Le règne des Titans correspond à l’enfance de l’humanité, à son âge d’or avant que le mental ne prenne l’ascendant sur les forces de vie. Durant la période de croissance de la vie, les douze Titans et Titanides régnèrent sur l’évolution vitale de l’humanité et sa gestation mentale : ce fut une période gouvernée par le Titan Cronos, que les anciens, par l’observation de l’enfance, considérèrent comme un « âge d’or » : « Les hommes vivaient alors comme des dieux, le cœur libre de tout souci. Quand ils mouraient, c’était comme gagnés par le sommeil ». C’était le jardin d’Éden, le paradis, l’enfance de l’humanité dans sa période de croissance vitale avant qu’elle n’atteigne l’âge de raison et que le mental ne prenne le dessus.
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Voir Arbre généalogique 3
Le symbolisme des Titans
Le symbolisme des Titans et Titanides n’est pas explicité dans la mythologie et l’on ne peut qu’émettre certaines hypothèses concernant leur organisation, à partir de leur généalogie.
Ils sont issus de l’union de la Matière (Gaia, le principe d’Existence densifié) et de l’Esprit (Ouranos, le ciel étoilé) et représentent les grands principes ou puissances qui président à la création. Ils se déploient librement avant que la conscience mentale ne devienne la puissance prépondérante en l’homme, lors de la prise de pouvoir par les Olympiens.
Si les forces associées aux dieux peuvent être approchées et comprises au moyen des facultés mentales comme manifestations « psychologiques » de l’Absolu, il n’en est plus de même pour le monde des Titans ; dans celui-ci les forces et leurs interrelations sont étrangères à la conscience mentale commune et ne peuvent être contactées que par des expériences intérieures, des intuitions, des illuminations et des révélations issues des plans supérieurs de l’esprit.
Les anciens Grecs ont laissé peu d’indices concernant ce monde des Titans et les contradictions entre les auteurs sont difficilement compréhensibles. Cette sobriété dans les indications s’explique sans doute par le fait que la connaissance de ce plan n’est pas indispensable au chemin spirituel. Que les Titans n’interviennent pas dans les histoires des héros le confirme bien. Et pour cause ! Ils furent relégués par les dieux dans le Tartare à la fin de la guerre qui les opposa à ces derniers.
Mais il y a une raison à cette éviction du monde des hommes et des dieux : les forces qu’ils représentent ne devaient plus évoluer librement en l’homme tant que durerait la maturation du mental. Ce qui put s’exprimer librement dans l’enfance de l’humanité sous la domination du vital, et dont l’enfance actuelle conserve quelques traces, fut soumis à toutes sortes de contraintes dès qu’intervinrent les deux mouvements mentaux d’identification et de séparation, l’intuition et la raison. Sur le devant de la scène chacun à leur tour, ces derniers façonnent la croissance du mental.
La compréhension de ce monde n’était donc utile que pour les initiés qui conçurent ou utilisèrent les mythes dans leur enseignement, ou qui rencontrèrent ces forces dans leur exploration de la conscience. Aussi n’ont-ils pas donné d’histoire personnelle aux Titans avant qu’ils ne soient exilés dans le Tartare. Ils ne peuvent alors être approchés que par leur descendance.
Deux couples de Titans occupent une place privilégiée, car dans leur descendance seule se déploient la presque totalité des grands mythes et des épopées.
Celui de Japet-Clymène expose toutes les étapes à franchir dans le mental afin de combler le gouffre entre la Matière et l’Esprit (séparation maintenue par le Titan Atlas) afin de faire l’expérience du Réel par l’évolution dans la Connaissance. Sa descendance détaille les aventures de ceux qui parcourent les sept plans du mental, incarnés par les sept Pléiades, à la fois celles des chercheurs ordinaires, les Hellènes, descendants du héros du même nom, et celles des aventuriers de la conscience à la suite de Protogénie. C’est le processus de « l’ascension ».
Celui d’Océanos-Téthys décrit, dans la descendance des dieux-fleuves (les courants de conscience-énergie), les processus du cheminement vers le Réel, en s’appuyant sur l’évolution passée humaine et les voies de la nature. Deux directions sont privilégiées : la concentration (Inachos) et l’égalité (Pénée). C’est le processus de « l’intégration », ou encore le chemin de la purification, de la libération et de la réalisation de l’égalité.
Avec une troisième lignée, celle du fleuve Asopos, dans laquelle figure Achille, ce suprême héros sans la participation duquel la guerre de Troie n’aurait jamais pu être gagnée par les Grecs, s’ouvre une nouvelle perspective d’évolution pour l’humanité.
Tandis que les lignées issues de Japet répondent à ce qui appelle d’en haut, celles issues d’Océanos suivent le mouvement de la nature en insistant sur une purification de notre nature des mélanges et des scories de l’évolution et en la libérant des anciennes forces évolutives qui ne sont plus nécessaires.
Combiner les deux processus, ascension et intégration, et pour chacun selon le chemin qui lui est propre, en suivant une voie conforme à sa nature, telle est « la voie spirituelle » pour ceux qui veulent accélérer le mouvement évolutif.
Les autres Titans et Titanides représentent d’autres plans et d’autres forces jouant dans la Réalité :
Hypérion et Théia : le plus haut niveau du monde de création que nous appelons « supramental » (au sens où il regroupe tout ce qui est au-delà du mental) ou « monde de Vérité ». Ce couple eut trois enfants :
– Hélios, « la puissance d’illumination de la Vérité ».
– Séléné, le réceptacle, « la Lune » ou encore, « une lueur en évolution » (qui évoque la personnalité vraie, après la disparition de l’ego).
– Et le principe de leur relation, Éos, l’éternel Nouveau.
Crios et Eurybié : les mouvements par lesquels l’Absolu agit dans la manifestation et parmi eux les quatre grands vents ou aides divines, l’Eurus, le Notos, le Zéphyr et le Borée.
Coios et Phoebé : les âmes, les êtres psychiques et leurs manifestations dans la conscience mentale humaine (Apollon et Artémis).
Thémis : les lois divines.
Mnémosyne : la mémoire totale ou éternelle.
Cronos-Rhéa : les forces les plus élevées dans le monde des formes. Ce couple engendra les principaux dieux chargés de la croissance de la conscience humaine. Ils appartiennent donc au surmental, en tant que puissances formatrices.
Quelques hypothèses concernant l’organisation des Titans et la formation de leurs couples.
Considérant les rapports étroits entre la structure de la mythologie, le caducée d’Hermès et l’Arbre de Vie qui lui est associé, un rapprochement peut être fait entre les Titans et les sept plans de la manifestation. Nombre d’éléments donnés ci-dessous résultent d’intuitions et de réflexions propres à l’auteur ; qu’ils soient ou non confirmés ultérieurement ne peut remettre en cause la validité du reste de l’interprétation.
Hésiode nomme six Titans et six Titanides auxquels Apollodore ajoute Dioné, dont il fait la mère d’Aphrodite. Homère mentionne aussi cette ascendance sans toutefois préciser si Dioné est une Titanide.
Nous retiendrons ici la classification d’Hésiode, celui des initiés dont l’effort de cohérence dans l’exposé de la structure de la mythologie a le plus marqué la littérature postérieure.
Dans l’Arbre de Vie (arbre des Sephiroth), le nombre associé au monde divin (ou monde des émanations) est le trois. Celui du monde de création est le sept, celui du monde des formes est le cinq et celui qui régit le monde terrestre ou monde de la matière est le zéro ou le dix. (Ces attributions sont propres à l’auteur.)
Les Titans et Titanides, qui peuvent être identifiées aux puissances du monde de création car ils interviennent juste après la castration d’Ouranos et précèdent le plan des dieux, devraient donc logiquement se présenter sous la forme de sept couples de puissances, polarisées sans pour autant être duelles. Sur leur plan, les contraires ne s’excluent pas mutuellement mais sont complémentaires car ils appartiennent encore au monde de l’unité. Les antinomies ou du moins ce qui nous apparaît comme tel, n’apparaissent qu’à un stade beaucoup plus dense dans l’échelle de la Conscience. Les deux états de conscience qui correspondent aux membres du couple sont des expressions l’un de l’autre, manifestant une même force en deux modes, le « repos concentré » et « l’action ».
Or les Titans et Titanides cités par Hésiode ne sont que douze. En musique, le Do engendre les six autres notes par divisions successives de la longueur d’une corde qui vibre, tout en étant inclus lui-même dans les sept notes de la gamme. En appliquant ce principe de génération aux Titans, le couple parental, Ouranos/Gaia, constituerait le septième couple et serait la base génératrice, le socle des six autres couples. Il est aussi possible que les Anciens aient considéré pour le monde des Titans le nombre six (ou le douze en incluant les deux aspects complémentaires) en référence à une « nouvelle création » à laquelle Mère attribue ce nombre.
La seconde source d’étonnement est que parmi les Titans et Titanides, seulement huit d’entre eux forment des couples. Deux autres Titans, Crios et Japet, sont unis à des déesses étrangères à leur groupe. Et les deux Titanides, Thémis et Mnémosyne, sont solitaires, si l’on excepte leurs liaisons avec Zeus qui furent ponctuelles.
Il y a donc des mésalliances qui suggèrent une action partielle des forces qu’ils incarnent.
Le premier Titan dans cette situation est Crios, uni à Eurybié, « une grande force », la dernière fille de Pontos, le plan le plus élevé de la vie. Celle-ci, appartenant à la deuxième génération divine, a rang de Titan. Crios et Eurybié agissent donc comme des forces non duelles : les pouvoirs de la vie la plus haute travaillent au processus d’individuation.
En toute logique, la partenaire légitime de Crios devrait être Thémis, la déesse des lois divines. Son union temporaire avec Eurybié s’explique donc par ce que nous appellerons, à la suite de Sri Aurobindo, « la chute de la Vie » laquelle s’est produite lors de l’irruption du mental et fut la cause des grandes « perversions » : Orthros, Cerbère, la Chimère et l’Hydre de Lerne.
L’autre couple mal assorti est celui de Japet-Clymène, ce qui s’explique aussi car « l’Homme », celui qui a pris sa place dans le monde de Vérité, n’existe pas encore. L’homme actuel, dont l’existence est dominée par l’ego, appartient encore au monde animal régi par les dieux, enfants de Cronos.
Japet est le père d’Atlas, celui qui fait le lien entre le ciel et la terre, entre l’Esprit et la Matière (il porte le ciel sur ses épaules). Il est l’ancêtre de nombre de très grands héros, tels Héraclès et Ulysse. Il est le symbole de l’humanité en marche. Il remplira complètement son rôle lorsque l’homme aura retrouvé et intégré sa mémoire originelle, Mnémosyne, celle « qui se souvient (de tout) en même temps », la mémoire totale, hors du temps, qui restituera à l’homme sa place et sa fonction au sein de la création, dans un éternel présent. En attendant, il est uni à Clymène « célèbre », fille d’Océanos. La descendance du couple expose la hiérarchie des plans de conscience qui doivent être gravis pour combler la brèche ainsi que les réalisations correspondantes, d’une part pour les chercheurs de vérité (les Hellènes) et d’autre part pour les aventuriers de la conscience (Protogénie).
Dans cette hypothèse d’organisation en sept niveaux, chaque couple de Titans peut être associé à l’un des sept plans de l’Arbre de Vie (l’arbre des Sephiroth ou le Caducée). Selon la Kabbale, cet arbre se compose de quatre mondes et de sept plans. Les quatre mondes sont : le monde divin ou monde des émanations, le monde de création, le monde de formation, et le monde de l’action ou de l’existence terrestre. Les sept plans se répartissent dans ces quatre mondes et expriment une densification progressive de la conscience.
Vers le bas, sont les trois plans créés (minéral, végétal, et animal) au-dessus desquels l’homme actuel ne s’est pas encore hissé, et vers le haut, vers le subtil, les trois plans créateurs. Au milieu, se tient donc le plan encore vacant de l’Homme, celui de l’Homme Supramental. Les notions de haut et de bas ne sont utilisées que pour permettre de situer ces plans d’une manière intelligible.
Ce découpage en sept plans n’est pas spécifique à la Kabbale. On le retrouve dans les Védas qui parlent de trois plans supérieurs Sat-Chit-Ananda, un monde médian « Svar » qui est le plan de l’illumination solaire (supramental), puis « Dyaus » le ciel ou monde du mental, Antariksha, le monde de la conscience vitale et Prithivi, le monde de la conscience physique.
Bien qu’appartenant en théorie au deuxième monde, celui de création, chaque couple de Titans est plus particulièrement en résonance avec l’un des sept plans.
Et comme dans ce monde rien n’est séparé, les sept forces sont Une et pourtant multiples comme un arc-en-ciel des couleurs, chacune d’elles vibrant en accord avec un plan particulier et cependant unie aux autres pour former avec elles la lumière blanche qui illumine l’ensemble.
A l’image du chandelier à sept branches, les couples se correspondent deux par deux, l’un des éléments du couple appartenant aux plans créés, l’autre aux plans créateurs (cf. Planche 3). Le couple du milieu est celui qui fait le lien entre les six autres.
Les trois plans inférieurs correspondent aux combinaisons progressives des éléments apparus successivement dans la création : la matière, la vie et le mental. Le plan végétal a pour support la matière et la vie. Le plan animal y ajoute le mental, avec comme support physique le système nerveux. L’homme actuel mental, au sommet du monde animal, s’en distingue par une capacité supérieure de conscience, de traitement de l’information et d’action consciente, résultant de la distanciation (le mental réflexif). Il expérimente les balbutiements d’un pouvoir créateur encore largement subconscient et dominé par un ego arrogant mal dégrossi.
Le couple Ouranos-Gaia, socle du monde des Titans, se situe donc au niveau de la matière.
Le couple qui lui fait écho dans les mondes créateurs est celui d’Hypérion et Théia, car Hypérion « Υπερ + Ι », symbolise la conscience au plus haut niveau. Théia « la Divine » est le principe de la conscience involuée (Θ+Ι). Le couple a pour enfants Hélios « le soleil », Séléné « la Lune » et Éos « l’aurore », symboles respectivement du principe illuminateur (ou encore l’étincelle divine en l’homme), du principe réceptif d’exécution (le « moi » vrai) et de celui liant les deux précédents : le jeu divin se renouvelant sans cesse par un « éternel nouveau ». L’« âme » ou « étincelle divine » (aussi appelée principe psychique ou entité psychique) élabore progressivement au travers des vies successives la « personnalité psychique » ou « être psychique » représentée par Léto dans la descendance du Titan Coios.
Le couple qui tient la position médiane entre les plans créateurs et les plans créés est facile à déterminer par sa postérité. C’est celui de Japet-Clymène dont la descendance représente (Cf. planche 7) :
par les enfants d’Atlas, tous les échelons à gravir pour combler l’espace vide entre la Matière et l’Esprit, échelons que nous appelons « plans de conscience ».
par les petits-enfants d’Hellen (les enfants d’Éole), les expériences que l’on rencontre durant l’ascension de ces plans, jusqu’à la réalisation de l’union.
et par la descendance de Protogénie, les réalisations les plus avancées sur ce chemin, celles des aventuriers de la conscience.
C’est le plan de l’Homme futur, lorsque ce dernier se sera établi définitivement dans le Supramental. C’est un plan qui fait le lien, qui appartient à la fois aux mondes créateurs et aux mondes créés ; ce qui signifie que l’homme est un être créateur en puissance avec des possibilités insoupçonnées.
Pour l’instant ce plan est vacant car l’homme n’a pas encore retrouvé sa « mémoire » d’appartenance à l’Unité, malgré les efforts des Muses, filles de Mnémosyne.
Ce plan fut utilisé par les maîtres de sagesse pour décrire les étapes de l’ascension dans la conscience ou « transformation spirituelle ». Y figurent les grands héros qui symbolisent les efforts de l’humanité pour se hisser jusqu’à ce plan supramental : Jason, Œnée (à ne pas confondre avec Énée, le Troyen, fils d’Anchise et d’Aphrodite), Méléagre, Déjanire, Ulysse, etc.
Toujours dans la même logique, les quatre autres couples, Coios (Κοιος)-Phoébé, Crios (Κριος)-Eurybié, Cronos (Κρονος)-Rhéa et Océanos (Οκεανος)-Thétis doivent être organisés autour du couple Japet-Clymène.
En examinant les lettres structurantes des éléments mâles des couples, ΚΡΙ, Κ+Ι, ΚΡ+Ν, Κ+Ν, on voit que les deux premiers, Crios et Coios, sont en résonance avec les mondes créateurs et les deux derniers, Cronos et Océanos, avec le monde créé en évolution selon la Nature ou Devenir.
Dans leur descendance, on trouve :
avec Crios, les principes et les forces qui soutiennent l’évolution, en particulier les quatre grands « vents ».
avec Coios, la constitution progressive de l’être psychique, symbolisée par Léto et ses enfants Apollon et Artémis.
avec Cronos, les puissances les plus élevées dans le monde des formes, les six grands dieux qui se partagent le domaine de la conscience humaine.
Avec Océanos, les courants de forces et les principes évolutifs qui règnent sur la création. Par analogie, ses enfants sont les fleuves et les rivières. (Le terme Océanos ne doit pas induire en erreur, car il n’a jamais eu, dans la mythologie primitive, de rapport avec « l’océan ». Il symbolise la totalité des courants de conscience-énergie soutenant l’évolution selon la nature. Les anciens ont regroupé dans cette branche les histoires des héros qui illustrent les processus de purification, libération et transformation : Persée, Héraclès, Œdipe.
De ce qui précède, nous retiendrons essentiellement que les héros situés dans la descendance d’Océanos : Persée, Héraclès, Dionysos, Œdipe, Achille, Orphée, Europe, Minos… appartiennent au « processus d’intégration », qui implique « purification » et « libération » (libération des processus du passé qui contribuèrent à l’évolution : ego, désir, attachements, etc.), tandis que ceux qui sont dans la lignée de Japet : Jason, Bellérophon, Ulysse, etc. représentent les expériences de l’ascension des plans de conscience. Notons cependant que la filiation d’Ulysse, le plus avancé de tous les chercheurs, n’a jamais été clairement établie, sauf pour son ascendance maternelle qui le relie au surmental.
Naissance et montée en puissance de Zeus : la gestation et la croissance de la conscience mentale humaine, jusqu’au surmental. La victoire contre Typhon
Cronos, devenu « maître de l’univers », épousa sa sœur Rhéa et lui donna six enfants, Hestia, Déméter, Héra, Hadès, Poséidon et Zeus.
Prévenu par ses parents, Gaia et Ouranos, que l’un de ses propres enfants le détrônerait, il les avalait les uns après les autres dès leur naissance, causant un tourment sans fin à son épouse Rhéa. Alors qu’elle s’apprêtait à mettre au monde son dernier né, Zeus, elle prit conseil auprès de ses parents qui lui recommandèrent d’aller accoucher secrètement en Crète, à Lyctos. Gaia récupéra le nouveau-né pour l’élever. Et c’est une pierre entourée d’un lange que Cronos engloutit à sa place.
Zeus grandit rapidement, puis, selon un plan suggéré par Gaia, fit vomir son père, libérant ses frères et sœurs dans l’ordre inverse de celui dans lequel il les avait avalés.
Puis, en prévision de l’affrontement contre les Titans, Zeus relâcha les Cyclopes des lieux souterrains où Ouranos les avait confinés. En remerciement, ils forgèrent pour lui la foudre brûlante, l’éclair et le tonnerre.
Alors que le combat qui opposait les dieux aux Titans durait depuis dix longues années des dieux, Zeus décida, sur les conseils de Gaia, de faire remonter à la lumière les Cent Bras ou Hécatonchires, Briarée (ou Obriarée), Cottos et Gygès, des confins de la terre où les avait relégués Cronos.
La bataille entre les deux camps enfla de plus belle. L’univers entier résonnait des fureurs du combat. Mais les Titans ne purent résister à l’assaut combiné des dieux et des Cent Bras. Zeus, tout particulièrement, ne pouvait réfréner son ardeur, maniant le tonnerre, l’éclair et la foudre brûlante. Les Cent Bras lançaient trois cents rochers d’un seul coup et leur ombre finit par recouvrir les Titans.
Vaincus, ces derniers furent relégués dans le Tartare, enchainés par des liens douloureux, derrière des portes de bronze posées par Poséidon. C’est là aussi que demeurent les Cent-Bras, sûrs gardiens de Zeus.
Pour l’interprétation de ce mythe, on peut utilement mettre en parallèle le développement de l’humanité préhistorique et celui de l’enfant.
La première période où l’homme est entièrement soumis aux pulsions et aux émotions primaires, fait le lien avec la dernière phase de la croissance vitale (représentée par les enfants de Pontos). La conscience humaine réflexive s’y développe : c’est la phase de « gestation » de Zeus.
Selon Hésiode, Zeus arriva le dernier dans la fratrie. Les mouvements que représentent ses frères et sœurs, œuvrèrent donc dans l’ombre dans l’humanité : bien avant que ne domine le mental conscient réflexif sous l’effet de l’action du supraconscient, débuta le travail vers l’union (Déméter), l’aspiration vers le haut qui dans un premier temps entraîna la station debout (Hestia), et le mouvement juste de l’évolution (Héra). Les évènements furent mémorisés dans le subconscient et l’inconscient, dont l’activité bien qu’importante demeura étrangère à la conscience.
Dans la seconde période, Zeus fut le seul des enfants de Cronos à grandir hors du ventre paternel tandis que ses frères et sœurs y poursuivaient leur croissance ou du moins enduraient un temps de latence. Autrement dit, le surmental supraconscient entamait sa croissance sans pour autant que les autres mouvements soient objectivement perceptibles car encore immergés dans l’ignorance.
Dans la plupart des traditions, la naissance de Zeus a lieu sur le mont Ida « la conscience (encore) une (ΙΔ) ».
Selon Hésiode, Rhéa accoucha en Crète à Lyktos (Lukos +Τ, la lueur qui précède l’aube sur le plan de l’esprit) puis confia Zeus à sa grand-mère, Gaia. Cette dernière le cacha dans une grotte gigantesque du mont Égéon (Aegaeon, « chèvre »), lieu qui exprime une puissance d’aspiration issue du plus haut du plan vital.
L’enfance de Zeus ne fut marquée d’aucun évènement particulier. Elle semble correspondre à la période comprise entre la naissance et le neuvième mois environ, période dans laquelle l’enfant est si intimement lié à la mère que des séparations momentanées n’entraînent en principe aucune difficulté. Il ne souffre pas de l’éloignement physique, tout comme l’homme qui, dans l’époque d’évolution correspondante, n’est pas encore coupé de sa source divine. C’est le séjour au jardin d’Éden, avant la chute, le temps de Cronos.
Devenu adulte, Zeus délivra ses frères et sœurs du ventre de Cronos, ce qui représente pour l’homme la prise de conscience des différentes forces agissant en lui. Puis il libéra les Cyclopes emprisonnés dans le Tartare et ceux-ci lui donnèrent en échange la foudre : vint le temps dans la croissance humaine où le mental conscient devint capable de recevoir du plan de l’Esprit des « fulgurances » qu’il ressentit aussi comme des expressions de « toute puissance ». Étant des cadeaux des Cyclopes, la foudre et l’éclair proviennent du plan supramental (en fait, il s’agit du « foudre », un faisceau de dards enflammés qui symbolisent à la fois la puissance de la foudre, son illumination et son instantanéité).
La durée de l’affrontement, « dix longues années des dieux », indique une période complète de maturation que l’on peut mettre en parallèle avec celle où l’enfant intègre la réalité de la séparation physique. Dès lors et pendant plus d’un an, il livre des combats « titanesques » pour acquérir la station debout, la propreté et la parole. Il utilise pleinement sa capacité de connaissance mais la conscience du « je » n’est pas encore présente. Il faudra pour cela que Zeus, symboliquement, libère les Cent-Bras, c’est-à-dire que s’opère l’intégration des éléments séparés autour d’un centre de conscience réflexif.
Tandis que naît la personnalité, que se forme le noyau de l’ego et que le mental devient apte à contrôler les pulsions naturelles ou forces de vie, Typhon « la force d’ignorance » se soulève et s’oppose à « la connaissance ». Ce qui rappelle étonnamment la phase dite « d’opposition » chez l’enfant.
Puis, la victoire du mental conscient acquise, les Titans furent emprisonnés dans le Tartare, sous la garde des Cent-Bras : les puissances naturelles et spontanées de la vie sont alors reléguées dans l’inconscient profond et leur action devient inaccessible à la conscience. Seuls leurs effets, souvent amoindris par la prédominance du mental, seront perceptibles par leur descendance. La relégation des Titans dans le Tartare illustre très probablement aussi la disparition de nombreuses facultés « instinctives » et de « pouvoirs » que l’homme dut abandonner dans son évolution.
Leurs gardiens, les Cent-Bras, symboles des capacités d’action en tous lieux simultanément, bien que libres, échappent toutefois aussi à la conscience humaine. Ce sont de grands pouvoirs capables de contraindre les forces de vie qui ont permis la victoire de la conscience mentale. Ils contraignent désormais ces forces naturelles à demeurer dans l’ombre, dans le royaume de la Nescience, jusqu’à ce que le mental, à son tour, cède la place.
En effet, s’il est permis à l’homme d’approcher la Connaissance suprême (par les Cyclopes), l’Omnipotence ne peut lui être accordée tant que dure la traversée du mental.
Notons que les Titans se battaient depuis la montagne Othrys en Thessalie du sud, et les dieux depuis l’Olympe, sur la frontière nord de cette province, c’est-à-dire aux deux extrémités de « l’espace de la quête menée par le mental » (les plus hauts sommets des périodes d’évolution vitale et mentale).
La montagne Othrys pourrait indiquer aussi une inversion du mouvement d’intériorisation (ΘΡ) : les Titans freineraient le mouvement évolutif qui naît de l’intérieur. (Nous avons en effet déjà rencontré un mot construit de façon similaire, Orthros, le monstrueux fils de Typhon et d’Échidna, par inversion du mot Orthos (droit).
A peine Zeus eut-il pris le contrôle de l’univers, c’est Typhon que « l’énorme Terre enfanta de son union de bonne entente avec le Tartare, par la grâce de l’Aphrodite d’or ».
Typhon était un dieu puissant, aux pieds infatigables. Il était pourvu de cent têtes de dragon, aux langues de ténèbres et aux cent paires d’yeux étincelants de feu. Ces têtes émettaient divers sons dont certains ressemblaient à des cris d’animaux (de taureau, de lion, ou même de petit chien charmant), à des sifflements, et d’autres semblaient s’adresser aux dieux. Uni à Échidna, il généra quatre terribles monstres, le chien Orthros, Cerbère, l’Hydre de Lerne et la Chimère.
Si Zeus ne l’avait aperçu, Typhon serait devenu seigneur et maître des mortels comme des immortels. Le combat fut terrible. La terre, l’océan, le flot marin, le ciel et le Tartare retentirent d’un fracas épouvantable. Typhon crachait des souffles d’incendie tandis que Zeus emplissait l’espace de sa foudre et que le sol bouillonnait sous l’effet de la chaleur. La terre tremblait et gémissait, des vagues énormes se soulevaient. Puis une trépidation inextinguible s’éleva.
Même Hadès et les Titans enchaînés sous le Tartare tremblaient devant la férocité du combat.
Finalement Typhon s’écroula, tandis que gémissait l’énorme Terre. Mais avant d’être rejeté dans le Tartare, il réussit à enflammer la Terre qui se mit à fondre.
C’est de Typhon que sont issus les vents mauvais, (que l’on ne doit pas confondre avec les enfants d’Astraeos, les vents divins Borée, Zéphyr et Notos).
Dès que se manifesta l’influence du supraconscient surmental pour l’établissement de la conscience humaine réflexive capable de maîtriser les forces instinctives, se manifesta simultanément une puissance exactement symétrique et opposée, une force d’ « ignorance ».
En fait, le principe de l’apparition simultanée d’une chose et de son contraire était déjà à l’œuvre lorsqu’apparut le Tartare, la Nescience, principe opposé à l’Existence-Conscience.
Ici, ce principe duel dans l’acquisition de la Connaissance semble une condition sine qua non de l’évolution de l’Amour, car ce fut « par la grâce de l’Aphrodite d’or ».
Pour introduire le fait que tout dans la manifestation, depuis les hauteurs de l’Esprit jusqu’aux profondeurs de la Matière est duel et ne retrouve son unité qu’à leurs confins (le plus haut de l’Esprit est identique au plus profond de la Matière), Hésiode fait une longue description des mondes négatifs en tous points symétriques des mondes supérieurs de l’Arbre de vie. (Ce dernier est une représentation statique des centres d’énergie de l’homme et de l’univers tandis que le Caducée d’Hermès en est la forme dynamique.).
Au centre supérieur entouré du triple voile de « l’Existence négative », il fait correspondre le Tartare, « aussi éloigné de la Terre que la Terre l’est du Ciel : il faudrait neuf jours et neuf nuits à une enclume de bronze descendant de la terre pour arriver, la dixième nuit, au Tartare », ces périodes correspondant aux centres de conscience à parcourir (les Séphiroth). Le Tartare est entouré d’une enceinte de bronze. La nuit s’étend autour d’elle en triple couche et en enserre le « goulot », tout comme dans la Kabbale, « le néant, le sans limite et la lumière sans limite » (Ain, Ain Soph, Ain Soph Aur) entourent le centre divin le plus élevé. L’accès au Tartare relève d’un yoga du corps extrêmement avancé car « il est le gouffre béant dont nul ne peut même atteindre le seuil car il serait emporté par les rafales d’un vent de douleur ».
Cette description d’Hésiode laisse entendre que le chemin qui mène à « ces confins » est terrifiant. Mais au plus profond, l’Un se manifeste en un lieu où les confins du Tartare rejoignent les sommets de la Conscience, car « c’est là que, de la terre ténébreuse comme du Tartare brumeux, du flot marin stérile comme du ciel étoilé, de toutes choses côte à côte, sont les sources et les confins ». Nul ne peut en effet descendre dans les plus grandes profondeurs s’il n’a d’abord conquis les sommets de lumière correspondants.
Et la manière d’y parvenir, c’est de gravir les échelons de la conscience symbolisées par les Pléiades, filles d’Atlas, car « en face d’eux (des terribles logis de la nuit), le fils de Japet, Atlas, de sa tête et de ses bras infatigables, soutient le vaste ciel ». Mais pour l’homme, ce parcours est soumis à l’alternance des périodes de séparation et de fusion dans le mental, car « c’est le lieu où la Nuit et la Journée, en venant à la rencontre l’une de l’autre, se saluent au moment d’échanger leur place ». Hésiode confirmera cette alternance dans la seconde partie de son œuvre, « Les travaux et les jours », avec le mythe de Prométhée.
Pour Hésiode, Typhon est une conséquence de l’involution de l’Absolu dans la matière (résultat de l’union du Tartare, la Nescience, et de Gaia, le Devenir) qui apparaît dès que la conscience mentale humaine prend le contrôle de l’évolution : c’est donc une force d’opposition nécessaire à cette évolution. Dans l’un des hymnes homériques, il est fils d’Héra, du principe qui « limite » et « freine » l’expansion de la conscience (Zeus) afin que tout puisse avancer en même temps et que rien ne soit laissé en arrière dans le processus évolutif. Ou l’humanité progresse comme un ensemble, ou elle périt.
Son nom (Τυφων Τ+Φ), avec les lettres structurantes, pourrait désigner un arrêt (Τ) de la pénétration de l’Esprit dans la matière (Φ). Il signifie « tourbillons de vent ». Lui sont également associées des notions telles que « enfumage, aveuglement, stupeur, endormissement et hébétude » et chez Hésiode, « trépidation ». En fait, ce sont des mouvements microscopiques de la conscience faits d’enroulements et de trépidations qui provoquent dans l’être entier un état d’oubli, proche de l’hébétude, qui est « l’Ignorance fondamentale ».
Pour Hésiode, cette force est issue du Tartare, de la Nescience fondamentale, et elle existe donc indépendamment de l’homme, tandis que pour Homère, elle n’intervient dans la manifestation que lors de l’émergence de la conscience réflexive humaine, comme un frein à l’évolution. Elle est en effet « l’endormissement » contre lequel les chercheurs (ceux qui s’appliquent à vaincre l’inertie de la nature et à accélérer le processus évolutif) sont mis en garde par les grands initiés qui appellent à « l’éveil ».
En suivant la filiation d’Hésiode, dans l’exploration des couches profondes de la conscience, des mécanismes du même ordre (comme les mantras) pourront venir à bout de cette ignorance trépidante dans la matière qui se répète inlassablement. Mère mentionne également le « goût du drame » de cette conscience cellulaire profonde.
Typhon, par ses « cent têtes de dragon dardant des langues de ténèbres », pouvait s’exprimer de multiples façons, des plus fascinantes et terrifiantes aux plus trompeuses, simulant même la langue des dieux : l’Ignorance peut se cacher partout, même dans ce qui semble le plus sûr et digne de confiance. Aussi les enseignements spirituels préconisent-ils de ne s’appuyer sur rien, hormis le Divin.
Typhon perturbe tous les plans, le corps, le vital et le mental (la terre, la mer et le ciel). Hésiode mentionne que Typhon, avant d’être relégué au Tartare, mit le feu à la terre. Peut-être fait-il allusion ici aux maladies infantiles qui donnent de fortes fièvres et dont certains courants ésotériques assurent qu’elles sont des réminiscences de phases évolutives anciennes de l’humanité. D’autant plus que le mot Tuphos s’applique à diverses fièvres donnant de l’hébétude.
Zeus ne peut détruire l’influence de Typhon au-delà de son domaine, le surmental, car il appartient à la race des immortels, mais il peut le rejeter au-delà des royaumes de la conscience, dans la Nescience, le Tartare. C’est de là qu’il agit désormais, à l’instar des Titans, à l’insu de la conscience, et qu’il soulève les vents mauvais au souffle humide (à l’exception bien sûr des quatre vents de lignée divine, enfants d’Astraeos – Eurus, Notos, Borée et Zéphyr – qui sont des aides objectivables sur le chemin, même si elles ébranlent puissamment l’ego.)
Ces vents mauvais se gonflent en tempête, « démembrent les navires (…) et causent la perte des travaux où les humains nés de la terre mettent tout leur amour. »
(…) Contre le malheur, il n’est pas de défense pour les hommes si ce sont eux qu’ils rencontrent sur le flot marin » : ce sont des forces qui perturbent sans fin le chercheur et contre lesquelles il ne peut rien lorsqu’elles se manifestent dans le vital et dans le corps. Elles sont issues de cette « stupeur » inconsciente et ignorante, ne semblent en aucune façon utiles au cheminement et détruisent les progrès réalisés. Il existe une fin beaucoup plus détaillée du combat de Zeus contre Typhon, qui est donnée par certains auteurs après Hésiode. Elle a surtout pour but d’établir une équivalence entre les dieux grecs et les dieux égyptiens. En effet, pris de peur devant le combat, tous les dieux s’enfuirent de Grèce et se dissimulèrent en Égypte sous les apparences de différents animaux.
Dans la version d’Hésiode, Typhon (l’ignorance, la stupeur, le non-éveil) apparaît donc lorsque se manifestent les rudiments de conscience réflexive (la formation du moi humain) comme une force nécessaire au développement de celle-ci, introduite par la grâce de l’Amour (« par la grâce de l’Aphrodite d’or »).
Dans l’histoire de l’humanité que l’enfance résume, la conscience dut œuvrer pendant des millénaires avant de s’imposer face à l’ignorance.
Il est une autre version donnée par Apollodore, qui situe cette lutte vers la fin du chemin puisqu’elle fait suite au combat contre les géants qui, lui-même, exigea la participation d’Héraclès pour la victoire, bien longtemps après les douze travaux.
La première version expose l’incompatibilité du surmental avec l’ignorance, et celle d’Apollodore le moment où le chercheur en viendra à bout.
La bataille se livre alors dans les couches profondes de la conscience et le chercheur doit mobiliser des ressources plus étendues qui n’appartiennent pas seulement à la conscience mentale. Le combat passe par une phase dans laquelle la supraconscience est même immobilisée, devient incapable de lutter, peut-être même de sentir (Zeus a les nerfs ou les tendons coupés). Ce sont la plus haute connaissance occulte (Hermès) et l’aspiration au plus haut du vital (Aigipan, ou Pan sous son autre nom) qui sortent le chercheur de ce mauvais pas.
En fait, les deux versions se complètent et nous montrent que la lutte contre « l’ignorance, l’inertie et l’inconscience » est une constante du chemin, intervenant à tous les niveaux du mental, du vital puis du corps, devenant de plus en plus acharnée.