La navigation vers l’île des Phéaciens (Chant V)

 

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Ulysse navigua sur son radeau pendant dix-sept jours sans jamais dormir et arriva le dix-huitième en vue des côtes de Phéacie. Poséidon, qui revenait d’Éthiopie, le vit et déchaîna une grande tempête, faisant souffler les quatre grands vents ensemble (Eurus, Notos, Zéphyr et Borée). Le héros fut jeté hors du radeau qui se renversa. Le mât fut brisé et les voiles emportées par la mer en furie. Tout meurtri, Ulysse réussit cependant à se hisser sur son radeau, et les vents le malmenèrent tour à tour.

La fille de Cadmos, Ino, qui était devenue Leucothée « la déesse blanche » et résidait au fond des mers, l’aperçut. Se changeant en mouette, elle lui conseilla de quitter les vêtements que lui avaient donnés Calypso et de partir à la nage vers le rivage de Phéacie. Elle lui donna un voile qui protège de la douleur et de la mort. Il devait le tendre sur sa poitrine en abandonnant toute peur puis le rejeter à la mer en détournant les yeux lorsqu’il parviendrait au rivage. Puis la déesse plongea dans la vague écumante.

Comme Ulysse était réticent à suivre ce conseil qu’il pensait être un nouveau piège des dieux, Poséidon souleva contre lui une vague gigantesque qui fracassa le radeau, éparpillant les poutres. Le héros, sans plus hésiter, se hissa sur l’une d’elles afin de se dévêtir et de mettre le voile de Leucothée sur sa poitrine, puis il plongea dans la mer.

Tandis que Poséidon méditait de futurs malheurs pour le héros, Athéna calma les vents, ne laissant souffler qu’un vif Borée.

Ulysse dériva deux jours et deux nuits, entrevoyant souvent la mort. A l’aurore du troisième jour, tandis qu’il se réjouissait d’apercevoir enfin la terre, il ne vit en s’approchant qu’une côte inabordable où les vagues se fracassaient sur les rochers. Il fut projeté sur l’un d’eux, et bien qu’il s’y fût agrippé de toutes ses forces, le ressac le rejeta loin en mer. Athéna lui souffla alors de longer la côte en nageant. Il parvint à l’embouchure d’un fleuve dont il pria le dieu pour qu’il lui laissât franchir la barre et sa prière fut entendue. Exténué, meurtri, il s’affala sur le rivage puis rejeta au loin le voile selon les recommandations d’Ino qui le récupéra aussitôt.

Appréhendant le froid et les fauves, il se réfugia sous la double cépée touffue de deux oliviers nés du même tronc, l’un sauvage, l’autre greffé, qui ne laissait pénétrer ni les vents, ni les rayons du soleil, ni la pluie.

Il se couvrit de feuilles et Athéna versa sur ses yeux le sommeil pour chasser l’épuisement.

Il y a dans ce passage des considérations astrologiques qui mériteraient d’être déchiffrées avec des clefs qui nous échappent en partie. Ainsi par exemple, Ulysse devait, selon les conseils de Calypso, laisser l’Ourse ou le Chariot à sa gauche, « seule étoile qui ne se plonge jamais aux bains de l’Océan » : la force endurante (l’Ourse) est la seule puissance soutenant l’évolution qui soit présente en permanence, quelles que soient par exemple les périodes des cycles, à la différence de bien d’autres forces.

Le début de cette phase se déroule dans un état de plein « éveil » jusqu’à ce que le chercheur approche du lieu où « la lumière pénètre totalement » (Ulysse navigua dix-sept jours sans jamais dormir et arriva en vue des côtes de Phéacie). Mais il subit alors la pire attaque jamais vécue sur le chemin : le subconscient provoque le déchainement simultané de toutes les aides divines pour un ultime dépouillement (Poséidon fit souffler les quatre grands vents ensemble, Eurus, Notos, Zéphyr et Borée).

Rappelons qu’Ino, fille de Cadmos roi de Thèbes, représente la démarche de purification-libération qui, d’abord orchestrée par la volonté personnelle du chercheur, est progressivement remise entre les mains de l’Absolu. Dans les profondeurs du vital, elle devient alors une action divine purificatrice : Leucothée « la déesse blanche ». Celle-ci se manifeste au chercheur par une perception mentale à la surface du vital qui  lui donne toutes les indications nécessaires (Leucothée se transforma en mouette, l’oiseau qui vole à la frontière de l’eau, pour entretenir Ulysse). Il devait se dépouiller de ses derniers appuis, laisser de côté son identification à la non-dualité en l’esprit et accepter la protection temporaire vis-à-vis de la mort et de la souffrance qu’offre une parfaite transparence vitale, une équanimité parfaite (lâcher le radeau, quitter les habits de Calypso et revêtir sur sa poitrine pour un court laps de temps le voile d’Ino-Leucothée qui devait le protéger de la douleur et de la mort).

Toutefois, il peine à faire confiance aux messages qu’il reçoit de son vital profond et surtout à abandonner ses derniers soutiens. Ceux-ci sont alors détruits par le subconscient qui soulève une terrible épreuve (Poséidon souleva contre lui une vague gigantesque qui fracassa le radeau, éparpillant les poutres). Le héros ne se raccroche à un ultime appui que pour mieux suivre les instructions de Leucothée.

Après une période de yoga intense mais dépourvue de remous profonds, et bien qu’appréhendant l’échec du yoga en de nombreux moments, il se rapproche de cette « transparence totale » qui permet l’action de la lumière transformatrice mais ne voit aucun moyen de l’aborder (Ulysse, entrevoyant la mort à plusieurs reprises, aperçoit la côte des Phéaciens mais ne trouve aucun moyen d’y parvenir).

Le maître du yoga l’assiste dans les dernières et terribles épreuves, lui soufflant de mobiliser ses ultimes forces, car il s’agit d’abandon au Divin mais non de passivité (Athéna lui mit en tête de s’accrocher au rocher sur lequel une vague l’avait projeté).

Cette attitude lui permet de parvenir au but. Il est alors conscient de la grâce qui l’a protégé et accepte de la laisser partir (Ulysse jeta le voile à la mer et Ino le récupéra aussitôt).

Un temps de repos dans une paix profonde lui est alors offert, à l’abri d’une puissante protection que lui offre à la fois la purification effectuée par son yoga et celle faite par le subconscient. Rien ne peut alors le perturber qui soit issu du mental, du vital ou du psychique (Ulysse se réfugia puis s’endormit sous la double cépée de deux oliviers nés du même tronc, l’un sauvage, l’autre greffé, qui ne laissait pénétrer ni les vents, ni les rayons du soleil, ni la pluie).

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