<< Précédent : L’île de Circé, ou l’accès à « la vision en Vérité » (Chant X)
Selon les conseils de Circé, Ulysse se prépara à se rendre dans l’Hadès pour interroger la « psyché » du devin aveugle Tirésias, car Perséphone avait voulu que seul il conservât jusque dans la mort sa faculté de penser.
Avant le départ, Elpénor mourut en tombant du toit car il était ivre. C’était le moins brave au combat et le moins sage au conseil.
Puis Ulysse informa ses compagnons de leur prochain voyage et tous s’arrachèrent les cheveux en sanglotant.
Le héros laissa agir le souffle de Borée qui lui fit arriver aux limites de l’Océan et dépasser le Petit Promontoire. Il échoua son vaisseau sur la grève, là où les courants étaient les plus profonds, près des bois sacrés de Perséphone. C’était le pays des Cimmériens, peuple qui vivait dans les brumes que jamais ne perçaient les rayons du soleil et sur qui pesait une nuit de mort.
Il avança ensuite à travers les marais jusqu’aux lieux où l’Achéron reçoit le Pyriphlégéthon et le Cocyte dont les eaux viennent du Styx (qui n’est qu’un bras du Styx). Les deux fleuves aux bruits retentissants confluent devant la « Pierre ».
Il fit alors les sacrifices indiqués par le devin. Alors que les ombres survenaient en foule, il les empêcha d’approcher afin de choisir celles qu’il désirait voir.
La première qui vint à lui fut celle d’Elpénor dont le corps avait été abandonné sans sépulture chez Circé. Elle supplia Ulysse d’organiser des funérailles selon la coutume et de dresser un monument à sa mémoire lorsqu’il retournerait chez la déesse.
Puis vint celle d’Anticlée, la fille d’Autolycos et mère d’Ulysse, dont celui-ci ignorait la mort.
Apparut ensuite Tirésias tenant le sceptre d’or. Il dit au héros la rancune de Poséidon parce qu’il avait aveuglé son fils, le Cyclope Polyphème. Il lui fit savoir qu’il pourrait parvenir au but s’il arrivait à maîtriser son « désir (θυμος) » et celui de ses compagnons. Il annonça en effet leur passage à l’Île du Trident où paissaient les troupeaux d’Hélios, vaches et grasses brebis. L’équipage devait absolument les respecter, faute de quoi tous les hommes mourraient et il s’en retournerait sur un vaisseau d’emprunt pour trouver le malheur au logis. Après avoir puni les excès des prétendants, il lui faudrait repartir la rame à l’épaule et marcher tant et tant qu’à la fin il rencontrerait des gens qui ignorent la mer, mangent sans sel et ne connaissent pas les vaisseaux et les rames. Puis il croiserait un voyageur qui lui demanderait pourquoi il portait sur l’épaule une pelle à grains. Il devrait alors planter la rame en terre, sacrifier à Poséidon puis retourner en son logis sacrifier à tous les Immortels. Il y vivrait une vieillesse heureuse entouré de peuples fortunés.
À la demande d’Ulysse, Tirésias l’informa que pour communiquer avec les ombres et obtenir d’eux la vérité, le héros devait les laisser approcher et boire du sang des animaux sacrifiés.
Tirésias s’étant retiré, sa mère Anticlée vint boire au sang fumant. Elle évoqua pour Ulysse sa femme, son fils et son père rempli de tristesse sur l’île d’Ithaque. Elle lui dit aussi que l’inquiétude maternelle avait causé sa propre mort.
Ulysse voulut la prendre dans ses bras mais ne saisit qu’une ombre, un songe envolé.
Le héros vit alors les ombres de Tyro, Antiope, Alcmène, Mégare, Épicaste, Chloris, Léda, Iphimédée Phèdre, Procris, Ariane, Maira, Clymène, Ériphyle et bien d’autres héroïnes encore.
Puis vint l’ombre d’Agamemnon qui raconta le meurtre perpétré par Égisthe et Clytemnestre. Il conseilla à Ulysse de « ne pas se montrer au grand jour » lorsqu’il rentrerait. Il demanda aussi des nouvelles de son fils Oreste mais Ulysse ignorait tout à son sujet.
Arrivèrent ensuite les ombres d’Achille, de Patrocle, d’Antiloque et d’Ajax.
Aux yeux d’Ulysse, Achille aurait dû être heureux d’exercer sa puissance sur les morts, mais ce dernier le détrompa, affirmant préférer être le serviteur d’un pauvre fermier que régner sur des morts qui ne sont plus rien. Là encore, Ulysse ne put donner de nouvelles récentes, ni de son père Pélée, ni de son fils Néoptolème. Il fit cependant grand éloge de ce dernier qui se battit sans peur durant les derniers combats de Troie, nul n’égalant sa force et seul Memnon le surpassant par la beauté.
Puis Ulysse tenta en vain de se réconcilier avec l’ombre d’Ajax qui lui tenait encore rigueur d’avoir remporté au tribunal les armes d’Achille.
Il vit alors Minos qui rendait la justice pour les ombres et le grand Orion qui continuait à travers les près de l’Asphodèle la chasse des fauves qu’il avait déjà abattus de son vivant dans les monts solitaires. Il vit aussi Tityos dont deux vautours dévoraient le foie, Tantale en proie à ses tourments et Sisyphe roulant sa pierre.
Puis il vit Héraclès, mais ce n’était que son ombre, car il séjournait en fait parmi les immortels, uni à Hébé. Autour de son ombre, les morts prenaient la fuite, « on eût dit des oiseaux ». D’un regard effrayant, il cherchait le but, une flèche posée sur son arc tendu. Nul artisan n’aurait été capable de reproduire son baudrier incomparable. Il dit à Ulysse qu’Hermès et Athéna lui avaient apporté leur soutien alors qu’il encourait un risque sans pareil en allant chercher Cerbère.
Bien qu’Ulysse ait désiré voir encore des héros tels que Thésée et Pirithoos, des tribus innombrables de morts s’étaient assemblées et il craignit que Perséphone ne lui envoyât la tête de Gorgo.
Il retourna alors au vaisseau, descendit le cours du fleuve Océanos et s’éloigna au gré de la brise.
Les anciens distinguaient la « nekuia » de la « catabase », faisant de la première la seule « évocation » des morts qui permettait de faire venir à soi les « ombres », tandis que la seconde exprimait une « descente » dans les mondes souterrains.
La nekuia serait alors essentiellement une description de l’intégration – ou compréhension profonde – de la nature des expériences passées avec seulement de brèves indications pour la suite du chemin. Elle est rendue possible grâce à l’expérience de la « vision en Vérité ». Tandis que la catabase serait une expérience de la descente dans la conscience corporelle lorsque le chercheur avance plus loin dans le yoga du corps.
Le chercheur suit le chemin que lui a indiqué sa vision pénétrante, sa « vision en Vérité des détails » (Ulysse fit exactement comme le lui avait conseillé Circé). Afin de poursuivre le yoga, il doit aller puiser aux sources de l’intuition qui dirige et organise le processus de purification, celle qui connaît « la route et les étapes ». Tirésias est en effet le devin de Thèbes, ville symbole du chemin de purification-libération dont Œdipe et ses descendants sont les héros. Mais maintenant, il s’agit d’une intuition corporelle car Tirésias est au royaume d’Hadès.
Ce n’est plus des intuitions de l’esprit ou du cœur qui vont diriger désormais la quête mais des perceptions corporelles. Le yoga descend dans le corps.
Cette intuition liée au chemin de purification est le seul élément de l’ancien yoga qui peut encore informer à l’avance le chercheur lorsque le yoga descend dans le corps, selon les lois imposées par le processus d’investigation de la conscience dans les profondeurs (Perséphone n’a autorisé que Tirésias à conserver jusque dans la mort sa faculté de penser). Peut-être cela vient-il du fait qu’il est le seul des devins à avoir la souplesse nécessaire, car son père est Euérès.
Avant de s’engager dans cette investigation, le chercheur doit définitivement abandonner « l’espoir » qui est cette attente que les choses soient autrement ou même l’attente de quelque résultat quel qu’il soit : Elpénor « l’homme de l’espoir » mourut. Cette attente empêche le juste travail de yoga et trompe le discernement car Elpénor était le moins brave au combat et le moins sage au conseil.
Certains commentateurs disent que les vers concernant ces caractéristiques d’Elpénor ont été ajoutés plus tard. Ils évoquent en effet une attente passive, alors qu’il nous semble qu’Homère fait davantage référence ici à la poursuite des Cieux de l’Idéal, à ce que Sri Aurobindo appelle « illusory hopes », puisque les honneurs seront rendus à la dépouille d’Elpénor.
Lorsque le chercheur acquiert la vision en Vérité, il voit que tout est « comme cela doit être », que tout va dans le sens de l’évolution, une perfection divine de réalisation à chaque instant dans le moindre détail et pour tout. C’est donc la fin de tout espoir d’un refuge dans les paradis de l’esprit, en cette vie ou après la mort. Les espérances de paradis hors de la terre, provoquées en lui par une ivresse divine, sont rappelées brutalement à la Réalité (Elpénor était ivre lorsqu’il tomba du toit).
L’acceptation parfaite de « ce qui est » implique une parfaite égalité devant toutes choses, y compris la cessation de tout rejet, toute répulsion et tout dégoût devant l’action du Divin dans la nature. Seule doit rester l’aspiration à être un outil parfaitement transparent à l’action des forces évolutives divines. Tant que la volonté de changer les choses par soi-même se maintenait, aussi peu que ce soit, cela créait un handicap pour l’exactitude de l’action et de la pensée.
Cette perte de l’espoir ne doit pas nuire à l’implication dans le monde : bien que tout soit comme cela doit être, la perfection divine doit être réalisée dans la matière.
Mais le chercheur doit reconnaître que l’espoir a longtemps été utile sur le chemin (Ulysse doit promettre de rendre les honneurs à la dépouille d’Elpénor).
Lorsque le chercheur décide de plonger dans les profondeurs de son être, il est pris de crainte dans certaines parties de son être (lorsqu’Ulysse informe ses compagnons de leur prochain voyage, tous s’arrachèrent les cheveux en sanglotant).
Mais rien ne peut cependant l’arrêter dans sa progression. Continuant son yoga sans faiblir (poussé par le souffle de Borée), il est conduit à l’origine des courants de conscience-énergie qui animent l’évolution (Océanos), les courants de conscience-énergie les plus archaïques, là où se fait l’échange entre l’inconscient et le conscient, entre le corps et l’esprit (il parvient aux confins de l’Océan, là où les courants sont les plus profonds, près des bois sacrés de Perséphone).
Le pays des Cimmériens peut peut-être se comprendre comme « une très forte soumission (aux lois de la nature) », une conscience profonde que ne vint jamais éclairer (jusqu’à ce jour) les puissances du supramental et qui vit dans une sorte de désespérance résignée (un peuple qui vivait dans les brumes que jamais ne perçaient les rayons du soleil et sur qui pesait une nuit de mort). Il faut se reporter à l’Agenda de Mère pour la juste compréhension de cette « désespérance » des cellules.
Le chercheur descend alors encore plus profond dans des marais nauséeux à la source où se rejoignent les deux courants de conscience qui alimentent le processus évolutif, celui du feu brûlant de l’aspiration et celui de la descente dans l’incarnation soumise aux lois immuables de la Nature (ou considérées comme telles).
(Il avança ensuite à travers les marais jusqu’aux lieux où l’Achéron reçoit le Pyriphlégéthon et le Cocyte dont les eaux viennent du Styx (qui n’est qu’un bras du Styx).
Cette « détresse » ou « désespérance des cellules » (Cocyte) est alimentée par les énergies (ou fait partie des énergies) qui érigent la barrière de conscience entre la matière et l’esprit, le Styx.
Rappelons ici quelques éléments qui figurent dans la Chapitre 4 du Tome 1 de cette étude :
Le Styx, celui « qui fait horreur et qui glace d’effroi » ou « qui est détestable, haïssable » est le symbole de la barrière ultime pour réaliser la réunion dans le corps. C’est le courant de conscience-énergie le plus ancien, car Styx est « la fille ainée » d’Océanos, père des fleuves et des rivières. Il « redresse tout selon la Vérité, ΣΤ+Ξ », ou symbolise « la rectitude (ou l’intégrité) sur tous les plans de l’être ». Cette absolue mise en ordre est la nécessité fondamentale pour celui qui s’aventure dans le yoga du corps au niveau cellulaire.
Les eaux du Styx alimentent le Pyriphlégéthon « le feu qui brûle à l’intérieur » et le Cocyte « qui se lamente » et aussi ΚΩ+Κ+Τ, un « élargissement de la conscience vers l’esprit et vers la matière.
Ces deux derniers fleuves se déversent à leur tour dans l’Achéron, « le mouvement juste au centre (de la matière) » Χ+Ρ », qui est le fondement. Ces deux fleuves qui « coulent en sens opposé » sont en relation avec les deux courants du Caducée. Ils se rejoignent devant « la roche de basalte noir » tout au fond de la conscience dont parlent les Védas, Sri Aurobindo, Mère et Satprem, qui rend inaccessible à l’homme les formidables pouvoirs divins tapis au creux de la matière.
Dans Le Labeur d’un Dieu, Sri Aurobindo, Institut de Recherches Évolutives, on peut lire :
Une voix a crié : « Va ou nul n’est allé !
Creuse plus profond et encore plus profond
Jusqu’à ce que tu arrives à l’inexorable pierre de fond
Et frappe à la porte sans clef. »
Ou bien encore dans La Genèse du Surhomme : « Au fond, tout au fond, c’est un nœud de douleur microscopique, quelque chose qui a peur du soleil et de la joie, quelque chose qui étouffe et qui a peur du vaste. C’est dur comme de la pierre … ».
(Les deux fleuves aux bruits retentissants confluent devant la « Pierre »).
Selon Hésiode, le Styx est constitué d’un dixième du fleuve Océanos, tandis que les neuf autres « s’enroulent en tourbillons argentés autour de la terre et du vaste dos de la mer ». Cette description confirme que c’est un courant de conscience immédiatement au contact du corps. (Hésiode, Théogonie, 789. Le Styx correspond aux énergies qui parcourent la dixième Sephira, celle des énergies les plus denses dans l’Arbre de Vie (Malkut). Ce sont elles qui alimentent la matière corporelle.)
Premier né d’Océanos, il témoigne que la cessation du « fonctionnement vrai » fut le premier élément perturbateur qui se manifesta dans l’évolution et le Styx constitue donc l’ultime barrière sur le chemin du retour permettant la « libération » du corps, après celles du mental et du vital.
Le chercheur intègre alors la réelle signification de la perte de l’espoir, de la fin de l’impatience, et promet d’honorer le souvenir du yoga passé qui se fondait sur cette espérance : ce yoga a été et reste indispensable pour parvenir à ce point (Ulysse promet à l’ombre d’Elpénor de le mettre en terre selon la coutume et de lui dresser un monument sur lequel devait être plantée sa rame, signe pour les hommes du futur).
Le chercheur entrevoit alors où le conduira le chemin de purification dans le corps (Tirésias l’informe des épreuves à venir). D’abord, il comprend que s’être privé de ses pouvoirs de perception-vision issus du subconscient (l’aveuglement de Polyphème) entraînera bien des difficultés, mais qu’une maîtrise absolue du « désir » ou de « l’énergie vitale » (thumos) devrait lui permettre cependant de parvenir au but (Ulysse devra subir les foudres de Poséidon mais cependant touchera au but s’il réussit à maîtriser son « désir (θυμος) » et celui de ses compagnons). Cette maîtrise ultime du thumos peut le plus probablement être associée à la maîtrise des gunas (cf. le chapitre sur les six derniers travaux d’Héraclès).
Il perçoit ensuite qu’il traversera prochainement une grande « tentation » lorsqu’il parviendra à la racine du vital, près de l’Île du Trident (littéralement : l’île des trois sommets, Trinacrie), peut-être symbole sur l’Arbre des Sephiroth des chemins issus de la Sephira Yesod.
Là, il pourra constater que de nombreux pouvoirs directement issus du supramental lui sont accessibles, mais il ne devra alors plus avoir en lui la moindre trace d’ego, le moindre désir d’appropriation, même si le but est le service de l’humanité.
S’il n’est pas parvenu à une totale transparence, alors il devra rencontrer les épreuves nécessaires pour la réaliser. Après une annihilation totale de son petit « moi » qui l’obligerait à utiliser un autre mode de fonctionnement de sa nature extérieure, il s’apercevrait que les plus belles réalisations de l’ancien yoga – la sagesse et la sainteté – font désormais obstacle au nouveau (Tirésias annonça le passage du héros à l’Île du Trident où paissaient les troupeaux d’Hélios, vaches et grasses brebis que l’équipage devait absolument respecter, faute de quoi tous les hommes mourraient. Puis il devrait s’en retourner sur un vaisseau d’emprunt pour trouver le malheur au logis où il devrait punir les prétendants.)
Il a l’intuition qu’il lui faudrait alors commencer un yoga très difficile dont nous examinerons les quelques éléments donnés ici par Homère en fin de chapitre avec l’étude du Chant XXIII (il lui faudrait repartir la rame à l’épaule….).
Le chercheur procède ensuite, suite aux indications de sa vision de Vérité, à une vaste récapitulation des mouvements passés du yoga. Il lui faut laisser les expériences du passé se revivifier à l’essence de la vie et organiser ce qui remonte en désordre à la conscience (il doit laisser les âmes s’abreuver au sang des animaux sacrifiés, mais aussi empêcher qu’elles ne se précipitent vers lui toutes ensembles).
Celle qui se présente tout d’abord est la réalisation sans laquelle cette dernière phase de la quête n’aurait pu voir le jour, symbolisée par sa mère Anticlée « l’humilité ».
Rappelons qu’elle est une fille d’Autolycos « celui qui est guidé par sa propre lumière », et donc une petite-fille d’Hermès « la Connaissance du surmental ».
Autolycos pourrait aussi être compris comme « celui qui rayonne la lumière ». En effet, dans l’Agenda Tome 3, en date du 15 septembre 1962, Mère explique que les choses observées dans le surmental (et non dans le monde réel) sont lumineuses en elles-mêmes. Cette humilité serait alors le résultat de la complète disparition de l’ego et d’une inversion du sens des énergies qui, de captatrices, deviennent rayonnantes.
Mais lorsque le chercheur aborde le yoga du corps, il doit défricher un nouveau chemin et l’humilité, qui était liée à l’ego, n’a plus de raison d’être (il apprend que sa mère est morte dans la conscience de sa propre inutilité).
Il a beau chercher un appui du côté de cette « humilité », elle lui échappe puisqu’elle a terminé son travail (sa mère Anticlée le renseigna mais s’évanouit comme un songe lorsque par trois fois il voulut l’étreindre). Elle est toutefois capable de l’informer du déroulement du yoga et de sa progression dans la voie de l’union, si l’on admet que Laërte descend de Déion (Anticlée lui parla de Pénélope « la vision d’une liberté plus totale » et de son père Laërte « un engagement total, de tout l’être »).
Viennent ensuite à la conscience de nombreuses héroïnes qui indiquent les buts poursuivis ou étapes qui ont été accomplies :
Tyro « la juste évolution vers le mental le plus haut », grand-mère de Nestor « l’évolution de la sincérité » : les débuts du yoga conscient et de la sincérité (intégrité ou rectitude).
Antiope « le renversement de la conscience », mère d’Amphion et Zéthos dans la lignée de Thèbes : les débuts du processus de purification-libération.
Alcmène « une âme forte », mère d’Héraclès : la compréhension théorique des étapes du chemin sur cette même voie de purification-libération.
Mégare « le mouvement juste dans les grandes choses », la première épouse d’Héraclès dont il tua les enfants : les premières réalisations du chercheur dans la vie extérieure.
Épicaste « celle qui est proche de la pureté », tout à la fois mère et femme d’Œdipe : l’origine de la purification des centres de conscience-énergie (chakras).
Chloris « ce qui est neuf », la mère de Nestor : c’est une femme de toute beauté, le but très « vrai » qui donna naissance au travail de la sincérité (intégrité ou rectitude).
Léda « l’union par la libération ». Elle appartient à la lignée de Protogénie, « ceux qui marchent en avant » et elle est la mère d’Hélène, Clytemnestre et des Dioscures Castor « le pouvoir que confère la maîtrise » et Pollux, le meilleur des guerriers par « une totale douceur ».
Iphimédée « ce qui domine avec force », femme d’Aloée, père des Aloades qui voulurent faire concurrence aux dieux, symboles de la libération matérielle et de la volonté de puissance.
Et aussi vinrent Ariane et Phèdre (filles de Minos), Procris (fille du roi d’Athènes Érechthée), Maira (fille de Proitos), Clymène (mère d’Iphiclès), Eriphyle (fille de Talaos) et bien d’autres femmes encore.
Nous ne reprenons pas ici les éléments donnés par Homère qui ont été examinés au cours de l’étude.
Après avoir fait le point sur les anciens buts et moyens du yoga, le chercheur fait le bilan des réalisations.
« La puissante aspiration » qui cherchait encore une amélioration de l’homme et désormais devenue une aspiration du corps lui-même, l’incite à ne pas se dévoiler tout de suite devant les anciens yogas qui veulent perdurer (Ulysse apprend la mort d’Agamemnon et l’ombre de celui-ci l’incite à ne pas se dévoiler tout de suite devant les prétendants). Ni le mouvement du nouveau yoga, ni cette ancienne aspiration ne peuvent savoir comment a évolué cette dernière (Ulysse ne peut donner à Agamemnon des nouvelles de son fils Oreste).
Puis le chercheur laisse venir à sa conscience les réalisations dans les différents travaux de yoga : l’achèvement du processus de purification-libération par le travail sur les infimes mouvements de la conscience dans les profondeurs du vital, les réalisations qui s’appuient sur le mental, la vigilance et le développement de la conscience supérieure (Achille, Patrocle, Antiloque et Ajax).
Ce qui a permis le renversement du yoga par un travail minutieux dans les profondeurs du vital et qui a été le plus important de tous les anciens travaux, se plaint du travail dans le corps qui est un labeur sans fin et sans gloire et pour lequel les anciens yogas ne sont plus d’aucune utilité (Achille se plaint de sa situation et dit à Ulysse qu’il préférerait être le serviteur d’un pauvre fermier que régner sur des morts qui ne sont plus rien). Dans l’Agenda, Mère souligne que comparé à ce travail dans le corps, les yogas sur les plans du mental et du vital sont des jeux d’enfants.
Une fois de plus, le chercheur ne peut faire en lui les rapprochements nécessaires pour évaluer la progression effectuée dans la purification des profondeurs du vital ou l’évolution des nouvelles batailles à livrer : Ulysse ne put donner de nouvelles récentes ni de Pélée, ni de Néoptolème « les nouveaux combats ». Toutefois, il prit conscience que ceux-ci avaient participé au grand renversement du yoga, et que seul le « besoin » était essentiel, le plus vrai (Ulysse fit l’éloge de Néoptolème, mentionnant que seul Memnon était plus beau que lui).
Le chercheur tente ensuite de faire marcher de concert la conscience supérieure qui travaille dans les profondeurs sur les mouvements infimes de la conscience corporelle (Ajax le Myrmidon travaillant désormais au royaume d’Hadès) avec le travail de réunification esprit-matière (Ulysse).
Mais les pratiques de yoga pour purifier le vital profond et qui avaient été utilisées pour le renversement final du yoga, sont désormais utilisées prioritairement pour le travail d’union esprit-matière, ce que la conscience (mentale) supérieure déplore, étant privée d’outils (Ulysse tente de se réconcilier avec Ajax toujours mécontent d’avoir été vaincu dans la dispute qui les opposait pour l’obtention des armes d’Achille).
Autrement dit, la conscience la plus haute regrette de ne plus pouvoir agir elle-même pour la purification, le Divin seul devant opérer la transformation. La priorité est donc donnée à la réalisation de la transparence totale pour permettre l’action non déformée de l’esprit dans la matière.
Puis le chercheur note que certains mouvements de yoga se poursuivent dans la conscience corporelle presque à l’identique et prend conscience que nombre de réalisations acquises dans le mental et dans le vital doivent désormais l’être dans le corps.
Ainsi, Minos « la purification de l’intelligence discernante », grand législateur de son vivant, rend la justice pour les ombres : l’évolution de la consécration dans le corps permet d’ordonner les mouvements qui s’y produisent. Il ne s’agit plus ici de la consécration du mental ni même de celle du vital, mais des cellules elles-mêmes.
Orion poursuit dans l’Hadès les fauves déjà tués de son vivant : le travail juste de la conscience qui a rejeté les mouvements faux hors du mental et du vital traque ces mêmes mouvements qui se sont « réfugiés » dans le corps. En effet, un mouvement chassé du conscient, vient se loger dans le subconscient, et s’il en est rejeté, descend dans l’inconscient corporel.
Tityos est le mouvement de « tension » (dans l’aspiration) résultant du sentiment « d’être séparé » qui avait voulu conquérir de force la réalisation psychique. Il est encore très puissant au niveau du corps malgré le travail assidu de yoga (Tityos avait voulu violenter Léto ; il couvrait dans l’Hadès plusieurs arpents et des vautours lui dévoraient le foie). C’est une tension des cellules qui sont persuadées que celle-ci est absolument nécessaire à leur survie. C’est seulement une usure longue et laborieuse qui pourra venir à bout de cette croyance du corps (le foie), afin d’y apporter la détente nécessaire à l’action des forces supramentales de transformation.
Tantale est le symbole du « besoin » fondamental à la base de toute évolution, l’aspiration à croître. Dans le yoga du corps, le chercheur ne peut jamais jouir des fruits qu’il sent à sa portée, contrairement aux yogas précédents où Tantale partageait la table des dieux. Bien au contraire, il doit faire face à une aridité progressive (une terre noire que dessèche un dieu).
Sisyphe, de son vivant symbole de l’effort et des constructions de l’intellect qui permirent la lutte contre les illusions, continue son labeur dans l’Hadès, dans l’inconscient corporel. Il ne s’agit plus alors d’un travail mental, même si le but final est de supprimer l’illusion fondamentale de séparation qui imprègne les cellules elles-mêmes. Sisyphe n’a pas commis de faute, et son châtiment consiste à s’épuiser à un travail qui semble sans fin. Il tente comme à son habitude de hisser une forme rigide vers les hauteurs afin d’en faire « une vérité », mais celle-ci s’effondre sous son propre poids. Dans le yoga du corps, le sentiment est en effet celui d’un labeur incessant avec l’impression de devoir recommencer sans cesse. Cependant, comme dans les autres yogas, il s’agit d’élargissement, d’assouplissement, d’adaptation et de transparence.
Nous avons vu qu’Héraclès, après son apothéose, demeure parmi les Immortels, étant le symbole du « libéré vivant » parvenu à la non-dualité dans le mental et le vital, tandis que son eidôlon (son double) est dans l’Hadès, car le travail de libération doit se poursuivre dans le corps.
Chez les Immortels assemblés sur l’Olympe, uni à Hébé, déesse de « l’éternelle jeunesse », il marque l’installation du chercheur dans l’instant et « l’adaptation incessante au mouvement du devenir ».
Dans l’Hadès, il se prépare pour les nouveaux buts à conquérir : « la flèche est posée sur son arc tendu, son regard cherchant le but ».
Le chercheur prend alors conscience qu’il ne pourra vaincre « le gardien du seuil » de l’inconscient corporel sans l’assistance des puissances spirituelles, celles qui contribue à la réalisation du surmental et le maître du yoga (Héraclès avertit Ulysse que l’aide d’Hermès et d’Athéna lui fut indispensable pour ramener Cerbère).
Le chercheur aurait bien voulu faire un bilan plus complet, mais sentant poindre des mémoires innombrables et craignant d’être emporté par la peur tapie au fond du corps, il met un terme à l’expérience (le héros, redoutant que Perséphone ne lui envoie la tête de Gorgo, retourna au vaisseau et descendit le cours du fleuve Océanos).