LE MYTHE DE PERSÉE ET DE LA GORGONE MÉDUSE ; INTRODUCTION AUX SIX PREMIERS TRAVAUX D’HÉRACLÈS

Cette page propose une interprétation du mythe des Danaides, de celui de Persée et la Gorgone Méduse ainsi que de la naissance et de la jeunesse d’Héraclès.

Zeus se change en pluie d'or pour féconder Danaé, la mère de Persée

Zeus féconde Danaé sous la forme d’une pluie d’Or. Musée du Louvre

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Les deux grands héros, Persée et son arrière-petit-fils Héraclès, se situent dans la descendance du Titan Océanos qui symbolise l’ouverture de la conscience dans l’évolution (Κ+Ν) par la recherche du contact avec la Réalité intérieure (Téthys).

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Ils figurent plus particulièrement dans la branche du fleuve Inachos qui représente « l’évolution du rassemblement de la conscience » ou « l’évolution de la concentration » ou encore « l’évolution vers le vide, vers l’abolition de l’ego » selon la valeur donnée au Khi.
Cette lignée, rappelons-le, concerne la « psychisation » de l’être par la voie de la nature en perfectionnant, purifiant et libérant ses processus.

L’Inachos est le grand fleuve d’Argolide, la patrie des « lumineux », des « purs (argiens) » et donc des « chercheurs de vérité ».

Selon les auteurs, il est soit le père, soit l’un des ancêtres d’Io « l’ouverture de la conscience dans l’incarnation ». Dans ce dernier cas, les générations furent intercalées, soit pour introduire les Argiens et faciliter la compréhension (Phoronée « celui qui porte en avant l’évolution », Niobé « l’incarnation de la conscience » et Argos « le lumineux »), soit pour rendre cohérent le nombre de générations dans les lignées. Cette mise en cohérence qui représenta une véritable gageure pour nombre de mythologues anciens.
À partir d’Io, les sources convergent. On rencontre d’abord dans sa succession son fils Épaphos « l’attouché », c’est-à-dire « celui qui a expérimenté le toucher de l’Absolu », ou encore « le premier contact du chercheur avec son être intérieur », puis les jumeaux Bélos et Agénor dont les descendances décrivent respectivement les enseignements théoriques et pratiques de la « purification » et de la « libération ».

La branche d’Agénor (la purification) se divise à son tour en deux sous-branches : Cadmos ouvre la lignée royale de Thèbes dont le but ultime est la ré-harmonisation et transformation des centres d’énergie, et Europe initie celle de Crète qui concerne l’ouverture de la conscience et la consécration, ainsi que les problèmes « d’auto-enfermement » dans les structures mentales (le Minotaure) quand fait défaut cette consécration.

La branche de Bélos, quant à elle, expose les enseignements en vue de la libération, notamment par la victoire sur la déformation de l’énergie de vie, dont la peur (Persée) et par les travaux d’Héraclès.
Les exploits de Persée, loin de représenter les seules victoires du début du chemin, se prolongent jusqu’à des niveaux de conscience qui ramènent le chercheur aux origines de la vie sur Terre, car l’homme garde la mémoire de son évolution par des processus dont le fonctionnement nous échappe encore en majeure partie.

Les ancêtres communs de Persée, Héraclès, Œdipe et Europe

Persée étant un ancêtre d’Héraclès, les célèbres « travaux » auront pour « projet » ou comme « ambiance » ce qui est illustré par sa victoire sur la Gorgone Méduse, sur l’altération de l’énergie de vie.

Le fils d’Inachos, Phoronée « celui qui porte l’évolution » est réputé avoir rassemblé les premiers habitants de la future Argos, confirmant l’impulsion lancée par son père Inachos « l’évolution d’un rassemblement de la conscience, d’une concentration ». Il représente une préparation à la quête – la  future  Argos étant  la ville des chercheurs – et ouvre le chemin de ceux qui veulent accélérer en eux-mêmes le rythme de l’évolution.

Le chercheur débutant se doit de reconnaître qu’il est le théâtre d’impulsions et désirs contradictoires, d’un désordre de pensées et d’émotions mêlées, et de fonctionnements inexacts générés par les « nœuds » de l’évolution.
De plus, il peut observer que chacune des parties de son être œuvre à son propre profit. En général, le mental et le vital imposent leurs volontés au corps qui n’a pas d’autre alternative que de tomber malade pour manifester son désaccord. Et le vital, toujours affamé de sensations, se moque bien des idéaux que poursuit le mental ; ou bien, s’il est réprimé, il manifeste son mécontentement par différents symptômes, comme la dépression.

Pour les Anciens, l’homme qui n’a pas encore vraiment commencé « à se rassembler » est semblable à Inachos, celui qui selon la légende « n’est pas encore humain ». Il n’a été sensible à aucun appel intérieur vers quelque chose de plus grand. Il n’a eu encore aucune expérience d’ « éveil », de quelque chose qui « existe vraiment ». Il est un pantin soumis aux multiples influences qui le traversent, même si l’habitude de répondre à certaines d’entre elles, toujours les mêmes, lui donnent une impression de continuité qu’il appelle « moi ».
Sa spiritualité est encore très fortement liée au vital, comme l’indique le nom de la femme d’Inachos, Mélia, une nymphe dont le nom signifie « frêne ».
Hésiode raconte en effet qu’au temps de Cronos, les hommes allaient chercher « le feu du ciel » au sommet des frênes, avant que Zeus ne les en prive pour se venger de Prométhée : la jonction avec l’Absolu s’opérait alors par le plus haut niveau du vital (transes, émotions esthétiques, etc.).
L’homme qui est décrit ici vit donc ordinairement dans sa personnalité extérieure et sa spiritualité est vécue comme le sommet du sentiment. Il ne s’est pas encore retourné vers son monde intérieur.

En suivant la descendance d’Inachos, nous trouvons tout d’abord son fils Phoronée « celui qui entraîne (ou porte) l’évolution ». Il fut le premier gouverneur d’Argos, réputé « avoir établi les premiers éléments de civilisation » (symboles d’une mise en ordre de la personnalité) « et institué les cultes principaux »  (les premiers contacts avec l’être intérieur). Les habitants d’Argos prétendaient même que c’était Phoronée et non Prométhée qui avait apporté aux hommes « le feu d’en haut » : selon cette affirmation, le feu intérieur, Agni, qui est aussi la volonté illuminée, peut donc naître soit de la voie de l’ascension des plans de conscience (par Prométhée, fils de Japet), soit de celle de l’ouverture au Divin intérieur par la purification-libération (Phoronée) sur la voie de la psychisation de l’être.

Phoronée fut désigné comme arbitre dans la querelle qui opposa Héra à Poséidon pour la suprématie sur Argos, la cité symbolique des chercheurs. Il trancha en faveur d’Héra après avoir consulté son père Inachos et deux autres dieux fleuves, Céphise « mental logique stable » et Astérion « éclats de lumière ». Le chercheur débutant se demande alors s’il doit se laisser guider par son subconscient (Poséidon) ou se plier au cadre d’une ascèse juste (Héra). Ce n’est pas en effet l’expansion de la conscience (Zeus) qui s’oppose à Poséidon mais bien sa contrepartie (Héra, celle qui limite et « cadre »).
Poséidon fut si furieux qu’il assécha nombre de rivières d’Argolide, appelée depuis ce jour « Argos l’assoiffée » : le chercheur qui pénètre sur le chemin connaît dès lors un « manque » généré et entretenu par le subconscient, une soif insatiable qui fait le lit de son « aspiration ».

Certains auteurs lui donnent un frère Aégialée « Αιγιαλευς le bord de la mer, le rivage » qui offre l’image d’une émergence hors du monde de la vie émotionnelle. (La structure du nom Αιγι+, indique aussi une impulsion spirituelle vers la liberté.)
Certains disent qu’il fut le premier « mortel », c’est-à-dire le premier à entrer dans la dualité, à se vivre comme « séparé ». Cette prise de conscience correspond à l’entrée dans le monde réflexif du discernement illustré dans la Genèse par l’avertissement de Yahvé : « à l’arbre qui est au milieu du jardin vous ne toucherez pas, car alors vous mourrez ».

Il est dit aussi que Phoronée fut le père des hommes mortels et rassembla les premiers habitants d’Argos sans que l’on se souciât de leur origine : c’est-à-dire que cette phase représente pour le futur chercheur un moment où il commence à « se rassembler » sans chercher à trier en lui le bon du mauvais. Jusqu’alors, ses aspirations étaient disparates, souvent résultat d’une sensibilité mise à mal. Il se référait aux notions de vertu et de vice, de bien et de mal. Bien qu’en désaccord avec le monde, en attente d’autre chose, il n’a pas encore rassemblé et orienté ses énergies dans une direction précise, encore incapable de discerner les éléments de sa vie qu’il doit conserver ou rejeter.

Aégialée n’eut pas de descendance. Phoronée épousa une nymphe nommée le plus souvent Télédiké « la juste manière d’agir dans le futur » qui exprime l’aspiration du chercheur à savoir ce qu’il doit faire, vers où s’orienter. Celle-ci lui donna un fils Apis, qui est sans légende particulière et une fille Niobé (Il ne faut pas confondre cette héroïne avec une autre Niobé homonyme, fille de Tantale).

Niobé « l’incarnation de la conscience en évolution » fut appelée la première femme, la mère de tous les vivants car elle fut la première femme mortelle à avoir eu un enfant de Zeus, Argos. C’est pour le chercheur la première influence des plans supérieurs (le surmental) dans une nature « séparée », la première expérience que « ça existe », qu’il y a un état « vrai, joyeux, léger, simple et lumineux » qui donne l’impression que tout le reste est mort ou endormi.
Niobé eut deux fils, Argos et Pélasgos, le « lumineux » et « le sombre ».

Pélasgos

Avant de poursuivre avec la lignée principale d’Argos, nous devons examiner la descendance de Pélasgos, premier roi des Pélasges. Il est le symbole de la partie du chercheur « qui avance dans l’obscurité » (la racine Πελ signifiant en effet « sombre ») dans le monde mélangé du vital émotionnel et du mental, et sans doute aussi le symbole de l’humanité qui se contente de suivre le rythme lent de l’évolution selon la nature.
Dans les légendes arcadiennes, ces Pélasges sont nommés « pré-Séléniens » (Séléné est la déesse de la lune) et « habitaient dans leurs maisons rudimentaires avant même que la lune ne s’élève pour la première fois dans le ciel » : ils représentent une humanité qui n’a pas encore conscience de l’existence d’un Moi vrai. Ils étaient des « autochtones », c’est-à-dire des « nés du sol », et pour l’évolution spirituelle « les premiers hommes ».
Le mot Pélasges peut avoir plusieurs origines, soit  (près)+, « ceux qui sont près du commencement », soit la racine  (être sombre) + racine  (mener, conduire) « ceux qui sont conduits dans l’obscurité (dans l’inconscience) ».
Ce nom peut aussi provenir du mot  « la pleine mer ». Pélasgos est alors l’image de l’humanité qui est encore immergée dans le monde mouvant et mélangé des émotions, dans la phase de maturation des sentiments.
Peut-être les textes égyptiens parlant « d’envahisseurs venus de la mer » vers le XIIe siècle avant J.-C. ont-ils pris la même image pour décrire des peuples ayant à peine émergé du monde fusionnel des sentiments et des passions. Les historiens, par la suite, ont associé ces Pélasges à un peuple « venu de la mer », le plus ancien de la Grèce archaïque, mais il s’agit le plus probablement d’une image symbolique.
Les Pélasges furent chassés du Péloponnèse par les Lapithes, comme nous le verrons plus loin, car ces derniers travaillèrent à éliminer les mélanges avec le vital. (Du point de vue historique, ce sont les Achéens qui chassèrent les Pélasges, ce qui ne fait guère de différence car les Achéens représentent « l’évolution du rassemblement de la conscience » et sont donc porteurs du même symbolisme que les Lapithes.)
Argos et Pélasgos sont, dans la branche d’Océanos, les équivalents de Prométhée et d’Épiméthée (ou de Deucalion) dans la branche de Japet, ou du premier Cécrops dans celle des rois d’Athènes.

Pélasgos s’unit à Cyllène et lui donna un fils Lycaon. Celui-ci eut de différentes femmes cinquante fils, impies et arrogants, qui moururent de la main de Zeus car ils avaient mêlé de la chair humaine à la viande du sacrifice et l’avaient offerte comme repas au dieu horrifié. Pour certains, ce fut Lycaon qui offrit ce repas et qui fut alors changé en loup.

Pélasgos « celui qui marche dans l’obscurité », en s’unissant à Cyllène « tordue, déformée » s’engage sur un « chemin dévié ». Il génère cependant une « lumière mentale naissante », Lycaon, qui éclaire la croissance de la personnalité dans sa structuration et ses capacités de rassemblement. En effet, Lycaon fonda la plus ancienne ville de Grèce, Lykosura, qui servait « de point de rassemblement aux habitants dispersés ».
Ses cinquante fils expriment la pleine maturité de la personnalité (cinq, nombre de la forme, multiplié par dix, état complet au niveau supérieur). Mais l’homme qui n’est pas entré dans la quête se maintient dans une anthropomorphisation de l’Absolu. En offrant à Zeus de la chair humaine, ils tentent de rabaisser le divin au niveau humain.
(Il ne faut pas confondre ce Lycaon avec son homonyme, père de Callisto « la plus belle » et fondateur de la lignée royale d’Arcadie dans laquelle figurent Augé – l’une des unions tardives d’Héraclès postérieure aux travaux – et Atalante « l’égalité », la grande héroïne de la chasse au sanglier de Calydon.)

Argos

Fils de Niobé et de Zeus, Argos représente le processus de « l’incarnation de la conscience en évolution » dans le prolongement du « rassemblement de l’être » (Inachos).
Le nom Argos recouvre plusieurs notions relatives au chercheur : « brillant, lumineux », « pur » (lorsque cet adjectif décrit une matière brute) et « rapide ». Pour Homère, les chercheurs sont d’abord des Argiens, mais ils portent parfois d’autres noms selon l’orientation principale de leur yoga ou la partie mise en avant à un certain moment du chemin (Achéens pour la concentration, Danaens pour l’union, etc.).
C’est seulement à cette étape, lorsqu’apparait une forte aspiration à « autre chose », à un autre monde, après un premier contact avec « Cela qui existe », que l’on peut employer le terme « chercheur de vérité »,que les anciens qualifiaient aussi de « vivant ».

Quelle est cette mise en mouvement, à quelle expérience peut-on la rattacher ? Et comment peut-on caractériser plus précisément cette transition vers « le monde vivant » ?
Si Argos représente le résultat d’une expérience spirituelle, il s’agit de cette capacité nouvelle à distinguer en soi le sombre « Pélasgos » du lumineux « Argos », le vrai du faux, à vouloir progresser dans une voie d’incarnation (Niobé). L’idée de traverser les étapes aussi rapidement que possible est également incluse dans le nom Argos.

Certains auteurs ont ignoré les générations entre Inachos et Io, ne situant l’entrée dans la quête que lors de la première ouverture de conscience (Io) ou lors du premier « attouchement » de l’Absolu (Épaphos « l’attouché », petit-fils ou arrière-petit-fils d’Argos).

Les mythes n’offrent ici que peu d’éléments pour déterminer les signes préalables à l’entrée du chercheur sur le chemin : une capacité progressive à « se rassembler » (Inachos), un mouvement pour « incarner ce dont on est conscient » (Niobé), c’est-à-dire une certaine faculté d’accorder ses actes à sa conscience intérieure, ainsi qu’un développement suffisant de la personnalité (les cinquante fils de Lycaon).
Les maîtres de sagesse anciens ont davantage insisté sur les aptitudes nécessaires pour les étapes plus avancées, par le biais de listes de héros participant aux grandes épopées. Mais les conditions requises à l’abord du chemin dépendent trop des individus – certains chercheurs sont rebelles, d’autres soumis, certains vivent dans une insatisfaction ou un perpétuel malaise, d’autres dans une certaine joie de vivre, etc. – et de la spécificité des voies pour tenter d’en dresser une liste.

Argos n’a pas de légende particulière. Il a seulement pour fonction d’introduire la lignée des chercheurs de vérité.

Il fut remplacé sur le trône par son fils Iasos « la conscience humaine », ou Peiren, ou Peiras, ou Peirasos, ou Peiranthos, tous noms qui expriment « l’effort » et « l’expérience » (Πειραω, s’efforcer). Le chemin spirituel est en effet marqué pendant très longtemps par la nécessité de l’effort personnel jusqu’à ce que la transformation soit prise en main directement par l’Absolu. Peiren, dans la tradition la plus ancienne, est le père d’Io. Mais à partir des Tragiques, Sophocle, Eschyle et Euripide, Io est directement la fille d’Inachos et les anciens s’y réfèrent comme telle.
Déterminer pour chacun la nature de cet « effort » et la discipline nécessaire au regard des buts que l’on se donne (contact du Divin intérieur par la sincérité, extension de la conscience…), n’est pas chose aisée si l’on veut éviter les pièges et excès de toutes sortes. C’est pour cela que les grands initiés recommandent le plus souvent de suivre les directives d’un maître ou « guru ». Pour guider ses disciples, ce dernier est censé avoir réalisé l’union avec son âme, la Réalité intérieure, afin de pouvoir diriger le disciple selon « l’ordre juste ». La recherche du maître constitue le plus souvent une étape importante au début du chemin.
Mais il semblerait qu’à notre époque, au maximum de l’influence des forces de séparation dans le mouvement cyclique, il soit de plus en plus difficile de rencontrer un maître vivant authentique. L’alternative est alors de suivre son propre chemin en prenant la vie et le non-moi comme guide. Jiddu Krishnamurti a engagé chacun à prendre « l’attention totale » comme guide, la vie elle-même étant alors le maître. L’idéal serait selon Sri Aurobindo que chacun puisse progressivement élaborer sa propre méthode de perfectionnement de soi (yoga).

Io était une belle et innocente jeune fille. Son père en fit une prêtresse d’Héra. Zeus la séduisit et fut surpris par sa femme Héra tandis qu’il l’étreignait. Jurant qu’il n’avait pas couché avec elle, il transforma aussitôt Io en une génisse d’une magnifique blancheur. Héra exigea cependant que celle-ci lui soit confiée. Elle en donna la garde à Argos-Panoptes (Argos qui-voit-tout) qui était réputé ne jamais dormir. Ce dernier était aussi appelé Argos-aux-Cent-Yeux car il avait selon certains des yeux sur tout le corps lui permettant une vision panoramique (ou selon d’autres, deux autres yeux à l’arrière du cou). Zeus aurait alors ordonné à Hermès d’aller délivrer son amante, ce que fit ce dernier, tuant même Argos-aux-Cent-Yeux selon certains auteurs.
Héra, voyant son plan déjoué, envoya contre Io un taon féroce qui s’attachait à ses flancs et la piquait sauvagement. Aussi Io dut-elle fuir perpétuellement. Elle traversa ainsi l’Eubée, la Thrace, le golfe « Io-nien » et le Bosphore (le « passage de la vache »). Finalement, elle se réfugia en Égypte où Zeus lui rendit sa forme humaine. Là, elle mit au monde Épaphos, fruit de ses amours avec le dieu.

L’histoire d’Io, comme la plupart des mythes, peut être considérée comme une expérience isolée ou comme un processus se renouvelant de nombreuses fois dans le cadre d’une progression vers la libération. C’est pour cela que certains auteurs donnèrent à Io un « époux humain » du nom de Télégonos « ce qui naît au loin ».

Io (ΙΩ) symbolise « l’existence-conscience (Ι) », non celle qui s’élève vers les plans de l’esprit, mais celle qui s’ouvre au réel, à l’incarnation, à la matière, car la deuxième lettre de son nom est un oméga ().
Son père en fit une prêtresse d’Héra : le chercheur est initié « au mouvement juste » (Héra) nécessaire à son développement et à la purification de sa personnalité.
Appelée par les anciens « la fille d’Inachos », elle incarne le « rassemblement de l’être » qui attire une réponse des plans supérieurs (Zeus), même si le futur chercheur ne peut faire le lien à ce moment du chemin avec la façon dont il conduit sa vie. Par rassemblement il faut entendre une certaine capacité à faire fonctionner conjointement mais indépendamment les différentes parties de son être, ce qui évite d’être le jouet des multiples influences extérieures.

La réponse des plans supérieurs se manifeste par une première « expérience » dans le domaine de la « connaissance éclairante». Dans les Védas, la vache est en effet le symbole de la « connaissance illuminatrice ».
C’est un moment dont on peut dire « Ça existe », perçu comme étant de l’ordre de « l’existence vraie », du « Vivant ». Le chercheur vit un accord total entre l’extérieur et l’intérieur. Il n’est plus tiré par les évènements hors de lui-même, mais renforcé au contraire dans un sentiment d’unité et de totale cohérence.
Tous les hommes ont probablement vécu au moins une fois cette expérience, si fugitive soit-elle, que ce soit dans la nature, en écoutant une musique ou lors de toute autre activité.

Le mensonge de Zeus à Héra montre que le chercheur sait qu’il s’est passé quelque chose (la conception d’Épaphos « l’attouché ») en relation avec le plus haut de sa conscience, mais qu’il ne peut en connaître l’origine ni intégrer cet évènement dans son évolution.
Toutefois, si la tendance de Zeus est d’accélérer le mouvement évolutif, celle d’Héra, la puissance qui en supervise le juste déroulement, est d’en garder le total contrôle. Et comme Io est sa prêtresse, et donc une partie qui lui est intimement consacrée, Héra contrecarre aisément les effets de son auguste époux. Pour cela, elle déploie dans le chercheur un cadre puissant sous la forme d’un Argos homonyme, Argos-qui-voit-tout (Argos « Panoptes »). Ce n’est pas une force négative d’opposition, mais une puissance lumineuse (Argos) qui oblige à la « vigilance » dans toutes les directions, sur tous les plans de l’être.
Selon certains, la génisse Io fut attachée à un olivier, symbole d’une nécessaire purification.

La vigilance des débuts doit inciter le chercheur à devenir conscient de ses mouvements intérieurs. Cette première exigence du chemin spirituel est aussi exprimée par l’un des cadeaux de Zeus à Europe, un chien qui ne laisse échapper aucune proie. A la fin du processus, cette vigilance sera une attention totale à ce qui est.
Argos-aux-Cent-Yeux appartient le plus souvent à la lignée royale d’Argos. Certains disent qu’il acquit sa renommée en accomplissant plusieurs exploits.
Tout d’abord, il délivra l’Arcadie d’un taureau qui ravageait le pays puis il mit fin aux méfaits d’un satyre qui causait de grands dommages.  Un taureau blanc ou « magnifique » est le symbole du pouvoir du mental lumineux. Mais lorsqu’un taureau ravage la contrée environnante, on doit l’associer simplement à un mental puissant non purifié qui travaille donc pour l’ego et fait obstacle à l’engagement sur le chemin.
Après sa mort, Héra disposa les yeux d’Argos sur le plumage du paon, son animal symbolique. La déesse proclamait ainsi qu’elle veillait sur la totalité de l’évolution et que rien ne pouvait lui échapper : on ne peut prétendre passer certains seuils et atteindre à ce qu’elle représente, l’exactitude en toutes choses, si une purification correspondante n’est pas réalisée.

Avec Argos-aux-Cent-Yeux, le chercheur qui s’engage sur le chemin découvre qu’il doit devenir conscient de ce qui se passe en lui sur tous les plans : quelles sont les émotions, les sentiments, les pulsions, les désirs, les pensées qui l’agitent ou le traversent à tout moment, quelles sont ses attitudes, ses habitudes, ses attachements, etc.
Il ne s’agit pas d’une auto-surveillance fondée sur une quelconque morale, ce qui n’aurait pour conséquence que de renforcer l’ego, mais d’un regard sincère sur les mouvements intérieurs.
Le chercheur s’aperçoit alors que son mental est un capharnaüm ou s’agitent en tous sens des pensées souvent incongrues dont il ne connaît ni la source ni la raison.
Il découvre bien vite l’ambiguïté des sentiments qui peuvent à tout moment s’inverser, comme si une même vibration était porteuse, sur un certain plan, des opposés. De même, il s’aperçoit qu’une pensée ou attitude « positive » à l’égard d’un autre peut soulever chez lui une réaction inverse. En approfondissant sa recherche, il verra en lui-même la potentialité de tous les mouvements humains. Il cessera alors progressivement de se croire vertueux et de s’indigner de méfaits dont il est fondamentalement solidaire.

Lorsqu’Argos-Panoptes a suffisamment œuvré, Zeus envoie Hermès (la connaissance surmentale qui symbolise ici une intégration, une prise de conscience) afin de libérer Io sans toutefois lui rendre sa forme humaine.

Cependant, Héra maintient son opposition en envoyant un taon, ce qui provoque une fuite désordonnée de la génisse Io en de nombreux pays : le chercheur doit encore « éclairer » les nombreux territoires de son être, sans ordre préétabli (une errance), sous l’effet d’un harcèlement mental intérieur qui ne lui laisse aucun répit (le taon), afin de se préparer à l’expérience initiale (le temps de la gestation d’Épaphos).
Cette action d’Héra permet que rien ne soit laissé en arrière, que l’action supérieure se manifeste dans la totalité de l’être et porte ses fruits avec le fils d’Io, Épaphos « celui qui a reçu l’attouchement du Réel ».

Cette période d’intégration laisse le chercheur dans un état d’insatisfaction qui lui donne toujours l’envie d’être ailleurs, de poursuivre quelque chose qu’il ne peut définir. Si tout le monde vit dans le sentiment flou d’un manque, avec l’espoir toujours déçu que le futur apporte un remède, le chercheur vit cette situation encore plus intensément que les autres. C’est ce besoin qui nourrit son aspiration, laquelle le soutiendra tout au long du chemin. Une aspiration qui n’est pas un désir, mais une soif. Non pas une volonté de prédation, mais un mouvement d’ouverture.
Son insatisfaction le conduit à être toujours en mouvement, sans pouvoir s’arrêter dans les situations confortables de l’existence.

Dans le mythe primitif, l’errance d’Io semble s’être limitée à l’Argolide (depuis la ville d’Argos jusqu’à une colline nommée Euboia), à tout le moins à l’Eubée, province d’une « bonne incarnation ».
Les auteurs tardifs ont élargi le périmètre de son errance jusqu’en Égypte où elle accoucha d’Épaphos.
Les lieux du passage de la vache indiquent la direction vers laquelle le chercheur doit se diriger : le golfe Io-nien « lieu (protégé) de l’évolution de la conscience », le Bosphore « le passage de la vache » qui marque les portes de l’Orient, c’est-à-dire la direction du « Nouveau » et le début de l’engagement définitif sur le chemin. (Car l’Orient, lieu où le soleil se lève, a toujours été le signe du nouveau.)

Épaphos prit pour femme Memphis, une fille du dieu Nil, le dieu-fleuve ou courant de conscience qui soutient « l’évolution de l’individuation ».

La ville de Memphis était la capitale de l’Ancien Empire égyptien et la résidence des pharaons. Elle fut fondée trois mille ans environ avant notre ère et rassemblait l’héritage de la connaissance spirituelle de l’humanité. Elle était le centre du culte du dieu Ptah, lequel fut adoré comme le créateur du monde.
Le mot Égypte aurait alors été construit à partir de Αιγ+Ptah, avec le sens de « qui est conduit selon l’ordre divin par le dieu Ptah ». En égyptien, il trouverait son origine dans Hwt-ka-pth « le lieu de l’âme de Ptah ». Ce nom semble avoir été utilisé par les seuls Grecs. Pour les Égyptiens, leur pays s’appelait Kemet (KMT) au temps des Pharaons et il est nommé de nos jours MISR.

Cette introduction de noms égyptiens dans la généalogie semble établir une filiation entre les spiritualités grecque et égyptienne. Les initiés grecs présumaient sans doute que la première expérience d’ouverture psychique eut lieu en Égypte. Pour eux, Épaphos fut en effet le grand fondateur des cités de l’Égypte primitive, c’est-à-dire à l’origine de « constructions cohérentes » des principes évolutifs. Une ville peut en effet être considérée comme le symbole « d’une élaboration cohérente », principalement mentale.

Épaphos eut de Memphis deux ou trois enfants selon les auteurs, mais seule Libye a une importance pour nous en tant que continuatrice de la lignée.
Avec Io et Libye, nous avons deux exemples de filiations qui se poursuivent par les femmes. Ceci, rappelons-le, ne peut se produire que si l’union a lieu avec un dieu.
En même temps qu’une description symbolique de l’évolution, le mythe semble indiquer les civilisations qui furent témoins de ces premières réalisations. Plusieurs générations de souverains, après Io, régnèrent sur l’Égypte. La ville qui porte le nom de Memphis, femme d’Épaphos, placée sous la protection du dieu Ptah, en était la capitale sous l’Ancien Empire.
Selon la tradition, son fondateur, le roi Ménès, unifia pour la première fois « les deux terres » : il s’agit selon la compréhension courante, de l’unification de la haute et de la basse Égypte, mais peut-être pouvons-nous y voir le symbole d’une première unification de la matière et de l’esprit ou des pôles opposés. Dans les Védas, le Rishi (le Voyant) est « le fils des deux mères », de la vache lumineuse Aditi, la créatrice des mondes, et de la vache noire Diti, la Mère de l’infini ténébreux et de l’existence divisée.

Son nom indique « l’incarnation () du processus d’individuation () ».
Après la concrétisation de la première expérience d’« attouchement » de l’Absolu (Épaphos), le chercheur retombe dans une évolution presque totalement subconsciente, car Libye eut pour amant Poséidon.
Il faudra attendre cinq générations pour que se produise avec Danaé une nouvelle impulsion lumineuse des plans supérieurs.

Des amours de Libye et Poséidon naquirent des jumeaux, Agénor et Bélos, à l’origine des trois grands mythes qui feront l’objet de prochains chapitres, ceux d’Œdipe, Héraclès et Europe-Dédale.
Comme jumeaux, ils illustrent des enseignements que nous devrons considérer en parallèle, même si nous les traitons successivement.

La première branche est issue d’Agénor « courageux, héroïque », ou avec les lettres structurantes « la poussée de l’évolution ». Il épousa Téléphassa, « la colombe au loin ». Plus encore que de paix, cet oiseau est symbole de pureté, au sens de « non mélange ». Les mythes de cette branche – ceux d’Œdipe et des guerres de Thèbes, d’Europe et du Minotaure – exposent donc la progression du travail de purification.
Cette orientation revêtit dans la Grèce ancienne une telle importance qu’elle imprégna toute la civilisation et en particulier les arts : pureté des lignes, des formes, des idées, etc. Elle correspond de manière générale à l’entrée dans le mental supérieur avec le développement de l’intuition (le mental supérieur est le stade qui suit l’intellect et dont la description figure dans le tome 1). Toutefois, il ne peut y avoir d’équivalence précise entre les mythes d’enseignement, ceux qui traitent des expériences, et les plans de conscience. En effet, des ouvertures partielles ou temporaires peuvent se produire, les transitions entre les plans sont progressives, et les mythes décrivent le plus souvent des processus répétitifs plutôt que des étapes, des directions dans lesquelles le chercheur doit progresser et qui s’approfondiront et s’élargiront au cours des années et peut-être des vies.

La descendance d’Agénor, par ses deux enfants principaux Cadmos et Europe, décrit le processus de purification et « d’ouverture de la conscience au processus d’union par la réceptivité » (Cadmos) et « d’extension de la conscience » (Europe), ainsi que l’obstacle majeur rencontré dans ce processus (le labyrinthe et le Minotaure).
Les quatre ou cinq générations issues d’Io donnent aussi probablement des indications géographiques sur la succession des centres spirituels les plus influents. D’Égypte, la spiritualité aurait essaimé en Libye avant de s’implanter en Israël, Liban et Syrie : en effet, Agénor, fils de Libye, était roi de Phénicie, contrée qui regroupe Israël, Liban et Syrie d’aujourd’hui. Puis elle aurait quitté les contrées considérées autrefois comme appartenant soit à l’Afrique, soit à l’Asie, pour aborder l’Europe, comme en témoigne le nom de la fille de Phœnix (ou d’Agénor), sans doute en longeant les côtes sud et ouest de l’actuelle Turquie. Puis simultanément, comme l’indiquent les noms des frères et sœurs d’Europe, la spiritualité aurait essaimé en Crête (Minos), en Grèce centrale (en Béotie où Cadmos fondera Thèbes), en Thrace (Thassos est une ville au large de la Thrace), et en Turquie orientale (Cilix).
(Homère ajoute une génération intermédiaire avec Phoenix, père d’Europe.)
Nous reprendrons l’étude de cette branche dans un prochain chapitre pour nous intéresser ici à l’autre branche, celle qui est issue de Bélos et décrit le processus théorique de la libération, au travers des histoires des deux grands héros Persée et Héraclès.

Les ancêtres de Persée et d’Héraclès. Le mythe des Danaïdes

Entre Bélos et Électryon, fils de Persée, les anciens ont intercalé des personnages qui forment deux « boucles », initiées par des couples de jumeaux, que nous comprenons comme des processus répétitifs entrelacés qui se développent tout au long des travaux d’Héraclès.
En effet, la victoire sur la peur qui est l’un des enjeux du combat de Persée contre la Gorgone ne peut en aucune façon être l’objet d’une expérience unique, à l’instar de la victoire contre l’illusion qui sera d’ailleurs insérée dans la seconde boucle puisque Bellérophon combat la Chimère lors d’un séjour chez Proïtos.
La première boucle insiste sur le nécessaire développement de tout ce qui « unit » (Danaos et ses filles les Danaïdes) tandis que des résultats du processus mental de séparation (Égyptos) ne survit que le « discernement » (Lyncée est le seul des cinquante fils d’Égyptos qui échappe à la mort).
La seconde boucle est introduite par une nécessaire « incarnation » (Abas) – au sens où le mental et le vital travaillent déjà ensemble dans la direction du but de l’âme – qui implique deux nouvelles directions possibles illustrées par le second couple de jumeaux. D’un côté la participation au monde et à ses obscurités dans une certaine confusion et manque de discernement (Acrisios), de l’autre un refus de la matière par celui qui « met au premier plan les mondes de l’esprit » (Proïtos).
La seconde boucle se termine ici non par des meurtres mais par un échange de trône entre Persée, déjà vainqueur de la Gorgone, et Mégapenthès, fils de Proïtos, qui annonce une poursuite douloureuse du chemin lorsque le chercheur s’est débarrassé de l’illusion et de la peur.
Bien que les deux boucles semblent traiter de façon successive du développement et de la maitrise du mental puis du vital, elles représentent en fait des processus concomitants. Cependant, la structure de la mythologie nous oblige à les considérer l’un après l’autre.
Lors de l’étude détaillée qui suivra, il sera donc nécessaire de toujours garder à l’esprit que les mythes correspondants décrivent des processus qui se développent parallèlement aux travaux d’Héraclès, même si les actions des héros n’en décrivent que la phase ultime.

Le nom Bélos est formé autour des lettres +, lettres qui sont identiques à celles du nom de sa mère Libye +, mais dans le sens inverse. Elles indiquent la poursuite du processus d’individuation () dans ou par l’incarnation (). Hormis l’indication donnée par son nom, Bélos n’est relié à aucun mythe.
Par son mariage avec Anchinoé « la vivacité d’esprit, l’intelligence », fille de Nilos « l’évolution de l’individuation de la conscience », il indique une voie d’évolution dans laquelle le perfectionnement du mental va tenir une large place. Il ne s’agit pas ici de l’intellect mais de l’intelligence qui « comprend » tout (qui prend tout en elle), s’approche du Réel et tend à s’unir à lui par un nécessaire élargissement et assouplissement. Dans le travail de libération tel qu’il est exposé ici, l’homme est donc considéré comme un esprit dans un être mental, même si les voies individuelles peuvent mettre un accent plus particulier sur la dévotion ou sur les œuvres.

Bélos, comme Agénor, est le père de jumeaux qui expriment deux développements simultanés dans l’être (ou deux voies parallèles) dont les réalisations essentielles se « rejoindront » à la génération suivante pour la poursuite de la quête.

Bélos eut d’Anchinoé des jumeaux, Égyptos et Danaos. Il installa Danaos en Libye et Égyptos en Arabie, lequel soumit en outre le territoire des Mélampodes et donna à son royaume le nom d’Égypte. Des nombreuses femmes d’Égyptos naquirent cinquante fils, et de celles aussi nombreuses de Danaos cinquante filles, les Danaïdes. Plus tard, les deux frères se disputèrent le pouvoir. Certains disent que Danaos craignait la puissance de ses cinquante neveux ou refusait de leur donner ses filles en mariage, ou encore qu’il fut averti par un oracle de s’éloigner s’il ne voulait être tué par l’un d’eux. Toujours est-il qu’il s’enfuit avec ses filles sur un bateau à cinquante rangs de rame qu’il avait fait construire sur les conseils d’Athéna. (Pour certains, ce fut le premier « grand bateau » jamais construit.) Il aborda dans le Péloponnèse, puis parvint à Argos où régnait un certain Gélanor, fils de Sthénélas. Un signe des dieux – l’apparition d’un loup dans un troupeau – convainquit Gélanor de céder sa couronne à Danaos. Ce dernier fonda la citadelle d’Argos. En signe de gratitude, il institua le culte d’Apollon Lykaios. Ses filles retrouvèrent alors des sources qui avaient été taries par Poséidon car Inachos avait témoigné que le pays appartenait à Héra.
Les sujets de Danaos abandonnèrent alors leur ancien nom de Pélasges pour prendre celui de Danaens.
Peu de temps après Danaos fut rejoint par son frère Égyptos accompagné de ses fils qui lui demanda instamment d’oublier ses ressentiments et d’accepter les unions de leurs enfants respectifs. Danaos ne croyait pas à cette proposition de réconciliation mais fit mine d’accepter devant l’insistance de son frère.
Mais ayant offert à chacune de ses filles une dague en cadeau de mariage, il leur ordonna de tuer leurs maris (chacune le sien) dès le soir des noces.
Ce qu’elles firent, sauf l’une d’entre elles, Hypermnestra, qui épargna son époux Lyncée car disait-elle, il l’avait respectée (ou selon d’autres parce qu’elle en était tombée amoureuse).
Elles rendirent les derniers honneurs à leurs époux devant la ville d’Argos. Elles enterrèrent les corps en cette ville mais leurs têtes à Lerne.
Sur l’ordre de Zeus, elles furent ensuite purifiées du meurtre par Hermès et Athéna. Selon certaines sources, leur père les maria à des gentilshommes du voisinage qui choisirent chacun leur épouse au terme d’une course à pied. Pindare précise que deux des filles ne se marièrent pas à cette occasion : Hypermnestra, déjà unie à Lyncée, et Amymoné qui était enceinte de Poséidon.

Ici prend fin le mythe tel qu’il est rapporté par Apollodore, lequel expose les versions les plus généralement admises. Des variantes beaucoup plus tardives ajoutent la punition exemplaire des Danaïdes au royaume d’Hadès.

Ce mythe décrit la nécessité de porter « la vivacité d’esprit, l’intelligence » (Anchinoé) à son plus haut degré de perfectionnement possible. Comme on vient de l’exprimer, ce n’est pas une étape à franchir, mais un processus répétitif associé aux mythes de Persée et d’Héraclès, une progression composée de nombreux cycles. Comme de coutume dans les mythes, c’est le dernier stade du processus qui est décrit.

Deux voies s’ouvrent au chercheur, celles de Danaos et d’Égyptos. L’histoire ci-dessus pourrait laisser entendre qu’il n’y a pas grand-chose à garder de la seconde à la fin du processus, à l’exception du seul survivant, Lyncée, « la vision pénétrante, Λυγκευς», c’est-à-dire « le discernement » (le nom Lyncée est souvent interprété comme « celui qui guérit la vue »). Mais, en fait, nous allons voir que non seulement toutes les composantes de l’être doivent être portées à leur plus haut niveau de développement, mais encore, que toute progression doit être conservée, même s’il y a un changement de positionnement dans la conscience.

Bélos installa Danaos en Libye (Λ+Β) dans le lieu de « l’incarnation du processus de libération » ou lieu de la quête de Liberté. Le nom même de Danaos est formé par les lettres structurantes Δ+Ν et indique une « évolution naturelle dans ou vers l’union ».
Les accomplissements possibles de cette voie qui travaille sur la totalité de l’être, dans une acceptation et une réceptivité intuitive (voie féminine), sont donnés par les noms des cinquante filles. Il en existe deux listes, celle d’Apollodore et celle d’Hygin. Nous ne les détaillerons pas ici, car d’une part elles ne sont pas confirmées par des initiés et d’autre part leur étude mériterait pour chacune d’elles de longues discussions. Leurs noms évoquent la noblesse, l’impeccabilité, la maîtrise, l’aspiration, l’ardeur, ou encore « des accomplissements célèbres, des intégrations (acquises par l’entendement) » et « une quête du passage (la porte) ».

Concernant leurs mères, seuls quelques noms sont indiqués, donnant la direction générale recommandée au chercheur débutant : Europe « une large vision » (citée quatre fois), Polyxo « celle qui reçoit beaucoup d’en haut » (citée douze fois), et Pieria « une abondance de dons ». Ils expriment un nécessaire élargissement de la conscience au-delà des dogmes, opinions et préjugés, le maintien d’un état de claire réceptivité intuitive, et insistent sur le développement des capacités les plus hautes (la Piérie est le lieu de séjour des Muses).

Ces Danaïdes sont au nombre de cinquante, c’est-à-dire qu’elles représentent une totalité de réalisation dans le plan des formes, celui de la personnalité.
La plus célèbre d’entre elles qui peut à elle seule résumer le moteur de cette voie est Hypermnestra « celle qui recherche ce qui est au-delà », autrement dit « l’aspiration » à un autre état d’être , à une union avec le Réel.

À l’opposé de Danaos, une autre partie du chercheur est davantage centrée sur le développement du mental logique, de la pensée organisatrice. Elle est représentée par Égyptos que son père installa en Arabie (Ρ+Β), province qui symbolise à la fois le « juste mouvement de l’incarnation » et « le choc des objets » (ou choc des idées par lequel s’opère la construction de la pensée).
Comme nous l’avons vu, le mot Égyptos a peut-être été formé à partir de la racine αγ associé au nom Ptah et décrirait « ceux qui sont conduits selon l’ordre de Ptah ».
En Égypte ancienne, Ptah était le démiurge, le dieu créateur et organisateur qui a « pensé » le monde et gouvernait l’architecture, la menuiserie, la sculpture et en général toutes les formes de « constructions ». Il était donc un symbole de l’organisation du mental. Son lieu de culte principal se trouvait à Memphis.
Les fils d’Égyptos sont également au nombre de cinquante et représentent une totalité de réalisation dans l’élaboration d’une pensée libre et vaste.

Cette partie du mythe insiste sur le fait que la recherche spirituelle doit commencer sur la base d’une personnalité accomplie et déjà bien individualisée, douée d’un bon discernement, et dont l’aspiration à l’union avec l’Absolu a remplacé celle de l’affirmation de soi. Tout ce qui n’a pas été développé correctement obligera le chercheur à revenir en arrière pour y remédier.

Ces deux chemins, ceux de la réceptivité intuitive et de l’intellect, peuvent apparaître longtemps inconciliables ou du moins se développer selon des directions qui semblent totalement étrangères l’une à l’autre. C’est pourquoi les deux frères jumeaux se battaient pour le pouvoir. De plus, la pensée logique tendant de par sa nature à imposer sa vision, Égyptos n’avait de cesse de marier ses fils à leurs cousines.

Cette pression s’accentua lorsqu’il annexa à son royaume le territoire des Mélampodes « les pieds noirs », distanciant ainsi de plus en plus le mental logique de la réalité matérielle et corporelle. Mélampous « celui qui a les pieds noirs » était en effet un célèbre devin dont les oreilles avaient été purifiées par des serpents, ce qui lui permettait de comprendre le langage des oiseaux. (Il y a plusieurs lignées de devins. Celle dont il est question ici concerne l’intuition et les capacités divinatoires qui se développent dans « l’ascension des plans de conscience » et sont donc issues des plans de l’esprit.)

Au début, la démarche de consécration doit se protéger de la pression de l’intellect. Puis « l’aspiration à l’union » (Danaos), sous l’influence de la puissance qui veille à la croissance de l’être intérieur (sur les conseils d’Athéna), s’affirme comme la plus apte à diriger la quête en s’appuyant sur une personnalité pleinement construite (Danaos a construit le premier grand bateau à cinquante rangs de rames). Danaos prit en effet la direction de la ville d’Argos, à la place de Gélanor dont le nom signifie « celui qui brille ». Ce Gélanor, fils de Sthénélas « une forte individuation », est le symbole d’une personnalité accomplie.
Le signe de ce renversement est la capacité de l’être psychique émergeant à commencer à mener la quête. Le « signe » qui est donné – un loup faisant irruption dans le troupeau de Gélanor et tuant le taureau dominant – illustre la lumière psychique naissante (le loup) qui détrône la puissance mentale (non illuminée). Un culte est alors fondé en l’honneur d’Apollon « Lykaios », la première lueur de la manifestation de la lumière psychique. À partir de ce moment, l’être psychique commence à prendre progressivement la direction de la quête (la citadelle d’Argos), revivifiant au passage des énergies anciennement disponibles – mais qui s’étaient retirées à l’arrière-plan au cours de l’évolution – pour emprunter le chemin : les Danaïdes redécouvrent en effet les sources que Poséidon (le subconscient) avait taries. Le travail de rassemblement de l’être (Inachos) s’était en effet soumis au mouvement du devenir gouverné par Héra, la force qui veille au juste mouvement évolutif (Inachos avait témoigné que le pays appartenait à Héra).
Le chercheur quitte l’obscurité et se détermine pour un abandon au Réel (les Pélasges deviennent les Danaens).

Mais la pensée a maintenu jusqu’au bout sa prétention à tout gouverner. Aussi la partie consacrée de l’être doit-elle admettre finalement de prendre acte de la pleine réalisation du mental logique juste avant d’y mettre un terme : quarante-neuf unions sont prononcées tandis que Danaos a déjà scellé leur fin toute proche.
Cette intégration n’est en rien une annihilation, mais seulement un changement de gouvernance et de mode opératoire du mental. L’intuition doit prendre les rênes et les capacités organisatrices du mental se mobiliser si besoin. Il n’est plus indispensable d’utiliser la pensée logique pour prévoir.
Après avoir expérimenté d’innombrables fois ce transfert progressif, le chercheur ne garde au premier plan que l’acquis essentiel de sa réalisation mentale, le « discernement », Lyncée. Celui-ci permet que « l’aspiration » représentée par Hypermnestra prenne toute sa force. Celle-ci fut en effet la seule à épargner son mari Lyncée « la vue perçante, le discernement » à qui elle donna un fils, Abas, qui poursuivit la lignée.

Les anciens soulignaient ainsi la nécessité de soutenir « l’aspiration » (par un élargissement de la conscience, un déploiement des capacités, etc.) – aspiration qui alimente le feu intérieur -, et simultanément celle de développer un « discernement aiguisé » afin d’éviter les pièges infiniment subtils qui ne manquent pas de se dresser devant les pas du chercheur.
Celui-ci reconnait l’utilité du développement du mental logique (les Danaïdes rendirent les derniers honneurs aux corps de leurs époux devant la ville d’Argos). Mais l’enterrement des têtes à Lerne indique que ce qui animait le chercheur et dirigeait le chemin jusque-là n’était autre que l’ego mental soutenu par le désir (elles devaient donc être « restituées » à Lerne, lieu symbolique du désir dans le deuxième travail d’Héraclès).
Mais tant que le chercheur n’a pas pleinement développé son discernement – c’est en effet Lyncée qui prend le titre de roi d’Argos à la suite de Danaos – il ne peut prétendre se dispenser de l’aide du mental logique séparateur.

Comme ce développement complet du mental logique puis son abandon-intégration fait partie intégrante du processus évolutif juste, les Danaïdes furent naturellement purifiées de leur meurtre par Hermès et Athéna, les forces qui contribuent à la croissance dans le mental et à la construction de l’être intérieur.

Cette purification élimine donc d’emblée toute punition ultérieure. Selon Apollodore, Danaos donna ses filles aux vainqueurs d’un concours gymnique, exprimant ainsi la nécessité, en sus du discernement et de l’aspiration, d’un assouplissement et d’une endurance accrue.

Cependant, dans la tradition tardive, les Danaïdes durent subir un châtiment exemplaire dans l’Hadès. Selon les uns, il leur fallait puiser de l’eau avec des cruches percées, et selon d’autres, elles devaient essayer de remplir un tonneau lui aussi percé, ce qui dans les deux cas se révélait un processus sans fin.
Selon les plus anciennes traces connues, cette vaine tâche était le lot « d’ombres ailées » dans le Tartare ou dans l’Hadès, et fait donc référence à des mécanismes mentaux qui se répètent indéfiniment dans l’inconscient corporel et auxquels se heurtent les aventuriers de la conscience. Il semblerait donc qu’elle fut abusivement attribuée aux Danaïdes.

Avant de poursuivre l’étude de la lignée principale, il faut noter la seule descendance mentionnée d’une autre Danaïde, Amymoné « l’irréprochable ». Elle s’unit à Poséidon près de Lerne et lui donna un fils, Nauplios « le marin », « celui qui navigue habilement sur le chemin » ou « l’intelligence de la voie », lui-même père de Palamède « l’artisan de l’union ». (Ce dernier déjouera les stratagèmes d’Ulysse lorsque le héros tentera d’échapper à l’enrôlement pour la guerre de Troie.)
Cette filiation souligne les effets à long terme, et d’abord subconscients, d’une certaine rectitude ou impeccabilité (il ne faut pas confondre cette rectitude, qui est de faire au plus juste ce que l’on sent devoir faire, avec ce qu’on appelle couramment la vertu). Elle se manifeste en premier lieu par une « intelligence de la voie » issue du subconscient, une faculté de progresser rapidement malgré les embûches et les impasses (Nauplios est un grand navigateur), puis par une force là encore grandement subconsciente (Palamède, « l’artisan de l’union ») qui ramène toujours le chercheur sur le chemin, malgré ses écarts ou ses refus.

Parmi les fils d’Égyptos, Lyncée fut le seul survivant du massacre perpétré par les Danaïdes. Il s’unit à Hypermnestra qui l’avait épargné avec l’assentiment de Danaos, père de la jeune fille, qui lui offrit son royaume.
De ce couple royal naquit un garçon, Abas, héritier à part égale du sang des deux frères, Danaos et Égyptos. Lyncée lui offrit à cette occasion un bouclier qui avait appartenu à son propre père Danaos dans sa jeunesse. Des jeux quinquennaux furent célébrés, appelés « Jeux du Bouclier d’Argos ».
Devenu adulte, Abas épousa Aglaia, fille de Mantineus, dont il eut des jumeaux nommés Acrisios et Proïtos.
Si Danaos et Égyptos furent des frères ennemis, la rivalité fut bien pire entre leurs arrières petits-enfants qui se déchiraient déjà dans le sein de leur mère.
À la mort de leur père Abas, ils en vinrent aux armes pour régler l’héritage du royaume. (Une légende avance que Proïtos gagna le soutien du roi de Lycie qui lui donna à la fois sa fille Sthénéboia et des troupes pour assurer l’égalité des forces entre les deux armées.) Le combat n’ayant pu les départager, un compromis fut trouvé qui séparait le royaume en deux parts égales : Acrisios règnerait sur Argos tandis que Proïtos construirait une nouvelle cité, Tirynthe. Celle-ci fut fortifiée pour lui par les Cyclopes.

Sur la base du discernement (Lyncée) et de l’aspiration (Hypermnestra) commence une seconde boucle qui implique davantage d’incarnation, comme l’indique la lettre structurante du nom de leur fils Abas (Β). Ce dernier hérita du bouclier de Danaos, représentant une « protection » que le chercheur élabore durant la première boucle, résultat du travail symbolisé par le nom des filles de Danaos et surtout par celui de leurs mères : un « rassemblement » des éléments disparates de la personnalité, un élargissement de la conscience (Europe), un accroissement de la réceptivité intuitive (Polyxo) et un développement des capacités les plus hautes (Pieria). Cette transmission du bouclier marque une étape importante, la fin de la structuration d’une pensée libre et vaste (les fils d’Égyptos) dont ne reste finalement que la capacité de discernement – protection désormais indispensable sur le chemin – qui fut donc célébrée par les « Jeux du Bouclier d’Argos ».

Abas épousa Aglaia « celle qui brille », fille de Mantineus « l’évolution des capacités intuitives » : la seconde phase, qui travaille sur des plans plus profonds de l’être (Abas) nécessite le développement de la réceptivité du chercheur.

Avec leurs fils jumeaux, Proïtos et Acrisios, est mise en lumière une deuxième opposition intérieure, et cela dès le début du chemin, car ils se battaient déjà dans le sein de leur mère : d’un côté ce qui « met au premier plan les mondes de l’esprit », (Proïtos, Pro+ΙΤ) en négligeant la transformation de la nature inférieure, de l’autre une implication dans la « confusion » du monde afin de le transformer. Cette opposition se manifeste d’autant plus que le chercheur s’applique à toujours davantage d’incarnation (Abas). Des deux frères, c’est Acrisios qui prit la succession sur le trône d’Argos car la priorité doit être donnée au travail dans l’incarnation. Proïtos régna sur Tirynthe mais dut encore céder une partie de son royaume (à Bias et à son frère Mélampous), et ses filles subirent divers dérèglements : il est le symbole de celui qui cherche l’union avec l’Absolu dans les mondes de l’Esprit et risque en conséquence des désordres mentaux et vitaux suite au manque d’ancrage dans la réalité.
En fait, le combat se poursuit tout au long de la quête tant que Persée n’a pas vaincu définitivement la Gorgone. Il reprend après chaque victoire dans une conquête progressive de la liberté dont les travaux d’Héraclès sont le guide.

Acrisios s’unit à Eurydice « une juste manière d’agir » (une des douze Eurydice homonymes à ne pas confondre avec la femme d’Orphée). Cette Eurydice était une fille de Lacédaemon « la divinité qui retentit (dans l’être) avec force », lui-même fils de Zeus et de la Pléiade Taygète. Cette alliance exprime le but recherché (et donc le moyen mis en œuvre) qui est l’intégrité (accord des actes et du sentiment intérieur). Elle indique d’autre part que la victoire finale sur la déformation de l’énergie de vie ne pourra être acquise qu’à l’étape du mental intuitif (Taygète), dernier plan avant le surmental.
De cette union naquit une fille célèbre, Danaé, la mère de Persée, que nous retrouverons plus loin.

Proïtos

Proïtos fut chassé d’Argos par son frère et s’enfuit en Lycie chez le roi Iobatès dont il épousa la fille Antéia (nommée Sthénébée chez les Tragiques). Son beau-père lui apporta l’assistance nécessaire à son retour en Argolide et lui permit de s’emparer de Tirynthe que les Cyclopes fortifièrent pour lui (ou bien il construisit cette nouvelle cité). D’Antéia, Proïtos eut d’abord deux filles, Lysippe et Iphianassa (auxquelles certains ajoutent Iphinoé) puis beaucoup plus tard un fils Mégapenthès.
Même si la voie que représente Proïtos exclut l’évolution dans l’incarnation, elle tend cependant vers une union nécessaire avec les mondes de l’esprit, avec le Divin impersonnel. En effet, selon Homère, Proïtos épousa la divine Antéia « celle qui a rencontré la conscience-existence (le Divin impersonnel ou Soi) ». Celle-ci était la fille du roi de Lycie, symbole du plus haut de la lumière naissante.
Toutefois cette lumière doit s’appliquer dans l’incarnation. Aussi le roi de Lycie offrit-t-il son assistance pour reconduire Proïtos en Argolide, lequel s’installa alors à Tirynthe. Ce dernier nom (Τιρυνς) pourrait provenir de Τ+Ρ+Ν, « l’évolution d’un juste mouvement vers l’Esprit », ce que confirmerait l’intervention des Cyclopes qui fortifièrent pour lui la ville, fournissant ainsi la base d’une puissante vision unifiée. (Rappelons que les Cyclopes sont les symboles d’une vision totale.)

Le règne de Proïtos fut marqué par deux évènements d’importance : la visite de Bellérophon et la folie de ses filles.

Bellérophon vint se faire purifier par Proïtos du meurtre accidentel de son frère Déliadès.
La femme de Proïtos se plaignit alors auprès de son mari de prétendues avances de Bellérophon qui en réalité avait seulement repoussé les siennes. Celui-ci la crut, mais ne pouvant châtier un hôte que de surcroît il venait de purifier, il envoya Bellérophon chez le roi de Lycie, lui demandant d’exécuter pour lui la sentence de mort. Ce dernier pensa s’en acquitter en envoyant le héros combattre la Chimère.

Bellérophon, comme nous le verrons en détail dans le prochain chapitre, est le héros vainqueur de « l’illusion ». C’est un descendant de Sisyphe et son symbolisme concerne une fonction particulière de l’intellect. Symbolisée par la Chimère, fille d’Échidna et de Typhon, l’illusion est profondément enracinée dans la matière et dans la vie.
Lorsque Proïtos accueillit Bellérophon, celui-ci venait de succomber à une illusion car il avait tué accidentellement son frère Déliadès « la clarté, la vision claire ».
S’il y a purification, c’est que l’obscurcissement était nécessaire. Mais le chercheur ne comprend pas son erreur pour autant. Car lorsque lui est fournie une opportunité nouvelle d’élargissement de la conscience (l’union proposée par Antéia) à un degré suffisant pour lui éviter le combat contre l’illusion dans l’incarnation (la Chimère), il refuse. Il n’accepte pas « la grâce » qui lui est offerte car, dépendant des habitudes générées par les millénaires de l’évolution, l’intellect ne se fie qu’à sa propre lumière. Le chercheur ne peut imaginer que l’Absolu, pour peu qu’il accepte de s’y soumettre, puisse être mieux à même que l’intellect de le diriger.

C’est alors « le plus haut niveau de la lumière naissante » (le roi de Lycie) qui envoie le héros combattre la Chimère.

Cet épisode de la vie de Proïtos fait le lien avec la branche de Sisyphe (les réalisations du mental logique) et indique que la victoire sur la peur est étroitement liée à celle sur l’illusion (cf. chapitre sur Bellérophon). Pour commencer, le chercheur ne peut plus considérer que les évènements extérieurs sont « fortuits », justifier ses imperfections par son hérédité, son éducation ou son environnement, accepter les yeux fermés dogmes et -ismes en tous genre, etc.

Le second évènement marquant du règne de Proïtos fut la folie de ses filles, Lysippé et Iphianassa (auxquelles s’ajoute parfois Iphinoé), errant en Arcadie et dans le Péloponnèse. Pour les uns, leur faute était d’avoir refusé les rites de Dionysos. Pour d’autres, elle était d’avoir prétendu que le palais de leur père était plus opulent que celui d’Héra.
Afin de les guérir, Proïtos demanda l’aide du célèbre devin Mélampous (fils d’Amythaon) qui réclama en paiement une partie du royaume. Leur folie dura dix ans.
Selon Apollodore, Proïtos refusa tout d’abord les exigences du devin. Puis il dut céder et même abandonner une part plus importante du royaume, Mélampous demandant finalement un tiers pour lui et un tiers pour son frère Bias.
Lors de l’intervention du devin, Iphinoé mourut. Les deux autres filles furent purifiées et s’unirent, Iphianassa à Mélampous et Lysippé à Bias.

L’Argolide fut ainsi divisée en quatre royaumes où régnèrent respectivement Acrisios (roi d’Argos), Proïtos (roi de Tirynthe), Mélampous et Bias. Les descendants de Bias et Mélampous joueront un rôle important dans les guerres de Thèbes. L’Argolide ne retrouvera son unité que bien après la guerre de Troie, avec un petit-fils d’Agamemnon.

La première fille de Proïtos, Lysippé, est le symbole d’une « énergie (vitale) libérée » et la seconde, Iphianassa, celui d’un « grand pouvoir ».
Si les directions ici décrites mènent à différents désordres et errances, c’est parce que le chercheur refuse d’appeler le Divin et d’inclure dans son yoga plus de dévotion (les rites de Dionysos) ou se laisse séduire par une voie qui semble apporter plus de « richesses » que celle de la voie juste (le palais de Proïtos prétendument plus opulent que celui d’Héra, c’est-à-dire les expériences réalisées dans les mondes de l’esprit plus significatives que celles rencontrées sur la voie juste).
Les désordres et déviances peuvent être de toutes sortes mais semblent s’expliquer, en accord avec le nom des deux filles, par une intrusion du vital trop importante et incontrôlée. Peut-être les noms font-ils aussi référence à un usage erroné des « connaissances » obtenues, source parfois de « pouvoirs » que symboliseraient les « richesses » du palais de Proïtos.

La plupart des auteurs considèrent que le seul pouvoir mental qui « met au premier plan les mondes de l’esprit » (Proïtos) n’est pas suffisant pour remettre de l’ordre et qu’une mobilisation aussi tardive soit-elle (dix années symboliques) d’une « intuition » supérieure issue de l’esprit (ici représentée par le devin Mélampous) est nécessaire.
Pour certains auteurs dont Apollodore se fait l’écho, lors de la remise en ordre, Iphinoé dut mourir car la domination de « la faculté de penser » doit cesser.

Il faut nous arrêter ici un moment pour parler du devin Mélampous, car c’est l’un des exemples où des personnages de la voie de l’ascension – Mélampous et Bias, descendants d’Éole par son cinquième fils, Créthée – interviennent dans la voie de la purification. Mélampous est en effet en rapport avec ce qui est reçu des plans de l’esprit. Ses pouvoirs de divination se révèlent aux alentours de la première grande expérience de contact avec l’Absolu – Mélampous est en effet cousin germain de Jason (cf. planche 12), le héros de la Toison d’Or – et ne feront que s’amplifier par la suite.

Mélampous rendit les honneurs funèbres à des serpents dont le nid se trouvait dans un chêne devant sa maison et qui avaient été tués par ses serviteurs. Il nourrit leurs petits qui, devenus grands, purifièrent ses oreilles avec leur langue tandis qu’il dormait. Il devint alors capable de comprendre les cris des oiseaux. Instruits par eux, il se mit à prédire aux hommes l’avenir et il était réputé pour avoir été le premier mortel à disposer de tels pouvoirs. Il apprit ensuite à pratiquer la divination sacrée. Et lorsqu’il eut rencontré Apollon sur les bords de l’Alphée, il fut désormais le meilleur devin.

Le chercheur a intégré l’évolution des capacités les plus hautes de sa personnalité vitale-mentale (les serpents nichés dans un chêne qui l’arbre le plus noble, le plus accompli : Ulysse consultera « la chevelure d’un divin chêne ») et va s’ouvrir à un autre mode de perception. Mélampous est le premier de la lignée de devins issus d’Amythaon « celui qui entre dans le silence, qui est sans histoire personnelle », lequel est uni à Eidoméné « celle qui voit ». Il est donc le symbole de la progression vers une vision libérée des influences de l’histoire personnelle et obtenue des hauteurs de l’esprit (il est en effet l’homme aux « pieds noirs », et donc éloigné de l’incarnation, de la matière).
Ces nouvelles capacités « d’entendement » s’installent dans le chercheur sans qu’il puisse en comprendre le processus (car Mélampous « dormait »). Cependant, c’est lui-même qui avait préparé cette évolution en modifiant son processus évolutif. Il avait été aidé pour cela en développant de nouvelles « méthodes de yoga » qui purifièrent son intuition supérieure (les serviteurs de Mélampous avaient tué les parents serpents mais il avait nourri leurs petits, et ceux-ci lui lavèrent les oreilles).

Les premières capacités de perception concernent les plans de l’esprit : « la parole des oiseaux ». Puis sa compréhension du sacré s’élargit toujours plus, dans un rapport toujours plus étroit entre ce qui est perçu et la Vérité. Il devient alors capable de connaître sa tâche et l’utilité des différentes « formations » de son incarnation présente « Mélampous peut prédire aux hommes l’avenir »,
Enfin, le contact avec son être psychique (Apollon) dans la province de l’union (l’Élide où coule l’Alphée), renforce les perceptions intuitives mentales par la connaissance exacte de ce qui est et de ce qui doit être, aussi bien dans l’action, le sentiment que la pensée (Mélampous fut désormais le meilleur devin).

Nous pouvons alors poursuivre l’histoire de Proïtos
Après le partage de l’Argolide, Proïtos eut un fils Mégapenthès. Selon Apollodore, lorsque Persée tua la Gorgone, son grand-père Acrisios qui craignait la réalisation de la prophétie s’enfuit à Larissa.
Persée qui désirait le voir remonter sur le trône d’Argos le tua accidentellement alors qu’il participait à des jeux. Refusant de monter sur le trône d’Argos dont il devait légitimement hériter, il proposa un échange de royaumes à son oncle Mégapenthès. Il s’installa à Tirynthe et fortifia Midéa et Mycènes (Tirynthe l’avait déjà été par les Cyclopes sous le règne d’Acrisios).

Même s’il a cheminé dans la « confusion » et « le manque de discernement », le chercheur a toujours recherché la voie juste (Argos), la juste manière d’agir (Acrisios est uni à Eurydice) jusqu’à obtenir la victoire sur la convoitise vitale, la peur et l’illusion, avec l’aide apportée par l’union au Soi (la divine Antéia unie à Proïtos).

Les victoires de Persée et de Bellérophon mettent fin à la « confusion » et au manque de discernement, même si le chercheur a encore une certaine attirance pour les fonctionnements anciens (Persée veut remettre son grand-père Acrisios sur le trône mais le tue accidentellement). Au terme de chaque progression dans les boucles, la souffrance du chercheur augmente soit du fait de sa sensibilité croissante à la douleur du monde qui vit dans la séparation : c’est Mégapenthès « une grande souffrance » qui monte alors sur le trône d’Argos.

En éloignant Persée du trône, les anciens pouvaient alors créer une lignée distincte consacrée aux grandes orientations du travail de libération (les exploits d’Héraclès, arrière-petit-fils de Persée), en évitant au chercheur toute tentative de recherche d’équivalences avec sa progression sur le chemin.

Le mythe nous dit que l’Argolide était désormais séparée en trois royaumes – ceux de Mégapenthès (voie de la purification), de Bias, et de Mélampous (voie de l’ascension) – qui ne seront réunis que bien après la guerre de Troie : le chercheur ne pourra concilier en lui ces trois voies qu’après avoir orienté son yoga vers la réalisation d’une transparence totale et le yoga du corps.

Le chercheur travaille donc désormais dans trois registres bien différents dont il ne perçoit pas l’unité ou qu’il n’est pas capable de faire progresser ensemble de façon cohérente.

D’un côté, l’essentiel de sa quête est entre les mains de Mégapenthès, le nouveau roi d’Argos dont le nom « grande souffrance » exprime chez le chercheur la conscience croissante et douloureuse d’être « séparé », d’abord pour lui-même, ensuite pour l’humanité lorsque l’union au Soi a été réalisée. C’est l’expression d’une sensibilité toujours plus vive, d’une consécration et d’une aspiration toujours plus forte à s’unir avec l’Absolu et toute forme d’existence.

Le royaume de Mélampous est celui du développement progressif d’une capacité intuitive et perceptive, commençant par les intuitions mentales auxquelles vont s’adjoindre progressivement celles du psychique. Cela permet une perception croissante de la vérité aussi bien en soi que dans les autres. Le chercheur est de moins en moins sujet à l’illusion et peut se garder de voies ou d’influences trompeuses.

Enfin, celui de Bias « la force » exprime une énergie croissante au service de la quête. Tout d’abord avec sa première femme Lysippé, ce sera « une force (vitale) libérée (pour le yoga) ». Puis, avec sa seconde femme Péro, et leur fils Talaos « celui qui supporte », se développera un élément essentiel à la poursuite du yoga, « l’endurance ».

Le royaume de Mycènes fondé par Persée appartient à l’Argolide et constitue donc en quelque sorte un quatrième royaume, bien qu’il semble plutôt avoir été considéré par les anciens comme « coiffant » les trois autres, car Mycènes domine l’Argolide. Le nom Mycènes est en rapport avec le « mugissement » du taureau, et donc avec « le pouvoir agissant du mental lumineux ».
Après Persée, il sera gouverné par son fils Sthénélos puis par Eurysthée, Atrée, Agamemnon, Oreste et enfin Tisaménos qui réunira les royaumes de Mycènes, Tirynthe, Argos et Sparte.

Le mythe de Persée

Après l’étude de la lignée de Proïtos, nous abordons ici la descendance de son frère jumeau et ennemi de toujours, Acrisios « celui qui avance dans la confusion », sans discernement.

Acrisios roi d’Argos, épousa Eurydice, fille de Lacédémone roi de Sparte, prêtresse du culte d’Héra. Ils eurent une fille Danaé mais ne purent concevoir d’héritier mâle. Aussi, Acrisios consulta-t-il l’oracle qui lui annonça que sa femme ne lui donnerait pas de fils. En revanche, sa fille en aurait un qui le tuerait.
Pour échapper à la prédiction, il fit construire une chambre souterraine en bronze et y emprisonna Danaé. Zeus, amoureux de la jeune fille, y pénétra sous la forme d’une pluie d’or par une fissure du toit et la féconda. Certains disent que Proïtos fut l’amant humain.
Quelque temps plus tard, Danaé mit au monde Persée qu’elle éleva en secret. Mais bientôt Acrisios le découvrit. Ne voulant pas croire à son origine divine, il l’enferma avec Danaé dans un coffre qu’il jeta à la mer.
Le coffre dériva jusqu’à l’île de Sériphos où régnait le tyran Polydectès, fils de Magnès. Ils furent recueillis dans les filets du frère du roi Dictys, un pêcheur de tempérament opposé à celui de son frère, qui veilla sur eux jusqu’à la maturité de l’enfant.
C’est alors que le roi aperçut Danaé et en tomba amoureux mais il ne savait comment obtenir ses faveurs. Il chercha donc un moyen pour se débarrasser de Persée qui veillait sur sa mère.
Il fit donc savoir qu’il était désireux d’obtenir la main d’Hippodamie, fille d’Oinomaos. Selon certains, il avait besoin de contributions pour constituer la dot. Selon d’autres, il lui fallait les meilleurs chevaux pour l’emporter sur Oinomaos. Celui-ci obligeait en effet les prétendants à la main de sa fille à concourir contre lui dans une course de chars et tuait les perdants. Or, comme les chevaux des prétendants ne pouvaient rivaliser avec les siens qui étaient d’origine divine, aucun concurrent n’en réchappait.
Persée déclara au roi qu’il lui donnerait non seulement un cheval mais aussi la tête de la Gorgone s’il le fallait. Le roi le prit au mot et lui demanda de rapporter la tête de Méduse, sachant qu’il serait ainsi débarrassé de lui car quiconque regardait la Gorgone était instantanément changé en pierre.

La Gorgone Méduse

Une Gorgone – Musée du louvre

Bien qu’il avance avec un « manque de discernement » (Acrisios), le chercheur est en quête de « la juste manière d’agir » (Eurydice). Cependant, cette confusion ne peut déboucher sur aucune voie active de yoga (Acrisios ne peut avoir d’héritier mâle) et le chercheur sait intuitivement que cette confusion disparaîtra lorsqu’il se sera débarrassé de ses peurs et de la convoitise vitale (Acrisios est prévenu que son petit-fils le tuera).
Selon des scholiastes de Phérécide, mythologue du Ve siècle avant J.-C., Acrisios épousa Eurydice « une juste manière d’agir ». C’est l’une des Eurydice homonymes, à ne pas confondre avec la femme d’Orphée. Elle est fille de Lacédaemon « divinité retentissante », lui-même fils de Taygète et de Zeus : cette filiation laisse entendre que ce que représente la Gorgone – les perturbations apportées à la racine de la vie par la peur, etc. – ne peut être vaincu qu’au niveau du mental intuitif (Taygète est la sixième Pléiade) afin que l’aventurier de la conscience puisse progressivement s’installer dans le surmental (plan de Maia).

Aussi doit-il d’abord cheminer dans une attitude réceptive vers l’union et le don de soi représentée par Danaé. Mais l’ego sait qu’une telle attitude doit conduire à sa disparition. Il fait donc en sorte que la partie réceptive de son être qui travaille à l’union (Danaé) soit écartée de sa conscience en l’enfermant dans une partie cachée de son être (une chambre souterraine en bronze). Il s’arrange pour que la conséquence (Danaé) de « la juste manière d’agir » vers laquelle il tendait (Eurydice) reste inopérante (ne puisse être fécondée), sachant qu’une telle fécondation produirait le moyen de sa perte (la naissance de Persée). Comme le souligne Sri Aurobindo « Le monde entier aspire à la liberté, et pourtant chaque créature est amoureuse de ses chaînes. Tel est le premier paradoxe et l’inextricable nœud de notre nature ».

Indifférent au conflit intérieur (Acrisios et Proïtos), le plus haut de la conscience (Zeus) répond à l’aspiration pour l’union avec le Divin à l’insu du chercheur (Danaé est fécondée à l’insu d’Acrisios). Il se produit une « imprégnation » de la conscience que rien ne peut empêcher (une pluie d’or qui passe à travers les barreaux).

Suite à cette union, Danaé mit au monde Persée « celui qui détruit (l’ego animal) » et l’éleva en secret : les forces nécessaires croissent à l’insu du chercheur. Lorsque la partie « confuse » du chercheur prend conscience que sa destruction se prépare, il tente de l’empêcher, refusant de considérer que c’est un résultat de son aspiration (Acrisios enferme Persée dans un coffre en niant l’origine divine de l’enfant).

L’île de Sériphos sur laquelle échoue le coffre est le symbole de ce qui dans l’être reste « attaché à ce qui est descendu », la fécondation par Zeus. Cette île est gouvernée par Polydectès « celui qui reçoit beaucoup ». C’est un fils de Magnès « l’aspiration », lui-même fils d’Éole. Il est donc normal que les forces nécessaires à la lutte grandissent sur son territoire.
Mais ce n’est pas lui qui recueille l’enfant et sa mère, et veille sur eux, mais son frère (ou demi-frère), un pêcheur qui trouve le coffre dans ses filets, Dictys « celui qui prend au filet ». Le roi, semble-t-il, n’en fut pas même informé.

Le roi Polydectès représente la partie réceptive du chercheur, qui continue à recevoir « d’en haut », tandis que son frère Dictys, « le pêcheur au filet », évoque le labeur, l’humilité et l’incarnation dans le monde. Peut-être aussi une forme d’investigation du subconscient (la pêche au filet).
Lorsque le temps est venu et que le chercheur a accumulé par l’incarnation suffisamment de forces ou « une force irrésistible » (Diktys est fils de Péristhénès), alors peut se réaliser un progrès dans l’union : le roi tombe amoureux de Danaé.
Mais ce progrès implique la disparition de la peur correspondante : aussi le roi doit-il envoyer Persée combattre la Gorgone.
Le chercheur, dans sa partie réceptive (Polydectès) pense être apte à accéder à une certaine maitrise de la force vitale (concourir pour la main d’Hippodamie « qui a dompté le cheval, la force vitale » ) obtenue par l’aspiration à la joie (Oinomaos « celui qui cherche l’ivresse divine ») alliée à une installation dans le mental supérieur (Stéropé, femme d’Oinomaos). Mais cela ne peut se faire tant qu’il y a des obstacles dans l’ego vital.

Toutefois, Persée ne part au combat ni sur ordre du roi, ni selon quelque autre obligation, mais seulement suite à ce qui semble une simple fanfaronnade. Ainsi, la lutte et la victoire sur la peur ne pourraient être programmées mais viendraient seulement couronner une préparation laborieuse et une sorte d’engagement « par défi » le moment venu. En effet, la lutte contre la peur organisée par le mental est inopérante tant que le chercheur ne peut mettre fin à l’identification quasi automatique à l’ego vital. La seule volonté de l’être extérieur est le plus souvent incapable de dépasser les peurs qui sont ancrées profondément dans l’être. Il s’agirait davantage alors de prendre une décision irrévocable comme « par défi ».

Guidé par Hermès et Athéna, Persée se rendit auprès des trois Grées « les vieilles », filles de Phorcys et Céto, et donc sœurs des Gorgones. A elles trois, elles n’avaient qu’un seul œil et une seule dent qu’elles se passaient à tour de rôle. Persée s’en empara au moment où elles se les échangeaient et refusa de les rendre tant que les Grées ne lui auraient pas révélé le chemin qui conduisait vers les Nymphes. Ces dernières étaient en effet dépositaires des objets indispensables pour vaincre les Gorgones : le casque d’Hadès qui rend invisible, les sandales ailées et la « kibisis » qui était, dit-on, une besace d’argent frangée d’or.
Persée récupéra auprès des Nymphes ces accessoires magiques et Hermès lui donna de plus une faucille adamantine (Harpé). Il s’éleva dans les airs grâce à ses sandales ailées et franchit l’océan, accompagné d’Hermès et d’Athéna. Il rampa ensuite jusqu’à la demeure des Gorgones qu’il trouva endormies.
Les deux divinités lui indiquèrent laquelle des trois était Méduse, seule à être mortelle, et lui recommandèrent d’éviter son regard lorsqu’il lui trancherait la tête. (Certains auteurs ajoutent qu’Athéna guida sa main et qu’il usa d’un bouclier comme d’un miroir afin de ne pas croiser son regard).
De son cou tranché jaillirent Pégase « le cheval ailé » et Chrysaor « l’homme à l’épée d’or », que Méduse avait conçus de son union avec Poséidon.
Les deux autres Gorgones poursuivirent le héros mais il s’échappa, rendu invisible par le casque d’Hadès, et portant la tête de Méduse cachée dans sa « kibisis » (besace).

Le cheval ailé Pégase issu du cou tranché de la Gorgone Méduse

Le cheval ailé Pégase monté par Bellérophon lors de son combat contre la Chimère – Musée du Louvre 

En dépit de son apparente simplicité, ce mythe fait appel à des notions complexes, en particulier dans ses rapports de complémentarité avec celui de l’Hydre de Lerne.
Cependant, nous ne saurions nous en étonner au vu de la difficulté des sciences de l’homme à établir une nomenclature commune des fonctionnements humains primaires.

L’énergie de vie, elle-même limitée dans ses premières manifestations animales par l’inconscience, s’est tout d’abord manifestée par « l’instinct de vie » qui veut posséder et se satisfaire, la convoitise vitale.
Une déviance se produisit alors au moment où le moi animal s’orienta vers l’individuation aux troisième et quatrième stades de développement de la vie, ceux de Phorcys et Céto. Cet arrêt de l’évolution dans l’union (Échidna est la fille de Phorcys et Céto) contribua à la formation de l’ego animal, source dans le plan vital de la souffrance, de la peur, du plaisir et de la douleur, et du besoin de satisfaire aux nécessités de la survie aussi bien individuelle que collective.

Lorsque cette énergie de vie limitée, rassemblée autour d’un premier ego vital animal, s’immisce dans les plans inférieurs du mental humain, elle génère :
– dans le mental sensoriel : la soif des sensations, le penchant naturel à aller vers ce que nous aimons et à fuir ce qui nous déplaît, les dégouts et répulsions. Mais elle développe aussi à sa racine un même attrait pour l’excès dans la sensation, et donc aussi bien pour le plaisir violent que pour la souffrance, pour la perfection et l’harmonie que pour leurs opposés.
– dans le mental émotif : les émotions fausses et troubles, la colère, les peurs et les espoirs liés aux affects, la honte et la culpabilité, et de manière générale, les attachements du cœur, les passions, le besoin d’affirmation de soi, de domination et de possession, celui de satisfaire les impulsions du sentiment, de cultiver antipathies et sympathies, d’assouvir l’amour (sa caricature prédatrice) et la haine.
– dans l’intelligence : le désir sous toutes ses formes (y compris l’ambition, la recherche de pouvoir, etc.) qui est une déformation de la Volonté pure par laquelle ce sont les objets eux-mêmes qui deviennent le but de la jouissance et de la possession, et non l’Absolu à travers eux.

Ce sont toutes ces manifestations de « l’arrêt de l’évolution dans l’union » alliée à « l’ignorance fondamentale » qui, dans l’homme, surgissent des « marais » de la nature vitale sous la forme de l’Hydre.

En effet, pour Homère, deux monstres de la mythologie semblent couvrir l’ensemble de ce processus : « Gorgo » dont il ne donne pas la filiation et l’Hydre de Lerne.

C’est Hésiode qui nous propose une généalogie cohérente pour les différents monstres. De la dualité apparue dans la vie avec le couple Phorcys/Céto, il fait naître les Grées (les rudiments de mémoire et de conscience), les trois Gorgones dont une seule est mortelle (seule Méduse appartient à l’état duel) et la vipère Échidna (l’arrêt de l’évolution dans l’union).
Gorgo est donc concomitante de « l’arrêt de l’évolution dans l’union ». Elle représente le mouvement centralisateur qui caractérise et construit l’ego animal, avec comme expressions et conséquences la prédation instinctive et la peur.
Rappelons que dans la conscience humaine, l’alliance de cette dualité naissante ou perversion de l’évolution (Échidna) et de l’ignorance issue de la Nescience (Typhon issu du Tartare ou d’Héra) généra les quatre grands monstres propres à l’homme, le chien Orthros, Cerbère, la Chimère et l’Hydre de Lerne.
Les Gorgones précèdent donc l’Hydre dans l’évolution (la peur précède le mouvement de captation, la « saisie » et le désir).

Les Gorgones vivent en Extrême-Occident et donc à la racine de la vie consciente tandis que l’Hydre habite les marais de Lerne, zone qui peut être associée au désir humain.
D’autre part, nul ne peut s’approcher des Gorgones sans précaution car elles pétrifient celui qui les regarde, tandis qu’Héraclès pourra empoigner l’Hydre dans son second travail.
Notons également que l’Hydre fut élevée par Héra, c’est-à-dire par le juste mouvement d’évolution de la conscience humaine.

Si les Gorgones sont d’apparence humaine tandis que l’Hydre est un serpent de mer à une ou plusieurs têtes (alors qu’on s’attendrait plutôt à l’inverse), c’est sans doute parce que la Gorgone, symbole d’une conséquence du développement de l’ego animal devant être abandonné le temps venu, est inséparable du processus d’individuation animal dont l’homme a hérité dans ses mémoires corporelles.
À l’inverse, le désir, qui ne doit pas être confondu avec le besoin ni avec la Volonté vraie, est une intrusion de cette même énergie de vie pervertie dans l’intelligence et ne serait donc pas indispensable à une évolution juste.
C’est pourquoi, selon certains auteurs, l’Hydre est dépourvue d’ailes alors que celles des Gorgones sont en or : ce qui confirmerait que ces dernières correspondent à un juste mouvement de la mentalisation absolument nécessaire à l’individuation.
Enfin, lorsque la Gorgone est décapitée par Persée, une énergie de vie libérée de la nature inférieure (le cheval Pégase) et une Volonté pure et inflexible (Chrysaor) apparaissent, tandis que rien ne surgit à la mort de l’Hydre.

Tous ces éléments nous conduisent à attribuer à la Gorgone Méduse les processus les plus archaïques de l’individuation dans la vie, le plus souvent réflexes et instinctifs, liés à la peur, aux attractions/répulsions, aux couples plaisir/douleur vital ou domination/soumission, ainsi qu’à leurs conséquences.
Et l’Hydre serait davantage le symbole du désir, déformation de la Volonté dans l’intelligence qui veut se saisir de ce qu’elle croit ne pas posséder, et son associé le crabe qui symbolise le mouvement de captation ou « saisie » qui ne peut lâcher prise. Sans doute peut-on aussi associer à l’Hydre la honte et la culpabilité. La souffrance mentale et le doute sont davantage des conséquences de Typhon et d’Échidna.
Toutefois, si l’on considère que l’extinction de tout désir est également celui de la peur, que l’on cesse de craindre lorsque l’on cesse d’espérer, alors on voit comme il peut être difficile de distinguer entre les deux monstres et l’on comprend les variantes de la mythologie à leur sujet.
En particulier, il est évident de par la multiplicité des généalogies que les Anciens, dans leurs écrits comme dans leurs représentations, n’ont pas toujours attribué exactement la même signification aux symboles, ce qui peut expliquer certaines différences dans les images et leurs descriptions.
Si l’on ignore les descriptions qui ont été proposées par Hésiode ainsi que celles des récits tardifs en retenant uniquement les représentations de l’art figuré, on voit que la Gorgone a la plupart du temps forme humaine. Seule sa tête de laquelle jaillissent de nombreux serpents présente une apparence hideuse tandis que l’Hydre est un monstre marin, un serpent de mer aux multiples têtes.
La Gorgone pourrait sur cette seule base être alors associée aux perturbations purement mentales dans l’humain – le doute, la honte et la culpabilité – toutes trois également paralysantes et conséquences de la séparation dans le mental. Et l’Hydre serait plutôt l’image de cette même séparation dans le vital, avec ses conséquences, la peur et le désir.

Si la Gorgone représente un processus plus archaïque que l’Hydre, elle sera logiquement vaincue en totalité bien après l’Hydre, même si elle vient en premier dans l’arbre généalogique d’Héraclès. Rappelons, en effet, qu’il s’agit de processus qui s’enchevêtrent et se répètent.
Hygin combine les deux approches : pour lui, les Gorgones sont filles de Gorgon et Céto, Gorgon étant lui-même un fils de Typhon et d’Échidna. Il fait ainsi intervenir dans leur origine « l’ignorance » et « l’arrêt de l’évolution dans l’union », ce qui permet d’intégrer la déformation due à l’ignorance lors de l’irruption de la dualité dans la vie animale.

La Gorgone serait donc l’expression du mouvement centralisateur de l’ego vital, qui, mettant un terme à l’évolution dans l’unité, introduit – lorsqu’on perd le contact avec le Réel (la matière, le corps) – la peur dans le vital et le doute dans le mental, les deux processus « paralysants » de l’action. Ainsi, la seule vue de la Gorgone peut-elle pétrifier.

Le mythe dans lequel le grand guérisseur Asclépios (Esculape) ressuscite les morts peut donner un éclairage complémentaire.
Asclépios avait reçu d’Athéna le sang qui avait coulé du cou de la Gorgone. Avec le sang s’écoulant des veines gauches, il faisait périr les hommes, tandis qu’avec celui des veines de droite, il parvenait à ressusciter les morts. Zeus en fut contrarié et le foudroya.
Précisons qu’il ne s’agissait pas de n’importe quels « morts », mais seulement de « ceux qui étaient morts à Delphes », c’est-à-dire les éléments incorporés à l’être psychique en cette vie ou durant les vies passées.
La Gorgone peut alors être associée au voile d’inconscience séparant la soi-disant vie de la soi-disant mort, et son sang du côté droit représenterait le courant de conscience qui traverse le voile de bas en haut, rendant possible le retour à la conscience de vécus psychiques. En ce voile qui crée la première séparation (et que l’on peut associer au premier voile de l’arbre des Sephiroth) se trouve l’origine de la plus grande peur, celle de la mort. Nombre d’initiés ont proclamé que regarder à travers ce voile peut être terrifiant pour qui n’est pas préparé.

C’est sur cette base que nous allons étudier les différentes histoires concernant les Gorgones.
Filles de Phorcys et Céto, elles se manifestent donc lors de la constitution du « moi animal » à partir d’embryons de mémoire et de conscience (les Grées). Elles ne concernent donc pas les processus archaïques de la vie (mécanismes de survie, reproduction, etc.) depuis le stade de la cellule jusqu’à celui des « sens pensants » (Thaumas), non gérés par un cerveau central.

Fondamentalement, Gorgo (ou les Gorgones : Méduse, Sthéno et Euryalé) représente l’énergie de vie qui soutient les activités mentales (elle est ailée) et qui subit une déformation lors du début de la polarisation mentale (Céto), lorsqu’apparut le mouvement d’individuation nécessaire pour sortir du fonctionnement de groupe animal.

L’expression la plus haute de cette énergie de vie, libérée de ses limitations et purifiée, sur le chemin de la jouissance et de la possession du Divin, se manifestent par une Volonté pure et un pouvoir libres de toute limitation (Chrysaor « l’homme à l’épée d’or » ou acte juste, et le cheval ailé Pégase, l’énergie de vie libérée de ses limitations) qui deviennent disponibles lorsque meurt la Gorgone.
Cette énergie est déformée lorsque la jouissance et la possession ne s’épanouissent plus dans le cadre de l’Unité mais sont recherchées pour elles-mêmes. Son émergence dans le cadre de l’ignorance et des limitations imposées par la nature l’a orientée dans une direction dans laquelle toute forme de vie s’appréhende comme séparée. À la place de la jouissance et de la possession du Réel se sont installées la souffrance et le manque, ainsi qu’une tension pour y remédier.
Cette énergie se manifeste alors en l’animal par la convoitise vitale, un instinct ou besoin qui veut posséder et se satisfaire, en vue d’assurer sa propre conservation et la continuation de l’espèce (faim, soif, reproduction, etc.), convoitise qui est à l’origine du désir humain.
Elle est à la source de la peur et de l’agressivité, des pulsions primaires et des opposés plaisirs/douleurs.

Tuer la Gorgone, c’est donc libérer le mental sensoriel des limitations et obscurités naturelles, de la colère, de la peur, de la dualité des attirances et répulsions, et des réponses automatiques au plaisir et à la douleur. Toutes choses cependant qui ont eu leur nécessité pour opérer une première sélection instinctive. C’est atteindre un seuil où peut se manifester la pure Volonté du Réel en nous, avec une énergie libérée de toute limitation, pour que les forces de l’Absolu puissent travailler directement dans l’être, et surtout dans le corps pour opérer sa transformation.
On comprend alors que le mythe de Persée se présente comme un « chapeau »sur les travaux d’Héraclès, leur aboutissement logique.
Avec la mort de Méduse peuvent se manifester pleinement les puissances de la Vie, une force vitale libérée de sa sujétion à la nature qui est un total « détachement » (Pégase) et une capacité d’action exacte, juste et inflexible (Chrysaor « l’homme au glaive d’or ») ou la mise en action de la Volonté (non troublée par le désir, car le travail contre l’Hydre est également accompli).
Selon Hésiode, Pégase et Chrysaor sont fils de Poséidon : ils ont alors été générés par le subconscient et ont poursuivis leur croissance en Méduse, ce qui confirme la nécessité de ce que représentent les Gorgones pour la croissance de l’ego.

Le nom Gorgo est formé selon la structure des mots de la forme X+RX, ici Γ+ΡΓ, c’est-à-dire une impulsion qui revient vers l’émetteur, un mouvement unifié qui s’inverse, qui récupère à son propre compte, agissant de son propre droit et non de celui de l’Unité Divine.

Sur le bouclier d’Athéna, la tête de Méduse est entourée de Phobos, Alké, Éris, et Ioké (Crainte, Puissance, Discorde et Mêlée au combat), et sur celui d’Agamemnon, de Déimos et Phobos (l’Épouvante et la Crainte). Chez Homère, Gorgo a un regard qui inspire la crainte, et au royaume d’Hadès, elle est l’une des ombres les plus terrifiantes. Hector a parfois le regard de Gorgo et Ulysse, à l’entrée du Royaume des ombres, craint que Perséphone ne lui envoie de chez Hadès la tête du monstre (c’est-à-dire qu’il soit assailli par les peurs vitales les plus archaïques à peine mentalisées).

Les attributs des Gorgones sont souvent repris à partir de la description d’Hésiode. Le nom de la seule Gorgone mortelle, Méduse, évoque « ce qui contient dans la juste mesure, ce qui prend soin (de la croissance) » : dans l’animal et dans l’animal en l’homme, l’aiguillon de l’évolution est la souffrance, et la peur protège.
Les deux autres Gorgones, Euryalé « l’évolution vers une vaste liberté » et Sthénno « la puissance évolutive », expriment les besoins absolus de liberté et de croissance à la racine de la vie.

Selon Apollodore, les Gorgones ont certaines particularités qui indiquent leur efficacité dans chacun des plans correspondants :
– la tête hérissée (d’anneaux écailleux) de serpents : une forte puissance évolutive par le début de mentalisation.
– de longues défenses de sanglier : une bonne capacité de défense ou d’attaque et d’agressivité dans les couches basses du vital.
– des mains de bronze : une action puissante dont on ne peut se défendre.
– des ailes d’or qui leur permettaient de voler : une facilité pour agir dans le mental naissant.
Notons aussi que les Gorgones, pour Hésiode, sont apparentées à des récifs sous- marins, c’est-à-dire aux « nœuds » dans le vital.

Pour réaliser l’exploit de tuer la Gorgone, Persée est aidé par deux forces d’ordre supérieur, Athéna « celle qui veille à la progression de l’être intérieur » et Hermès « la lumière de la Connaissance par identité ».
Ces deux divinités lui conseillent de se rendre chez les Grées, « les vieilles femmes », (ou les « impulsions pour un développement juste de la conscience »), les plus anciennes « réalisations » du mental dans la vie, qui doivent lui indiquer le chemin jusqu’au repaire des Gorgones.
Les Grées n’ont à elles trois qu’un seul œil et une seule dent qu’elles s’échangent : le chercheur devra descendre profondément en lui, « se saisir » des mémoires archaïques (la dent) et des lueurs de conscience ou de « connaissance vraie » (l’œil unique) pour comprendre comment la Gorgone se manifeste dans sa vie, ce qui lui permettra d’acquérir les outils nécessaires à la victoire.
Chez Hésiode, elles ne sont que deux : Pemphredo « la guêpe qui fait son nid dans la terre », c’est-à-dire « le mental vrillé caché dans le corps » et Enyo « l’évolution ». Elles sont vêtues, l’une d’un vêtement safrané, l’autre d’une robe de beauté. Elles représentent donc des processus évolutifs, incontournable pour le premier, harmonieux pour le second, tous deux basés comme pour Méduse sur des embryons de mémoire et de conscience.

Parvenu au niveau des Grées, le chercheur n’a pas dépassé le stade de la prise de conscience des déviations dues à l’énergie de vie déformée, mais cette prise de conscience ne suffit pas pour purifier. Il doit encore supprimer les déformations avec les outils adéquats : le casque d’invisibilité, les sandales ailées, une serpe et la «kibisis ».
La serpe lui a été remise par Hermès, le plus haut de la Connaissance, et les trois autres objets par les Nymphes. Celles-ci, le plus souvent filles de Zeus, sont des symboles des forces de transition entre le stade vital évoluant dans l’unité et celui, duel, du mental. C’est pour cela qu’elles ne sont ni mortelles, comme le sont les êtres qui évoluent dans la dualité, ni immortelles comme ceux qui appartiennent au monde de l’unité, bien qu’elles aient une vie extrêmement longue. Cependant, elles représentent des états proches de l’unité et c’est pourquoi les Anciens en ont fait les esprits de la nature la plus sauvage. Pour vaincre la Gorgone, le chercheur doit retrouver l’unité perdue dans le vital et n’a d’autre choix que d’utiliser les outils que recommandent les Nymphes.

Le casque d’invisibilité permet de voir sans être vu, c’est-à-dire évite « l’identification ». L’affrontement direct est alors évité et la mort de la Gorgone se produit comme par surprise, simple conséquence du travail de préparation réalisé auprès des Grées, puis des Nymphes.
Le casque d’invisibilité permet que ne soit émise aucune vibration, autrement dit que soient établis un calme si ce n’est un silence mental, une paix émotionnelle et une immobilité corporelle. Lorsque l’immobilité parfaite est réalisée, alors rien ne peut toucher le chercheur.
L’invisibilité lui évite donc de se faire « attraper » par l’élément considéré. Il ne doit pas focaliser son attention sur celui-ci car il ne ferait alors que le nourrir. Au contraire, il doit « faire un pas en arrière », se dés-identifier. C’est l’image donnée par le miroir ou le reflet de la Gorgone dans son bouclier.

Persée fut ensuite pourvu par les Nymphes d’une paire de sandales ailées qui lui permirent de se rendre au repaire des Gorgones, aux extrémités de la terre.
Ces sandales ailées étaient aussi un attribut d’Hermès, le niveau le plus avancé du mental (l’air est un attribut du plan mental). Elles symbolisent à la fois une capacité à s’élever « au-dessus », à prendre de la hauteur par rapport aux situations, mais surtout à se rendre aux limites de la conscience (aux « extrémités de la terre ») par un déplacement rapide de celle-ci jusqu’à la source de la déformation.

Puis Persée, grâce à l’aide d’Athéna qui dirigeait son bras, utilisa une serpe, la « Harpé » que lui avait donné Hermès, pour trancher le cou de Méduse. Ce mot Harpé est formé avec les lettres structurantes ΡΠ. Nous avons déjà rencontré ce groupe de consonnes avec les Harpyes, symbole d’un « renversement d’équilibre ». L’outil décisif qui permet la victoire (trancher le cou de Méduse) serait donc le « renversement » de l’équilibre de la conscience animale la plus primitive.
Le chercheur traverse plusieurs étapes avant de toucher aux racines du plaisir et de la souffrance. Il doit se battre contre les répulsions, les dégouts et les manques. Il ne s’agit pas ici des douleurs corporelles, car le mythe de la Gorgone, lié à la racine de l’élaboration du moi animal, ne concerne pas le corps et les processus associés à la vie physique, tels la faim, le sommeil, etc., plongeant jusqu’aux racines du mental cellulaire. La Gorgone appartient en effet aux troisième et quatrième stades de développement de la vie, et le personnage de Gorgophoné « celui qui a tué la Gorgone », fils de Persée et d’Andromède, intervient dans la descendance de la Pléiade Taygète au stade du mental intuitif qui précède le surmental. (Nous avons vu que Danaé avait aussi Taygète parmi ses ascendants.)

Enfin, le héros dut être équipé de la mystérieuse « kibisis ». Ce mot n’est utilisé nulle part ailleurs dans les textes grecs. Il fut interprété comme définissant une « besace » car les exégètes ont pensé que Persée devait avoir un sac quelconque pour transporter la tête de la Gorgone.

Notons que Persée n’a pas prémédité le combat contre la Gorgone, mais dut s’y résoudre à la suite d’une simple vantardise : lorsque le moment est venu, la vie offre les obstacles nécessaires au progrès, et pousse le chercheur à affronter ceux-là même qu’il pense insurmontables. Lorsqu’il est mis au pied du mur, les forces intérieures (Athéna) et celles du plus haut plan du mental (Hermès) apportent leur soutien.

Les forces qui jaillissent du cou tranché de Méduse, le cheval ailé Pégase et Chrysaor, conçues dans le subconscient, grandissent tout au long de la quête mais ne deviennent actives qu’à la mort de leur mère. Rappelons que Pégase dont le nom signifie « eaux vives » et/ou « puissant » est le symbole de la force de vie libérée de sa sujétion à la nature, et Chrysaor « l’homme à l’épée d’or » celui d’une capacité d’action juste et inflexible.
À la mort de Méduse, ces forces opèrent directement dans « l’unité » de la vie, car Pégase prit son vol pour rejoindre l’Olympe, tandis que Chrysaor, de son union avec Callirhoé « ce qui coule bien », eut pour enfant Géryon, symbole des « pouvoirs » de la vie que le chercheur devra aussi laisser de côté (cf. le dixième travail d’Héraclès).

Dans les mythes tardifs, Bellérophon montait Pégase durant son combat contre la Chimère, leurs auteurs précisant ainsi que la victoire finale sur l’illusion ne peut être acquise tant que l’énergie de vie n’est pas totalement purifiée et libérée, principalement de la peur et du doute.

Sur le chemin du retour, Persée rencontra Andromède. Elle était attachée en mer sur un rocher, offerte en expiation à un monstre marin, car sa mère Cassiopée s’était vantée que sa fille était plus belle que les Néréides. Poséidon irrité avait généré une inondation et envoyé un monstre marin contre le pays.
L’oracle avait annoncé que la calamité ne cesserait que si Andromède était offerte en pâture au monstre.
Persée tomba amoureux de la jeune fille et promit de la délivrer si son père Céphée acceptait de la lui donner en mariage. Le marché fut conclu. Persée repoussa le monstre ou, selon d’autres versions, le tua avec son épée ou sa faucille. Toutefois, selon certains, avant d’épouser Andromède, il dut encore affronter Phinée qui était le frère de Céphée et auquel la jeune fille était promise.

Andromède, celle qui a « souci de l’humain », représente une « volonté de servir » issue de l’intellect car elle est la fille de Céphée. Cette volonté est sincère car Andromède est belle.
Sa mère Cassiopée représente le chercheur qui a « ouvert sa conscience à la vision du cheminement humain ». Cette ouverture entraîne ce dernier vers une prétention à œuvrer de façon plus efficace que ne peuvent le faire en lui les forces les plus anciennes et spontanées de la vie, c’est-à-dire les moins perturbées par l’intervention du mental (Cassiopée prétend qu’elle-même ou que sa fille est plus belle que les Néréides). Le chercheur intervient alors dans le chemin des autres ou dans le sien propre (par projections et introjections). Mais son « travail » est automatiquement perturbé en retour par les forces vitales non maîtrisées de sa nature subconsciente. Avec « l’inondation », c’est le subconscient vital qui perturbe sa nature entière et toutes ses actions, et avec « le monstre marin », c’est la mainmise complète d’éléments du vital subconscient non purifiés capables d’entraîner la fin de cette disponibilité.

Lorsque le chercheur a terminé la « purification » et la « libération » de l’énergie de vie (lorsque Persée a tué la Gorgone), il peut enfin « travailler sur l’humain » sans qu’intervienne son ego mental et vital. Il est devenu un pur canal car celle « qui prend soin de l’humain », Andromède, est délivrée.
Cependant, avant que le chercheur (Persée) ne puisse se mettre entièrement « au service » (épouser Andromède), et même s’il est parvenu à la libération du vital en ayant annihilé toute peur en lui, il doit encore accepter que sa partie réceptrice intuitive, contrepartie du mental logique (Phinée « l’évolution de ce qui descend d’en haut », frère de Céphée) abandonne également ses prétentions à diriger la manière de servir au profit de ce qui est libre de toute peur. Le vrai service qui est don de soi total ne peut se faire s’il se maintient dans l’être la moindre peur ou le moindre doute. Il ne doit dépendre que du psychique ou de l’âme, de la Vérité en soi. Le chercheur doit cesser de le faire dépendre de l’intuition mentale (Cassiopée était promise à Phinée).

Persée revint alors à Sériphos où, exhibant la tête de Méduse, il pétrifia le tyran Polydectès et tout son peuple. Il confia alors le trône à son bienfaiteur, Diktys, le frère du roi. Il remit la tête de la Gorgone à Athéna qui la plaça sur son égide et partit pour Argos avec Danaé, Andromède et les Cyclopes. Ceux-ci lui apportèrent leur aide pour la fortification de Mycènes.

Le roi Polydectès représente celui « qui reçoit beaucoup » (d’en haut). Cette aide a déclenché le travail nécessaire de purification et de libération. Mais une fois l’unité réalisée dans le vital, elle n’est plus nécessaire et le chercheur doit poursuivre son travail dans le quotidien de l’incarnation avec humilité.
La tête de la Gorgone est un « trophée » majeur du chemin. Placée sur l’égide d’Athéna, elle indique que le chercheur est arrivé au terme d’une étape importante : il est devenu aux yeux de tous ce que la tradition a coutume d’appeler « un libéré vivant ».
Mais ce n’est pas la fin du chemin, aussi le chercheur qui est devenu « un voyant » (Persée est accompagné des Cyclopes) retourne-t-il à Argos poursuivre le travail d’union (avec Danaé), travail qui se déroulera désormais dans le corps et pour l’humanité (il est accompagné d’Andromède). Le travail de yoga « personnel » s’arrête ici, mais bien d’autres mythes participent à décrire le chemin jusqu’à ce point, encadrés par les exploits du plus célèbre des descendants de Persée, Héraclès.

A son retour à Argos, Persée n’y retrouva pas son grand-père qui s’était enfui vers le nord, à Larissa. Il craignait en effet la réalisation de l’oracle qui lui annonçait que son petit-fils le tuerait.
Persée le rejoignit dans cette ville et le convainquit de rentrer à Argos avec lui. Cependant, avant de partir, Persée participa à un concours athlétique et lança un disque qui tomba sur le pied de son grand-père et le tua. Rempli de douleur et ne voulant régner à la place de celui qu’il venait de tuer, il échangea le trône d’Argos avec celui de Tirynthe où régnait son cousin Mégapenthès, fils de Proïtos, qui avait eu deux enfants, Anaxagoras et Iphianira.
Persée fonda une ville nouvelle proche de Tirynthe, Mycènes.
D’Andromède, il eut six enfants.

La mort accidentelle du grand-père de Persée, Acrisios, celui qui est « dans la confusion », indique que le travail de discernement est terminé : il consacre la fin de le peur et du doute.
Persée proposa donc un échange de trônes à son cousin Mégapenthès, symbole d’une « grande souffrance » ou compassion qui envahit l’être lorsqu’il est parvenu à cet état de libération, et provenant de son intense perception du manque d’unité de l’homme avec le Divin.
La mort de la Gorgone représentant une étape très avancée du chemin, il faut alors considérer les transformations décrites par les travaux d’Héraclès dans la descendance de Persée comme des processus entrelacés, non seulement entre eux mais aussi avec les processus illustrés par les luttes contre la Chimère et la Gorgone.

Peut-être les anciens résolurent-ils d’apporter une solution à ce problème par l’éloignement de Persée d’Argos et la fondation d’une nouvelle lignée à Mycènes.
Quoi qu’il en soit, le mythe semble nous replacer dans les conditions théoriques du début de la quête par le nom des deux enfants de Mégapenthès, Anaxagoras « la domination par les nombreux aspects de la personnalité » et Iphianira « un attachement puissant ».

En fondant Mycènes, Persée pose les bases d’une ville en rapport avec le « mugissement » du taureau, et donc avec « le pouvoir agissant du mental lumineux ». Les Cyclopes, symboles d’une « vision totale », en construisirent les fortifications, établissant ainsi des protections puissantes par une conscience vaste qui caractérisera, quelques générations plus tard, le maître de cette ville, l’Atride Agamemnon.

Le trône d’Argos (la direction de la quête) se maintiendra durant plusieurs générations dans la descendance de Mégapenthès (dans le processus de purification) dans laquelle figureront, à la quatrième génération, deux célèbres attaquants de la guerre des Sept contre Thèbes, c’est-à-dire deux qualités intérieures fortement mobilisées dans cette purification. Puis il passera dans la lignée de l’ascension, celle de Bias « la force », avant que l’Argolide ne soit définitivement réunifiée par le petit-fils d’Agamemnon, Tisamenos « celui qui est sans mental » (dans le complet silence mental), roi de Mycènes, Tirynthe, Argos et Sparte : seront alors unifiés en vue d’une étape future du chemin « le pouvoir agissant du mental lumineux », « l’évolution d’un juste mouvement vers l’esprit », « la purification de la nature » et « le jaillissement du nouveau ».

La descendance de Persée jusqu’à Héraclès

D’Andromède, « celle qui prend soin de l’humain » ou « celle qui sert », Persée eut de nombreux enfants dont quatre – trois fils et une fille Gorgophoné – revêtent une grande importance. Cette dernière, dont le nom signifie « le meurtre de la Gorgone », atteste du but poursuivi : la victoire sur les déviations de l’énergie de vie. Elle n’a pas de légende propre et ne figure ici que pour indiquer par ses alliances successives avec des personnages de la branche de Japet (Périères et Oibalos) l’étape correspondante à cette réalisation dans le processus d’ascension des plans de conscience.
Nous n’en dirons que quelques mots à ce stade de notre étude.
Avec Périérès, sixième enfant d’Éole, elle engendra Apharée « celui qui est sans masque » (qui est sans ego) et Leukippos « une énergie vitale purifiée » (celui qui est sans désir) : Périérès représente donc dans l’ascension des plans de conscience le stade de celui qui est sans désir et sans ego, parvenu à une parfaite équanimité conduisant vers la perfection spirituelle. C’est le stade de la sagesse et de la sainteté.
Avec Oibalos, roi de Sparte issu de la lignée de Taygète (le plan du mental intuitif qui précède le surmental), elle engendra Tyndare. Celui-ci fut le père humain des jumeaux divins, les Dioscures Castor et Pollux (« la force » et « la totale douceur »), d’Hélène et de Clytemnestre (« l’évolution de la libération » et « un mental éclairé ») (cf. Planche 13).

Les trois fils notoires de Persée vont jouer un rôle déterminant dans l’ascendance d’Héraclès. Ils déterminent à la fois les bases d’un processus déjà bien engagé et l’objet de la quête ou son accomplissement :
– Alkaios (ou Alcée) « qui met en œuvre la force de la conscience ». Il est le père d’Amphitryon et donc le grand-père d’Héraclès.
– Électryon, celui qui est comme « l’ambre » (métal précieux composé de 4/5èmes d’or et 1/5ème d’argent), symbole d’un stade avancé de la purification. Les lettres Υ et Ω ajoutent l’idée d’une réceptivité tournée vers la matière. Il est le père d’Alcmène et donc le deuxième grand-père d’Héraclès.
– Sthénélos « celui qui travaille à une puissante libération » est le père d’Eurysthée. Ce dernier est celui qui met en mouvement les transformations en exigeant d’Héraclès la réalisation des travaux.
Une conscience vaste, purifiée et libérée est donc la réalisation à laquelle conduiront les exploits d’Héraclès.
(Mentionnons pour mémoire les autres fils de Persée : Persès, Éléios et Mestor que nous étudions ci-après.)

Les sources diffèrent en ce qui concerne les noms des épouses de ces trois héros, mais presque toutes s’accordent pour en faire des filles de Pélops « une vision partielle (grise) ». Ce dernier est le fils de Tantale « l’endurance, le manque, l’aspiration » dont nous avons parlé comme l’un des « damnés » du royaume d’Hadès, image de ce qui, ayant rempli son rôle dans le mental, le quitte pour s’établir dans le vital puis ensuite dans le corps.
Pélops s’étant uni à Hippodamie « la maîtrise de la force de vie », ses filles représentent aussi ce vers quoi tend le chercheur dans le domaine de la maîtrise du vital.
Les noms le plus souvent cités sont Lysidicé « une libre manière d’agir », femme d’Électryon. Elle lui donna Alcmène « la force d’âme », laquelle fut la mère d’Héraclès et d’Iphiclès. Elle symbolise l’acte libre de l’ego et du désir.
Astydamie « qui est maître en sa demeure (qui gouverne sa nature) » fut la femme d’Alkaios et la mère d’Amphitryon, lequel fut le père d’Iphiclès et le père humain d’Héraclès.
Nicippé « une énergie vitale victorieuse (maîtrisée) » s’unit à Sthénélos « une forte (volonté de) libération » à qui elle donna Eurysthée « une grande énergie intérieure ».

Initialement, la répartition des royaumes entre les trois frères est la suivante :
Électryon « l’accomplissement d’une forte purification » (dans les plans inférieurs), le plus puissant des fils de Persée, lui succéda sur le trône de Mycènes : le processus de purification (Électryon) dirige maintenant le lieu où se manifeste l’ardeur de l’aspiration par « le pouvoir agissant du mental lumineux » (Mycènes).
Sthénélos devint roi d’Argos : le chercheur est toujours guidé par le principe d’une « puissante libération ». C’est pourquoi il s’unit à Nikippé « la libération vitale ».
Alkaios « une conscience large » monta sur le trône de Tirynthe, assurant « l’évolution d’un juste mouvement vers l’Esprit ». Il s’unit à Astydamie « celle qui dompte la ville » ou « la maîtrise de la personnalité ».

L’évolution de ces royaumes d’Argolide à travers les aventures entremêlées des enfants et petits-enfants de Persée est relativement complexe. Elle décrit l’environnement propice à la naissance d’Héraclès et dénonce également une impasse. En effet, l’histoire de Ptérélaos avertit des dangers d’une « vision mentale » (avec une idée d’exaltation confirmée par sa filiation) qui se révèle être une impasse même si elle permet un véritable accès à l’Absolu non-duel qui reste par ailleurs extrêmement limité. Le chercheur perd alors à la fois cette connexion et momentanément la possibilité de poursuivre la purification de sa nature. Il ne pourra reprendre son chemin qu’en acceptant de renoncer à cette liaison avec le Réel afin de reprendre une voie juste. Mais auparavant il doit en éliminer la cause.
Le mythe du renard de Teumèssos qui lui fait suite précise en effet que le chercheur ne peut retrouver sa nature lumineuse sans avoir supprimé au préalable la cause des dégâts provenant d’une énergie vitale « rusée » que la conscience ne peut « saisir ». Cette énergie crée des conflits intérieurs qui semblent insolubles au chercheur, usant ses forces vives, mais qui disparaissent le moment venu sous l’effet d’une intervention spirituelle supérieure.
Ce mythe traite le plus probablement des approches de la spiritualité par les sciences magico-occultes qui peuvent donner un contact infime avec l’Absolu non-duel mais auxquelles le chercheur doit renoncer s’il veut entrer dans une vraie voie de purification-libération.
Nous reprenons ces deux histoires complexes ci-dessous en détail.

Le quatrième fils de Persée, Mestor « celui qui conseille, inspire » s’unit à Lysidicé « une libre manière d’agir » qui lui donna une fille Hippothoé « une énergie qui s’élance » ou « un vital brillant ». Celle-ci attira l’attention de Poséidon, maître du vital « subconscient ».
Mestor représente « l’expérience » qui marche vers la liberté et engendre une forte énergie vitale pour s’engager sur le chemin. Fils de Persée, il représente un chercheur qui a déjà fait un travail important pour se libérer de ses peurs sans avoir pour autant réalisé une purification correspondante de l’ego.
Le dieu entraîna la jeune fille jusqu’aux îles Échinades, lieu de « l’arrêt de l’évolution » situé à l’entrée du golfe de Corinthe. Là, elle lui donna un fils, Taphios « celui qui ensevelit (la conscience) » qui devint le roi de ces îles et en gouverna le peuple qui porta son nom par la suite, les Taphiens. Ceux-ci sont aussi appelés Téléboéens : « ceux dont le cri porte au loin », c’est-à-dire « ceux qui recherchent la renommée ». Corinthe ayant été fondée par Sisyphe, symbole du mental logique, ce peuple vit dans des formations mentales (des petits îlots) qui précèdent l’intellect (à l’entrée du golfe de Corinthe).
La conscience étant « ensevelie », le chercheur est « rattrapé » par Poséidon, le dieu du subconscient qui ne laisse rien en arrière tout en favorisant une réalisation de l’unité très limitée. En effet, Taphios eut à son tour un fils Ptérélaos « une vision mentale (exaltée) » que Poséidon avait muni d’un cheveu d’or qui le rendait immortel, c’est-à-dire qui conservait un contact intuitif aussi faible soit-il avec le plan de la non-dualité (sans que le chercheur en connaisse la raison car ce contact avait été provoqué par Poséidon).

Ptérélaos eut six fils et une fille. Ses fils partirent pour Argos car ils voulaient récupérer le trône occupé par Électryon. (Cette histoire défie la chronologie car il y a quatre générations d’écart. Mais ce n’est pas le seul exemple d’aberration qui n’invalide en rien le contenu symbolique.)
Ce dernier s’y étant opposé, ils lui dérobèrent ses troupeaux car c’était un peuple de pirates. Les fils d’Électryon livrèrent combat aux fils de Ptérélaos et tous périrent, sauf un dans chaque camp. Électryon prépara une expédition punitive contre les Taphiens, appelant à la rescousse son neveu Amphitryon « tout ce qui tourne autour d’un travail laborieux » ou « un travail d’usure », fils d’Alkaios « une conscience puissante » et d’Astydamie « celle qui est maître en sa demeure ». Mais Amphitryon le tua par inadvertance.
Dans ce passage, Ptérélaos « une vision mentale (exaltée) » veut s’approprier les résultats obtenus par le travail de purification (Électryon). Il s’ensuit un conflit intérieur dans lequel le chercheur tente de se défendre de cette vision par un travail laborieux de maîtrise (Amphitryon) qui entraîne automatiquement la cessation du travail de purification (la mort d’Électryon).

Sthénélos « une forte libération », déjà roi d’Argos, en profita pour s’emparer du trône de Tirynthe et Mycènes (il en fut le troisième roi) et exila son neveu Amphitryon qui s’installa à Thèbes. Plus tard, Sthénélos transmit son royaume à son fils Eurysthée « une grande force intérieure » quatrième roi de Mycènes.
Cependant, par ce travail de maîtrise, le processus de « libération » s’est étendu à de nouvelles parties de l’être, ici symbolisées par les villes-territoires de Tirynthe « le juste mouvement vers l’Esprit » et Mycènes « l’évolution de l’ardeur ».
« Le travail de maîtrise » (Amphitryon) est alors réorienté vers « l’incarnation de l’être intérieur » (Thèbes).

A Thèbes, Amphitryon « le travail laborieux » fut purifié du meurtre accidentel d’Électryon par le roi Créon « l’incarnation » : la cessation du processus de purification était donc inévitable dans l’impasse créée par Ptérélaos.
Amphitryon avait emmené avec lui la fille d’Électryon, Alcmène. Toutefois, celle-ci ne voulait pas entrer dans son lit tant qu’il n’avait pas vengé ses frères tués par les Taphiens. Aussi prit-il la suite d’Électryon pour organiser l’expédition punitive dont il devait revenir vainqueur.
Dans ce but, il demanda à Créon de l’assister. Ce dernier accepta à la condition que soit au préalable mis fin aux ravages qu’exerçait à Thèbes le renard du mont Teumèssos à qui les habitants devaient sacrifier chaque mois un de leurs fils. L’arrêt du destin était que personne ne pourrait jamais attraper ce renard. Amphitryon demanda l’aide de Céphale, fils de Déion, qui tenait de Procris le chien qui ne pouvait rater aucune proie, chien qu’elle avait elle-même hérité de Minos. Pour résoudre cette impossibilité (le renard qui ne peut être rattrapé et le chien qui ne peut manquer aucune proie), Zeus pétrifia les deux animaux.
Amphitryon partit alors en campagne avec l’aide de Créon, Céphale, Panopée et Héléios.

Par un « travail laborieux » (Amphitryon), le chercheur veut reprendre le travail de purification afin de réaliser une « âme forte » (Alcmène, fille d’Électryon).
Mais ceci ne peut se faire avant que ne soit mis fin aux perturbations apportées par une « énergie rusée et mensongère » (le renard), une « ombre » que ne peut attraper la vigilance la plus grande (le chien) et qui perturbe le travail de purification (Thèbes).
Le chercheur perd ses forces dans la lutte bien qu’il utilise les plus hautes capacités intuitives et de vigilance possibles développées au plus haut de la conscience mentale tournée vers l’union (il s’agit en effet du chien de Céphale « la tête », fils de Déion « l’union en conscience », lequel est l’ancêtre d’Ulysse et représente le plus haut niveau de réalisation possible dans le mental pour les chercheurs ordinaires). Mais les « ruses » de l’adversaire intérieur (le renard) ne peuvent être déjouées par la conscience mentale. Aussi est-ce Zeus, une influence issue du surmental, qui permettra de rendre inopérants à la fois les obstacles et les volontés d’y mettre fin.
Ptérélaos ne peut être combattu tant que se maintient dans l’être engagé dans un processus de purification « une tromperie » vitale.

En sus d’Amphitryon, partirent alors en campagne pour venger la disparition des fils d’Électryon : Créon « le processus d’incarnation», Céphale « le plus haut du mental à ce stade de la quête », Panopée « une vision étendue » et Héléios « une conscience libérée ».
Mais Ptérélaos ne pouvait être vaincu tant que la boucle de cheveux d’or que Poséidon avait implantée sur sa tempe était en place. C’est sa propre fille Komaitho qui la lui arracha car elle était tombée amoureuse d’Amphitryon qui combattait son père. Ptérélaos en mourut. Amphitryon soumit alors toutes les îles des Taphiens, mais il ne fut aucunement reconnaissant envers Komaitho et, après avoir remporté la victoire, il tua la jeune fille qui avait trahi son père.
Ptérélaos « la vision mentale (exaltée) » ne peut être vaincue tant que se maintient le contact à l’Absolu. C’est sa fille Komaitho « celle à la chevelure rouge », symbole d’une vaste intuition issue de la spiritualisation du mental qui se chargera de le rompre.
(Komaitho semble porter le même symbolisme que Pyrrha, femme de Deucalion. Cette histoire semble d’autre part avoir été directement inspirée de celle, beaucoup plus célèbre, de Scylla fille de Nisos que nous étudierons dans le chapitre consacré au Minotaure.)

C’est la nuit précédant le retour d’Amphitryon de cette expédition contre Ptérélaos que Zeus le précéda dans le lit d’Alcmène, ce qui fit de lui le père d’Héraclès tandis qu’Amphitryon revenu au matin fut le père de son jumeau Iphiclès.
Plus tard, Eurysthée craignant qu’Héraclès ne lui réclame le trône qui lui revenait de droit (en héritage de son grand-père Électryon, fils aîné de Persée) tenta de le supprimer en l’envoyant accomplir les douze travaux.

Le royaume de Mycènes, au cours des évènements décrits ci-dessus, devint pour les épopées mythiques plus important que celui d’Argos qui, morcelé entre Mégapenthès, Bias et Mélampous, passera de mains en mains jusqu’à Adrastos puis Diomède.
L’évolution du « pouvoir agissant du mental lumineux » prend donc progressivement le pas sur les autres dynamiques du yoga.
Finalement, le royaume de Mycènes et Tirynthe, selon l’oracle, sera transféré à la lignée des Atrides : Atrée, puis Agamemnon, Oreste et enfin Tisamenos. Ce dernier réunira l’Argolide qui s’était agrandie avec Spartes héritée de Ménélas avant qu’elle ne passe sous la domination des descendants d’Héraclès, les Héraclides.

La conception et la naissance d’Héraclès

L’histoire d’Héraclès s’enracine donc à Thèbes, le lieu de « l’incarnation de la vie intérieure » dans le processus de purification/libération, mais les travaux seront tous déclenchés depuis Mycènes, le lieu de « l’ardeur de l’aspiration et du pouvoir agissant du mental lumineux » où réside son oncle Eurysthée « une grande force intérieure ». Agamemnon, le plus cupide de tous les grecs, sera également roi de Mycènes.
Mais avant que ces travaux ne débutent, le postulant doit s’engager dans une série d’épreuves préparatoires.

Zeus profita de l’expédition d’Amphitryon contre Ptérélaos pour le précéder dans le lit d’Alcmène. De cette union devait naître Alcide ou encore Alkaios (Alcée) appelé plus tard Héraclès. Amphitryon, revenant victorieux au matin, donna la même nuit un second fils à Alcmène, qui sera nommé Iphiclès (ou Iphiclos).
Alors que l’accouchement approchait, Zeus se vanta devant les autres dieux qu’un fils issu de son sang naîtrait ce jour et règnerait sur tous ses voisins.
Héra, jalouse, complota aussitôt de priver l’enfant d’Alcmène de cet héritage. Elle fit jurer à Zeus que le prochain enfant qui naîtrait ce même jour dans la lignée de Persée (et donc issu également du sang de Zeus) aurait le destin annoncé. Puis elle fit en sorte de retarder la naissance d’Héraclès tandis qu’elle avançait de deux mois celle de son cousin Eurysthée qui était un fils du roi de Mycènes Sthénélos et donc appartenait aussi à la lignée de Persée.
Eurysthée vint donc au monde deux mois avant terme et Alcmène put alors accoucher des jumeaux Héraclès et Iphiclès. C’est ainsi qu’Eurysthée devint plus tard roi de Mycènes à la place d’Héraclès qui lui fut subordonné jusqu’à la fin des douze travaux.

Ces récits de la naissance du héros attirent notre attention sur quelques points importants.
Tout d’abord, ce n’est pas Héraclès « la gloire du mouvement juste (selon l’Absolu) » qui apparaît comme le premier stimulant de l’engagement dans la quête (car « le juste » ne peut être bien évidemment qu’un aboutissement), mais « une grande force intérieure », Eurysthée, elle-même issue du travail en vue d’une « forte libération », Sthénélos. (Rappelons qu’il s’agit ici de la libération du désir, de l’ego, des attractions et répulsions, et de tous les « attachements »). C’est cette force intérieure qui non seulement initie les douze travaux mais aussi veille à leur exécution.
Cela signifie en particulier que le chercheur doit suivre le mouvement impulsé par son énergie, même s’il ne perçoit pas ce qui est juste : en effet, l’un des pires obstacles sur le chemin est la tiédeur ou le non-engagement.
Cette « force intérieure » gouverne aussi « sur tous ses voisins » tout comme Mycènes domine l’Argolide durant cette phase. C’est-à-dire qu’elle est capable de rassembler dans un même but et sous sa direction les autres capacités et facultés du chercheur.
Notons aussi que cette énergie est déjà présente, même si elle est encore incomplète, avant même que ne naisse le désir pour la quête (Héraclès.) Elle se manifeste le plus souvent sous la forme opposée d’un manque.

Bien qu’Eurysthée soit le symbole d’une force intérieure, il est souvent présenté comme un couard dans les récits mythologiques lorsqu’Héraclès lui rapporte ses trophées. En effet, les forces « réveillées » tout au long de la quête sont considérables et souvent sous-estimées au départ. Leur méconnaissance peut être un bienfait, car peu s’engageraient sur le chemin s’ils connaissaient au préalable les difficultés.

Rappelons aussi qu’il n’est pas demandé d’avoir vaincu la peur (la Gorgone) ou tout autre obstacle pour s’engager sur le chemin. Les « travaux » sont en effet des processus qui se développent en spirale jusqu’à la victoire finale.
Pour chacun, les difficultés visibles sont le signe de la capacité à remporter une victoire équivalente et ce sont elles qui motivent le combat.
Héraclès ne sera libéré définitivement de la tutelle d’Eurysthée qu’à la fin des douze travaux, ayant alors atteint la complète libération.

Le nom d’Héraclès était compris par les anciens comme « la gloire d’Héra » bien que cette déesse poursuive le héros de sa haine et que les travaux semblent être plutôt sous l’influence de Zeus que sous celle de son épouse. Il s’agirait alors de la gloire spirituelle de celui qui parvient au « juste mouvement selon la Conscience ou l’Absolu » (en accord avec le symbolisme du Rho), ou encore à la perfection de tous les éléments de son être à laquelle contraint Héra, sans que rien ne soit laissé en arrière.
Ce nom pourrait aussi être construit à partir de l’aoriste ηρα du verbe αιρω et signifierait alors « la gloire de celui qui est soulevé (par l’Absolu) ». Mais les anciens ont pu également jouer avec une idée de fermeture (kleio κλειω) et cela signifierait alors « celui qui s’oppose à Héra, au mouvement de limitation », celui qui transgresse le lent mouvement de l’évolution selon la nature.
Nous retiendrons dans cet ouvrage « la gloire du juste mouvement » ou « la gloire de la perfection humaine ».

Il y a un troisième personnage important dès l’origine des travaux, Iphiclès, demi-frère jumeau d’Héraclès. Il est le fils d’Amphitryon « le travail laborieux », roi de Thèbes. Il intervient donc dans le processus d’incarnation et de purification.
Comme Héraclès, il est fils d’Alcmène « une âme forte », résultat du travail de « purification » (Alcmène est fille d’Électryon) dont la réalisation progressive est l’objet des travaux.
Iphiclès s’unit à Automéduse, une descendante de Tantale et Pélops, et lui donna un fils Iolaos qui fut le conducteur du char d’Héraclès et lui porta assistance en quelques occasions.
Si Héraclès est le travail d’exactitude impulsé et soutenu par le plan de l’esprit (Zeus), Iphiclès « une grande gloire » représente les résultats du travail laborieux dans l’incarnation qui réussit à obtenir progressivement une totale maîtrise sur soi-même, Automéduse « qui règne sur soi-même ». Cela produit une capacité à diriger les forces pour la quête, Iolaos « la voix ou la vision de la conscience » : chaque victoire remportée sur la peur jusqu’aux forces les plus archaïques du vital permet de tenir en mains et diriger les énergies du chercheur.
(Automéduse est en effet une descendante de Tantale, le héros qui fréquenta les dieux, symbole d’une belle « aspiration » qui réalise l’union en l’esprit mais expérimenta ensuite un manque très douloureux dans le travail dans le corps. Son fils Pélops s’unit à Hippodamie « qui dompte le vital », et lui donna Alcathoos « (celui qui évolue) avec grande rapidité », le père d’Automéduse.)

Iphiclès est dépeint dans l’épisode des serpents introduits dans le berceau comme un personnage pleutre, car au début des travaux le chercheur n’a pas encore commencé son travail de maîtrise.
Les travaux vont donc progresser en parallèle avec l’acquisition de la maîtrise.

Héraclès nouveau-né fut déposé par Hermès sur le sein d’Héra qu’il téta. Sans cela en effet, en vertu d’un décret du destin, « aucun fils de Zeus ne pouvait accéder aux honneurs divins ».
Si elle ne figure pas dans le canon mythologique, cette anecdote est cependant rapportée par de nombreux auteurs. Elle signifierait que le chercheur ne peut entrer consciemment dans la quête qu’après une véritable expérience du « juste mouvement de l’Absolu ». Elle indique également qu’il entre dans le « cadre » divin.
Elle ferait référence à une expérience, aussi fulgurante et fugace soit-elle, d’un « Ça existe », d’un premier « contact » avec le Réel qui est instant de plénitude hors du temps.

Alors que les enfants avaient huit ou dix mois, Héra (ou selon d’autres, Amphitryon, qui voulait savoir lequel des deux enfants était son fils) introduisit dans leur berceau deux énormes serpents. Héraclès en saisit un dans chaque main et les étouffa. Tirésias, sommé de commenter cet évènement extraordinaire, prédit la grande destinée de l’enfant.
Certains disent que c’est à cette occasion que le héros reçut le nom d’Héraclès, ayant été d’abord prénommé Alcide.

Par ses ascendants, Héraclès est un Argien, un chercheur de Vérité. C’est pourquoi lui et sa descendance reviendront toujours vers Argos « brillant, rapide ». S’il naquit à Thèbes, en Béotie, c’est pour indiquer la nécessité de l’incarnation de la vie intérieure dans le processus de purification/libération. Certains ajoutent qu’il naquit près des portes Électre, symbole du Chakra du cœur, le lieu du contact avec l’être psychique.

Ce premier épisode se déroule alors que les deux enfants ont huit ou dix mois, c’est-à-dire juste après l’entrée consciente dans la quête. Il dépeint un premier test, une première opposition d’Héra qui veille à la juste évolution. Il semble indiquer que le héros est destiné à devenir le maître du processus évolutif (ou des courants ascendants et descendants dans le corps car il y a deux serpents), ce que confirme le devin dédié à la purification.
Comme la quête est une révolte contre la lenteur de la Nature, l’acharnement d’Héra envers le héros est justifiée car la déesse veille au juste mouvement de l’évolution qui doit concerner l’ensemble de l’humanité sans rien laisser en arrière.
Dans la version où c’est Amphitryon qui cherche à connaître lequel des enfants est son fils, le chercheur veut apprendre à distinguer en lui entre ce qui provient de la volonté personnelle et ce qui est imposé par l’être intérieur et qui est de l’ordre de la Volonté vraie. En effet, pendant longtemps la volonté de l’ego orientée vers la maîtrise (Iphiclès) ne peut être distinguée de celle de l’être intérieur (Héraclès).
Héraclès et Iphiclès représentent donc les deux pôles du chercheur qui travaillent conjointement pour la même réalisation : la maîtrise sur tous les plans et le juste mouvement dans la pensée, le sentiment et l’action.
Le chercheur pressent alors que sa quête de liberté ne cessera jamais (Tirésias prédit sa grande destinée).

La jeunesse d’Héraclès et le meurtre de Linos

Les deux enfants passèrent ensemble les premières années de leur vie. Elles furent marquées par le meurtre involontaire de Linos, le maître de musique d’Héraclès, qui aurait frappé le héros parce qu’il était un élève médiocre. Cela aurait provoqué en retour la colère d’Héraclès et la mort accidentelle de Linos.
Le nom Linos évoque une « évolution naturelle du mouvement d’individuation et de libération ». Il est, selon les sources, fils d’une Muse ou d’Apollon.
La musique est définie par plusieurs composantes (rythme, mélodie, harmonie, auxquelles on peut ajouter le timbre) qui symboliquement définissent la « justesse » d’une action, son exact déroulement dans le temps et dans l’espace, en accord avec l’ensemble. Dans les mythes, la musique la plus accomplie est le résultat du travail de purification, lorsque « chaque chose est à sa place ».
Mais dans les débuts du chemin, l’attitude juste est recherchée par la contrainte. Gagné par l’impatience devant ses échecs et sa « médiocrité », le chercheur emploie alors la force contre lui-même et rejette l’apprentissage.

Dans la tradition tardive, Héraclès reçut une formation approfondie de plusieurs précepteurs, car certains maîtres estimaient qu’avant même le début des vrais travaux de yoga, le postulant devait avoir subi une préparation sérieuse. Toutefois, on peut noter ici certaines incohérences car certains héros tels Autolycos ou Castor sont loin d’être apparus à cette étape du chemin.

  • Eurytos, roi d’Oichalie, un petit fils d’Apollon, enseigna au héros le tir à l’arc. Il mourut de la main même d’Héraclès au terme des douze travaux car il lui avait refusé la main de sa fille Iole. Celle-ci était pourtant la récompense promise au gagnant d’un concours de tir à l’arc qui opposait les concurrents au roi et à ses fils, et Héraclès l’avait emporté.
    La pratique du tir à l’arc développe la concentration, la détente, la capacité de s’identifier au but recherché, la persévérance, la détermination et une certaine maîtrise de soi.
    Eurytos, expression d’une « grande tension vers le plan de l’esprit (vers la connaissance, la maîtrise et le pouvoir) » est un petit fils d’Apollon et donc une manifestation de l’être psychique.
    Il refusa au héros la main de sa fille Iole « la libération » car celle-ci ne peut s’obtenir qu’après la réalisation du détachement intégral (représenté par Déjanire « celle qui tue l’attachement »). Son arc reviendra à son fils Iphitos puis à Ulysse qui l’utilisera pour le massacre des prétendants.
  • Autolykos, fils d’Hermès et de Philonis, fut le maître d’Héraclès pour la lutte.
    Il s’agit là de l’apprentissage d’un « guerrier » qui doit trouver ses propres méthodes de perfectionnement de soi (yoga) car Autolykos est « celui qui est à lui-même sa propre lumière ». C’est un entraînement à écouter sa voix et ses mouvements intérieurs. Les qualités qui peuvent être associées au lutteur sont nombreuses : courage, endurance, refus de l’apitoiement sur soi, de l’auto-contemplation, indifférence devant la victoire ou la défaite, etc. L’enseignant est ici une expression du mental le plus haut (il est le fils d’Hermès) tourné vers un « amour de l’évolution » (sa mère est Philonis).
  • Amphitryon enseigna à Héraclès la conduite d’un char.
    Rappelons qu’Amphitryon est « le travail laborieux » du chercheur que ne désespère aucun échec. Chaque victoire permet de conduire les énergies d’une main toujours plus sûre (Amphitryon est le grand-père d’Iolaos, le cocher d’Héraclès.)

Castor, enfin, apprit au héros l’art de la guerre.
Castor représente « la puissance ou le pouvoir que confère la maîtrise ». Descendant de la Pléiade Taygète, il n’intervient que dans un état avancé de la quête. Mais ici, avant même le début des travaux, le chercheur ne peut apprendre que les rudiments de l’art de la maîtrise, du « combat du guerrier ». La lutte contre le lion du Cithéron sera la première occasion de victoire.

Le lion du Cithéron

L’arrogance mentale est, de tous les facteurs, le plus défavorable à l’action de la grâce divine.
La Mère

Lorsqu’Héraclès eut atteint le seuil de l’âge adulte, il accomplit son premier exploit en tuant le lion du mont Cithéron sur la frontière sud de la Béotie. Ce lion dévorait les troupeaux d’Amphitryon et de Thespios. La chasse dura cinquante jours durant lesquels le héros résida à la cour de Thespios. Ce dernier qui avait cinquante filles fut très impressionné par Héraclès. Voulant que chacune de ses filles porte un enfant du héros, il en mit une nouvelle chaque nuit dans son lit. Ce fut à l’insu d’Héraclès, qui, nous dit-on, pensait toujours dormir avec la même.

La chasse au lion du Cithéron (Kithairon) fait encore partie des préliminaires du chemin et doit donc être distingué du premier véritable travail, celui du combat contre le Lion de Némée. Notons cependant que cet épisode est peut-être un ajout tardif qui permettait de distinguer plusieurs étapes dans la lutte contre l’ego.

Le lion recouvre une large palette de significations symboliques dans les mythologies antiques.
Il semble être utilisé ici comme le symbole de la personnalité vitale-mentale, de l’ego avec ses déformations les plus évidentes : orgueil, vanité, arrogance et suffisance.
Celui qui sévit sur le mont Cithéron dévore les troupeaux d’Amphitryon et de Thespios, c’est-à-dire empêche le chercheur de profiter des acquis générés par le travail de ces deux personnages symboliques. Le Cithéron Κιθαιρων est peut-être le symbole de « Ι+κιθαρος, la conscience dans la poitrine (dans le cœur) ». La cithare, Κιθαρα, instrument d’Apollon, transmet la musique de l’âme, symbole d’une harmonie supérieure. Le mont Cithéron, Κιθαρος+Ι, indiquerait le plus haut de la conscience des débutants (en Béotie) qui cherchent le contact avec l’être psychique.
Amphitryon « le travail laborieux » représente l’ascèse du yoga et Thespios « celui qui parle selon les dieux » est l’expression de l’inspiration. Ce dernier est l’un des fils d’Érechthée, le sixième des rois légendaires d’Athènes qui marque la fin de l’attachement à la divinité sous son aspect de force et de pouvoir et signifie donc l’entrée définitive dans la quête. Thespios est uni à Mégamédée « celle qui s’occupe de grandes choses » ou « qui a de grands desseins ».
Ce lion empêche donc que les fruits des efforts du chercheur puissent perdurer et que soient utilisées les premières appréhensions du « juste, du beau, du vrai » émanant de l’être psychique.
La chasse prend place en Béotie, la province qui symbolise la voie de yoga à privilégier pour incarner la vie intérieure.

L’histoire peu attestée des filles de Thespios exprime l’impatience du chercheur à mettre en œuvre ses perceptions intuitives du chemin qui n’ont pas encore trouvé de point d’application (elles n’ont pas encore de descendance). Le chiffre cinquante, que l’on a déjà rencontré, exprime une totalité dans le monde des formes.

Si le lion de Némée concerne l’ego humain dans ses racines, ce travail préliminaire consiste surtout à combattre ses expressions les plus grossières : principalement la suffisance et l’arrogance mentale (qui se déclinent aussi en amour propre excessif, habitude de se justifier, indiscipline, besoin d’avoir raison, projections sur l’extérieur ou sur les autres, sentiment d’être blessé par les paroles ou les actes des autres, rejet de tout ce qui nous est supérieur, mépris, autosatisfaction, auto-contemplation, susceptibilité, surestimation de soi, prétention dans le domaine spirituel, etc. )
Plus subtilement, ce sont tous les comportements résultant de la réclamation et de la justification de l’ego à « être lui-même » dans sa nature grossière et non transformée, héritée des millénaires de l’évolution. Ils ont déjà été décrits dans le cadre de l’exposé des types humains les moins développés dans le chapitre consacré aux Titans.

L’annulation du tribut de Thèbes et la folie meurtrière d’Héraclès contre ses enfants

Au retour de la chasse au lion du Cithéron, Héraclès fut outré par l’arrogance des envoyés d’Erginos (roi d’Orchomène, cité voisine du Cithéron située en Béotie) qui venaient réclamer le tribut annuel que Créon, roi de Thébes devait lui payer. Ce tribut avait été établi par Erginos qui avait mené une campagne contre les Thébains en représailles du meurtre de son père Clyménos.
Héraclès renvoya les hérauts à Erginos après leur avoir tranché le nez et les oreilles.

La première partie de l’histoire traite de la disparition des premiers acquis spirituels du chercheur (le meurtre de Clymenos par les Thébains) suite au travail d’incarnation de la vie intérieure (Clyménos est un petit-fils de Phrixos qui s’enfuit sur le bélier à la toison d’or vers la Colchide). Le chercheur ne peut donc plus s’appuyer sur le souvenir de ses premières expériences.
Aussi « le travail » des débutants est-il mené dans « l’agitation (et/ou l’excitation) » (Erginos roi d’Orchomène en Béotie). Les énergies destinées en principe à un juste travail d’incarnation de la vie intérieure sont dilapidées (l’imposition du tribut aux Thébains).
Selon certains, Héraclès fit payer double tribut à Orchomène : le chercheur récupère ainsi davantage d’énergie pour calmer son « agitation » et retrouver une meilleure intériorisation.
Selon d’autres, il coupa les oreilles et les nez des hérauts Béotiens et les suspendit à leur cou, ce qui indique également une exigence d’intériorisation : à ce moment du chemin, le « ressenti » et « l’écoute » doivent être tournés vers l’intérieur.

Pour remercier Héraclès de son aide, Créon, le roi de Thèbes, lui donna pour épouse sa fille Mégara.
Héraclès et Mégara eurent plusieurs enfants et vécurent heureux quelques années à Thèbes jusqu’à ce que le héros soit pris d’une folie meurtrière suscitée selon certains par Héra. Il tua tous ses enfants de ses flèches ou, selon d’autres, en les jetant dans le feu. Certains ajoutent qu’il tua également tous les enfants de son demi-frère Iphiclès ou seulement certains d’entre eux.
Le héros se fit purifier par Thespios puis il consulta l’oracle de Delphes qui lui ordonna de se mettre au service d’Eurysthée.

Le roi de Thèbes, Créon, n’est pas un usurpateur et représente donc une direction évolutive juste. D’autre part, il était déjà intervenu pour assister Amphitryon lors de l’expédition contre les Taphiens et l’avait purifié du meurtre d’Électryon. Son nom signifie « le plus fort, le maître » ou « l’ouverture de la conscience se retournant vers l’incarnation » (avec la même racine ΚΡ que les noms des Titans Crios, Cronos).
Enfin, il est uni à une Eurydice homonyme « une juste manière d’agir » qui lui donna plusieurs enfants : Haémon « le passionné », Hénioché « la conductrice de chars », Pyrrha « la rousse » ou « l’enflammée », Lycomédès «  celui qui se préoccupe de la lumière », Menoécée « l’esprit habitant le corps » et Mégara « le mouvement le plus juste (Mega+Ρ) » (ou bien les « grandes lignes du mouvement juste de la progression humaine» ou encore « un grand retour sur soi »).
Créon ne peut donc représenter une erreur de direction dans le mouvement de purification-libération, comme son histoire ultérieure aurait pu le laisser supposer.

Le chercheur qui par un renversement de conscience est entré dans un juste processus d’intériorisation, le libérant en partie des préoccupations et de l’agitation du monde, cherche alors à agir selon « le mouvement le plus juste » dans l’incarnation.
Mais les réalisations qui en découlent sont à ce stade les acquis du développement de la personnalité (pouvoir, réussite, etc.) et ne peuvent être conservées, bien qu’elles relèvent d’un juste mouvement : la priorité n’est plus l’affirmation de l’ego dans le monde (Héraclès tue les enfants de Mégara).
Se détourner des réalisations extérieures est un mouvement juste. En effet le héros se fit purifier par Thespios « la parole ou le chant qui émane des dieux » du meurtre de ses enfants, lequel représente à ce stade une « folie sacrificielle » incontournable.
Il est aussi possible de comprendre cela comme l’injonction de la Bhagavad Gita « d’agir sans s’attacher à l’acte ni à ses fruits », formule qui peut présider au Yoga des Œuvres.

Les noms des enfants semblent désigner des réalisations qui furent nécessaires en leur temps mais constituent désormais des obstacles majeurs sur le chemin. Thérimachos « celui qui combat les bêtes sauvages (les énergies de sa nature indomptées) » indiquerait peut-être un travail entrepris trop tôt. Déicoon serait « ce qui tue l’ouverture de la conscience ». Créontiadès « un esprit puissant » et Ophites « une évolution supérieure » signaleraient les obstacles dus à un intellect trop envahissant.

Un grand héros (peut-être le plus grand) ne pouvait, du point de vue du récit mythologique exotérique, se livrer à de tels meurtres sans être « fou ». S’agissant d’un chercheur au sommet de ses capacités, cesser de privilégier les « résultats » dans les affaires du monde sans pour autant nécessairement s’abstraire de celui-ci semble une folie aux yeux de tous. D’une manière générale, à l’exception d’Euripide (que nous ne considérons pas comme un initié et qui dénature le plus souvent les mythes primitifs), les auteurs situent le meurtre des enfants au début du chemin, avant les travaux

Mégara reste cependant la femme du héros durant toute la durée des travaux, car « le mouvement le plus juste sur tous les plans » ou le travail de « l’exactitude » reste bien sûr le but du chercheur pendant cette phase du yoga. Lorsque l’union avec l’être psychique est établie, la question ne se pose plus. À la fin des travaux, le héros la donna pour femme à son neveu et cocher Iolaos, désignant ainsi « le mouvement le plus juste » (Mégara) comme partenaire idéal de « la voix ou vision de la conscience » qui maîtrise et oriente les énergies de la quête (Iolaos est le cocher d’Héraclès).

Mégara ne vécut pas proche d’Héraclès car elle resta à Thèbes tandis qu’il parcourait le monde. Peut-être peut-on voir là une recommandation faite au chercheur de maintenir sa participation aux activités du monde car c’est là que se trouvent les meilleures opportunités pour progresser.

En quittant Mégara pour s’unir à Déjanire « celle qui tue l’attachement », le héros-chercheur poursuit à ce moment-là un processus vers le détachement le plus total.

L’entrée dans la quête exige donc un renversement majeur, de l’extérieur vers l’intérieur.
Selon certaines sources, c’est suite au meurtre de ses enfants et non lorsqu’il étouffa les deux serpents, que le héros abandonna son prénom d’Alcide (Alkeides, le descendant d’Alkaios « un tempérament puissant, courageux » ou « une conscience vaste » (forte) ») pour devenir Héraclès « la gloire du mouvement juste (issu de l’intérieur) », nom qui lui aurait été donné par Apollon « la lumière de l’être psychique ».

C’est Thespios « la parole ou le chant qui émane des dieux » qui le purifia du meurtre de ses enfants : ce sont ses plus hautes perceptions de l’harmonie « du juste, du beau, du vrai » qui confirment au chercheur la justesse de son orientation. Il est alors prêt à s’engager sur le chemin : c’est ce que lui révèle sa voix intérieure (la Pythie) lui ordonnant de se mettre pendant douze ans au service de son oncle Eurysthée « la force intérieure », afin de réaliser la série de travaux que lui commanderait ce dernier. Apollon (ou Athéna) précisa qu’il obtiendrait l’immortalité pour prix de ses peines : la victoire finale serait couronnée par la sortie de la dualité.

Introduction aux travaux

A travers la vie et les travaux d’Héraclès, nous allons rencontrer les éléments du processus de purification et libération du mental et du vital qui conduisent à leur élargissement, à leur assouplissement et à leur illumination. Accomplir cela pour le mental, c’est devenir un sage et accéder aux pouvoirs du mental ; l’entreprendre pour le vital relève de l’héroïsme et permet d’accéder à la sainteté et aux pouvoirs de la vie, c’est devenir l’égal des dieux. Au-delà des états de sagesse et de sainteté, peut alors se dessiner un renversement du yoga avec la descente dans le corps.

Ces travaux ont donné lieu à quantité d’ouvrages proposant des interprétations diverses. Cette étude ne prétendant en aucune façon délivrer un enseignement spirituel, nous tenterons de rester au plus près des symboles dans la cohérence globale que nous cherchons à établir.

Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que les travaux interviennent dans la lignée d’Océanos et donc participent du procédé accéléré d’évolution selon la nature. Il s’agit par une purification-libération progressive de parvenir à la « psychisation » de l’être. Se purifier des mélanges et des sources d’impureté et se libérer du désir et de l’ego sont considérés ici comme les premières étapes vers une vie divine et comme les bases de la réalisation de l’égalité parfaite.
Mais la progression spirituelle ne s’arrête pas là car après avoir conquis la libération personnelle sur les plans du mental et du vital, il faut encore que la nature physique soit transformée pour devenir un instrument de l’Absolu, non pas en vue d’un paradis hors de la Terre, mais bien ici-bas dans notre nature incarnée. C’est pourquoi les travaux ont été prolongés par un certain nombre de « campagnes (praxéis) » pour en préciser le chemin.
Il ne s’agit pas seulement d’obtenir une libération de l’esprit mais aussi celle des modes de la nature et de toute dualité. Car ce que l’oracle promit à Héraclès s’il parvenait à accomplir les travaux, c’est bien l’immortalité et donc la sortie de la dualité et la maîtrise du processus que nous appelons mort.

S’il n’y a d’autre chemin vers la Vérité que le sien propre, ces travaux ne peuvent s’envisager dans une succession logique qui suppose que l’un soit terminé avant de commencer le suivant. Ils ne peuvent donc décrire une progression linéaire valable pour tous, avec des étapes précises, mais seulement un certain nombre de buts vers lesquels le chercheur doit tendre.
Il doit souvent livrer les mêmes combats mais sur des plans de plus en plus profonds, dans un travail en spirale. Ainsi, les obstacles vaincus et les réalisations obtenues dans le mental doivent ensuite l’être dans le vital puis dans le corps. C’est pourquoi chacun des travaux peut être considéré de bien des manières différentes au fur et à mesure de la progression.
Ainsi s’expliquent les divergences rencontrées chez les anciens, parfois dans la liste des travaux, mais surtout dans l’ordre de leur présentation

Une liste canonique s’est cependant constituée dès le Ve siècle avant J.-C., probablement sous l’influence des seuls initiés. Seul l’ordre a ensuite varié selon les récits ou les traces architecturales qui nous sont parvenus.
En fait, à la place du mot « travaux » issu du latin, une traduction plus exacte du terme grec « Athloi » serait « défis » ou « épreuves », car ce terme était lié aux jeux sportifs.

Homère connaissait l’existence des « travaux » mais n’en fait jamais l’inventaire. Selon Théocrite, Pisandre de Camiros aurait organisé le cycle des travaux dès la fin du VIIe siècle avant J.-C. Le travail du nettoyage des écuries d’Augias aurait été le dernier ajouté au Ve siècle, leur nombre étant dès lors figé à douze. Nous suivrons ici la liste d’Apollodore qui nous est apparue comme la plus cohérente. Elle est identique à celle de Diodore de Sicile, à quelques permutations près pour certains travaux adjacents (permutations dans les couples de travaux 3 et 4, 5 et 6, 11 et 12).

Toutefois, il y a lieu de distinguer trois sortes de travaux, les deux premières étant couplées.
La liste canonique comprend en effet les travaux proprement dits dénommés « Athloi » mais aussi des épisodes qui se déroulent parallèlement aux travaux nommés « Parerga » (« accessoires ») car certains maîtres estimèrent nécessaire de préciser certains enseignements.
Les épisodes situés après les travaux constituent la troisième catégorie et étaient nommés « Praxéis », « les actes » ou « accomplissements » : tandis que les « Athloi » sont effectués par la volonté personnelle du chercheur (sous les ordres d’Eurysthée), les « praxéis » relèvent d’une Volonté supérieure qui est obéissance absolue à l’être intérieur. Ils seront donc déclenchés à la seule initiative du héros. Cette obéissance suppose le passage au premier plan de l’être psychique.

La structure des travaux

Nous avons déjà abordé les différentes parties du chercheur mobilisées pour la quête (Eurysthée, Héraclès, Iphiclès et Iolaos).
Les liaisons majeures du héros marqueront les étapes importantes du chemin : Mégara, la poursuite de « l’exactitude » ou du « mouvement le plus juste » ; Déjanire, celle du « détachement » ; Iole, celle de « la libération » totale ; et enfin Hébé, la déesse de « l’éternelle jeunesse », celle de la non-dualité et de l’adaptation permanente au mouvement du Devenir.

Mais il existe une autre structure, donnée par la situation géographique des travaux, qui définit trois groupes.
Le premier comprend les six premiers travaux qui se déroulent tous dans le Péloponnèse. Les deux premiers de ce groupe, situés de part et d’autre d’Argos, en définissent les objectifs majeurs dont certaines modalités sont explicitées par les quatre suivants situés en Arcadie ou à ses abords immédiats.

Le deuxième groupe est formé par quatre travaux se déroulant hors du Péloponnèse selon une croix orientée selon les quatre directions symboliques : la Crète au Sud, la Thrace au Nord, les bords de la Mer Noire à l’Est, et l’Érythie « l’île rougeoyante » en Extrême-Occident. Ils concernent les chercheurs beaucoup plus impliqués dans le yoga.
Le dernier groupe enfin est formé par les deux derniers travaux qui se déroulent en des contrées inaccessibles, l’Hadès et le jardin des Hespérides. Ils s’adressent aux aventuriers de la conscience qui, à la suite des avatars ou envoyés divins, se consacrent à des réalisations jamais encore atteintes sur Terre.

C’est pourquoi la plupart des auteurs anciens avaient situé l’ultime limite de la réalisation possible dans le yoga symbolisée par les fameuses « colonnes d’Hercule », à la fin du dixième travail « Les troupeaux de Géryon ». Ainsi Pindare de clamer : « Plus avant ne peuvent passer ni les sages, ni les non-sages. ».
Même si les « praxéis » concernent les étapes d’un yoga qui va au-delà de cette limite, les anciens présentèrent comme obstacle ultime la racine du désir (le principe de séparation esprit/matière ancré dans le corps à la racine de la vie) alliée à un grand accomplissement humain soutenu par le vital (le sang du Centaure Nessos mêlé à celui de l’Hydre). Il causera la mort d’Héraclès sous la forme de la tunique imprégnée du venin.

La liste des travaux établie par Apollodore est la suivante. (La répartition en trois groupes n’existe que pour les besoins de l’étude.)

Premier groupe
1. Le Lion de Némée
2. L’Hydre de Lerne
3. La Biche de Cérynie
4. Le Sanglier d’Érymanthe
5. Les Écuries d’Augias
6. Les Oiseaux du lac Stymphale

Deuxième groupe
7. Le Taureau de Crète
8. Les Juments de Diomède
9. La Ceinture d’Hippolyte, reine des Amazones
10. Les Troupeaux de Géryon

Troisième groupe
11. Le Jardin des Hespérides
12. Cerbère

Notons une certaine incertitude liée aux nombres dix et douze dans le compte des travaux et dans leur durée.
Même si le héros n’en devait effectuer au départ que dix, peut-être même moins, il y en eut finalement douze car Eurysthée refusa d’en comptabiliser deux, « l’Hydre de Lerne » et « les Écuries d’Augias ». Peut-être ceci provient-il de divergences entre les initiés au sujet du symbolisme de ces deux nombres, dix et douze (totalité d’expression et perfection dans l’exécution). Nous examinerons ce problème avec chacun des travaux concernés.
L’autre incertitude réside dans la durée de la servitude d’Héraclès : parfois dix ans, parfois douze.

Nous écarterons aussi les versions de certains auteurs qui ne font pas sens ici : celle qui donne l’expiation du meurtre des enfants d’Héraclès comme motif des travaux, ce qui est incompatible avec la purification qui lui fut accordée, et d’autre part celle d’Euripide qui, plaçant le meurtre à la fin des travaux, dénature ainsi une fois de plus les récits initiatiques.

LES SIX PREMIERS TRAVAUX

Les six premiers travaux sont localisés dans le Péloponnèse, les deux premiers en Argolide à égale distance au nord et au sud d’Argos, les trois suivants en Arcadie selon un arc de cercle à sa frontière nord, et le sixième en Élide.
Nous avons maintes fois souligné qu’Argos « la lumineuse » est la ville des chercheurs de Vérité. Les deux travaux majeurs qui « encadrent » cette première partie du chemin, le Lion et l’Hydre, ont pour objet la fin de l’ego et du désir, les deux grands mouvements qui ne purent être évités lors de la construction de la personnalité mais qui doivent être dépassés dans la prochaine étape de l’évolution.
L’Arcadie est la province symbolique de « l’endurance » dans le yoga. Elle tire son nom de celui du héros Arcas associé à celui de « l’ours », image d’une « puissance de résistance ou d’endurance ».
Nous verrons plus loin qu’il existe deux « Arcadie » qu’il ne faut pas confondre. La première concerne les préliminaires du chemin. Ses habitants aimaient à dire qu’ils étaient les plus anciens habitants de Grèce et tiraient leur origine de pré-Séléniens, avant même que la lune ne s’élève dans le ciel, c’est-à-dire avant même la construction de la personnalité. Leur premier roi fut Pelasgos, né de la terre aux premiers temps de l’histoire alors qu’ils se nommaient encore le peuple des Pélasges. La seconde dont il s’agit ici conduit à la réalisation de « l’égalité ».

Elle conduit à la réalisation de « l’égalité » avec la célèbre héroïne de la chasse au sanglier de Calydon, Atalante.
Elle fait la liaison avec la province de la libération en l’esprit, l’Elide, ou les « scories » des expériences passées devront être nettoyées lors du sixième travail, celui des écuries d’Augias.

Le monument d’Olympie place l’épisode des écuries d’Augias à la place d’honneur, ce qui laisserait entendre que pour l’architecte de cet édifice, les vainqueurs d’Olympie étaient ceux qui avaient accomplis ces six premiers travaux jusqu’à la libération en l’esprit, et non la totalité des douze. Cette attribution nous semble la plus cohérente compte tenu du fait que nul à priori ne pouvait prétendre avoir accompli la totalité des travaux.