plus haut point et qui marque la fin de la traversée du mental supérieur. C’est pourquoi il a été à Troie un des plus vaillants guerriers qui se proposa pour combattre Hector en combat singulier.

Glaucos

Glaucos était le dernier né des enfants de Minos. Dans sa petite enfance, il tomba dans une jarre de miel et s’y noya. Son père Minos l’ayant cherché partout eut recours aux voyants-devins les plus avisés. Les Courètes (ou Apollon selon d’autres) lui dirent que Glaucos serait retrouvé par l’homme qui pourrait donner la meilleure image pour décrire une vache de trois couleurs qui était dans ses troupeaux. Les devins furent convoqués et Polyeidos, un « voyant » descendant de Mélampous, fournit l’image de la mûre. Contraint alors de chercher l’enfant, il le découvrit grâce à un procédé divinatoire (selon certains, lorsqu’il vit une chouette chasser les oiseaux qui se rassemblaient au-dessus de la jarre). Minos exigea alors que le devin soit enfermé avec le cadavre de son fils jusqu’à ce que ce dernier recouvre la vie. Polyeidos, voyant un serpent approcher du corps, craignit pour lui-même et le tua. Un autre serpent surgit alors. Appliquant une herbe particulière sur le corps de son compagnon mort, il le ramena à la vie. Polyeidos, comprenant le symbole, fit de même avec le corps de Glaucos et le ressuscita.
Minos exigea encore du voyant-devin qu’il enseigne son art à son fils. Sous la contrainte, le voyant dut obtempérer mais fit en sorte que Glaucos oublie ses enseignements à son départ.

Cette histoire fait référence à la « clarté » du discernement qui, lorsque le chercheur pénètre dans la zone intermédiaire, a tôt fait de se « noyer » dans les « expériences psychiques ». Elle propose aussi les moyens de retrouver cette clarté.
À cette étape du chemin, la capacité de discerner clairement la nature et la provenance des influences issues des plans supérieurs ou du psychique (le miel) est encore peu développée (Glaucos, celui qui est « brillant, étincelant » est encore très jeune). Le chercheur se perd en elles (cf. ci-dessus la description de la zone intermédiaire). C’est cette « noyade » qui permet la déviance du Minotaure.
Chez le chercheur, le « discernement en évolution » mobilise alors toutes les capacités intuitives, surtout celles qui travaillent par analogie et peuvent saisir la nature des expériences illuminatives (la vache de plusieurs couleurs).
Parmi toutes les capacités intuitives, c’est celle qui se rapproche de la « vision » qui peut discerner de façon juste (Polyeidos « celui qui a de nombreuses visions »).
Il explique par l’image de la mûre (qui passe du blanc au rouge puis au noir) que les expériences spirituelles nécessitent un temps de maturation avant d’être utilisées de façon profitable.
Le procédé divinatoire pour retrouver le chemin du discernement éclairé est détaillé par certains auteurs. Le constat est d’abord fait de la tendance du mental à vouloir exploiter ces expériences psychiques (les oiseaux rassemblés au-dessus de la jarre de miel). Mais la conscience témoin qui voit dans l’obscurité (la chouette, oiseau d’Athéna) veille et tient les pensées à l’écart. En observant l’ensemble du processus mental mis en jeu, l’intuition est alors capable de retrouver le chemin d’un discernement éclairé.
Mais le « discernement » ne veut pas seulement comprendre comment sa « clarté » a pu s’évanouir mais aussi la retrouver : Minos veut donc que Polyeidos ressuscite Glaucos.
Dans un premier temps, les capacités intuitives craignent de disparaître si elles laissent agir l’évolution naturelle (le devin craint de mourir s’il a pitié du serpent) : le chercheur manque de foi. Mais comme il perçoit intuitivement que c’est le mouvement évolutif lui-même qui répare les accidents de l’évolution passée par les pouvoirs de la nature (herbe), le discernement peut retrouver sa « clarté ». C’est une sorte de « résilience » qui nécessite un engagement dans un processus évolutif et transformateur.
Finalement, Minos veut que son fils soit instruit par le devin : la purification de l’intelligence discernante, encore soumise à l’ego, veut que sa « clarté » puisse bénéficier de façon systématique des facultés de « vision ». Mais cela, la nature ne l’accorde finalement pas. Même si la clarté du discernement se maintient, les capacités intuitives de vision se retirent à l’arrière-plan car le chercheur ne doit pas connaître en permanence le détail du processus évolutif grâce à elles.

Acacallis

Son nom semble signifier « une ouverture de la conscience à la beauté (et donc à la vérité) ». Avec Apollon, elle engendra Naxos, « l’évolution de l’identité esprit-matière » et avec Hermès, Kydon « la renommée », expression du surmental œuvrant pour la Vérité.
Ces unions avec des dieux indiquent des états avancés de la quête.

Xénodicé

Cette fille de Minos n’a pas de légende propre. Le nom Xénodicé « une manière d’agir étrange » pourrait indiquer que le chercheur n’est plus lié aux règles de comportement ordinaires, en particulier la morale, mais à une loi d’ordre supérieur.

Ariane et Phèdre

Le mythe d’Ariane a été étudié précédemment. Celui de Phèdre sera examiné dans un prochain chapitre avec la fin de la vie de Thésée.