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Agamemnon laissa partir la première vague des « retours ». Il resta en arrière pour offrir des sacrifices à Athéna afin d’apaiser son courroux provoqué par l’impiété du « petit » Ajax qui avait tenté d’emmener de force Cassandre, ou même de la violer. Puis, comme il s’apprêtait pour le départ, l’ombre d’Achille tenta de dissuader ses équipages de prendre la mer, leur prédisant de grands malheurs. Mais il s’embarqua malgré tout, avec Cassandre comme captive.
La flotte fit une première halte à Ténédos, puis elle subit une tempête près des roches Gyrées où périt le « petit » Ajax (comme nous l’avons vu ci-dessus).
Comme Agamemnon approchait du cap Malée, une bourrasque l’éloigna à nouveau vers la haute mer.
Puis quand un retour sûr fut en vue, il revint chez lui avec ses hommes. Mais Égisthe qui était déjà l’amant de Clytemnestre, guettait son arrivée et le convia traitreusement à dîner. Dès que le repas fut terminé, les hommes d’Égisthe le tuèrent. (Certaines sources indiquent une participation plus directe d’Égisthe ou même de Clytemnestre au meurtre.) Durant le combat, tous les compagnons d’Agamemnon périrent ainsi que les vingt soldats d’Égisthe qui avaient tendu l’embuscade. Celle-ci n’avait pu avoir lieu « qu’en raison de la traîtrise d’une femme maudite ».
(À partir des tragiques, Clytemnestre est davantage impliquée dans le meurtre de son époux, et on la voit souvent munie d’une hache. Dans la pièce d’Eschyle, elle persuada Agamemnon de fouler aux pieds des vêtements de pourpre qu’elle avait déposés sur le chemin du palais, soi-disant pour l’honorer, mais en fait pour le rendre coupable aux yeux des dieux. Puis elle le tua alors qu’il sortait du bain et était empêtré dans ses vêtements.)
Cassandre périt aussi durant le massacre, tuée par Clytemnestre.
Chez la plupart des auteurs, Oreste – le plus jeune fils d’Agamemnon qui était alors un jeune homme ou même encore un adolescent car il était né peu avant la guerre de Troie – fut sauvé par sa nourrice (ou par sa sœur Électre qui le confia à Strophios de Phocide pour qu’il soit élevé avec son propre fils Pylade).
Égisthe monta alors sur le trône de Mycènes et régna pendant sept années.
Lors de la grande bascule, le chercheur avait tenté une dernière fois de forcer le contact avec les hauteurs de « l’esprit visionnaire » par le biais de ce qui reste encore de son ego (le « petit » Ajax tenta d’emmener Cassandre, celle qui « voit » le futur, ou même de la violer). L’ego veut encore connaître sa destinée au lieu de s’en remettre au Divin. Il avait échappé à la destruction une première fois sous couvert de son yoga (Ajax s’était réfugié près d’un autel d’Athéna en dépit du courroux de la déesse).
Le chercheur est toutefois averti par ce qui a travaillé à l’accomplissement de la libération et au renversement du yoga que ce reste d’ego sera la cause de grandes perturbations (l’ombre d’Achille avertit les équipages des tempêtes à venir). Mais il est encore loin de rejeter ses capacités de perception-vision issues du mental bien qu’il ne les prenne plus pour but (Agamemnon emmène Cassandre comme captive sur son bateau) Les capacités de perception-vision doivent en effet plus tard venir du corps (Cassandre ne mourra qu’au retour à Mycènes).
Le divin subconscient (Poséidon) permet une dernière fois à ce « petit moi » de se maintenir avant d’y mettre définitivement fin lors d’une tempête intérieure, là où se concrétisent les mouvements tournants qui sont à l’origine de cet ego (Ajax périt près des roches Gyrées « les coagulations tournantes »).
Puis le chercheur, dans son aspiration à une consécration encore plus totale, est contraint à la patience (Agamemnon est renvoyé en haute mer par une bourrasque).
Le meurtre d’Agamemnon par Égisthe qui régna ensuite sur Mycènes expose deux modalités différentes de l’aspiration, toutes deux tournées vers une volonté d’union en l’esprit (Agamemnon et Égisthe, dans la lignée de Tantale, s’unissent tous deux à Clytemnestre, sœur d’Hélène et des Dioscures). Agamemnon exprimerait une puissante volonté transformatrice tandis que son cousin Égisthe, fils de Thyeste « le parfumeur », symboliserait davantage une voie d’union mystique contemplative. Cet épisode relaterait les expériences liées à la théorie exposée dans le chapitre précédent. Dans un premier mouvement, c’est l’accomplissement de « l’égalité » par l’endurance qui, en pratique, éloigne progressivement de l’action (Tandis qu’Agamemnon se bat contre les Troyens, Égisthe resté à Mycènes prend Clytemnestre pour amante). Puis après une longue période passive, c’est le retour au yoga actif, cette fois-ci dans le corps (Oreste venge son père). C’est cette ligne générale d’interprétation que nous suivrons. Comme indiqué dans la note en fin du chapitre précédent : l’état d’endurance qui ne se laisse bouleverser par rien devient un obstacle très difficile à vaincre après avoir cependant constitué une étape indispensable, parce qu’il faut d’abord tout accepter avec une égalité parfaite avant de pouvoir rien transformer.
Quand la racine de l’ego a été extirpée (avec la mort du « petit Ajax ») et la vraie maîtrise du vital accomplie (l’accomplissement de l’union de Pélops et d’Hippodamie), lorsqu’a été établie une parfaite maîtrise de l’être extérieur et une puissante égalité (Atrée « celui qui ne tremble pas, qui est immobile », et ses sœurs Nikippé « la victoire vitale » et Astydamie « la maîtrise de la personnalité »), c’est-à-dire quand la réalisation psychique est effective, enfin lorsqu’a été éradiquée l’erreur troyenne par un yoga transformateur, c’est une période d’immobilité extatique qui s’impose à l’être (alors qu’il touche au but, Agamemnon est tué par Égisthe « une force tournée vers le haut »).
Ce mouvement de contemplation ou d’abandon absolu entre les mains du Divin dans une totale passivité dure pendant une longue période (Égisthe se maintiendra sur le trône d’Argolide plus de sept années). Il avait déjà commencé à s’établir pendant le grand renversement (Égisthe était déjà l’amant de Clytemnestre). Il se poursuivra tant que l’aspiration ou la volonté transformatrice, ayant généré un appel à « la juste évolution de la sincérité » (dans le corps) ne se sera pas affermie dans la nouvelle direction du yoga (tant que le fils d’Agamemnon, Oreste, n’aura pas acquis la maturité suffisante pour tuer Égisthe).
La participation active d’Égisthe ou même de Clytemnestre dans le meurtre d’Agamemnon ne semble avoir un intérêt que pour la mise en scène des tragédies, de même que les agissements de Clytemnestre indiqués par Eschyle.
La capacité de vision depuis les hauteurs de l’esprit qui était au service de l’ancienne spiritualité disparaît également (Cassandre est tuée par Clytemnestre, en même temps qu’Agamemnon). Chez Homère, Cassandre porte le nom d’Alexandra « celle qui repousse l’homme » : elle était donc la seule réalisation apte à « voir » les conditions du maintien d’une spiritualité qui rejette la vie (elle essayait donc toujours en vain de prévenir des catastrophes qui menaçaient les Troyens).
Certains disent que Cassandre se serait refusée à Apollon après que celui-ci, épris d’elle, lui eut enseigné l’art de la prophétie. Pour la punir, le dieu lui aurait retiré le don d’inspirer confiance lors de ses prédictions : bien que les capacités de « vision » – obtenues dans la quête de l’union avec le Divin en l’esprit – lui aient été données par la lumière psychique, le chercheur refuse tant qu’il est dans cette voie de se reposer définitivement sur la lumière psychique. D’où des « visions » dépourvues d’utilité, qui restent sans écho à l’arrière-plan de la conscience.
Durant cette phase d’union mystique (la période du règne d’Égisthe uni à Clytemnestre), l’orientation juste du nouveau yoga ne se dessine pas encore.
Le mouvement qui aspire à « l’évolution de la sincérité » subit une période de maturation en liaison avec ce qui œuvre au passage de la porte de l’union (dans le corps) (Oreste fut confié à Strophios de Phocide pour qu’il soit élevé avec son propre fils Pylade). Cette quête de sincérité approfondie ou de transparence du corps (Oreste) doit se préciser et se fortifier durant cette période de transition ou plutôt de transformation (la Phocide) par des mouvements répétitifs que nous pouvons assimiler par exemple à la répétition de mantras. Pylade « la porte de l’union » étant le fils de Strophios « celui qui se meut en tournant », c’est en fait cette répétition qui concourt au passage. Rappelons que la grande découverte ou redécouverte de Mère fut le recours à la répétition de mantras pour transformer le mental des cellules (remplacer leurs obsessions défaitistes par une confiance en l’Absolu).
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