Cette page du site décrit les domaines de la conscience qui constituent la trame sous-jacente des mythes grecs.
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Éros (symbole de la Félicité) – Musée du Louvre
« De même qu’il existe une catégorie de faits pour lesquels nos sens sont les meilleurs guides disponibles mais très imparfaits, de même qu’il existe une catégorie de vérités que nous cherchons à la lumière pénétrante mais encore imparfaite de notre raison, de même, selon les mystiques, il existe une catégorie de vérités plus subtiles qui dépassent la portée des sens et de la raison, mais qui peuvent être vérifiées par une connaissance directe, intérieure, et par une expérience directe. Ces vérités sont suprasensibles mais elles n’en sont pas moins réelles : elles ont d’immenses effets dans la conscience et changent sa substance et son mouvement, elles apportent en particulier une paix profonde et une joie permanente, une grande lumière de vision et de connaissance, la possibilité de surmonter la nature animale inférieure, et des perspectives de développement spirituel qui n’existeraient pas sans elles. Une nouvelle vision des choses se révèle et apporte, si on la pousse pleinement jusqu’au bout, une grande libération, une harmonie intérieure, une unification – et bien d’autres possibilités. Il est vrai qu’une petite minorité dans l’espèce humaine a eu l’expérience de ces choses, mais une multitude d’observateurs indépendants en ont témoigné à toutes les époques, sous toutes les latitudes et dans toutes les conditions, et l’on compte parmi eux quelques-unes des plus grandes intelligences du passé et des plus remarquables personnalités mondiales. Faut-il condamner tout de suite ces possibilités comme des chimères sous prétexte qu’elles dépassent non seulement l’homme moyen de la rue mais qu’elles ne sont pas aisément saisissables, même par de nombreux intellects cultivés, ou que leur méthode est plus difficile que celle des sens et de la raison ordinaires ? Si elles sont tant soit peu véridiques, ne vaut-il pas la peine d’explorer la possibilité qu’elles offrent et les hautes étendues de découverte de soi et de découverte du monde qu’elles révèlent à l’âme humaine ? Au mieux, si elles sont vraies, il doit en être ainsi ; au pire, s’il s’agit seulement d’une possibilité – et toutes les réalisations de l’homme sont seulement une possibilité aux premiers stades – c’est une grande, et peut-être bien une très fructueuse aventure. »
Sri Aurobindo
« Quand nous avons dépassé les savoirs,
alors nous avons la Connaissance.
La raison fut une aide ; la raison est l’entrave.
Quand nous avons dépassé les velléités,
alors nous avons le Pouvoir.
L’effort fut une aide ; l’effort est l’entrave.
Quand nous avons dépassé les jouissances,
alors nous avons la Béatitude.
Le désir fut une aide ; le désir est l’entrave.
Quand nous avons dépassé l’individualisation,
alors nous sommes des Personnes réelles.
L’ego fut une aide ; l’ego est l’entrave.
Quand nous dépasserons l’humanité,
alors nous serons l’Homme.
L’animal fut une aide ; l’animal est l’entrave.
Transforme ta raison en une intuition ordonnée ;
que tout en toi soit lumière. Tel est ton but.
Transforme l’effort en un flot égal et souverain de force d’âme ;
que tout en toi soit force consciente. Tel est ton but.
Transforme la jouissance en une extase égale et sans objet ;
que tout en toi soit félicité. Tel est ton but.
Transforme l’individu divisé en la personnalité cosmique ;
que tout en toi soit divin. Tel est ton but.
Transforme l’animal en le conducteur des troupeaux ;
que tout en toi soit Krishna. Tel est ton but. »
Sri Aurobindo
Dans le premier tome de cette étude, plusieurs clefs de décryptage de la mythologie grecque ont été présentées. Elles ont permis de mettre à jour sa structure générale, d’approcher son sens caché et de découvrir qu’elle représentait un extraordinaire panorama de l’évolution humaine et décrivait les chemins de l’avenir que les initiés de la Grèce antique, et sans doute de bien des civilisations avant eux, avaient commencé à explorer.
Deux de ces chemins revêtent une importance particulière : celui de l’ascension des plans de conscience dans la lignée de Japet et celui de la purification-libération dans la lignée d’Océanos.
À l’orée de ce second tome, si nous voulons pénétrer davantage le sens profond de cette mythologie, il nous faut approfondir la structure de la conscience sur laquelle elle s’appuie et tenter d’obtenir quelque vision d’ensemble des modes d’approche de l’Absolu ainsi que des différentes catégories d’expériences et de réalisations.
Seulement ainsi pourrons-nous comprendre les aventures qui précèdent la guerre de Troie et les enjeux que celle-ci nous dévoile dans la longue lutte qui opposa la coalition achéenne à celle des Troyens.
Même si les expériences humaines individuelles relatent toutes finalement une approche similaire de la Vérité, elles sont immensément variées en raison de la diversité des individus et de leur héritage. Elles donnèrent lieu à une multitude de voies et d’enseignements pour lesquels, même de nos jours, il est bien difficile d’avoir une vision d’ensemble.
Les héritiers grecs des anciennes connaissances védiques et égyptiennes, qui possédaient une meilleure connaissance que nous de la conscience du fait qu’ils étaient plus proches des « temps de l’intuition », eurent eux-mêmes bien du mal à organiser les généalogies dans un ensemble cohérent sur lequel tous pouvaient s’accorder.
Homère n’a laissé que très peu d’indications et ce sont les œuvres d’Hésiode qui nous ont légué la première et quasiment seule tentative grecque de présenter une vision d’ensemble de ces généalogies. C’est une œuvre attribuée à ce poète « Le Catalogue des Femmes » qui en représente l’expression la plus fiable, bien qu’elle ne nous soit parvenue qu’au travers de quelques fragments, le plus souvent indirects. Il semblerait que ce fut le poème de référence utilisé par les Anciens en ce domaine. Toutefois, les nombreuses lacunes dans les textes ont favorisé la diversité des hypothèses et les divergences ultérieures.
La structure de la Conscience qui est succinctement présentée ici n’est ni arbitraire ni imaginaire mais résulte de l’expérience de nombreux initiés et mystiques de tous les temps.
Toutefois, elle est si complexe et il y a tant de domaines qui échappent à la compréhension ordinaire et sont difficilement communicables avec les mots du langage courant par ceux qui en ont eu l’expérience qu’il est indispensable de garder une certaine fluidité dans son approche. Connaissant la tendance de l’intellect humain à vouloir organiser et compartimenter la connaissance pour mieux la dominer et l’asservir à ses propres intérêts, Sri Aurobindo, comme Homère avant lui, s’est toujours refusé à en donner une description trop figée. Et ce d’autant plus qu’il n’y a jamais de séparation fixe, car toutes choses ne sont finalement que des modalités ou variétés infinies de la Conscience Une qui joue dans l’univers selon son propre jeu et non selon les règles du mental humain, aussi développé puisse-t-il être.
A l’inverse, une ignorance de cette structure et des voies qui en découlent peut conduire à s’égarer sur des chemins de traverse ou à prendre des expériences modestes pour des réalisations ultimes, si tant est que de tels errements ne soient pas aussi une nécessité pour l’évolution de ceux qui les vivent.
Car ces plans ne sont pas seulement le résultat d’expériences subjectives mais bien des domaines de la conscience peuplés d’êtres, d’entités et de hiérarchies qui évoluent selon leurs lois et leurs rythmes propres.
Il n’est donc pas question d’exposer ici une structure absolue de l’homme, de la Conscience et de ses modalités, mais seulement de donner les indications nécessaires permettant de comprendre l’organisation générale des mythes et la place qu’y occupent les expériences et les enseignements particuliers, traduits en symboles, qui y sont relatés.
Les plans du Devenir : Le monde créé sensible ou la nature humaine extérieure
La façon la plus simple d’aborder cette complexité est l’observation de la nature et celle de l’homme qui, dans sa croissance depuis la conception, retraverse de façon accélérée les étapes de l’évolution, en conserve les mémoires et en subit les lois.
Afin de rapporter cette évolution aux éléments constitutifs essentiels de l’être dont nous avons une perception sensible, il en a été retenu trois dont tous les autres mis en avant par les différentes traditions psychologiques, ésotériques ou spirituelles ne sont que des subdivisions ou des aspects particuliers : la matière, la vie et le mental.
Ces plans seront appelés « extérieurs » par rapport aux domaines « intérieurs » de l’être ou encore « inférieurs » au sens où ils sont « en-dessous » ou se manifestèrent en premier dans l’évolution et non parce qu’ils sont qualitativement inférieurs.
Du point de vue de l’évolution, nous avons proposé de considérer que la matière contenait, involués en elle-même, la vie et le mental. Lorsqu’elle évolua suffisamment pour permettre l’apparition de la vie, alors se produisit une puissante aspiration à réaliser la jonction entre le plan de la Vie cosmique et la semence involuée dans la matière : ce fut l’émergence de la vie et les débuts du règne végétal. Le même processus eut lieu pour le mental et son développement progressif permit la croissance du règne animal en de nombreuses étapes, celle du mental réflexif n’étant que la dernière d’entre elles qui permit l’évolution humaine.
Nous avons aussi proposé de considérer que la conscience soit constitutive de l’univers et donc présente en toutes choses et dans tous les êtres à différents degrés, et donc déjà au niveau minéral.
Cette répartition nous a conduit d’autre part à considérer le mental dans son sens le plus large, intégrant non seulement tous les aspects du mental séparateur (de la pensée intellectuelle, des idées et des facultés cognitives liées au processus de distanciation) mais aussi celles de « l’intelligence » au sens le plus large (Métis), intégrant les facultés liées au processus d’identification (telle que l’intuition, la perception mentale directe, etc.).
Le physique
Nous laisserons de côté la matière minérale et même la matière vivante jusqu’au niveau de la cellule, car l’homme, à peu d’exceptions près, est encore loin de pouvoir en être conscient.
Cette matière qui nous apparaît comme un monde inerte et séparé renferme des pouvoirs insoupçonnés que la science approche à peine. De plus, l’univers est parcouru par des courants de force gigantesques dont nous n’avons pas la moindre idée ni conscience. Ces courants qui nous traversent sans la moindre résistance nous relient à lui, instaurant une interdépendance avec tout ce qui existe.
Non seulement la science a découvert que la matière est énergie mais aussi qu’elle est interactive avec la conscience. Elle commence à peine à tirer le coin du voile qui recouvre les possibilités infinies du monde des particules dans lequel le temps, l’espace et les supports d’information défient nos lois habituelles et remettent sans cesse en question nos croyances. La science spirituelle affirme l’immense attirance réciproque de l’Esprit pour la Matière en laquelle le Divin s’est involué, générant en Lui-même un intervalle afin que se déploie la manifestation et la création. La matière est en fait le lieu de l’éternel Nouveau, identique en essence à l’Esprit.
Ce corps physique, bien qu’il conserve certaines propriétés de la matière, telle la tendance à l’inertie, n’est pas purement matériel car il contient aussi au niveau des cellules (et peut-être même à des niveaux encore plus élémentaires) la vie et un mental rudimentaire. Le principal mode à l’œuvre dans le corps est la « répétition ».
C’est par le physique que ce sont toujours effectuées les évolutions majeures de l’espèce. Le corps est donc appelé à devenir le lieu ultime de la transformation dans la prochaine étape de l’évolution humaine, sous l’influence du supramental créateur. Et l’homme, cette fois-ci, semble destiné à participer en conscience à cette transformation. Mais elle ne peut se faire trop vite au risque de faire exploser toutes les constructions intermédiaires mises en place par la Nature qui travaille à un rythme très lent.
C’est pour cela que les courants transformateurs ne pourront s’écouler avec leur pleine intensité avant qu’une croissance et une purification-libération suffisante des plans de l’être extérieur ne soient réalisées, avant que ces plans ne soient devenus totalement transparents à l’action des forces supérieures.
Les courants ascendants sont connus depuis des temps immémoriaux, car ils permettaient de projeter la conscience dans le Divin impersonnel supraconscient en établissant la connexion par les centres situés au-dessus de la tête. Toutefois, ils sont ordinairement inactifs, étant traditionnellement « lovés » au repos au bas de la colonne vertébrale. La tradition indienne nomme Kundalini le principal de ces courants, Ida et Pingala ceux qui l’entourent de part et d’autre de la colonne vertébrale. (Il semblerait que sous la pression du supramental, la kundalini fasse irruption non plus du bas de la colonne vertébrale, mais également du dessous des pieds.)
Les courants descendants sont expérimentés par les aventuriers de la conscience lancés dans la transformation du corps. Aucune « méthode » ne peut les déclencher mais ils ne semblent pas pouvoir agir si certaines conditions ne sont pas remplies. Ils sont dosés très exactement selon la transparence et les capacités de résistance et d’endurance du chercheur, car c’est une action directe de l’Absolu selon des modalités qui échappent à la compréhension mentale.
Beaucoup d’autres forces et courants traversent le corps humain, tels ceux qui parcourent les innombrables méridiens ou ceux qui définissent les rythmes biologiques et probablement bien d’autres encore.
Le corps physique recèle des pouvoirs inimaginables. Certains furent sans doute à la disposition de l’humanité dans les périodes pré-mentales et se retirèrent à l’arrière plan pour permettre la croissance mentale. Beaucoup d’autres sont encore à découvrir.
Le vital
Nous avons décrit précédemment avec les enfants de Pontos les cinq étapes de croissance de la vie tels que les anciens les ont répertoriées (Cf. le chapitre traitant de « La genèse et la croissance de la vie »). Il s’agit, depuis le plus archaïque jusqu’au plus évolué, des plans du vital matériel, du vital vrai ou des « sens pensants », du vital mental, du vital émotif et du vital large (futur).Sans y revenir dans le détail, rappelons que le plan vital commence lors de l’irruption de la vie hors de la matière, puis se développe avec les premiers mouvements de conservation, d’échange d’information et de reproduction, puis avec les instincts et les comportements du monde animal (agressivité, peur, colère, plaisir, attirance et répulsion, volonté d’appropriation, etc.) qui persistent en l’homme pour qui le néocortex ne fait qu’ajouter « une couche » de complexité permettant entre autres choses la réflexivité et en conséquence une certaine maîtrise.
Le vital est donc le siège des pulsions et des désirs, de l’enthousiasme et de la violence, de l’énergie dynamique et des dépressions désespérées, des passions et des révoltes, mais il est aussi, au fur et à mesure que le mental prend une place plus importante, le support de sentiments plus raffinés, de désirs plus élaborés quittant le cercle étroit de la famille et du clan, jusqu’aux sommets de la sensibilité mentale émotive.
Les étapes de croissance de ce plan suivent dans leur progression une évolution qui peut être superposée aux cinq centres inférieurs d’un arbre des Sephiroth dans le plan vital. C’est au niveau des troisième et quatrième centres (Phorcys et Céto) qu’interviennent les débuts du processus d’individuation. La phase vitale culmine donc actuellement dans le monde animal avec la construction du « moi animal » – très visible chez certaines espèces proches de l’homme – qui résulte d’une première volonté de s’extraire de la conscience-groupe de la race considérée.
La majorité des comportements humains relève encore actuellement de ces processus animaux – liés aux cerveaux reptilien et limbique – qui fondent la conscience de la famille, du clan, du pays ou de la race.
Le mental
Bien que le mental que nous avons lié à l’apparition du système nerveux ne soit pas une caractéristique propre à l’homme, ce terme est surtout employé dans cette étude pour décrire le mental humain dans toutes ses composantes. Les Anciens ont identifié sept étapes majeures de progression dans ce mental symbolisées par les Pléiades, filles d’Atlas, et reprises par Sri Aurobindo sous les noms suivants : mental physique (sensoriel), mental vital, intellect, mental supérieur, mental illuminé, discernement intuitif (ou intuition) et surmental. Ce ne sont pas seulement des facultés de cognition mais des domaines avec leurs puissances propres, lesquelles peuvent agir ou descendre en l’être.
L’homme doit progressivement en gravir les échelons et il est probable que la Nature consacrera encore une très longue période de temps à ce labeur. En effet, la majorité des hommes fonctionne le plus souvent sur les deux premiers niveaux et peine à mettre en œuvre le troisième, l’intellect, afin d’élaborer une pensée individualisée, libre des opinions et des croyances, détachée du vital émotif et corporel, et capable d’intégrer les opposés. (Notons que les groupes humains sont toujours en retard sur les individus, car ils doivent avancer au rythme des membres les moins évolués.)
Une minorité se livre aux travaux avancés de la pensée intellectuelle, très loin cependant de pouvoir appliquer sa compréhension à l’ensemble de sa vie comme de s’élever à de hautes synthèses conciliant les points de vue.
Ces plans ont été abordés dans le précédent volume, en détail jusqu’à l’intellect. Nous ne donnerons ici que quelques indications succinctes sur les plans situés au- dessus de ce dernier, abordés par quelques rares personnes, car ils seront de plus en plus concernés au fur et mesure de la progression dans cette étude.
Sri Aurobindo regroupe ces plans situés au-dessus de l’intellect sous le vocable « plans de l’Esprit » ou « supraconscient », et nomme « spiritualisation » (du mental) le processus d’ascension de ces plans de conscience. Tout comme les anciens Grecs, il fait de cette spiritualisation du mental humain qui suit le sens de l’évolution – et dont la phase ultime est la « libération en l’Esprit » – l’une des bases de son yoga. Car si la totale « purification » de la nature extérieure doit préparer l’être à recevoir le pouvoir transformateur du Divin (le rendre « transparent »), il est également nécessaire que soit réalisée cette union en l’Esprit afin que les forces correspondantes puissent descendre, afin de réaliser ultimement la « libération de la Nature ».
La classification de ces plans a été établie sur la base du tracé de « l’éclair fulgurant » dans l’arbre des Sephiroth de la Kabbale. Les deux plans inférieurs sont dans l’axe de l’arbre et dans un équilibre des pôles d’identification et de distanciation, de fusion et de fission. L’intellect se situe sur le pilier de la séparation. Par suite de l’influence alternée des forces de fusion et de séparation selon de grands cycles de temps, il entraîne actuellement l’humanité vers l’individualisme et l’incapacité grandissante à supporter la différence et apprécier l’altérité.
La transition de l’intellect au mental supérieur se fait par le passage vers le côté droit de l’arbre, c’est-à-dire par l’association d’une certaine dose d’intuition dans la pensée.
Voir le Schéma des plans de conscience
Ce plan du mental supérieur est donc celui d’un mental pensant lumineux encore dominé par la pensée mais avec une idéation d’ensemble, capable d’une conception rapide et vaste qui ne passe pas seulement par les processus de l’intellect. Il a aussi une composante dynamique qui se traduit par une puissance réalisatrice de ce mental lumineux (nous retrouverons celle-ci illustrée par le taureau offert par Poséidon à Minos).
Bien développé, il caractérise le sage et le penseur spirituel. Il domine dans les mythes d’Europe, dans ceux de la chasse au sanglier de Calydon et des guerres de Thèbes, et dans l’esprit de la coalition achéenne contre Troie.
Il est représenté par la descendance de la Pléiade Stéropé.
Le mental illuminé, qui équilibre totalement les deux polarités, implique dans l’arbre des Sephiroth le franchissement d’un voile. Il n’appartient donc plus à la pensée supérieure mais à la lumière spirituelle et opère par des éclairs de vision. C’est donc le plan des « voyants » et des mystiques illuminés. Il apporte avec lui une grande paix dans l’être et un « enthousiasme (en-théos) » de réalisation. Il est caractérisé dans les mythes par les différentes « Électre » (et Électryon), et en particulier par la descendance de la plus célèbre d’entre elles à l’origine de la lignée troyenne, la Pléiade Électre, fille d’Atlas et mère de Dardanos qui fut le fondateur de Troie.
Le plan suivant est celui du discernement intuitif (le plus souvent appelé par Sri Aurobindo « plan de l’intuition ») qui apporte un élément discriminateur et « tranchant » à la vision holistique précédente. Il est caractérisé par un océan d’éclairs immuables. Par ses pouvoirs d’illumination, de révélation, d’inspiration, de perception directe de la vérité et de discernement intuitif, il peut remplacer complètement l’intellect qui peut alors être abandonné. Il peut agir fortement sur les intuitions ou perceptions du cœur et du corps pour les illuminer. Il correspond à la lignée de Taygète où l’on trouve les Dioscures Castor et Pollux, Hélène et Clytemnestre, ainsi que Pénélope, épouse d’Ulysse. Cette lignée est étroitement liée à celle de Périérès, fils d’Éole (Cf. Planche 13).
Enfin, le surmental est le plan qui fait la liaison entre le mental humain et le supramental créateur. Il est entré le dernier en action dans l’humanité, car Hermès, son représentant, fils de la Pléiade Maia est le dernier des dieux arrivé sur l’Olympe.
Il se situe à la frontière entre les mondes de l’Être et ceux du Devenir, tout en appartenant à ces derniers. C’est en lui que s’actualise le principe de séparation, en lui qu’apparaît le principe d’ignorance (lorsque Typhon est regardé comme un fils d’Héra). C’est l’entrée dans ce plan qui fit considérer aux aventuriers de la conscience qui atteignaient ce niveau et constataient l’impossibilité de transformer la nature inférieure que le seul choix pour réaliser l’Union était la dissolution dans le néant du Nirvana.
C’est sur ce plan qu’apparaissent les formes. Il est donc le lieu de résidence des dieux qui les gouvernent et en contrôlent la formation, la durée et la fin. Ici se concrétisent la dualité et les divergences.
Au dernier stade de ce mental spiritualisé, le chercheur acquiert une conscience permanente du Soi (ou Moi divin, le Jivatman). En lui cesse alors de prédominer puis disparaît ou est surpassée la conscience d’ego. Il peut contempler « les pouvoirs qui siègent au-dessus des mondes » et « les ailes qui enveloppent l’espace créé ».
Le surmental permet aussi l’accès au plan du Moi divin cosmique (Atman) qui met fin à l’illusion cosmique. Là se trouve la source des dualités « au-delà des frontières de la naissance et de la mort ». Puis au-delà encore, le chercheur dépasse les limites du mental cosmique et contemple l’Inconnaissable, « les pieds solidement posés sur les ailes prodigieuses de la vie ». « De Ça, tout jaillissait ; en Ça, tout était appelé à cesser. Mais ce que Cela était, ni la pensée, ni la vision ne pouvait le dire. » Là, « il n’y a plus de mental ni de besoin de connaître, pas de cœur ni de besoin d’aimer ».
Mais le surmental est encore un plan où se manifeste une action de division qui s’appuie sur le jeu de la multiplicité et soutient celui des innombrables possibilités. Il n’a pas le pouvoir de l’Unité, et donc pas celui de transformer complètement l’inconscience jusque dans ses racines.
Les plans de l’Être
Nous nous étendrons peu ici sur ces plans du monde créateur et de l’Absolu. L’œuvre de Sri Aurobindo en fournit de longs exposés.
Le supramental créateur
Le terme supramental peut induire en erreur car il est d’une nature totalement étrangère au mental. Il décrit un monde au-delà du mental – le surmental assurant la transition – et dans lequel il y a aussi de nombreuses gradations.
C’est un monde d’Unité, de Conscience de Vérité dans laquelle il y a « différenciation » mais non « division ». C’est à la frontière entre le supramental et le surmental qu’apparaît la dualité et donc le droit légitime pour chaque élément des couples d’opposés de poursuivre sa ligne évolutive selon sa nature propre.
Dans le sens de l’ascension des plans de conscience, ni le désir, ni l’ego, ni les dualités qui résultent d’une conscience de division ne peuvent survivre au passage de cette frontière. Il est possible cependant de recevoir les lumières et la force transformatrice de ce plan avant qu’une complète libération ne soit obtenue.
La supramentalisation suppose la réalisation préalable de la libération de la nature jusque dans le physique, c’est-à-dire celle d’une parfaite transparence à la pénétration des forces divines dans le corps, là où non seulement les formes mais aussi la matière « n’ont plus d’ombre ».
Le supramental a délégué, pour les besoins de l’évolution, une nouvelle conscience qui a été nommée par Mère et Satprem « la conscience du Surhomme ». Ce dernier désigne l’être intermédiaire dont l’élaboration doit précéder celle de l’homme supramental.
De manière générale, on pourrait associer le supramental créateur à l’ensemble des couples de Titans et Titanides, mais nous l’avons fait correspondre surtout au plus élevé d’entre eux, à celui d’Hypérion-Théia, générateur d’Hélios « son pouvoir illuminateur », de Séléné « sa puissance d’action réalisatrice » et d’Éos, « l’éternel nouveau ».
Le Suprême Divin triple en Un et indivisible
Au-dessus du supramental est le monde du Divin triple en Un et indivisible (Sat-Chit-Ananda), le Brahman qui est Existence-Conscience-Félicité et dont « rien ne peut être dit ».
La nature intérieure de l’homme
Les plans subliminaux plus vastes
Si chacun des plans du physique, du vital et du mental se manifestent dans notre nature individuelle de façon mélangée, ignorante et limitée, ils s’étendent cependant en des régions plus pures et plus vastes, libres de l’ignorance et gouvernées par le Soi, jusqu’à rejoindre l’universel ou le cosmique. C’est par un retournement de conscience que l’homme peut y accéder, car c’est par l’intériorité qu’il peut espérer rejoindre l’infini. Il ne perçoit en effet habituellement que la partie émergée de l’iceberg, que Sri Aurobindo nomme « l’être extérieur », et se croit la source de ses pensées, de ses émotions et de ses actes, et aussi la victime du hasard, des évènements et des autres.
Ainsi par exemple, « le vital de surface est ignorant, étroit, plein d’obscurs désirs, passions, appétits, révoltes, plaisirs et peines, joies et douleurs éphémères, d’exultations et dépressions. L’être vital véritable au contraire est large, vaste, calme, fort, sans limitations, ferme et inébranlable, capable de toute puissance et de toute connaissance, de tout ananda (joie divine). Il est en outre sans ego ».
(Il faut noter que ces plans subliminaux intérieurs sont des extensions du même plan sur le même niveau.)
Sur ces plans subliminaux, selon Sri Aurobindo, l’homme agit en permanence mais les traces de son action ne parviennent le plus souvent à sa conscience qu’à travers les rêves. L’influence et l’interaction de ces plans sur sa vie est donc permanente.
Si l’homme avait accès à la totalité de ces plans, il ne pourrait le supporter. Les « voiles » dans la conscience sont donc en fait une nécessité protectrice pour son évolution. Plus il croît en conscience, plus il acquiert de force pour affronter la vision des mondes qui lui sont révélés, et plus il peut agir pour se libérer de leur influence et utiliser leurs forces.
À chacun des trois plans inférieurs correspond un plan subliminal.
Il y a donc un plan du physique subtil, très proche du nôtre, où se prépare et s’organise tout ce qui se passe sur la Terre. Derrière le vital individuel, existe un plan vital pur qui rejoint l’universel, et au-delà de notre mental limité, un mental pur et vaste, non déformé auquel nous pouvons avoir accès. De la même manière que le vital et le mental comporte des gradations, les plans subliminaux comportent quantité de sous plans.
Le Soi (ou Moi ou « être central ») et l’être psychique (lié à l’âme)
Derrière l’être de surface se tiennent deux centres de conscience liés entre eux, le Soi (ou Moi individualisé) et « l’être psychique » (rassemblé autour de l’âme) qui est son délégué dans l’incarnation.
Le Soi est la partie individualisée du Divin et pourtant impersonnelle (sans conscience d’ego) qui d’au-dessus soutient l’être individuel en étroite liaison avec son délégué dans l’incarnation, l’âme, qui développe autour d’elle l’être psychique au fur et à mesure des incarnations. « Il se connaît comme universel et transcendant non moins que comme individuel et sent le Divin comme étant son origine, la vérité de son être, le maître de sa nature, la substance même de son existence ».
Dans cet ouvrage, le Soi représente le « Moi vrai » qui est une partie individualisée du Divin mais consciente de son unité avec Lui. Les traducteurs de Sri Aurobindo ont, semble-t-il, employé indifféremment les termes Moi ou Soi pour définir cet « être central » ou « être vrai » (Jivatman) qui dirige de derrière le voile. Lorsque le « Moi divin, un en tous » (Atman) s’individualise, il devient le Soi ou Moi véritable (Jivatman). Il se tient au-dessus de la nature et n’est pas affecté par ses mouvements. Il soutient l’évolution mais s’y implique pas.
Dans le Devenir, l’âme ou étincelle divine fait grandir autour d’elle au fur et à mesure des incarnations un « être psychique ». Cet être transmigre donc à travers les vies, prenant un « vêtement » physique, vital et mental adapté aux buts qu’elle s’est fixés pour une incarnation particulière.
L’être psychique est donc le soutien du moi (ou personnalité) dans l’incarnation pour les besoins de l’évolution. C’est lui qui, délégué du Soi, dirige par derrière même si c’est la personnalité frontale égotique qui pense tenir les rênes. Mais il le fait en respectant les contraintes de la Nature et son rythme très lent, illustré par l’opposition d’Héra à toute évolution rapide. Mais lorsqu’il passe au devant et gouverne l’être extérieur, alors le chercheur entre dans une phase accélérée d’évolution.
Le centre de l’être psychique est localisé dans une zone située derrière le cœur physique. C’est lui Agni, le feu intérieur qui selon les Védas n’est « pas plus grand qu’un pouce, toujours assis au-dedans du cœur », l’étincelle qui grandit pour devenir un feu. Il est lié au besoin de don de soi, d’amour, de sacrifice, d’adoration que seul le Divin peut satisfaire entièrement.
Nous avons identifié l’être psychique, dans la lignée de Coios, à Léto, mère d’Apollon et Artémis.
Les dieux qui gouvernent les mondes
Tous les plans dont nous avons parlé sont peuplés d’êtres, d’entités et de forces. Dans les mondes créateurs, dans le sans-forme, ce sont les hiérarchies divines qu’évoquent parfois les initiés.
Dans les mondes du devenir et des formes, ce sont quantité d’entités et de divinités qui appartiennent à tous les degrés de la dualité, et donc aussi bien aux régions de l’ombre qu’à celles de la lumière. Toutes participent également du jeu du Devenir sous la loi divine et tentent elles aussi de réaliser le but de leur existence. Non seulement elles agissent sur leur propre plan, mais elles ont aussi la capacité, la volonté et les droits d’agir sur la Terre afin d’y exprimer leur propre modalité d’existence. Elles agissent en l’homme en le manipulant à son insu dans ses pulsions, ses émotions et ses désirs ou en soutenant son évolution vers sa divinité.
On y trouve par exemple les esprits de la nature, les âmes-groupes des animaux, les formations faites par les hommes. (On appelle formation toute concentration sur laquelle a été insufflée une force vitale par la volonté. Ces formations n’ont alors de cesse de réaliser le but pour lequel elles ont été formées. Nos peurs, nos haines, etc. construisent et soutiennent de telles formations. C’est pourquoi il est dit que toute pensée est agissante.)
Dans la mythologie, ce sont les divinités qui interviennent dans la vie des héros, tels par exemple les quatre grands Vents ou les « vents mauvais », les Érinyes, les enfants de Nuit, les Gorgones, les grands monstres tels l’Hydre ou la Chimère, et bien sûr les générations divines d’immortels parmi lesquels les innombrables enfants d’Océanos, les Titans, les Muses, etc.
Ce que nous appelons folie est le plus souvent la conséquence d’un déséquilibre due à une porte ouverte sur ces mondes qui facilite l’irruption d’entités qui viennent se réaliser ou se nourrir d’énergies particulières.
Conscient, subconscient, inconscient, nescient et supraconscient
Un certain nombre de termes définissent les rapports que nous entretenons avec les plans évoqués ci dessus.
Le conscient est pour chacun un domaine propre, avec ses limitations particulières. Il est le plus souvent associé aux trois plans inférieurs du mental, du vital et du physique (pensées, émotions, sensations et habitudes physiques les plus évidentes) mais il n’est opérant pour la plupart des hommes que dans des zones très limitées de ceux-ci. L’homme doit faire un travail particulier pour le rendre plus sensible, pour accroître son étendue, sa hauteur et sa profondeur, au-delà de cette conscience de surface.
Lorsque le conscient s’applique au mental, il est relié à l’élément air.
Le terme subconscient devrait normalement désigner tous les plans qui ne nous sont pas ordinairement accessibles mais qui peuvent être rendus conscients par le Yoga. Ils devraient donc inclure tout ce qui est situé « sous » notre conscience de veille. En fait, Sri Aurobindo semble en exclure les mondes subliminaux, limitant le subconscient à une zone de conscience inférieure, aussi bien individuelle qu’universelle, se comportant en particulier comme un immense réservoir qui emmagasine les moindres évènements, perceptions et sensations de notre vie, qu’ils soient conscients ou non. C’est là que se réfugie en premier tout ce qui est chassé du conscient. De là aussi, les éléments remontent à la conscience lorsqu’ils doivent être traités.
Comme l’essentiel des impressions, sensations et émotions sont d’ordre vital, le subconscient a un lien privilégié avec ce plan. Le vital étant associé à l’élément eau, Poséidon, le dieu du subconscient, est une divinité marine.
Le domaine du subconscient recouvre donc un domaine beaucoup plus vaste que l’inconscient de la psychologie actuelle.
L’inconscient s’étend en dessous du subconscient et s’applique essentiellement à la conscience corporelle et physique. Lui aussi est tout autant individuel qu’universel. Il est fait d’obscurité, d’inertie et d’insensibilité. Même s’il est appelé à être un jour intégré dans le conscient, il se différencie de lui en ce sens qu’il n’est pas accessible actuellement à la conscience humaine, hormis pour quelques rares initiés.
C’est le royaume d’Hadès. Il est en résonnance avec l’élément terre.
Encore « en dessous » est la Nescience, qui est négation absolue de la Conscience, représentée par le Tartare.
Enfin, le supraconscient s’étend pour chacun au-delà de la zone consciente et recouvre donc les plans de l’Esprit à partir du mental supérieur jusqu’au supramental et aux plans de l’unité divine.
Les mythes ont défini avec Zeus (qui a « intégré » Métis) la plus haute capacité de conscience mentale que l’homme puisse atteindre par l’intelligence au sens où nous l’avons définie ci-dessus, le surmental. Les interventions des dieux dans les mythes (Zeus, Hermès, etc.) appartiennent donc au supraconscient jusqu’au moment où les héros peuvent les côtoyer ou se mesurer à eux. Jusque-là, elles se manifestent par des expériences sensibles qui sont perceptibles mais dont l’origine n’est pas consciente (Zeus transformé en taureau, changé en pluie d’or, etc.)
Les expériences et réalisations
De l’exposé ci-dessus, il résulte que les possibilités de contact avec notre être vrai ou avec le Suprême sont multiples et plus nombreuses encore les voies qui y mènent.
La description ci-dessus des champs de la conscience et les expériences rapportées par les initiés à toutes les époques permettent de déduire qu’il existe de très nombreux moyens d’approcher l’Absolu et d’en faire l’expérience sous l’une de ses formes : dans son expression transcendante impersonnelle, universelle, personnelle ou encore par l’une de ses innombrables possibilités de manifestation à travers l’un des plans du physique, du vital ou du mental. Les pratiques mises en œuvre dans ce but sont aussi infiniment variées. Ceci explique que le Divin a pu toujours être contacté à toutes les époques de l’évolution humaine sous l’un ou l’autre de ses aspects.
Il semble donc impératif à notre époque où la plus grande force de séparation a été nécessaire pour permettre l’individuation – provoquant du fait de l’évolution dans l’ignorance et de l’arrêt de l’évolution dans l’union (Typhon et Échidna) le plus extrême éloignement de la Vérité – de pouvoir déterminer la nature des expériences. Par l’exercice d’un juste discernement, on évitera ainsi la confusion des expériences du vital avec celles du cœur ou de la lumière supérieure, et la fascination pour de fausses lumières.
Rappelons qu’il convient de distinguer les « expériences » qui sont transitoires, des « réalisations » qui sont définitives. Les unes et les autres concernent tous les plans et tous les états d’être.
Parmi les réalisations, il y a celles du Soi, du Divin transcendant, du Moi cosmique, de la présence de la Mère divine, de la Lumière, de la Force, de l’Union psychique, de la Joie divine ou Ananda dans chacun des plans, etc.
D’autre part, avoir une expérience sur un plan donné ne signifie pas que l’on y soit installé définitivement. Par exemple, un chercheur peut se situer la majeure partie du temps sur les plans du mental-vital et de l’intellect et faire des irruptions dans celui du mental supérieur. Que certaines expériences soient du ressort de tel ou tel plan et aient été classées dans la descendance de tel enfant d’Éole ou de telle Pléiade, ne signifie pas pour autant que le chercheur qui les vit soit établi définitivement sur ce plan. D’autre part, même dans les étapes les plus avancées du chemin, il y a toujours le risque ou le choix de se mettre du côté des forces de lumière ou des forces anti-divines.
L’association des deux grandes voies que nous considérons, celle de « l’ascension des plans de conscience » ou « spiritualisation du mental » et celle de « purification-libération », permet la réalisation du Moi divin ou Soi (union avec le Divin « au-dessus ») et la « réalisation psychique (union avec le Divin « au-dedans ») ou « éveil », qui conduisent à la « libération en l’Esprit ». C’est-à-dire que l’esprit devient libre des opérations de la Nature. Et c’est ce que l’on entend en général dans les écrits sur la spiritualité par être « libéré » ou « réalisé ». On ne peut toutefois employer ces termes que si l’union avec le Divin intérieur est définitive (la « psychisation »). Elle suppose la fin des désirs et la disparition de la « conscience d’ego ».
Mais la libération de la nature extérieure n’est pas terminée. Il faut poursuivre la voie de « purification-libération » pour réaliser la libération totale que Sri Aurobindo appelle « libération de la Nature ». Il faut pour cela maîtriser les « gunas (les modes de la Nature : énergie d’action, inertie, équilibre) » et dépasser les « dualités ». Elle doit conduire le chercheur vers la troisième étape, celle de la « transformation » ou divinisation du corps qui est réalisée par les forces divines agissant dans un réceptacle humain rendu parfaitement transparent.
Bien que nous ayons réservé le mot « purification » à la voie selon la Nature, une certaine purification du mental est bien évidemment nécessaire pour progresser dans la voie de l’ascension afin d’éviter les confusions et les illusions.
Lorsque l’on s’engage sur la voie spirituelle, le choix de la voie dépend de ce que l’on veut obtenir. Par exemple, si c’est l’acquisition des pouvoirs de la Nature, les voies de l’occultisme seront privilégiées.
Déterminer le but de son Yoga est donc le préalable à toute démarche spirituelle.
De manière générale, le but fondamental de toutes les spiritualités (et en général le seul) était de réaliser l’union avec le Divin, « l’union de ce qui a été séparé dans le jeu de l’univers, avec le vrai Moi qui est son origine et son universalité ». C’est le sens habituellement admis pour le mot Yoga « union » : « un effort méthodique de perfection de soi par le développement des potentialités latentes de notre être et par l’union de l’individu humain et de l’Existence universelle et transcendante ». Le mot Yoga est dérivé de la racine sanscrite yug qui signifie « unir » mais peut aussi désigner le fait d’« atteler » ou encore « une méthode de dressage des chevaux ». Si le cheval est le symbole de la Force, il s’agit alors de parvenir à la maîtrise de la Force (divine).
Les spiritualités les plus répandues écartèrent généralement les voies de l’occultisme (magie sacrée, transes, manipulation des énergies ou des entités des plans du vital ou du mental, etc.). Elles considéraient sans doute que l’occultisme présentait des dangers conséquents et qu’il ne rapprochait de l’Absolu que sous des aspects limités. Même si ces voies permettent éventuellement de contacter certains aspects du Réel lorsqu’ elles sont développées au maximum de leurs possibilités, elles appartiennent en général au passé de l’humanité, même si elles peuvent encore séduire bien des chercheurs qui se préparent à entrer sur le chemin. D’autre part, elles contactent des plans où les puissances d’ombre et de lumière coexistent et où il est très difficile d’appliquer un juste discernement si l’on n’est pas débarrassé de toute peur et suffisamment purifié.
Les spiritualités traditionnelles, considérant par expérience la transformation des couches inférieures du vital et celle du corps comme impossibles, se fixèrent comme réalisation ultime l’union avec le Divin en l’Esprit et rejetèrent en général la matière de leurs préoccupations, prônant des voies d’isolement et de méditation. Selon les niveaux parvenus par les initiés dans les niveaux supérieurs du mental (mental illuminé, discernement intuitif et surmental), elles théorisèrent ces voies de façons diverses.
Mais Homère, tout comme Sri Aurobindo, refusa la seule libération personnelle et poursuivit au-delà vers un yoga de libération pour l’humanité entière. Celui-ci suppose une purification intégrale de la nature inférieure afin que les forces d’un monde situé au-dessus du mental puissent intervenir pour transformer la nature physique. Il ne s’agit plus simplement d’une « spiritualisation » du mental ni d’une « psychisation » de la nature, mais d’une « transformation » dont les deux premières devenaient seulement la préparation.
C’est dans cette optique que doivent être considérés les mythes grecs et la progression décrite par les Anciens. Nous n’y chercherons donc pas les voies de l’occultisme, ni même une description des méthodes propres à chaque voie spirituelle, mais une synthèse orientée vers cette transformation de l’humanité.
Les expériences sur la voie de l’ascension des plans de conscience et la réalisation du Soi.
La voie de l’ascension est illustrée par la descendance du Titan Japet. Les sept Pléiades figurent les plans de la conscience mentale humaine et les enfants d’Éole les expériences majeures de cette voie. La descendance d’Aethlios concerne plus particulièrement les aventuriers qui réalisent le silence mental et poursuivent au-delà.
L’ascension commençant par un perfectionnement de l’intellect et une irruption dans le mental supérieur, de multiples expériences d’élargissement de la conscience, de compréhensions supérieures ou d’intuitions fulgurantes peuvent précéder la première grande expérience qui résulte d’une réponse des plus hauts plans de l’Esprit à l’aspiration du chercheur à comprendre et connaître.
Cette réponse est un choc illuminateur qui donne la force d’emprunter le chemin vers l’union. Le mental entier se remplit d’une lumière, d’une joie et d’un pouvoir divins. Cette expérience et le chemin qui y mène sont décrits en détail dans la quête de la Toison d’Or par Jason et son équipage d’Argonautes. Elle n’est toutefois qu’une annonce préliminaire, un résultat du besoin d’union ou de fusion de l’être subjectif avec son Moi le plus haut ou le plus intérieur.
En poursuivant la voie de l’ascension et la spiritualisation du mental, le chercheur parvient à un ensemble de réalisations telles que l’égalité, la joie, la compassion, la transparence, etc. que nous examinerons dans les prochains chapitres.
En fait, les deux voies ne sont pas vraiment indépendantes et les expériences résultent d’une progression particulière à chaque chercheur dans chacune d’elles.
Mais il y a aussi la possibilité de cesser l’identification au corps, au vital et au mental, et de découvrir alors la source impersonnelle de son être qui se tient dans le silence, le Soi qui est la composante individuelle de la conscience divine Une impersonnelle. De là, le chercheur peut aussi apercevoir les plans divins qui transcendent le mental.
Ce fut généralement la voie privilégiée en Orient.
Cette réalisation s’acquiert en général par la pacification du vital et du mental, et l’obtention d’un silence mental relatif. Elle est favorisée par la concentration dans la tête afin que la conscience se positionne finalement au-dessus d’elle. Les conditions de son obtention sont facilitées par un isolement hors de l’agitation de la société. Mais la voie de renoncement au monde n’est pas la seule et l’on peut obtenir cette réalisation au sein des activités par un profond détachement et silence intérieur.
Il s’agit d’une immersion dans un plan ou la conscience d’ego s’efface, où le chercheur perd conscience de lui-même en tant qu’entité séparée. C’est « un vide qui serait plein de lumière, d’une paix, d’une immensité, échappant à toute forme et à toute définition. C’est le néant, mais un néant qui est réel et qui peut durer éternellement ». Cette réalisation fait « sortir du temps » et donc du devenir. Elle entraîne la descente de la paix.
Une première étape donne de la vie une impression d’irréalité et le chercheur n’a en conséquence aucun désir de s’y impliquer, jusqu’à vouloir s’échapper définitivement dans l’Absolu. Il peut ensuite faire l’expérience du Nirvana qui est « extinction » ou dissolution de l’individualité dans une conscience ou un Être cosmique ou transcendant. Sri Aurobindo précise que l’expérience d’universalisation (cosmique) ne demande aucunement que soit réalisée la « psychisation » de l’être ou la « spiritualisation » du mental. Toutefois, les risques sont alors grands d’une inflation de l’ego.
Mais il y a une seconde réalisation, qui fait percevoir non seulement l’aspect statique mais aussi l’aspect dynamique du Soi, et ouvre les portes à une réorientation totale du yoga vers une transformation terrestre.
La voie de l’ouverture psychique et sa venue au-devant de l’être extérieur
Cette voie résulte d’une aspiration au don de soi éprouvée par l’être le plus intérieur sous l’impulsion de l’âme (ou de l’être psychique). Elle exige du chercheur le perfectionnement de son être extérieur, sa purification progressive et sa libération des modes de la nature et des dualités.
L’être psychique se tient profondément à l’intérieur dans la zone du cœur et derrière le centre émotif. Il soutient l’évolution du physique, du vital et du mental. Cette voie consiste donc à le faire venir au premier plan afin de mettre sous sa direction l’ensemble de la personnalité extérieure. C’est alors lui qui prend en main le yoga.
La « réalisation » du psychique ou « psychisation » entraine la dévotion, le don de soi, la consécration, la discrimination qui permet le choix de ce qui appartient à la Vérité et le rejet de ce qui est faux et mensonger. « Elle amène la juste vision dans le mental, la juste impulsion et le juste sentiment dans le vital, le juste mouvement et la juste habitude dans le physique, tous états tournés vers le Divin, tous reposant sur l’amour, l’adoration, la bhakti ». Elle conduit au contact avec le Divin « personnel », l’amant (ou l’amante) divin(e). Elle donne le sens de la « présence divine » et permet la croissance de la flamme, « Agni » le feu intérieur.
Cette voie est illustrée dans la descendance du Titan Océanos.
Les principes de base en sont établis avec Persée et les travaux d’Héraclès. Dionysos évoque la joie, la paix et l’amour qui se répandent dans tout l’être lorsque se réalise l’union (expériences et réalisation). La descendance de Cadmos et d’Harmonie, « la voie de l’exactitude » ou de « l’intégrité », en précise les modalités. Minos attire l’attention du chercheur sur les risques encourus dans la traversée de la « zone intermédiaire », période dans laquelle le chercheur a des « expériences » mais manque de purification et de consécration. Le descendance du Penée évoque les risques de l’orgueil spirituel dans une nature non purifiée et celle de l’Asopos, avec Achille, ouvre les combats spirituels de l’humanité future.
La voie ensoleillée
C’est l’une des façons d’emprunter ce dernier chemin. Elle met l’accent sur un total abandon entre les mains de la Mère divine impliquant dévotion, sincérité, consécration et don de soi. Elle s’oppose à la voie qui considère la souffrance comme un de ses piliers.
Le nœud de l’ego
Cet ego – ou plutôt conscience d’ego car il s’agit d’une déformation de la conscience – est une représentation erronée de nous-mêmes à laquelle nous accordons à tort une certaine unité et cohérence.
Il résulte de la perception, du sentiment et même de la sensation de nous-mêmes comme d’un être séparé, distinct des autres êtres et du reste du monde, auquel nous nous identifions. Il imprègne non seulement le mental mais aussi le vital et le corps.
D’où une identification avec nos habitudes, nos modes de pensée usuels, et de manière générale, tout ce qui nous donne le sentiment d’une permanence. Cette conscience, se percevant non seulement comme un centre séparé, mais aussi comme « le » centre, ramène tout à elle-même. Elle se projette constamment à l’extérieur pour situer le « moi » par rapport au « non-moi ». Ou encore, elle nous maintient dans une fausse image de nous-mêmes.
En fait, il faut distinguer entre le mouvement juste et sa déformation. Car l’ego est la déformation d’une volonté juste d’existence (et de puissance) séparée tout comme le désir est une déformation d’une volonté juste de « posséder » le Divin. Mais cette volonté séparatrice aurait dû rester dans le cadre de la subordination à l’Absolu et non assumer cette séparation de son propre droit.
Cette volonté d’individuation est l’outil que la nature a mis en place pour permettre l’existence de centres de conscience individuels en maintenant la conscience de l’unité. Dans l’évolution, elle doit permettre dans un premier temps la sortie de la conscience de groupe et l’accomplissement des potentialités individuelles.
C’est donc l’idée d’ego qui soutient le mensonge de l’existence séparative. Et c’est la disparition de l’ego qui permet le don de soi.
Il est sans doute très difficile de séparer l’ego du mouvement juste d’individuation, et il semblerait que chacun doive être le meilleur juge pour discerner en lui-même ce qui relève de l’un ou de l’autre, car seul le psychique indique le mouvement vrai.
Trier ce qui appartient à l’ego de ce qui provient d’un mouvement juste issu de l’âme est un long apprentissage qui appartient au processus de purification. Consacrer trop d’énergie à se battre contre l’ego au détriment du développement des potentialités de notre être constitue une erreur de cheminement. En revanche, le développement intellectuel, éthique, émotif et esthétique peut être une préparation nécessaire au yoga, car chacun des éléments – mental, vital et corps – doit découvrir et développer ses propres capacités, jusqu’au moment où l’homme étouffe dans sa peau d’homme et ne trouve dans toute son action rien qui illumine vraiment sa vie.
Toutefois, il faut bien comprendre que l’ego a eu et a encore pour beaucoup son utilité (il est même indispensable à la croissance de l’enfant). L’abolition de l’ego suppose de renverser le mouvement captateur en un mouvement inverse de don. Il est probable que ce mouvement, à l’instar de tous les mouvements vibratoires, soit facilité lorsque l’ego est arrivé au maximum de son développement et que l’être aspire violemment à être désencombré de lui-même.
Toutefois, ce renversement n’est pas facile car l’ego, assisté du mental séparateur, a pris l’habitude depuis des dizaines de milliers d’années de calculer toujours le bénéfice qu’il peut retirer de chaque chose. Nos mouvements altruistes, en général, n’échappent pas à cette règle.
L’entrée sur le chemin spirituel suppose que l’ego soit relativement bien développé et constitue désormais une entrave à l’évolution.
Toutefois, supprimer l’ego ne signifie pas renoncer aux capacités de l’être, bien au contraire. Si le yoga a pour but une perfection divine, aucun des éléments qui constituent la nature humaine ne peut être laissé de côté. De même que des efforts seront entrepris pour le perfectionnement du corps physique afin de le rendre souple et résistant, pour la maîtrise de la nature vitale afin de lui apporter le détachement et lui enseigner le sens de l’harmonie, de même la pensée devra être améliorée pour lui donner l’étendue, la hauteur et la profondeur les plus vastes possibles, et l’intuition purifiée de tous les obstacles qui la perturbent.
Puisque l’ego instaurait des limites, le processus d’annihilation de l’ego requiert l’abolition des limites.
Pour nous attaquer aux nœuds de l’ego, nous n’avons dans un premier temps à notre disposition que notre mental, notre nature vitale-émotive et notre corps (tant que ce n’est pas l’être psychique le maître du yoga). Partant de l’observation du fonctionnement de notre nature, on s’aperçoit très vite que ce que nous appelons « moi » est en réalité un capharnaüm indescriptible où les différentes parties de notre nature sont inextricablement mêlées, s’opposant les unes les autres, où les vibrations extérieures – vibrations vitales ou images mentales – circulent comme dans un moulin. On est obligé de faire le constat que ce « moi » ne correspond à aucune réalité sérieuse.
De plus, nos actions sont constamment rendues imparfaites à la fois par notre nature issue de l’ignorance fondamentale séparatrice – illustrée par les enfants d’Échidna (arrêt de l’évolution dans l’union) et de Typhon (l’ignorance séparative) – et par le mélange des différents plans, en particulier les habitudes du physique et les intrusions revendicatrices du vital, générant opinions, préjugés et préférences.
La purification considérée dans le yoga n’a donc rien à voir avec la morale ou la vertu. Dans un premier mouvement, elle tente seulement de mettre fin aux mélanges et aux actions issues de l’ignorance. Au plus haut, elle cherche à établir une parfaite transparence pour le libre jeu des forces divines.
La voie de la mythologie grecque et celle de Sri Aurobindo
Les maîtres d’autrefois avaient dû juger que la transformation des couches les plus basses de la conscience, dont les mécanismes remontent à l’évolution primitive de l’homme, était impossible. Aussi envisageaient-ils seulement une libération hors de la Terre, dans quelque paradis de l’Esprit. De fait, elle restait individuelle et le reste de l’humanité demeurait inchangé dans la ronde des cycles sans fin de la nature. C’est la voie sur laquelle se sont engagées la quasi totalité des religions et des mouvements spirituels.
Mais un certain nombre de maîtres refusèrent d’abandonner la Terre à son ignorance, considérant que seule une spiritualité qui donnait le pouvoir de transformer la matière et d’emporter le monde dans son élan valait la peine d’être poursuivie.
Il y a donc une bifurcation possible, un choix conscient à faire.
Le premier texte conséquent de la mythologie – L’Iliade d’Homère qui décrit un épisode de la guerre de Troie – nous présente un dilemme intérieur (qui fut aussi probablement un débat parmi les initiés). L’enjeu en était la direction à suivre pour continuer le processus de libération représenté par Hélène. Les différents épisodes de la guerre instruisent les arguments des deux camps (débat extérieur aussi bien qu’intérieur). La victoire de la coalition achéenne mit un terme à la priorité donnée à l’ascension des plans de conscience et, grâce à Achille, recentra la quête spirituelle sur la nécessité de s’occuper des infimes mouvements de la conscience afin de transformer la nature inférieure.
C’est dans cette logique que la voie de purification et d’ouverture psychique Dionysiaque prit une importance croissante.
Toutefois, la victoire de la coalition achéenne n’exclut pas la voie Troyenne. Elle refuse seulement de la considérer comme prioritaire. En effet, Anchise et son fils Enée devaient quitter Troie avant sa destruction afin de sauver la possibilité de la Troie future.
Sri Aurobindo poursuivit dans la même direction. Il refusa tout yoga qui ne viserait qu’à une libération personnelle, car son objectif était de faire descendre sur la Terre (ou rendre actif) le pouvoir qui transformera l’humanité.
Il ne donne donc pas la priorité à la recherche du Soi et encore moins au retrait du monde et de ses activités. Son yoga doit se faire dans la vie. Trouver le Divin dans le travail en est une part essentielle, la consécration à la Mère divine dans une parfaite sincérité le moyen, et le travail dans toutes les directions à la fois la méthode préconisée (selon la triple voie des yogas des œuvres, de la dévotion et de la connaissance).
Satprem, au chapitre IV de la Genèse du Surhomme (La Bifurcation) insiste sur le choix nécessaire entre la voie de l’ascension dans laquelle on va explorer les plans supérieurs du mental « qui sont comme la source pure de tout ce qui se passe ici dans la déformation (…) » et celle de la purification de la nature. Il nous dit en substance que ce chemin du haut est si tentant que tous les sages du passé ou les esprits avancés d’aujourd’hui l’empruntent. Mais au terme du voyage, on s’aperçoit que les moyens « d’en haut » n’ont guère de pouvoir « en bas ». C’est l’éternelle histoire de l’Idéal et des réalités. Et « si la voie de l’ascension est la seule issue possible, alors il ne reste plus qu’à en sortir tous, et définitivement ». L’évolution ne pouvant avoir pour dessein un ultime partage moral entre les élus et les damnés, l’autre voie est donc de prendre le chemin de la Nature en respectant ses méthodes. Et « puisque la Nature embrasse tout, nous tâcherons de faire fructifier son grain, d’épanouir ce qui est déjà dedans. (…) En somme, il ne s’agit pas d’une méthode pointue qui rejette tous les encombrements pour filer spirituellement vers le haut, mais d’une méthode globale ; pas d’une ascension escarpée mais d’une descente, ou plutôt, d’un dévoilement de la Vérité partout contenue, jusque dans les cellules de notre corps. »
En fait, Sri Aurobindo recommande que chaque chercheur établisse sa propre méthode de yoga selon sa nature et ses capacités. Si c’est la voie de la Connaissance qui s’impose à lui tout d’abord, il ne devra pas la refuser. Mais il insiste cependant sur la nécessité préalable de purification de la nature et de « psychisation » de l’être afin d’éviter les nombreux risques de déviances dus à l’ego.
Dans son yoga, la première nécessité est donc la purification de l’intelligence et de la volonté qui sont ordinairement asservis au mental sensoriel, car c’est avec ces outils purifiés que le chercheur pourra progresser vers la libération. Le chercheur devra également non seulement perfectionner son intelligence par le développement de l’intuition et par le détachement des opinions et des préjugés, mais aussi perfectionner son sens du juste et du vrai. Dans la lutte contre le désir, il ne devra pas rechercher la pureté par amputation, limitation ou inhibition, mais par une transformation supérieure. Ce travail sera complété par une purification de l’intelligence de ses limitations propres : tendance à fixer les choses, besoin d’exécuter immédiatement etc.
La seconde phase de son yoga est davantage tournée vers la purification du vital qui conduit à la libération des couples sympathies/antipathies, attractions/répulsions, afin de parvenir au parfait détachement. Le cœur purifié est alors libre de la colère, de la haine, de la peur, de toute répugnance et de toute répulsion.
Dans les mythes, ce détachement est symbolisé par Déjanire « le détachement (celle qui tue l’attachement) » à laquelle Héraclès s’unit à la fin des travaux.
La lignée des rois d’Athènes
Nous avons précédemment mentionné, sans nous y attarder, la lignée des rois d’Athènes. Nous l’examinerons en détail dans un prochain chapitre mais il est nécessaire de rappeler ici sa place en regard des deux grandes lignées de yoga.
En effet, si la mythologie comporte plus d’une dizaine de lignées royales (Crète, Argos, Corinthe, Thèbes, Mycènes, etc.) celle d’Athènes s’imposa progressivement comme une lignée majeure bien qu’elle soit à peine mentionnée chez Homère qui ne semble pas avoir connu Thésée. Dans l’Iliade, le contingent d’Athéniens conduit par Ménesthée « avec qui seul Nestor pouvait rivaliser pour ranger les chevaux et les hommes » n’occupe pas une place particulière, loin s’en faut. Homère semble donc avoir mis cette lignée en avant uniquement pour sa fonction de purification : ranger les chevaux et les hommes, c’est-à-dire mettre chaque chose à sa place tant sur le plan du vital que celui du mental.
Plus que tout autre lignée, elle a cependant pris au cours du temps une importance croissante. De par ses origines, Athéna représente en effet une influence issue d’un plan supraconscient élevé agissant dans le mental (Zeus associé et identifié à Métis « l’intelligence divine ») – et donc tirant l’homme vers le haut – tout autant qu’une incitation à l’évolution de l’être intérieur (par les lettres structurantes de son nom). Elle est donc agissante dans les deux voies principales.
Quelques rappels et précisions
Cette étude ne prétend en aucune façon délivrer un enseignement spirituel mais tente seulement de lever le voile sur le sens profond de la mythologie grecque.
Le mot Divin employé ici ne fait pas référence à une personne mais à un état d’être que l’on doit réaliser.
Même si le chemin est tracé dans ses très grandes lignes, il faut se garder de toute tentative de généralisation. Chacun doit évoluer selon son propre chemin.
Il reste de très nombreuses questions en suspens. Il semblerait par exemple que les expériences vécues par les hommes et les femmes sur une même voie soient quelque peu différentes. Les hommes semblent vivre davantage des illuminations fulgurantes sur un fond de « nuits », tandis que les femmes vivraient des nuits fulgurantes sur un fond de joie.
En écho à la citation de Sri Aurobindo figurant en tête de cette introduction, soulignons que l’évolution spirituelle opère par une suite d’ascensions et de stabilisations nécessaires pour amener tout l’être au niveau nouvellement atteint. Certaines étapes exigent des renversements de la conscience : ce qui était utile à un moment donné devient un obstacle dans la phase suivante.
Si la Nature, depuis des milliers d’années, a précipité l’humanité dans une vibration de séparation/distanciation, c’était pour permettre à chacun de s’individualiser en mangeant la pomme du savoir « qui est bonne pour acquérir le discernement ». Il n’y a donc pas lieu de maudire ce processus, même s’il a inévitablement accumulé un certain nombre de scories et contribué à établir une société dont le caractère individualiste et égoïste à tous les niveaux peut sembler pesant.
Si l’humanité doit dépasser ce stade et sortir de l’impasse où l’a menée la domination de la seule raison, c’est par une synthèse supérieure de la raison et de l’intuition, et non par le rejet sans appel de la pensée et du mental logique. En effet, ce rejet ne peut mener qu’à des dérives totalitaires ou sectaires, des spiritualités sirupeuses et totalement perverties ou des idéalisations sans issues. Le travail d’Arès et d’Héphaïstos, en attendant le règne de l’être psychique, est bien de remodeler indéfiniment les formes pour les rendre toujours plus parfaites.
Afin qu’elle puisse être un outil de perception exacte de la vérité, l’intuition doit progressivement être purifiée et amenée au contact de l’être psychique.
Dans la phase de transition actuelle, l’humanité doit donc encore développer et utiliser le mental logique au maximum de ses possibilités tout en laissant de plus en plus de place à l’intuition.
Nous avons signalé que certains auteurs tentèrent d’établir des ponts entre les personnages des deux lignées majeures. Toutefois, nous avons insisté sur le fait que nombre de mythes décrivent de longs processus et non un enchaînement d’évènements particuliers, ce qui voue à l’échec toute tentative de réaliser des correspondances trop précises.
Enfin, il nous faut rappeler que notre travail d’investigation s’est poursuivi durant de longues années par un approfondissement « en spirale ». Si sa cohérence générale est maintenant établie, il semble évident que beaucoup de détails devront être revus et qu’il devra être complété autant par les spécialistes des nombreuses disciplines concernées que par les initiés d’aujourd’hui.