Cette page propose une interprĂ©tation du mythe des Danaides, de celui de PersĂ©e et la Gorgone MĂ©duse ainsi que de la naissance et de la jeunesse dâHĂ©raclĂšs.
Zeus fĂ©conde DanaĂ© sous la forme dâune pluie dâOr. MusĂ©e du Louvre
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Les deux grands hĂ©ros, PersĂ©e et son arriĂšre-petit-fils HĂ©raclĂšs, se situent dans la descendance du Titan OcĂ©anos qui symbolise lâouverture de la conscience dans lâĂ©volution (Î+Î) par la recherche du contact avec la RĂ©alitĂ© intĂ©rieure (TĂ©thys).
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Ils figurent plus particuliĂšrement dans la branche du fleuve Inachos qui reprĂ©sente « lâĂ©volution du rassemblement de la conscience » ou « lâĂ©volution de la concentration » ou encore « lâĂ©volution vers le vide, vers lâabolition de lâego » selon la valeur donnĂ©e au Khi.
Cette lignĂ©e, rappelons-le, concerne la « psychisation » de lâĂȘtre par la voie de la nature en perfectionnant, purifiant et libĂ©rant ses processus.
LâInachos est le grand fleuve dâArgolide, la patrie des « lumineux », des « purs (argiens) » et donc des « chercheurs de vĂ©rité ».
Selon les auteurs, il est soit le pĂšre, soit lâun des ancĂȘtres dâIo « lâouverture de la conscience dans lâincarnation ». Dans ce dernier cas, les gĂ©nĂ©rations furent intercalĂ©es, soit pour introduire les Argiens et faciliter la comprĂ©hension (PhoronĂ©e « celui qui porte en avant lâĂ©volution », NiobĂ© « lâincarnation de la conscience » et Argos « le lumineux »), soit pour rendre cohĂ©rent le nombre de gĂ©nĂ©rations dans les lignĂ©es. Cette mise en cohĂ©rence qui reprĂ©senta une vĂ©ritable gageure pour nombre de mythologues anciens.
Ă partir dâIo, les sources convergent. On rencontre dâabord dans sa succession son fils Ăpaphos « lâattouché », câest-Ă -dire « celui qui a expĂ©rimentĂ© le toucher de lâAbsolu », ou encore « le premier contact du chercheur avec son ĂȘtre intĂ©rieur », puis les jumeaux BĂ©los et AgĂ©nor dont les descendances dĂ©crivent respectivement les enseignements thĂ©oriques et pratiques de la « purification » et de la « libĂ©ration ».
La branche dâAgĂ©nor (la purification) se divise Ă son tour en deux sous-branches : Cadmos ouvre la lignĂ©e royale de ThĂšbes dont le but ultime est la rĂ©-harmonisation et transformation des centres dâĂ©nergie, et Europe initie celle de CrĂšte qui concerne lâouverture de la conscience et la consĂ©cration, ainsi que les problĂšmes « dâauto-enfermement » dans les structures mentales (le Minotaure) quand fait dĂ©faut cette consĂ©cration.
La branche de BĂ©los, quant Ă elle, expose les enseignements en vue de la libĂ©ration, notamment par la victoire sur la dĂ©formation de lâĂ©nergie de vie, dont la peur (PersĂ©e) et par les travaux dâHĂ©raclĂšs.
Les exploits de PersĂ©e, loin de reprĂ©senter les seules victoires du dĂ©but du chemin, se prolongent jusquâĂ des niveaux de conscience qui ramĂšnent le chercheur aux origines de la vie sur Terre, car lâhomme garde la mĂ©moire de son Ă©volution par des processus dont le fonctionnement nous Ă©chappe encore en majeure partie.
Les ancĂȘtres communs de PersĂ©e, HĂ©raclĂšs, Ćdipe et Europe
PersĂ©e Ă©tant un ancĂȘtre dâHĂ©raclĂšs, les cĂ©lĂšbres « travaux » auront pour « projet » ou comme « ambiance » ce qui est illustrĂ© par sa victoire sur la Gorgone MĂ©duse, sur lâaltĂ©ration de lâĂ©nergie de vie.
Le fils dâInachos, PhoronĂ©e « celui qui porte lâĂ©volution » est rĂ©putĂ© avoir rassemblĂ© les premiers habitants de la future Argos, confirmant lâimpulsion lancĂ©e par son pĂšre Inachos « lâĂ©volution dâun rassemblement de la conscience, dâune concentration ». Il reprĂ©sente une prĂ©paration Ă la quĂȘte â la  future Argos Ă©tant  la ville des chercheurs â et ouvre le chemin de ceux qui veulent accĂ©lĂ©rer en eux-mĂȘmes le rythme de lâĂ©volution.
Le chercheur dĂ©butant se doit de reconnaĂźtre quâil est le thĂ©Ăątre dâimpulsions et dĂ©sirs contradictoires, dâun dĂ©sordre de pensĂ©es et dâĂ©motions mĂȘlĂ©es, et de fonctionnements inexacts gĂ©nĂ©rĂ©s par les « nĆuds » de lâĂ©volution.
De plus, il peut observer que chacune des parties de son ĂȘtre Ćuvre Ă son propre profit. En gĂ©nĂ©ral, le mental et le vital imposent leurs volontĂ©s au corps qui nâa pas dâautre alternative que de tomber malade pour manifester son dĂ©saccord. Et le vital, toujours affamĂ© de sensations, se moque bien des idĂ©aux que poursuit le mental ; ou bien, sâil est rĂ©primĂ©, il manifeste son mĂ©contentement par diffĂ©rents symptĂŽmes, comme la dĂ©pression.
Pour les Anciens, lâhomme qui nâa pas encore vraiment commencĂ© « à se rassembler » est semblable Ă Inachos, celui qui selon la lĂ©gende « nâest pas encore humain ». Il nâa Ă©tĂ© sensible Ă aucun appel intĂ©rieur vers quelque chose de plus grand. Il nâa eu encore aucune expĂ©rience dâ « éveil », de quelque chose qui « existe vraiment ». Il est un pantin soumis aux multiples influences qui le traversent, mĂȘme si lâhabitude de rĂ©pondre Ă certaines dâentre elles, toujours les mĂȘmes, lui donnent une impression de continuitĂ© quâil appelle « moi ».
Sa spiritualitĂ© est encore trĂšs fortement liĂ©e au vital, comme lâindique le nom de la femme dâInachos, MĂ©lia, une nymphe dont le nom signifie « frĂȘne ».
HĂ©siode raconte en effet quâau temps de Cronos, les hommes allaient chercher « le feu du ciel » au sommet des frĂȘnes, avant que Zeus ne les en prive pour se venger de PromĂ©thĂ©e : la jonction avec lâAbsolu sâopĂ©rait alors par le plus haut niveau du vital (transes, Ă©motions esthĂ©tiques, etc.).
Lâhomme qui est dĂ©crit ici vit donc ordinairement dans sa personnalitĂ© extĂ©rieure et sa spiritualitĂ© est vĂ©cue comme le sommet du sentiment. Il ne sâest pas encore retournĂ© vers son monde intĂ©rieur.
En suivant la descendance dâInachos, nous trouvons tout dâabord son fils PhoronĂ©e « celui qui entraĂźne (ou porte) lâĂ©volution ». Il fut le premier gouverneur dâArgos, rĂ©putĂ© « avoir Ă©tabli les premiers Ă©lĂ©ments de civilisation » (symboles dâune mise en ordre de la personnalitĂ©) « et instituĂ© les cultes principaux »  (les premiers contacts avec lâĂȘtre intĂ©rieur). Les habitants dâArgos prĂ©tendaient mĂȘme que câĂ©tait PhoronĂ©e et non PromĂ©thĂ©e qui avait apportĂ© aux hommes « le feu dâen haut » : selon cette affirmation, le feu intĂ©rieur, Agni, qui est aussi la volontĂ© illuminĂ©e, peut donc naĂźtre soit de la voie de lâascension des plans de conscience (par PromĂ©thĂ©e, fils de Japet), soit de celle de lâouverture au Divin intĂ©rieur par la purification-libĂ©ration (PhoronĂ©e) sur la voie de la psychisation de lâĂȘtre.
PhoronĂ©e fut dĂ©signĂ© comme arbitre dans la querelle qui opposa HĂ©ra Ă PosĂ©idon pour la suprĂ©matie sur Argos, la citĂ© symbolique des chercheurs. Il trancha en faveur dâHĂ©ra aprĂšs avoir consultĂ© son pĂšre Inachos et deux autres dieux fleuves, CĂ©phise « mental logique stable » et AstĂ©rion « éclats de lumiĂšre ». Le chercheur dĂ©butant se demande alors sâil doit se laisser guider par son subconscient (PosĂ©idon) ou se plier au cadre dâune ascĂšse juste (HĂ©ra). Ce nâest pas en effet lâexpansion de la conscience (Zeus) qui sâoppose Ă PosĂ©idon mais bien sa contrepartie (HĂ©ra, celle qui limite et « cadre »).
PosĂ©idon fut si furieux quâil assĂ©cha nombre de riviĂšres dâArgolide, appelĂ©e depuis ce jour « Argos lâassoiffĂ©e » : le chercheur qui pĂ©nĂštre sur le chemin connaĂźt dĂšs lors un « manque » gĂ©nĂ©rĂ© et entretenu par le subconscient, une soif insatiable qui fait le lit de son « aspiration ».
Certains auteurs lui donnent un frĂšre AĂ©gialĂ©e « ÎÎčÎłÎčαλΔÏ
Ï le bord de la mer, le rivage » qui offre lâimage dâune Ă©mergence hors du monde de la vie Ă©motionnelle. (La structure du nom ÎÎčÎłÎč+ï, indique aussi une impulsion spirituelle vers la libertĂ©.)
Certains disent quâil fut le premier « mortel », câest-Ă -dire le premier Ă entrer dans la dualitĂ©, Ă se vivre comme « sĂ©paré ». Cette prise de conscience correspond Ă lâentrĂ©e dans le monde rĂ©flexif du discernement illustrĂ© dans la GenĂšse par lâavertissement de YahvĂ©Â : « à lâarbre qui est au milieu du jardin vous ne toucherez pas, car alors vous mourrez ».
Il est dit aussi que PhoronĂ©e fut le pĂšre des hommes mortels et rassembla les premiers habitants dâArgos sans que lâon se souciĂąt de leur origine : câest-Ă -dire que cette phase reprĂ©sente pour le futur chercheur un moment oĂč il commence à « se rassembler » sans chercher Ă trier en lui le bon du mauvais. Jusquâalors, ses aspirations Ă©taient disparates, souvent rĂ©sultat dâune sensibilitĂ© mise Ă mal. Il se rĂ©fĂ©rait aux notions de vertu et de vice, de bien et de mal. Bien quâen dĂ©saccord avec le monde, en attente dâautre chose, il nâa pas encore rassemblĂ© et orientĂ© ses Ă©nergies dans une direction prĂ©cise, encore incapable de discerner les Ă©lĂ©ments de sa vie quâil doit conserver ou rejeter.
AĂ©gialĂ©e nâeut pas de descendance. PhoronĂ©e Ă©pousa une nymphe nommĂ©e le plus souvent TĂ©lĂ©dikĂ© « la juste maniĂšre dâagir dans le futur » qui exprime lâaspiration du chercheur Ă savoir ce quâil doit faire, vers oĂč sâorienter. Celle-ci lui donna un fils Apis, qui est sans lĂ©gende particuliĂšre et une fille NiobĂ© (Il ne faut pas confondre cette hĂ©roĂŻne avec une autre NiobĂ© homonyme, fille de Tantale).
NiobĂ© « lâincarnation de la conscience en Ă©volution » fut appelĂ©e la premiĂšre femme, la mĂšre de tous les vivants car elle fut la premiĂšre femme mortelle Ă avoir eu un enfant de Zeus, Argos. Câest pour le chercheur la premiĂšre influence des plans supĂ©rieurs (le surmental) dans une nature « sĂ©parĂ©e », la premiĂšre expĂ©rience que « ça existe », quâil y a un Ă©tat « vrai, joyeux, lĂ©ger, simple et lumineux » qui donne lâimpression que tout le reste est mort ou endormi.
Niobé eut deux fils, Argos et Pélasgos, le « lumineux » et « le sombre ».
PĂ©lasgos
Avant de poursuivre avec la lignĂ©e principale dâArgos, nous devons examiner la descendance de PĂ©lasgos, premier roi des PĂ©lasges. Il est le symbole de la partie du chercheur « qui avance dans lâobscurité » (la racine ΠΔλ signifiant en effet « sombre ») dans le monde mĂ©langĂ© du vital Ă©motionnel et du mental, et sans doute aussi le symbole de lâhumanitĂ© qui se contente de suivre le rythme lent de lâĂ©volution selon la nature.
Dans les lĂ©gendes arcadiennes, ces PĂ©lasges sont nommĂ©s « prĂ©-SĂ©lĂ©niens » (SĂ©lĂ©nĂ© est la dĂ©esse de la lune) et « habitaient dans leurs maisons rudimentaires avant mĂȘme que la lune ne sâĂ©lĂšve pour la premiĂšre fois dans le ciel » : ils reprĂ©sentent une humanitĂ© qui nâa pas encore conscience de lâexistence dâun Moi vrai. Ils Ă©taient des « autochtones », câest-Ă -dire des « nĂ©s du sol », et pour lâĂ©volution spirituelle « les premiers hommes ».
Le mot PĂ©lasges peut avoir plusieurs origines, soit ï°ï„ïŹïĄï (prĂšs)+ï§, « ceux qui sont prĂšs du commencement », soit la racine ï°ï„ïŹ (ĂȘtre sombre) + racine ïĄï§ (mener, conduire) « ceux qui sont conduits dans lâobscuritĂ© (dans lâinconscience) ».
Ce nom peut aussi provenir du mot ï°ï„ïŹïĄï§ïŻï « la pleine mer ». PĂ©lasgos est alors lâimage de lâhumanitĂ© qui est encore immergĂ©e dans le monde mouvant et mĂ©langĂ© des Ă©motions, dans la phase de maturation des sentiments.
Peut-ĂȘtre les textes Ă©gyptiens parlant « dâenvahisseurs venus de la mer » vers le XIIe siĂšcle avant J.-C. ont-ils pris la mĂȘme image pour dĂ©crire des peuples ayant Ă peine Ă©mergĂ© du monde fusionnel des sentiments et des passions. Les historiens, par la suite, ont associĂ© ces PĂ©lasges Ă un peuple « venu de la mer », le plus ancien de la GrĂšce archaĂŻque, mais il sâagit le plus probablement dâune image symbolique.
Les PĂ©lasges furent chassĂ©s du PĂ©loponnĂšse par les Lapithes, comme nous le verrons plus loin, car ces derniers travaillĂšrent Ă Ă©liminer les mĂ©langes avec le vital. (Du point de vue historique, ce sont les AchĂ©ens qui chassĂšrent les PĂ©lasges, ce qui ne fait guĂšre de diffĂ©rence car les AchĂ©ens reprĂ©sentent « lâĂ©volution du rassemblement de la conscience » et sont donc porteurs du mĂȘme symbolisme que les Lapithes.)
Argos et PĂ©lasgos sont, dans la branche dâOcĂ©anos, les Ă©quivalents de PromĂ©thĂ©e et dâĂpimĂ©thĂ©e (ou de Deucalion) dans la branche de Japet, ou du premier CĂ©crops dans celle des rois dâAthĂšnes.
PĂ©lasgos sâunit Ă CyllĂšne et lui donna un fils Lycaon. Celui-ci eut de diffĂ©rentes femmes cinquante fils, impies et arrogants, qui moururent de la main de Zeus car ils avaient mĂȘlĂ© de la chair humaine Ă la viande du sacrifice et lâavaient offerte comme repas au dieu horrifiĂ©. Pour certains, ce fut Lycaon qui offrit ce repas et qui fut alors changĂ© en loup.
PĂ©lasgos « celui qui marche dans lâobscurité », en sâunissant Ă CyllĂšne « tordue, dĂ©formĂ©e » sâengage sur un « chemin dĂ©vié ». Il gĂ©nĂšre cependant une « lumiĂšre mentale naissante », Lycaon, qui Ă©claire la croissance de la personnalitĂ© dans sa structuration et ses capacitĂ©s de rassemblement. En effet, Lycaon fonda la plus ancienne ville de GrĂšce, Lykosura, qui servait « de point de rassemblement aux habitants dispersĂ©s ».
Ses cinquante fils expriment la pleine maturitĂ© de la personnalitĂ© (cinq, nombre de la forme, multipliĂ© par dix, Ă©tat complet au niveau supĂ©rieur). Mais lâhomme qui nâest pas entrĂ© dans la quĂȘte se maintient dans une anthropomorphisation de lâAbsolu. En offrant Ă Zeus de la chair humaine, ils tentent de rabaisser le divin au niveau humain.
(Il ne faut pas confondre ce Lycaon avec son homonyme, pĂšre de Callisto « la plus belle » et fondateur de la lignĂ©e royale dâArcadie dans laquelle figurent AugĂ© â lâune des unions tardives dâHĂ©raclĂšs postĂ©rieure aux travaux â et Atalante « lâĂ©galité », la grande hĂ©roĂŻne de la chasse au sanglier de Calydon.)
Argos
Fils de NiobĂ© et de Zeus, Argos reprĂ©sente le processus de « lâincarnation de la conscience en Ă©volution » dans le prolongement du « rassemblement de lâĂȘtre » (Inachos).
Le nom Argos recouvre plusieurs notions relatives au chercheur : « brillant, lumineux », « pur » (lorsque cet adjectif dĂ©crit une matiĂšre brute) et « rapide ». Pour HomĂšre, les chercheurs sont dâabord des Argiens, mais ils portent parfois dâautres noms selon lâorientation principale de leur yoga ou la partie mise en avant Ă un certain moment du chemin (AchĂ©ens pour la concentration, Danaens pour lâunion, etc.).
Câest seulement Ă cette Ă©tape, lorsquâapparait une forte aspiration à « autre chose », Ă un autre monde, aprĂšs un premier contact avec « Cela qui existe », que lâon peut employer le terme « chercheur de vĂ©rité »,que les anciens qualifiaient aussi de « vivant ».
Quelle est cette mise en mouvement, à quelle expérience peut-on la rattacher ? Et comment peut-on caractériser plus précisément cette transition vers « le monde vivant » ?
Si Argos reprĂ©sente le rĂ©sultat dâune expĂ©rience spirituelle, il sâagit de cette capacitĂ© nouvelle Ă distinguer en soi le sombre « PĂ©lasgos » du lumineux « Argos », le vrai du faux, Ă vouloir progresser dans une voie dâincarnation (NiobĂ©). LâidĂ©e de traverser les Ă©tapes aussi rapidement que possible est Ă©galement incluse dans le nom Argos.
Certains auteurs ont ignorĂ© les gĂ©nĂ©rations entre Inachos et Io, ne situant lâentrĂ©e dans la quĂȘte que lors de la premiĂšre ouverture de conscience (Io) ou lors du premier « attouchement » de lâAbsolu (Ăpaphos « lâattouché », petit-fils ou arriĂšre-petit-fils dâArgos).
Les mythes nâoffrent ici que peu dâĂ©lĂ©ments pour dĂ©terminer les signes prĂ©alables Ă lâentrĂ©e du chercheur sur le chemin : une capacitĂ© progressive à « se rassembler » (Inachos), un mouvement pour « incarner ce dont on est conscient » (NiobĂ©), câest-Ă -dire une certaine facultĂ© dâaccorder ses actes Ă sa conscience intĂ©rieure, ainsi quâun dĂ©veloppement suffisant de la personnalitĂ© (les cinquante fils de Lycaon).
Les maĂźtres de sagesse anciens ont davantage insistĂ© sur les aptitudes nĂ©cessaires pour les Ă©tapes plus avancĂ©es, par le biais de listes de hĂ©ros participant aux grandes Ă©popĂ©es. Mais les conditions requises Ă lâabord du chemin dĂ©pendent trop des individus â certains chercheurs sont rebelles, dâautres soumis, certains vivent dans une insatisfaction ou un perpĂ©tuel malaise, dâautres dans une certaine joie de vivre, etc. â et de la spĂ©cificitĂ© des voies pour tenter dâen dresser une liste.
Argos nâa pas de lĂ©gende particuliĂšre. Il a seulement pour fonction dâintroduire la lignĂ©e des chercheurs de vĂ©ritĂ©.
Il fut remplacĂ© sur le trĂŽne par son fils Iasos « la conscience humaine », ou Peiren, ou Peiras, ou Peirasos, ou Peiranthos, tous noms qui expriment « lâeffort » et « lâexpĂ©rience » (ΠΔÎčÏαÏ, sâefforcer). Le chemin spirituel est en effet marquĂ© pendant trĂšs longtemps par la nĂ©cessitĂ© de lâeffort personnel jusquâĂ ce que la transformation soit prise en main directement par lâAbsolu. Peiren, dans la tradition la plus ancienne, est le pĂšre dâIo. Mais Ă partir des Tragiques, Sophocle, Eschyle et Euripide, Io est directement la fille dâInachos et les anciens sây rĂ©fĂšrent comme telle.
DĂ©terminer pour chacun la nature de cet « effort » et la discipline nĂ©cessaire au regard des buts que lâon se donne (contact du Divin intĂ©rieur par la sincĂ©ritĂ©, extension de la conscienceâŠ), nâest pas chose aisĂ©e si lâon veut Ă©viter les piĂšges et excĂšs de toutes sortes. Câest pour cela que les grands initiĂ©s recommandent le plus souvent de suivre les directives dâun maĂźtre ou « guru ». Pour guider ses disciples, ce dernier est censĂ© avoir rĂ©alisĂ© lâunion avec son Ăąme, la RĂ©alitĂ© intĂ©rieure, afin de pouvoir diriger le disciple selon « lâordre juste ». La recherche du maĂźtre constitue le plus souvent une Ă©tape importante au dĂ©but du chemin.
Mais il semblerait quâĂ notre Ă©poque, au maximum de lâinfluence des forces de sĂ©paration dans le mouvement cyclique, il soit de plus en plus difficile de rencontrer un maĂźtre vivant authentique. Lâalternative est alors de suivre son propre chemin en prenant la vie et le non-moi comme guide. Jiddu Krishnamurti a engagĂ© chacun Ă prendre « lâattention totale » comme guide, la vie elle-mĂȘme Ă©tant alors le maĂźtre. LâidĂ©al serait selon Sri Aurobindo que chacun puisse progressivement Ă©laborer sa propre mĂ©thode de perfectionnement de soi (yoga).
Io Ă©tait une belle et innocente jeune fille. Son pĂšre en fit une prĂȘtresse dâHĂ©ra. Zeus la sĂ©duisit et fut surpris par sa femme HĂ©ra tandis quâil lâĂ©treignait. Jurant quâil nâavait pas couchĂ© avec elle, il transforma aussitĂŽt Io en une gĂ©nisse dâune magnifique blancheur. HĂ©ra exigea cependant que celle-ci lui soit confiĂ©e. Elle en donna la garde Ă Argos-Panoptes (Argos qui-voit-tout) qui Ă©tait rĂ©putĂ© ne jamais dormir. Ce dernier Ă©tait aussi appelĂ© Argos-aux-Cent-Yeux car il avait selon certains des yeux sur tout le corps lui permettant une vision panoramique (ou selon dâautres, deux autres yeux Ă lâarriĂšre du cou). Zeus aurait alors ordonnĂ© Ă HermĂšs dâaller dĂ©livrer son amante, ce que fit ce dernier, tuant mĂȘme Argos-aux-Cent-Yeux selon certains auteurs.
HĂ©ra, voyant son plan dĂ©jouĂ©, envoya contre Io un taon fĂ©roce qui sâattachait Ă ses flancs et la piquait sauvagement. Aussi Io dut-elle fuir perpĂ©tuellement. Elle traversa ainsi lâEubĂ©e, la Thrace, le golfe « Io-nien » et le Bosphore (le « passage de la vache »). Finalement, elle se rĂ©fugia en Ăgypte oĂč Zeus lui rendit sa forme humaine. LĂ , elle mit au monde Ăpaphos, fruit de ses amours avec le dieu.
Lâhistoire dâIo, comme la plupart des mythes, peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une expĂ©rience isolĂ©e ou comme un processus se renouvelant de nombreuses fois dans le cadre dâune progression vers la libĂ©ration. Câest pour cela que certains auteurs donnĂšrent Ă Io un « époux humain » du nom de TĂ©lĂ©gonos « ce qui naĂźt au loin ».
Io (ÎΩ) symbolise « lâexistence-conscience (Î) », non celle qui sâĂ©lĂšve vers les plans de lâesprit, mais celle qui sâouvre au rĂ©el, Ă lâincarnation, Ă la matiĂšre, car la deuxiĂšme lettre de son nom est un omĂ©ga (ï).
Son pĂšre en fit une prĂȘtresse dâHĂ©ra : le chercheur est initiĂ© « au mouvement juste » (HĂ©ra) nĂ©cessaire Ă son dĂ©veloppement et Ă la purification de sa personnalitĂ©.
AppelĂ©e par les anciens « la fille dâInachos », elle incarne le « rassemblement de lâĂȘtre » qui attire une rĂ©ponse des plans supĂ©rieurs (Zeus), mĂȘme si le futur chercheur ne peut faire le lien Ă ce moment du chemin avec la façon dont il conduit sa vie. Par rassemblement il faut entendre une certaine capacitĂ© Ă faire fonctionner conjointement mais indĂ©pendamment les diffĂ©rentes parties de son ĂȘtre, ce qui Ă©vite dâĂȘtre le jouet des multiples influences extĂ©rieures.
La réponse des plans supérieurs se manifeste par une premiÚre « expérience » dans le domaine de la « connaissance éclairante». Dans les Védas, la vache est en effet le symbole de la « connaissance illuminatrice ».
Câest un moment dont on peut dire « Ăa existe », perçu comme Ă©tant de lâordre de « lâexistence vraie », du « Vivant ». Le chercheur vit un accord total entre lâextĂ©rieur et lâintĂ©rieur. Il nâest plus tirĂ© par les Ă©vĂšnements hors de lui-mĂȘme, mais renforcĂ© au contraire dans un sentiment dâunitĂ© et de totale cohĂ©rence.
Tous les hommes ont probablement vécu au moins une fois cette expérience, si fugitive soit-elle, que ce soit dans la nature, en écoutant une musique ou lors de toute autre activité.
Le mensonge de Zeus Ă HĂ©ra montre que le chercheur sait quâil sâest passĂ© quelque chose (la conception dâĂpaphos « lâattouché ») en relation avec le plus haut de sa conscience, mais quâil ne peut en connaĂźtre lâorigine ni intĂ©grer cet Ă©vĂšnement dans son Ă©volution.
Toutefois, si la tendance de Zeus est dâaccĂ©lĂ©rer le mouvement Ă©volutif, celle dâHĂ©ra, la puissance qui en supervise le juste dĂ©roulement, est dâen garder le total contrĂŽle. Et comme Io est sa prĂȘtresse, et donc une partie qui lui est intimement consacrĂ©e, HĂ©ra contrecarre aisĂ©ment les effets de son auguste Ă©poux. Pour cela, elle dĂ©ploie dans le chercheur un cadre puissant sous la forme dâun Argos homonyme, Argos-qui-voit-tout (Argos « Panoptes »). Ce nâest pas une force nĂ©gative dâopposition, mais une puissance lumineuse (Argos) qui oblige Ă la « vigilance » dans toutes les directions, sur tous les plans de lâĂȘtre.
Selon certains, la gĂ©nisse Io fut attachĂ©e Ă un olivier, symbole dâune nĂ©cessaire purification.
La vigilance des dĂ©buts doit inciter le chercheur Ă devenir conscient de ses mouvements intĂ©rieurs. Cette premiĂšre exigence du chemin spirituel est aussi exprimĂ©e par lâun des cadeaux de Zeus Ă Europe, un chien qui ne laisse Ă©chapper aucune proie. A la fin du processus, cette vigilance sera une attention totale Ă ce qui est.
Argos-aux-Cent-Yeux appartient le plus souvent Ă la lignĂ©e royale dâArgos. Certains disent quâil acquit sa renommĂ©e en accomplissant plusieurs exploits.
Tout dâabord, il dĂ©livra lâArcadie dâun taureau qui ravageait le pays puis il mit fin aux mĂ©faits dâun satyre qui causait de grands dommages.  Un taureau blanc ou « magnifique » est le symbole du pouvoir du mental lumineux. Mais lorsquâun taureau ravage la contrĂ©e environnante, on doit lâassocier simplement Ă un mental puissant non purifiĂ© qui travaille donc pour lâego et fait obstacle Ă lâengagement sur le chemin.
AprĂšs sa mort, HĂ©ra disposa les yeux dâArgos sur le plumage du paon, son animal symbolique. La dĂ©esse proclamait ainsi quâelle veillait sur la totalitĂ© de lâĂ©volution et que rien ne pouvait lui Ă©chapper : on ne peut prĂ©tendre passer certains seuils et atteindre Ă ce quâelle reprĂ©sente, lâexactitude en toutes choses, si une purification correspondante nâest pas rĂ©alisĂ©e.
Avec Argos-aux-Cent-Yeux, le chercheur qui sâengage sur le chemin dĂ©couvre quâil doit devenir conscient de ce qui se passe en lui sur tous les plans : quelles sont les Ă©motions, les sentiments, les pulsions, les dĂ©sirs, les pensĂ©es qui lâagitent ou le traversent Ă tout moment, quelles sont ses attitudes, ses habitudes, ses attachements, etc.
Il ne sâagit pas dâune auto-surveillance fondĂ©e sur une quelconque morale, ce qui nâaurait pour consĂ©quence que de renforcer lâego, mais dâun regard sincĂšre sur les mouvements intĂ©rieurs.
Le chercheur sâaperçoit alors que son mental est un capharnaĂŒm ou sâagitent en tous sens des pensĂ©es souvent incongrues dont il ne connaĂźt ni la source ni la raison.
Il dĂ©couvre bien vite lâambiguĂŻtĂ© des sentiments qui peuvent Ă tout moment sâinverser, comme si une mĂȘme vibration Ă©tait porteuse, sur un certain plan, des opposĂ©s. De mĂȘme, il sâaperçoit quâune pensĂ©e ou attitude « positive » Ă lâĂ©gard dâun autre peut soulever chez lui une rĂ©action inverse. En approfondissant sa recherche, il verra en lui-mĂȘme la potentialitĂ© de tous les mouvements humains. Il cessera alors progressivement de se croire vertueux et de sâindigner de mĂ©faits dont il est fondamentalement solidaire.
LorsquâArgos-Panoptes a suffisamment ĆuvrĂ©, Zeus envoie HermĂšs (la connaissance surmentale qui symbolise ici une intĂ©gration, une prise de conscience) afin de libĂ©rer Io sans toutefois lui rendre sa forme humaine.
Cependant, HĂ©ra maintient son opposition en envoyant un taon, ce qui provoque une fuite dĂ©sordonnĂ©e de la gĂ©nisse Io en de nombreux pays : le chercheur doit encore « éclairer » les nombreux territoires de son ĂȘtre, sans ordre prĂ©Ă©tabli (une errance), sous lâeffet dâun harcĂšlement mental intĂ©rieur qui ne lui laisse aucun rĂ©pit (le taon), afin de se prĂ©parer Ă lâexpĂ©rience initiale (le temps de la gestation dâĂpaphos).
Cette action dâHĂ©ra permet que rien ne soit laissĂ© en arriĂšre, que lâaction supĂ©rieure se manifeste dans la totalitĂ© de lâĂȘtre et porte ses fruits avec le fils dâIo, Ăpaphos « celui qui a reçu lâattouchement du RĂ©el ».
Cette pĂ©riode dâintĂ©gration laisse le chercheur dans un Ă©tat dâinsatisfaction qui lui donne toujours lâenvie dâĂȘtre ailleurs, de poursuivre quelque chose quâil ne peut dĂ©finir. Si tout le monde vit dans le sentiment flou dâun manque, avec lâespoir toujours déçu que le futur apporte un remĂšde, le chercheur vit cette situation encore plus intensĂ©ment que les autres. Câest ce besoin qui nourrit son aspiration, laquelle le soutiendra tout au long du chemin. Une aspiration qui nâest pas un dĂ©sir, mais une soif. Non pas une volontĂ© de prĂ©dation, mais un mouvement dâouverture.
Son insatisfaction le conduit Ă ĂȘtre toujours en mouvement, sans pouvoir sâarrĂȘter dans les situations confortables de lâexistence.
Dans le mythe primitif, lâerrance dâIo semble sâĂȘtre limitĂ©e Ă lâArgolide (depuis la ville dâArgos jusquâĂ une colline nommĂ©e Euboia), Ă tout le moins Ă lâEubĂ©e, province dâune « bonne incarnation ».
Les auteurs tardifs ont Ă©largi le pĂ©rimĂštre de son errance jusquâen Ăgypte oĂč elle accoucha dâĂpaphos.
Les lieux du passage de la vache indiquent la direction vers laquelle le chercheur doit se diriger : le golfe Io-nien « lieu (protĂ©gĂ©) de lâĂ©volution de la conscience », le Bosphore « le passage de la vache » qui marque les portes de lâOrient, câest-Ă -dire la direction du « Nouveau » et le dĂ©but de lâengagement dĂ©finitif sur le chemin. (Car lâOrient, lieu oĂč le soleil se lĂšve, a toujours Ă©tĂ© le signe du nouveau.)
Ăpaphos prit pour femme Memphis, une fille du dieu Nil, le dieu-fleuve ou courant de conscience qui soutient « lâĂ©volution de lâindividuation ».
La ville de Memphis Ă©tait la capitale de lâAncien Empire Ă©gyptien et la rĂ©sidence des pharaons. Elle fut fondĂ©e trois mille ans environ avant notre Ăšre et rassemblait lâhĂ©ritage de la connaissance spirituelle de lâhumanitĂ©. Elle Ă©tait le centre du culte du dieu Ptah, lequel fut adorĂ© comme le crĂ©ateur du monde.
Le mot Ăgypte aurait alors Ă©tĂ© construit Ă partir de ÎÎčÎł+Ptah, avec le sens de « qui est conduit selon lâordre divin par le dieu Ptah ». En Ă©gyptien, il trouverait son origine dans Hwt-ka-pth « le lieu de lâĂąme de Ptah ». Ce nom semble avoir Ă©tĂ© utilisĂ© par les seuls Grecs. Pour les Ăgyptiens, leur pays sâappelait Kemet (KMT) au temps des Pharaons et il est nommĂ© de nos jours MISR.
Cette introduction de noms Ă©gyptiens dans la gĂ©nĂ©alogie semble Ă©tablir une filiation entre les spiritualitĂ©s grecque et Ă©gyptienne. Les initiĂ©s grecs prĂ©sumaient sans doute que la premiĂšre expĂ©rience dâouverture psychique eut lieu en Ăgypte. Pour eux, Ăpaphos fut en effet le grand fondateur des citĂ©s de lâĂgypte primitive, câest-Ă -dire Ă lâorigine de « constructions cohĂ©rentes » des principes Ă©volutifs. Une ville peut en effet ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme le symbole « dâune Ă©laboration cohĂ©rente », principalement mentale.
Ăpaphos eut de Memphis deux ou trois enfants selon les auteurs, mais seule Libye a une importance pour nous en tant que continuatrice de la lignĂ©e.
Avec Io et Libye, nous avons deux exemples de filiations qui se poursuivent par les femmes. Ceci, rappelons-le, ne peut se produire que si lâunion a lieu avec un dieu.
En mĂȘme temps quâune description symbolique de lâĂ©volution, le mythe semble indiquer les civilisations qui furent tĂ©moins de ces premiĂšres rĂ©alisations. Plusieurs gĂ©nĂ©rations de souverains, aprĂšs Io, rĂ©gnĂšrent sur lâĂgypte. La ville qui porte le nom de Memphis, femme dâĂpaphos, placĂ©e sous la protection du dieu Ptah, en Ă©tait la capitale sous lâAncien Empire.
Selon la tradition, son fondateur, le roi MĂ©nĂšs, unifia pour la premiĂšre fois « les deux terres » : il sâagit selon la comprĂ©hension courante, de lâunification de la haute et de la basse Ăgypte, mais peut-ĂȘtre pouvons-nous y voir le symbole dâune premiĂšre unification de la matiĂšre et de lâesprit ou des pĂŽles opposĂ©s. Dans les VĂ©das, le Rishi (le Voyant) est « le fils des deux mĂšres », de la vache lumineuse Aditi, la crĂ©atrice des mondes, et de la vache noire Diti, la MĂšre de lâinfini tĂ©nĂ©breux et de lâexistence divisĂ©e.
Son nom indique « lâincarnation (ï) du processus dâindividuation (ï) ».
AprĂšs la concrĂ©tisation de la premiĂšre expĂ©rience dâ« attouchement » de lâAbsolu (Ăpaphos), le chercheur retombe dans une Ă©volution presque totalement subconsciente, car Libye eut pour amant PosĂ©idon.
Il faudra attendre cinq générations pour que se produise avec Danaé une nouvelle impulsion lumineuse des plans supérieurs.
Des amours de Libye et PosĂ©idon naquirent des jumeaux, AgĂ©nor et BĂ©los, Ă lâorigine des trois grands mythes qui feront lâobjet de prochains chapitres, ceux dâĆdipe, HĂ©raclĂšs et Europe-DĂ©dale.
Comme jumeaux, ils illustrent des enseignements que nous devrons considĂ©rer en parallĂšle, mĂȘme si nous les traitons successivement.
La premiĂšre branche est issue dâAgĂ©nor « courageux, hĂ©roĂŻque », ou avec les lettres structurantes « la poussĂ©e de lâĂ©volution ». Il Ă©pousa TĂ©lĂ©phassa, « la colombe au loin ». Plus encore que de paix, cet oiseau est symbole de puretĂ©, au sens de « non mĂ©lange ». Les mythes de cette branche â ceux dâĆdipe et des guerres de ThĂšbes, dâEurope et du Minotaure â exposent donc la progression du travail de purification.
Cette orientation revĂȘtit dans la GrĂšce ancienne une telle importance quâelle imprĂ©gna toute la civilisation et en particulier les arts : puretĂ© des lignes, des formes, des idĂ©es, etc. Elle correspond de maniĂšre gĂ©nĂ©rale Ă lâentrĂ©e dans le mental supĂ©rieur avec le dĂ©veloppement de lâintuition (le mental supĂ©rieur est le stade qui suit lâintellect et dont la description figure dans le tome 1). Toutefois, il ne peut y avoir dâĂ©quivalence prĂ©cise entre les mythes dâenseignement, ceux qui traitent des expĂ©riences, et les plans de conscience. En effet, des ouvertures partielles ou temporaires peuvent se produire, les transitions entre les plans sont progressives, et les mythes dĂ©crivent le plus souvent des processus rĂ©pĂ©titifs plutĂŽt que des Ă©tapes, des directions dans lesquelles le chercheur doit progresser et qui sâapprofondiront et sâĂ©largiront au cours des annĂ©es et peut-ĂȘtre des vies.
La descendance dâAgĂ©nor, par ses deux enfants principaux Cadmos et Europe, dĂ©crit le processus de purification et « dâouverture de la conscience au processus dâunion par la rĂ©ceptivité » (Cadmos) et « dâextension de la conscience » (Europe), ainsi que lâobstacle majeur rencontrĂ© dans ce processus (le labyrinthe et le Minotaure).
Les quatre ou cinq gĂ©nĂ©rations issues dâIo donnent aussi probablement des indications gĂ©ographiques sur la succession des centres spirituels les plus influents. DâĂgypte, la spiritualitĂ© aurait essaimĂ© en Libye avant de sâimplanter en IsraĂ«l, Liban et Syrie : en effet, AgĂ©nor, fils de Libye, Ă©tait roi de PhĂ©nicie, contrĂ©e qui regroupe IsraĂ«l, Liban et Syrie dâaujourdâhui. Puis elle aurait quittĂ© les contrĂ©es considĂ©rĂ©es autrefois comme appartenant soit Ă lâAfrique, soit Ă lâAsie, pour aborder lâEurope, comme en tĂ©moigne le nom de la fille de PhĆnix (ou dâAgĂ©nor), sans doute en longeant les cĂŽtes sud et ouest de lâactuelle Turquie. Puis simultanĂ©ment, comme lâindiquent les noms des frĂšres et sĆurs dâEurope, la spiritualitĂ© aurait essaimĂ© en CrĂȘte (Minos), en GrĂšce centrale (en BĂ©otie oĂč Cadmos fondera ThĂšbes), en Thrace (Thassos est une ville au large de la Thrace), et en Turquie orientale (Cilix).
(HomĂšre ajoute une gĂ©nĂ©ration intermĂ©diaire avec Phoenix, pĂšre dâEurope.)
Nous reprendrons lâĂ©tude de cette branche dans un prochain chapitre pour nous intĂ©resser ici Ă lâautre branche, celle qui est issue de BĂ©los et dĂ©crit le processus thĂ©orique de la libĂ©ration, au travers des histoires des deux grands hĂ©ros PersĂ©e et HĂ©raclĂšs.
Les ancĂȘtres de PersĂ©e et dâHĂ©raclĂšs. Le mythe des DanaĂŻdes
Entre BĂ©los et Ălectryon, fils de PersĂ©e, les anciens ont intercalĂ© des personnages qui forment deux « boucles », initiĂ©es par des couples de jumeaux, que nous comprenons comme des processus rĂ©pĂ©titifs entrelacĂ©s qui se dĂ©veloppent tout au long des travaux dâHĂ©raclĂšs.
En effet, la victoire sur la peur qui est lâun des enjeux du combat de PersĂ©e contre la Gorgone ne peut en aucune façon ĂȘtre lâobjet dâune expĂ©rience unique, Ă lâinstar de la victoire contre lâillusion qui sera dâailleurs insĂ©rĂ©e dans la seconde boucle puisque BellĂ©rophon combat la ChimĂšre lors dâun sĂ©jour chez ProĂŻtos.
La premiĂšre boucle insiste sur le nĂ©cessaire dĂ©veloppement de tout ce qui « unit » (Danaos et ses filles les DanaĂŻdes) tandis que des rĂ©sultats du processus mental de sĂ©paration (Ăgyptos) ne survit que le « discernement » (LyncĂ©e est le seul des cinquante fils dâĂgyptos qui Ă©chappe Ă la mort).
La seconde boucle est introduite par une nĂ©cessaire « incarnation » (Abas) â au sens oĂč le mental et le vital travaillent dĂ©jĂ ensemble dans la direction du but de lâĂąme â qui implique deux nouvelles directions possibles illustrĂ©es par le second couple de jumeaux. Dâun cĂŽtĂ© la participation au monde et Ă ses obscuritĂ©s dans une certaine confusion et manque de discernement (Acrisios), de lâautre un refus de la matiĂšre par celui qui « met au premier plan les mondes de lâesprit » (ProĂŻtos).
La seconde boucle se termine ici non par des meurtres mais par un Ă©change de trĂŽne entre PersĂ©e, dĂ©jĂ vainqueur de la Gorgone, et MĂ©gapenthĂšs, fils de ProĂŻtos, qui annonce une poursuite douloureuse du chemin lorsque le chercheur sâest dĂ©barrassĂ© de lâillusion et de la peur.
Bien que les deux boucles semblent traiter de façon successive du dĂ©veloppement et de la maitrise du mental puis du vital, elles reprĂ©sentent en fait des processus concomitants. Cependant, la structure de la mythologie nous oblige Ă les considĂ©rer lâun aprĂšs lâautre.
Lors de lâĂ©tude dĂ©taillĂ©e qui suivra, il sera donc nĂ©cessaire de toujours garder Ă lâesprit que les mythes correspondants dĂ©crivent des processus qui se dĂ©veloppent parallĂšlement aux travaux dâHĂ©raclĂšs, mĂȘme si les actions des hĂ©ros nâen dĂ©crivent que la phase ultime.
Le nom BĂ©los est formĂ© autour des lettres ï+ï, lettres qui sont identiques Ă celles du nom de sa mĂšre Libye ï+ï, mais dans le sens inverse. Elles indiquent la poursuite du processus dâindividuation (ï) dans ou par lâincarnation (ï). Hormis lâindication donnĂ©e par son nom, BĂ©los nâest reliĂ© Ă aucun mythe.
Par son mariage avec AnchinoĂ© « la vivacitĂ© dâesprit, lâintelligence », fille de Nilos « lâĂ©volution de lâindividuation de la conscience », il indique une voie dâĂ©volution dans laquelle le perfectionnement du mental va tenir une large place. Il ne sâagit pas ici de lâintellect mais de lâintelligence qui « comprend » tout (qui prend tout en elle), sâapproche du RĂ©el et tend Ă sâunir Ă lui par un nĂ©cessaire Ă©largissement et assouplissement. Dans le travail de libĂ©ration tel quâil est exposĂ© ici, lâhomme est donc considĂ©rĂ© comme un esprit dans un ĂȘtre mental, mĂȘme si les voies individuelles peuvent mettre un accent plus particulier sur la dĂ©votion ou sur les Ćuvres.
BĂ©los, comme AgĂ©nor, est le pĂšre de jumeaux qui expriment deux dĂ©veloppements simultanĂ©s dans lâĂȘtre (ou deux voies parallĂšles) dont les rĂ©alisations essentielles se « rejoindront » Ă la gĂ©nĂ©ration suivante pour la poursuite de la quĂȘte.
BĂ©los eut dâAnchinoĂ© des jumeaux, Ăgyptos et Danaos. Il installa Danaos en Libye et Ăgyptos en Arabie, lequel soumit en outre le territoire des MĂ©lampodes et donna Ă son royaume le nom dâĂgypte. Des nombreuses femmes dâĂgyptos naquirent cinquante fils, et de celles aussi nombreuses de Danaos cinquante filles, les DanaĂŻdes. Plus tard, les deux frĂšres se disputĂšrent le pouvoir. Certains disent que Danaos craignait la puissance de ses cinquante neveux ou refusait de leur donner ses filles en mariage, ou encore quâil fut averti par un oracle de sâĂ©loigner sâil ne voulait ĂȘtre tuĂ© par lâun dâeux. Toujours est-il quâil sâenfuit avec ses filles sur un bateau Ă cinquante rangs de rame quâil avait fait construire sur les conseils dâAthĂ©na. (Pour certains, ce fut le premier « grand bateau » jamais construit.) Il aborda dans le PĂ©loponnĂšse, puis parvint Ă Argos oĂč rĂ©gnait un certain GĂ©lanor, fils de SthĂ©nĂ©las. Un signe des dieux â lâapparition dâun loup dans un troupeau â convainquit GĂ©lanor de cĂ©der sa couronne Ă Danaos. Ce dernier fonda la citadelle dâArgos. En signe de gratitude, il institua le culte dâApollon Lykaios. Ses filles retrouvĂšrent alors des sources qui avaient Ă©tĂ© taries par PosĂ©idon car Inachos avait tĂ©moignĂ© que le pays appartenait Ă HĂ©ra.
Les sujets de Danaos abandonnĂšrent alors leur ancien nom de PĂ©lasges pour prendre celui de Danaens.
Peu de temps aprĂšs Danaos fut rejoint par son frĂšre Ăgyptos accompagnĂ© de ses fils qui lui demanda instamment dâoublier ses ressentiments et dâaccepter les unions de leurs enfants respectifs. Danaos ne croyait pas Ă cette proposition de rĂ©conciliation mais fit mine dâaccepter devant lâinsistance de son frĂšre.
Mais ayant offert Ă chacune de ses filles une dague en cadeau de mariage, il leur ordonna de tuer leurs maris (chacune le sien) dĂšs le soir des noces.
Ce quâelles firent, sauf lâune dâentre elles, Hypermnestra, qui Ă©pargna son Ă©poux LyncĂ©e car disait-elle, il lâavait respectĂ©e (ou selon dâautres parce quâelle en Ă©tait tombĂ©e amoureuse).
Elles rendirent les derniers honneurs Ă leurs Ă©poux devant la ville dâArgos. Elles enterrĂšrent les corps en cette ville mais leurs tĂȘtes Ă Lerne.
Sur lâordre de Zeus, elles furent ensuite purifiĂ©es du meurtre par HermĂšs et AthĂ©na. Selon certaines sources, leur pĂšre les maria Ă des gentilshommes du voisinage qui choisirent chacun leur Ă©pouse au terme dâune course Ă pied. Pindare prĂ©cise que deux des filles ne se mariĂšrent pas Ă cette occasion : Hypermnestra, dĂ©jĂ unie Ă LyncĂ©e, et AmymonĂ© qui Ă©tait enceinte de PosĂ©idon.
Ici prend fin le mythe tel quâil est rapportĂ© par Apollodore, lequel expose les versions les plus gĂ©nĂ©ralement admises. Des variantes beaucoup plus tardives ajoutent la punition exemplaire des DanaĂŻdes au royaume dâHadĂšs.
Ce mythe dĂ©crit la nĂ©cessitĂ© de porter « la vivacitĂ© dâesprit, lâintelligence » (AnchinoĂ©) Ă son plus haut degrĂ© de perfectionnement possible. Comme on vient de lâexprimer, ce nâest pas une Ă©tape Ă franchir, mais un processus rĂ©pĂ©titif associĂ© aux mythes de PersĂ©e et dâHĂ©raclĂšs, une progression composĂ©e de nombreux cycles. Comme de coutume dans les mythes, câest le dernier stade du processus qui est dĂ©crit.
Deux voies sâouvrent au chercheur, celles de Danaos et dâĂgyptos. Lâhistoire ci-dessus pourrait laisser entendre quâil nây a pas grand-chose Ă garder de la seconde Ă la fin du processus, Ă lâexception du seul survivant, LyncĂ©e, « la vision pĂ©nĂ©trante, ÎÏ ÎłÎșÎ”Ï Ï», câest-Ă -dire « le discernement » (le nom LyncĂ©e est souvent interprĂ©tĂ© comme « celui qui guĂ©rit la vue »). Mais, en fait, nous allons voir que non seulement toutes les composantes de lâĂȘtre doivent ĂȘtre portĂ©es Ă leur plus haut niveau de dĂ©veloppement, mais encore, que toute progression doit ĂȘtre conservĂ©e, mĂȘme sâil y a un changement de positionnement dans la conscience.
BĂ©los installa Danaos en Libye (Î+Î) dans le lieu de « lâincarnation du processus de libĂ©ration » ou lieu de la quĂȘte de LibertĂ©. Le nom mĂȘme de Danaos est formĂ© par les lettres structurantes Î+Πet indique une « évolution naturelle dans ou vers lâunion ».
Les accomplissements possibles de cette voie qui travaille sur la totalitĂ© de lâĂȘtre, dans une acceptation et une rĂ©ceptivitĂ© intuitive (voie fĂ©minine), sont donnĂ©s par les noms des cinquante filles. Il en existe deux listes, celle dâApollodore et celle dâHygin. Nous ne les dĂ©taillerons pas ici, car dâune part elles ne sont pas confirmĂ©es par des initiĂ©s et dâautre part leur Ă©tude mĂ©riterait pour chacune dâelles de longues discussions. Leurs noms Ă©voquent la noblesse, lâimpeccabilitĂ©, la maĂźtrise, lâaspiration, lâardeur, ou encore « des accomplissements cĂ©lĂšbres, des intĂ©grations (acquises par lâentendement) » et « une quĂȘte du passage (la porte) ».
Concernant leurs mĂšres, seuls quelques noms sont indiquĂ©s, donnant la direction gĂ©nĂ©rale recommandĂ©e au chercheur dĂ©butant : Europe « une large vision » (citĂ©e quatre fois), Polyxo « celle qui reçoit beaucoup dâen haut » (citĂ©e douze fois), et Pieria « une abondance de dons ». Ils expriment un nĂ©cessaire Ă©largissement de la conscience au-delĂ des dogmes, opinions et prĂ©jugĂ©s, le maintien dâun Ă©tat de claire rĂ©ceptivitĂ© intuitive, et insistent sur le dĂ©veloppement des capacitĂ©s les plus hautes (la PiĂ©rie est le lieu de sĂ©jour des Muses).
Ces DanaĂŻdes sont au nombre de cinquante, câest-Ă -dire quâelles reprĂ©sentent une totalitĂ© de rĂ©alisation dans le plan des formes, celui de la personnalitĂ©.
La plus cĂ©lĂšbre dâentre elles qui peut Ă elle seule rĂ©sumer le moteur de cette voie est Hypermnestra « celle qui recherche ce qui est au-delà  », autrement dit « lâaspiration » Ă un autre Ă©tat dâĂȘtre , Ă une union avec le RĂ©el.
Ă lâopposĂ© de Danaos, une autre partie du chercheur est davantage centrĂ©e sur le dĂ©veloppement du mental logique, de la pensĂ©e organisatrice. Elle est reprĂ©sentĂ©e par Ăgyptos que son pĂšre installa en Arabie (ÎĄ+Î), province qui symbolise Ă la fois le « juste mouvement de lâincarnation » et « le choc des objets » (ou choc des idĂ©es par lequel sâopĂšre la construction de la pensĂ©e).
Comme nous lâavons vu, le mot Ăgyptos a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© formĂ© Ă partir de la racine αγ associĂ© au nom Ptah et dĂ©crirait « ceux qui sont conduits selon lâordre de Ptah ».
En Ăgypte ancienne, Ptah Ă©tait le dĂ©miurge, le dieu crĂ©ateur et organisateur qui a « pensé » le monde et gouvernait lâarchitecture, la menuiserie, la sculpture et en gĂ©nĂ©ral toutes les formes de « constructions ». Il Ă©tait donc un symbole de lâorganisation du mental. Son lieu de culte principal se trouvait Ă Memphis.
Les fils dâĂgyptos sont Ă©galement au nombre de cinquante et reprĂ©sentent une totalitĂ© de rĂ©alisation dans lâĂ©laboration dâune pensĂ©e libre et vaste.
Cette partie du mythe insiste sur le fait que la recherche spirituelle doit commencer sur la base dâune personnalitĂ© accomplie et dĂ©jĂ bien individualisĂ©e, douĂ©e dâun bon discernement, et dont lâaspiration Ă lâunion avec lâAbsolu a remplacĂ© celle de lâaffirmation de soi. Tout ce qui nâa pas Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© correctement obligera le chercheur Ă revenir en arriĂšre pour y remĂ©dier.
Ces deux chemins, ceux de la rĂ©ceptivitĂ© intuitive et de lâintellect, peuvent apparaĂźtre longtemps inconciliables ou du moins se dĂ©velopper selon des directions qui semblent totalement Ă©trangĂšres lâune Ă lâautre. Câest pourquoi les deux frĂšres jumeaux se battaient pour le pouvoir. De plus, la pensĂ©e logique tendant de par sa nature Ă imposer sa vision, Ăgyptos nâavait de cesse de marier ses fils Ă leurs cousines.
Cette pression sâaccentua lorsquâil annexa Ă son royaume le territoire des MĂ©lampodes « les pieds noirs », distanciant ainsi de plus en plus le mental logique de la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle et corporelle. MĂ©lampous « celui qui a les pieds noirs » Ă©tait en effet un cĂ©lĂšbre devin dont les oreilles avaient Ă©tĂ© purifiĂ©es par des serpents, ce qui lui permettait de comprendre le langage des oiseaux. (Il y a plusieurs lignĂ©es de devins. Celle dont il est question ici concerne lâintuition et les capacitĂ©s divinatoires qui se dĂ©veloppent dans « lâascension des plans de conscience » et sont donc issues des plans de lâesprit.)
Au dĂ©but, la dĂ©marche de consĂ©cration doit se protĂ©ger de la pression de lâintellect. Puis « lâaspiration Ă lâunion » (Danaos), sous lâinfluence de la puissance qui veille Ă la croissance de lâĂȘtre intĂ©rieur (sur les conseils dâAthĂ©na), sâaffirme comme la plus apte Ă diriger la quĂȘte en sâappuyant sur une personnalitĂ© pleinement construite (Danaos a construit le premier grand bateau Ă cinquante rangs de rames). Danaos prit en effet la direction de la ville dâArgos, Ă la place de GĂ©lanor dont le nom signifie « celui qui brille ». Ce GĂ©lanor, fils de SthĂ©nĂ©las « une forte individuation », est le symbole dâune personnalitĂ© accomplie.
Le signe de ce renversement est la capacitĂ© de lâĂȘtre psychique Ă©mergeant Ă commencer Ă mener la quĂȘte. Le « signe » qui est donnĂ© â un loup faisant irruption dans le troupeau de GĂ©lanor et tuant le taureau dominant â illustre la lumiĂšre psychique naissante (le loup) qui dĂ©trĂŽne la puissance mentale (non illuminĂ©e). Un culte est alors fondĂ© en lâhonneur dâApollon « Lykaios », la premiĂšre lueur de la manifestation de la lumiĂšre psychique. Ă partir de ce moment, lâĂȘtre psychique commence Ă prendre progressivement la direction de la quĂȘte (la citadelle dâArgos), revivifiant au passage des Ă©nergies anciennement disponibles â mais qui sâĂ©taient retirĂ©es Ă lâarriĂšre-plan au cours de lâĂ©volution â pour emprunter le chemin : les DanaĂŻdes redĂ©couvrent en effet les sources que PosĂ©idon (le subconscient) avait taries. Le travail de rassemblement de lâĂȘtre (Inachos) sâĂ©tait en effet soumis au mouvement du devenir gouvernĂ© par HĂ©ra, la force qui veille au juste mouvement Ă©volutif (Inachos avait tĂ©moignĂ© que le pays appartenait Ă HĂ©ra).
Le chercheur quitte lâobscuritĂ© et se dĂ©termine pour un abandon au RĂ©el (les PĂ©lasges deviennent les Danaens).
Mais la pensĂ©e a maintenu jusquâau bout sa prĂ©tention Ă tout gouverner. Aussi la partie consacrĂ©e de lâĂȘtre doit-elle admettre finalement de prendre acte de la pleine rĂ©alisation du mental logique juste avant dây mettre un terme : quarante-neuf unions sont prononcĂ©es tandis que Danaos a dĂ©jĂ scellĂ© leur fin toute proche.
Cette intĂ©gration nâest en rien une annihilation, mais seulement un changement de gouvernance et de mode opĂ©ratoire du mental. Lâintuition doit prendre les rĂȘnes et les capacitĂ©s organisatrices du mental se mobiliser si besoin. Il nâest plus indispensable dâutiliser la pensĂ©e logique pour prĂ©voir.
AprĂšs avoir expĂ©rimentĂ© dâinnombrables fois ce transfert progressif, le chercheur ne garde au premier plan que lâacquis essentiel de sa rĂ©alisation mentale, le « discernement », LyncĂ©e. Celui-ci permet que « lâaspiration » reprĂ©sentĂ©e par Hypermnestra prenne toute sa force. Celle-ci fut en effet la seule Ă Ă©pargner son mari LyncĂ©e « la vue perçante, le discernement » Ă qui elle donna un fils, Abas, qui poursuivit la lignĂ©e.
Les anciens soulignaient ainsi la nĂ©cessitĂ© de soutenir « lâaspiration » (par un Ă©largissement de la conscience, un dĂ©ploiement des capacitĂ©s, etc.) â aspiration qui alimente le feu intĂ©rieur -, et simultanĂ©ment celle de dĂ©velopper un « discernement aiguisé » afin dâĂ©viter les piĂšges infiniment subtils qui ne manquent pas de se dresser devant les pas du chercheur.
Celui-ci reconnait lâutilitĂ© du dĂ©veloppement du mental logique (les DanaĂŻdes rendirent les derniers honneurs aux corps de leurs Ă©poux devant la ville dâArgos). Mais lâenterrement des tĂȘtes Ă Lerne indique que ce qui animait le chercheur et dirigeait le chemin jusque-lĂ nâĂ©tait autre que lâego mental soutenu par le dĂ©sir (elles devaient donc ĂȘtre « restituĂ©es » Ă Lerne, lieu symbolique du dĂ©sir dans le deuxiĂšme travail dâHĂ©raclĂšs).
Mais tant que le chercheur nâa pas pleinement dĂ©veloppĂ© son discernement â câest en effet LyncĂ©e qui prend le titre de roi dâArgos Ă la suite de Danaos â il ne peut prĂ©tendre se dispenser de lâaide du mental logique sĂ©parateur.
Comme ce dĂ©veloppement complet du mental logique puis son abandon-intĂ©gration fait partie intĂ©grante du processus Ă©volutif juste, les DanaĂŻdes furent naturellement purifiĂ©es de leur meurtre par HermĂšs et AthĂ©na, les forces qui contribuent Ă la croissance dans le mental et Ă la construction de lâĂȘtre intĂ©rieur.
Cette purification Ă©limine donc dâemblĂ©e toute punition ultĂ©rieure. Selon Apollodore, Danaos donna ses filles aux vainqueurs dâun concours gymnique, exprimant ainsi la nĂ©cessitĂ©, en sus du discernement et de lâaspiration, dâun assouplissement et dâune endurance accrue.
Cependant, dans la tradition tardive, les DanaĂŻdes durent subir un chĂątiment exemplaire dans lâHadĂšs. Selon les uns, il leur fallait puiser de lâeau avec des cruches percĂ©es, et selon dâautres, elles devaient essayer de remplir un tonneau lui aussi percĂ©, ce qui dans les deux cas se rĂ©vĂ©lait un processus sans fin.
Selon les plus anciennes traces connues, cette vaine tĂąche Ă©tait le lot « dâombres ailĂ©es » dans le Tartare ou dans lâHadĂšs, et fait donc rĂ©fĂ©rence Ă des mĂ©canismes mentaux qui se rĂ©pĂštent indĂ©finiment dans lâinconscient corporel et auxquels se heurtent les aventuriers de la conscience. Il semblerait donc quâelle fut abusivement attribuĂ©e aux DanaĂŻdes.
Avant de poursuivre lâĂ©tude de la lignĂ©e principale, il faut noter la seule descendance mentionnĂ©e dâune autre DanaĂŻde, AmymonĂ© « lâirrĂ©prochable ». Elle sâunit Ă PosĂ©idon prĂšs de Lerne et lui donna un fils, Nauplios « le marin », « celui qui navigue habilement sur le chemin » ou « lâintelligence de la voie », lui-mĂȘme pĂšre de PalamĂšde « lâartisan de lâunion ». (Ce dernier dĂ©jouera les stratagĂšmes dâUlysse lorsque le hĂ©ros tentera dâĂ©chapper Ă lâenrĂŽlement pour la guerre de Troie.)
Cette filiation souligne les effets Ă long terme, et dâabord subconscients, dâune certaine rectitude ou impeccabilitĂ© (il ne faut pas confondre cette rectitude, qui est de faire au plus juste ce que lâon sent devoir faire, avec ce quâon appelle couramment la vertu). Elle se manifeste en premier lieu par une « intelligence de la voie » issue du subconscient, une facultĂ© de progresser rapidement malgrĂ© les embĂ»ches et les impasses (Nauplios est un grand navigateur), puis par une force lĂ encore grandement subconsciente (PalamĂšde, « lâartisan de lâunion ») qui ramĂšne toujours le chercheur sur le chemin, malgrĂ© ses Ă©carts ou ses refus.
Parmi les fils dâĂgyptos, LyncĂ©e fut le seul survivant du massacre perpĂ©trĂ© par les DanaĂŻdes. Il sâunit Ă Hypermnestra qui lâavait Ă©pargnĂ© avec lâassentiment de Danaos, pĂšre de la jeune fille, qui lui offrit son royaume.
De ce couple royal naquit un garçon, Abas, hĂ©ritier Ă part Ă©gale du sang des deux frĂšres, Danaos et Ăgyptos. LyncĂ©e lui offrit Ă cette occasion un bouclier qui avait appartenu Ă son propre pĂšre Danaos dans sa jeunesse. Des jeux quinquennaux furent cĂ©lĂ©brĂ©s, appelĂ©s « Jeux du Bouclier dâArgos ».
Devenu adulte, Abas épousa Aglaia, fille de Mantineus, dont il eut des jumeaux nommés Acrisios et Proïtos.
Si Danaos et Ăgyptos furent des frĂšres ennemis, la rivalitĂ© fut bien pire entre leurs arriĂšres petits-enfants qui se dĂ©chiraient dĂ©jĂ dans le sein de leur mĂšre.
Ă la mort de leur pĂšre Abas, ils en vinrent aux armes pour rĂ©gler lâhĂ©ritage du royaume. (Une lĂ©gende avance que ProĂŻtos gagna le soutien du roi de Lycie qui lui donna Ă la fois sa fille SthĂ©nĂ©boia et des troupes pour assurer lâĂ©galitĂ© des forces entre les deux armĂ©es.) Le combat nâayant pu les dĂ©partager, un compromis fut trouvĂ© qui sĂ©parait le royaume en deux parts Ă©gales : Acrisios rĂšgnerait sur Argos tandis que ProĂŻtos construirait une nouvelle citĂ©, Tirynthe. Celle-ci fut fortifiĂ©e pour lui par les Cyclopes.
Sur la base du discernement (LyncĂ©e) et de lâaspiration (Hypermnestra) commence une seconde boucle qui implique davantage dâincarnation, comme lâindique la lettre structurante du nom de leur fils Abas (Î). Ce dernier hĂ©rita du bouclier de Danaos, reprĂ©sentant une « protection » que le chercheur Ă©labore durant la premiĂšre boucle, rĂ©sultat du travail symbolisĂ© par le nom des filles de Danaos et surtout par celui de leurs mĂšres : un « rassemblement » des Ă©lĂ©ments disparates de la personnalitĂ©, un Ă©largissement de la conscience (Europe), un accroissement de la rĂ©ceptivitĂ© intuitive (Polyxo) et un dĂ©veloppement des capacitĂ©s les plus hautes (Pieria). Cette transmission du bouclier marque une Ă©tape importante, la fin de la structuration dâune pensĂ©e libre et vaste (les fils dâĂgyptos) dont ne reste finalement que la capacitĂ© de discernement â protection dĂ©sormais indispensable sur le chemin â qui fut donc cĂ©lĂ©brĂ©e par les « Jeux du Bouclier dâArgos ».
Abas Ă©pousa Aglaia « celle qui brille », fille de Mantineus « lâĂ©volution des capacitĂ©s intuitives » : la seconde phase, qui travaille sur des plans plus profonds de lâĂȘtre (Abas) nĂ©cessite le dĂ©veloppement de la rĂ©ceptivitĂ© du chercheur.
Avec leurs fils jumeaux, ProĂŻtos et Acrisios, est mise en lumiĂšre une deuxiĂšme opposition intĂ©rieure, et cela dĂšs le dĂ©but du chemin, car ils se battaient dĂ©jĂ dans le sein de leur mĂšre : dâun cĂŽtĂ© ce qui « met au premier plan les mondes de lâesprit », (ProĂŻtos, Pro+Î΀) en nĂ©gligeant la transformation de la nature infĂ©rieure, de lâautre une implication dans la « confusion » du monde afin de le transformer. Cette opposition se manifeste dâautant plus que le chercheur sâapplique Ă toujours davantage dâincarnation (Abas). Des deux frĂšres, câest Acrisios qui prit la succession sur le trĂŽne dâArgos car la prioritĂ© doit ĂȘtre donnĂ©e au travail dans lâincarnation. ProĂŻtos rĂ©gna sur Tirynthe mais dut encore cĂ©der une partie de son royaume (Ă Bias et Ă son frĂšre MĂ©lampous), et ses filles subirent divers dĂ©rĂšglements : il est le symbole de celui qui cherche lâunion avec lâAbsolu dans les mondes de lâEsprit et risque en consĂ©quence des dĂ©sordres mentaux et vitaux suite au manque dâancrage dans la rĂ©alitĂ©.
En fait, le combat se poursuit tout au long de la quĂȘte tant que PersĂ©e nâa pas vaincu dĂ©finitivement la Gorgone. Il reprend aprĂšs chaque victoire dans une conquĂȘte progressive de la libertĂ© dont les travaux dâHĂ©raclĂšs sont le guide.
Acrisios sâunit Ă Eurydice « une juste maniĂšre dâagir » (une des douze Eurydice homonymes Ă ne pas confondre avec la femme dâOrphĂ©e). Cette Eurydice Ă©tait une fille de LacĂ©daemon « la divinitĂ© qui retentit (dans lâĂȘtre) avec force », lui-mĂȘme fils de Zeus et de la PlĂ©iade TaygĂšte. Cette alliance exprime le but recherchĂ© (et donc le moyen mis en Ćuvre) qui est lâintĂ©gritĂ© (accord des actes et du sentiment intĂ©rieur). Elle indique dâautre part que la victoire finale sur la dĂ©formation de lâĂ©nergie de vie ne pourra ĂȘtre acquise quâĂ lâĂ©tape du mental intuitif (TaygĂšte), dernier plan avant le surmental.
De cette union naquit une fille célÚbre, Danaé, la mÚre de Persée, que nous retrouverons plus loin.
ProĂŻtos
ProĂŻtos fut chassĂ© dâArgos par son frĂšre et sâenfuit en Lycie chez le roi IobatĂšs dont il Ă©pousa la fille AntĂ©ia (nommĂ©e SthĂ©nĂ©bĂ©e chez les Tragiques). Son beau-pĂšre lui apporta lâassistance nĂ©cessaire Ă son retour en Argolide et lui permit de sâemparer de Tirynthe que les Cyclopes fortifiĂšrent pour lui (ou bien il construisit cette nouvelle citĂ©). DâAntĂ©ia, ProĂŻtos eut dâabord deux filles, Lysippe et Iphianassa (auxquelles certains ajoutent IphinoĂ©) puis beaucoup plus tard un fils MĂ©gapenthĂšs.
MĂȘme si la voie que reprĂ©sente ProĂŻtos exclut lâĂ©volution dans lâincarnation, elle tend cependant vers une union nĂ©cessaire avec les mondes de lâesprit, avec le Divin impersonnel. En effet, selon HomĂšre, ProĂŻtos Ă©pousa la divine AntĂ©ia « celle qui a rencontrĂ© la conscience-existence (le Divin impersonnel ou Soi) ». Celle-ci Ă©tait la fille du roi de Lycie, symbole du plus haut de la lumiĂšre naissante.
Toutefois cette lumiĂšre doit sâappliquer dans lâincarnation. Aussi le roi de Lycie offrit-t-il son assistance pour reconduire ProĂŻtos en Argolide, lequel sâinstalla alors Ă Tirynthe. Ce dernier nom (΀ÎčÏÏ
ÎœÏ) pourrait provenir de ΀+ÎĄ+Î, « lâĂ©volution dâun juste mouvement vers lâEsprit », ce que confirmerait lâintervention des Cyclopes qui fortifiĂšrent pour lui la ville, fournissant ainsi la base dâune puissante vision unifiĂ©e. (Rappelons que les Cyclopes sont les symboles dâune vision totale.)
Le rĂšgne de ProĂŻtos fut marquĂ© par deux Ă©vĂšnements dâimportance : la visite de BellĂ©rophon et la folie de ses filles.
Bellérophon vint se faire purifier par Proïtos du meurtre accidentel de son frÚre DéliadÚs.
La femme de ProĂŻtos se plaignit alors auprĂšs de son mari de prĂ©tendues avances de BellĂ©rophon qui en rĂ©alitĂ© avait seulement repoussĂ© les siennes. Celui-ci la crut, mais ne pouvant chĂątier un hĂŽte que de surcroĂźt il venait de purifier, il envoya BellĂ©rophon chez le roi de Lycie, lui demandant dâexĂ©cuter pour lui la sentence de mort. Ce dernier pensa sâen acquitter en envoyant le hĂ©ros combattre la ChimĂšre.
BellĂ©rophon, comme nous le verrons en dĂ©tail dans le prochain chapitre, est le hĂ©ros vainqueur de « lâillusion ». Câest un descendant de Sisyphe et son symbolisme concerne une fonction particuliĂšre de lâintellect. SymbolisĂ©e par la ChimĂšre, fille dâĂchidna et de Typhon, lâillusion est profondĂ©ment enracinĂ©e dans la matiĂšre et dans la vie.
Lorsque Proïtos accueillit Bellérophon, celui-ci venait de succomber à une illusion car il avait tué accidentellement son frÚre DéliadÚs « la clarté, la vision claire ».
Sâil y a purification, câest que lâobscurcissement Ă©tait nĂ©cessaire. Mais le chercheur ne comprend pas son erreur pour autant. Car lorsque lui est fournie une opportunitĂ© nouvelle dâĂ©largissement de la conscience (lâunion proposĂ©e par AntĂ©ia) Ă un degrĂ© suffisant pour lui Ă©viter le combat contre lâillusion dans lâincarnation (la ChimĂšre), il refuse. Il nâaccepte pas « la grĂące » qui lui est offerte car, dĂ©pendant des habitudes gĂ©nĂ©rĂ©es par les millĂ©naires de lâĂ©volution, lâintellect ne se fie quâĂ sa propre lumiĂšre. Le chercheur ne peut imaginer que lâAbsolu, pour peu quâil accepte de sây soumettre, puisse ĂȘtre mieux Ă mĂȘme que lâintellect de le diriger.
Câest alors « le plus haut niveau de la lumiĂšre naissante » (le roi de Lycie) qui envoie le hĂ©ros combattre la ChimĂšre.
Cet Ă©pisode de la vie de ProĂŻtos fait le lien avec la branche de Sisyphe (les rĂ©alisations du mental logique) et indique que la victoire sur la peur est Ă©troitement liĂ©e Ă celle sur lâillusion (cf. chapitre sur BellĂ©rophon). Pour commencer, le chercheur ne peut plus considĂ©rer que les Ă©vĂšnements extĂ©rieurs sont « fortuits », justifier ses imperfections par son hĂ©rĂ©ditĂ©, son Ă©ducation ou son environnement, accepter les yeux fermĂ©s dogmes et -ismes en tous genre, etc.
Le second Ă©vĂšnement marquant du rĂšgne de ProĂŻtos fut la folie de ses filles, LysippĂ© et Iphianassa (auxquelles sâajoute parfois IphinoĂ©), errant en Arcadie et dans le PĂ©loponnĂšse. Pour les uns, leur faute Ă©tait dâavoir refusĂ© les rites de Dionysos. Pour dâautres, elle Ă©tait dâavoir prĂ©tendu que le palais de leur pĂšre Ă©tait plus opulent que celui dâHĂ©ra.
Afin de les guĂ©rir, ProĂŻtos demanda lâaide du cĂ©lĂšbre devin MĂ©lampous (fils dâAmythaon) qui rĂ©clama en paiement une partie du royaume. Leur folie dura dix ans.
Selon Apollodore, ProĂŻtos refusa tout dâabord les exigences du devin. Puis il dut cĂ©der et mĂȘme abandonner une part plus importante du royaume, MĂ©lampous demandant finalement un tiers pour lui et un tiers pour son frĂšre Bias.
Lors de lâintervention du devin, IphinoĂ© mourut. Les deux autres filles furent purifiĂ©es et sâunirent, Iphianassa Ă MĂ©lampous et LysippĂ© Ă Bias.
LâArgolide fut ainsi divisĂ©e en quatre royaumes oĂč rĂ©gnĂšrent respectivement Acrisios (roi dâArgos), ProĂŻtos (roi de Tirynthe), MĂ©lampous et Bias. Les descendants de Bias et MĂ©lampous joueront un rĂŽle important dans les guerres de ThĂšbes. LâArgolide ne retrouvera son unitĂ© que bien aprĂšs la guerre de Troie, avec un petit-fils dâAgamemnon.
La premiĂšre fille de ProĂŻtos, LysippĂ©, est le symbole dâune « énergie (vitale) libĂ©rĂ©e » et la seconde, Iphianassa, celui dâun « grand pouvoir ».
Si les directions ici dĂ©crites mĂšnent Ă diffĂ©rents dĂ©sordres et errances, câest parce que le chercheur refuse dâappeler le Divin et dâinclure dans son yoga plus de dĂ©votion (les rites de Dionysos) ou se laisse sĂ©duire par une voie qui semble apporter plus de « richesses » que celle de la voie juste (le palais de ProĂŻtos prĂ©tendument plus opulent que celui dâHĂ©ra, câest-Ă -dire les expĂ©riences rĂ©alisĂ©es dans les mondes de lâesprit plus significatives que celles rencontrĂ©es sur la voie juste).
Les dĂ©sordres et dĂ©viances peuvent ĂȘtre de toutes sortes mais semblent sâexpliquer, en accord avec le nom des deux filles, par une intrusion du vital trop importante et incontrĂŽlĂ©e. Peut-ĂȘtre les noms font-ils aussi rĂ©fĂ©rence Ă un usage erronĂ© des « connaissances » obtenues, source parfois de « pouvoirs » que symboliseraient les « richesses » du palais de ProĂŻtos.
La plupart des auteurs considĂšrent que le seul pouvoir mental qui « met au premier plan les mondes de lâesprit » (ProĂŻtos) nâest pas suffisant pour remettre de lâordre et quâune mobilisation aussi tardive soit-elle (dix annĂ©es symboliques) dâune « intuition » supĂ©rieure issue de lâesprit (ici reprĂ©sentĂ©e par le devin MĂ©lampous) est nĂ©cessaire.
Pour certains auteurs dont Apollodore se fait lâĂ©cho, lors de la remise en ordre, IphinoĂ© dut mourir car la domination de « la facultĂ© de penser » doit cesser.
Il faut nous arrĂȘter ici un moment pour parler du devin MĂ©lampous, car câest lâun des exemples oĂč des personnages de la voie de lâascension â MĂ©lampous et Bias, descendants dâĂole par son cinquiĂšme fils, CrĂ©thĂ©e â interviennent dans la voie de la purification. MĂ©lampous est en effet en rapport avec ce qui est reçu des plans de lâesprit. Ses pouvoirs de divination se rĂ©vĂšlent aux alentours de la premiĂšre grande expĂ©rience de contact avec lâAbsolu â MĂ©lampous est en effet cousin germain de Jason (cf. planche 12), le hĂ©ros de la Toison dâOr â et ne feront que sâamplifier par la suite.
MĂ©lampous rendit les honneurs funĂšbres Ă des serpents dont le nid se trouvait dans un chĂȘne devant sa maison et qui avaient Ă©tĂ© tuĂ©s par ses serviteurs. Il nourrit leurs petits qui, devenus grands, purifiĂšrent ses oreilles avec leur langue tandis quâil dormait. Il devint alors capable de comprendre les cris des oiseaux. Instruits par eux, il se mit Ă prĂ©dire aux hommes lâavenir et il Ă©tait rĂ©putĂ© pour avoir Ă©tĂ© le premier mortel Ă disposer de tels pouvoirs. Il apprit ensuite Ă pratiquer la divination sacrĂ©e. Et lorsquâil eut rencontrĂ© Apollon sur les bords de lâAlphĂ©e, il fut dĂ©sormais le meilleur devin.
Le chercheur a intĂ©grĂ© lâĂ©volution des capacitĂ©s les plus hautes de sa personnalitĂ© vitale-mentale (les serpents nichĂ©s dans un chĂȘne qui lâarbre le plus noble, le plus accompli : Ulysse consultera « la chevelure dâun divin chĂȘne ») et va sâouvrir Ă un autre mode de perception. MĂ©lampous est le premier de la lignĂ©e de devins issus dâAmythaon « celui qui entre dans le silence, qui est sans histoire personnelle », lequel est uni Ă EidomĂ©nĂ© « celle qui voit ». Il est donc le symbole de la progression vers une vision libĂ©rĂ©e des influences de lâhistoire personnelle et obtenue des hauteurs de lâesprit (il est en effet lâhomme aux « pieds noirs », et donc Ă©loignĂ© de lâincarnation, de la matiĂšre).
Ces nouvelles capacitĂ©s « dâentendement » sâinstallent dans le chercheur sans quâil puisse en comprendre le processus (car MĂ©lampous « dormait »). Cependant, câest lui-mĂȘme qui avait prĂ©parĂ© cette Ă©volution en modifiant son processus Ă©volutif. Il avait Ă©tĂ© aidĂ© pour cela en dĂ©veloppant de nouvelles « mĂ©thodes de yoga » qui purifiĂšrent son intuition supĂ©rieure (les serviteurs de MĂ©lampous avaient tuĂ© les parents serpents mais il avait nourri leurs petits, et ceux-ci lui lavĂšrent les oreilles).
Les premiĂšres capacitĂ©s de perception concernent les plans de lâesprit : « la parole des oiseaux ». Puis sa comprĂ©hension du sacrĂ© sâĂ©largit toujours plus, dans un rapport toujours plus Ă©troit entre ce qui est perçu et la VĂ©ritĂ©. Il devient alors capable de connaĂźtre sa tĂąche et lâutilitĂ© des diffĂ©rentes « formations » de son incarnation prĂ©sente « MĂ©lampous peut prĂ©dire aux hommes lâavenir »,
Enfin, le contact avec son ĂȘtre psychique (Apollon) dans la province de lâunion (lâĂlide oĂč coule lâAlphĂ©e), renforce les perceptions intuitives mentales par la connaissance exacte de ce qui est et de ce qui doit ĂȘtre, aussi bien dans lâaction, le sentiment que la pensĂ©e (MĂ©lampous fut dĂ©sormais le meilleur devin).
Nous pouvons alors poursuivre lâhistoire de ProĂŻtos
AprĂšs le partage de lâArgolide, ProĂŻtos eut un fils MĂ©gapenthĂšs. Selon Apollodore, lorsque PersĂ©e tua la Gorgone, son grand-pĂšre Acrisios qui craignait la rĂ©alisation de la prophĂ©tie sâenfuit Ă Larissa.
PersĂ©e qui dĂ©sirait le voir remonter sur le trĂŽne dâArgos le tua accidentellement alors quâil participait Ă des jeux. Refusant de monter sur le trĂŽne dâArgos dont il devait lĂ©gitimement hĂ©riter, il proposa un Ă©change de royaumes Ă son oncle MĂ©gapenthĂšs. Il sâinstalla Ă Tirynthe et fortifia MidĂ©a et MycĂšnes (Tirynthe lâavait dĂ©jĂ Ă©tĂ© par les Cyclopes sous le rĂšgne dâAcrisios).
MĂȘme sâil a cheminĂ© dans la « confusion » et « le manque de discernement », le chercheur a toujours recherchĂ© la voie juste (Argos), la juste maniĂšre dâagir (Acrisios est uni Ă Eurydice) jusquâĂ obtenir la victoire sur la convoitise vitale, la peur et lâillusion, avec lâaide apportĂ©e par lâunion au Soi (la divine AntĂ©ia unie Ă ProĂŻtos).
Les victoires de PersĂ©e et de BellĂ©rophon mettent fin Ă la « confusion » et au manque de discernement, mĂȘme si le chercheur a encore une certaine attirance pour les fonctionnements anciens (PersĂ©e veut remettre son grand-pĂšre Acrisios sur le trĂŽne mais le tue accidentellement). Au terme de chaque progression dans les boucles, la souffrance du chercheur augmente soit du fait de sa sensibilitĂ© croissante Ă la douleur du monde qui vit dans la sĂ©paration : câest MĂ©gapenthĂšs « une grande souffrance » qui monte alors sur le trĂŽne dâArgos.
En Ă©loignant PersĂ©e du trĂŽne, les anciens pouvaient alors crĂ©er une lignĂ©e distincte consacrĂ©e aux grandes orientations du travail de libĂ©ration (les exploits dâHĂ©raclĂšs, arriĂšre-petit-fils de PersĂ©e), en Ă©vitant au chercheur toute tentative de recherche dâĂ©quivalences avec sa progression sur le chemin.
Le mythe nous dit que lâArgolide Ă©tait dĂ©sormais sĂ©parĂ©e en trois royaumes â ceux de MĂ©gapenthĂšs (voie de la purification), de Bias, et de MĂ©lampous (voie de lâascension) â qui ne seront rĂ©unis que bien aprĂšs la guerre de Troie : le chercheur ne pourra concilier en lui ces trois voies quâaprĂšs avoir orientĂ© son yoga vers la rĂ©alisation dâune transparence totale et le yoga du corps.
Le chercheur travaille donc dĂ©sormais dans trois registres bien diffĂ©rents dont il ne perçoit pas lâunitĂ© ou quâil nâest pas capable de faire progresser ensemble de façon cohĂ©rente.
Dâun cĂŽtĂ©, lâessentiel de sa quĂȘte est entre les mains de MĂ©gapenthĂšs, le nouveau roi dâArgos dont le nom « grande souffrance » exprime chez le chercheur la conscience croissante et douloureuse dâĂȘtre « sĂ©paré », dâabord pour lui-mĂȘme, ensuite pour lâhumanitĂ© lorsque lâunion au Soi a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e. Câest lâexpression dâune sensibilitĂ© toujours plus vive, dâune consĂ©cration et dâune aspiration toujours plus forte Ă sâunir avec lâAbsolu et toute forme dâexistence.
Le royaume de MĂ©lampous est celui du dĂ©veloppement progressif dâune capacitĂ© intuitive et perceptive, commençant par les intuitions mentales auxquelles vont sâadjoindre progressivement celles du psychique. Cela permet une perception croissante de la vĂ©ritĂ© aussi bien en soi que dans les autres. Le chercheur est de moins en moins sujet Ă lâillusion et peut se garder de voies ou dâinfluences trompeuses.
Enfin, celui de Bias « la force » exprime une Ă©nergie croissante au service de la quĂȘte. Tout dâabord avec sa premiĂšre femme LysippĂ©, ce sera « une force (vitale) libĂ©rĂ©e (pour le yoga) ». Puis, avec sa seconde femme PĂ©ro, et leur fils Talaos « celui qui supporte », se dĂ©veloppera un Ă©lĂ©ment essentiel Ă la poursuite du yoga, « lâendurance ».
Le royaume de MycĂšnes fondĂ© par PersĂ©e appartient Ă lâArgolide et constitue donc en quelque sorte un quatriĂšme royaume, bien quâil semble plutĂŽt avoir Ă©tĂ© considĂ©rĂ© par les anciens comme « coiffant » les trois autres, car MycĂšnes domine lâArgolide. Le nom MycĂšnes est en rapport avec le « mugissement » du taureau, et donc avec « le pouvoir agissant du mental lumineux ».
AprÚs Persée, il sera gouverné par son fils Sthénélos puis par Eurysthée, Atrée, Agamemnon, Oreste et enfin Tisaménos qui réunira les royaumes de MycÚnes, Tirynthe, Argos et Sparte.
Le mythe de Persée
AprĂšs lâĂ©tude de la lignĂ©e de ProĂŻtos, nous abordons ici la descendance de son frĂšre jumeau et ennemi de toujours, Acrisios « celui qui avance dans la confusion », sans discernement.
Acrisios roi dâArgos, Ă©pousa Eurydice, fille de LacĂ©dĂ©mone roi de Sparte, prĂȘtresse du culte dâHĂ©ra. Ils eurent une fille DanaĂ© mais ne purent concevoir dâhĂ©ritier mĂąle. Aussi, Acrisios consulta-t-il lâoracle qui lui annonça que sa femme ne lui donnerait pas de fils. En revanche, sa fille en aurait un qui le tuerait.
Pour Ă©chapper Ă la prĂ©diction, il fit construire une chambre souterraine en bronze et y emprisonna DanaĂ©. Zeus, amoureux de la jeune fille, y pĂ©nĂ©tra sous la forme dâune pluie dâor par une fissure du toit et la fĂ©conda. Certains disent que ProĂŻtos fut lâamant humain.
Quelque temps plus tard, DanaĂ© mit au monde PersĂ©e quâelle Ă©leva en secret. Mais bientĂŽt Acrisios le dĂ©couvrit. Ne voulant pas croire Ă son origine divine, il lâenferma avec DanaĂ© dans un coffre quâil jeta Ă la mer.
Le coffre dĂ©riva jusquâĂ lâĂźle de SĂ©riphos oĂč rĂ©gnait le tyran PolydectĂšs, fils de MagnĂšs. Ils furent recueillis dans les filets du frĂšre du roi Dictys, un pĂȘcheur de tempĂ©rament opposĂ© Ă celui de son frĂšre, qui veilla sur eux jusquâĂ la maturitĂ© de lâenfant.
Câest alors que le roi aperçut DanaĂ© et en tomba amoureux mais il ne savait comment obtenir ses faveurs. Il chercha donc un moyen pour se dĂ©barrasser de PersĂ©e qui veillait sur sa mĂšre.
Il fit donc savoir quâil Ă©tait dĂ©sireux dâobtenir la main dâHippodamie, fille dâOinomaos. Selon certains, il avait besoin de contributions pour constituer la dot. Selon dâautres, il lui fallait les meilleurs chevaux pour lâemporter sur Oinomaos. Celui-ci obligeait en effet les prĂ©tendants Ă la main de sa fille Ă concourir contre lui dans une course de chars et tuait les perdants. Or, comme les chevaux des prĂ©tendants ne pouvaient rivaliser avec les siens qui Ă©taient dâorigine divine, aucun concurrent nâen rĂ©chappait.
PersĂ©e dĂ©clara au roi quâil lui donnerait non seulement un cheval mais aussi la tĂȘte de la Gorgone sâil le fallait. Le roi le prit au mot et lui demanda de rapporter la tĂȘte de MĂ©duse, sachant quâil serait ainsi dĂ©barrassĂ© de lui car quiconque regardait la Gorgone Ă©tait instantanĂ©ment changĂ© en pierre.
Une Gorgone â MusĂ©e du louvre
Bien quâil avance avec un « manque de discernement » (Acrisios), le chercheur est en quĂȘte de « la juste maniĂšre dâagir » (Eurydice). Cependant, cette confusion ne peut dĂ©boucher sur aucune voie active de yoga (Acrisios ne peut avoir dâhĂ©ritier mĂąle) et le chercheur sait intuitivement que cette confusion disparaĂźtra lorsquâil se sera dĂ©barrassĂ© de ses peurs et de la convoitise vitale (Acrisios est prĂ©venu que son petit-fils le tuera).
Selon des scholiastes de PhĂ©rĂ©cide, mythologue du Ve siĂšcle avant J.-C., Acrisios Ă©pousa Eurydice « une juste maniĂšre dâagir ». Câest lâune des Eurydice homonymes, Ă ne pas confondre avec la femme dâOrphĂ©e. Elle est fille de LacĂ©daemon « divinitĂ© retentissante », lui-mĂȘme fils de TaygĂšte et de Zeus : cette filiation laisse entendre que ce que reprĂ©sente la Gorgone â les perturbations apportĂ©es Ă la racine de la vie par la peur, etc. â ne peut ĂȘtre vaincu quâau niveau du mental intuitif (TaygĂšte est la sixiĂšme PlĂ©iade) afin que lâaventurier de la conscience puisse progressivement sâinstaller dans le surmental (plan de Maia).
Aussi doit-il dâabord cheminer dans une attitude rĂ©ceptive vers lâunion et le don de soi reprĂ©sentĂ©e par DanaĂ©. Mais lâego sait quâune telle attitude doit conduire Ă sa disparition. Il fait donc en sorte que la partie rĂ©ceptive de son ĂȘtre qui travaille Ă lâunion (DanaĂ©) soit Ă©cartĂ©e de sa conscience en lâenfermant dans une partie cachĂ©e de son ĂȘtre (une chambre souterraine en bronze). Il sâarrange pour que la consĂ©quence (DanaĂ©) de « la juste maniĂšre dâagir » vers laquelle il tendait (Eurydice) reste inopĂ©rante (ne puisse ĂȘtre fĂ©condĂ©e), sachant quâune telle fĂ©condation produirait le moyen de sa perte (la naissance de PersĂ©e). Comme le souligne Sri Aurobindo « Le monde entier aspire Ă la libertĂ©, et pourtant chaque crĂ©ature est amoureuse de ses chaĂźnes. Tel est le premier paradoxe et lâinextricable nĆud de notre nature ».
IndiffĂ©rent au conflit intĂ©rieur (Acrisios et ProĂŻtos), le plus haut de la conscience (Zeus) rĂ©pond Ă lâaspiration pour lâunion avec le Divin Ă lâinsu du chercheur (DanaĂ© est fĂ©condĂ©e Ă lâinsu dâAcrisios). Il se produit une « imprĂ©gnation » de la conscience que rien ne peut empĂȘcher (une pluie dâor qui passe Ă travers les barreaux).
Suite Ă cette union, DanaĂ© mit au monde PersĂ©e « celui qui dĂ©truit (lâego animal) » et lâĂ©leva en secret : les forces nĂ©cessaires croissent Ă lâinsu du chercheur. Lorsque la partie « confuse » du chercheur prend conscience que sa destruction se prĂ©pare, il tente de lâempĂȘcher, refusant de considĂ©rer que câest un rĂ©sultat de son aspiration (Acrisios enferme PersĂ©e dans un coffre en niant lâorigine divine de lâenfant).
LâĂźle de SĂ©riphos sur laquelle Ă©choue le coffre est le symbole de ce qui dans lâĂȘtre reste « attachĂ© Ă ce qui est descendu », la fĂ©condation par Zeus. Cette Ăźle est gouvernĂ©e par PolydectĂšs « celui qui reçoit beaucoup ». Câest un fils de MagnĂšs « lâaspiration », lui-mĂȘme fils dâĂole. Il est donc normal que les forces nĂ©cessaires Ă la lutte grandissent sur son territoire.
Mais ce nâest pas lui qui recueille lâenfant et sa mĂšre, et veille sur eux, mais son frĂšre (ou demi-frĂšre), un pĂȘcheur qui trouve le coffre dans ses filets, Dictys « celui qui prend au filet ». Le roi, semble-t-il, nâen fut pas mĂȘme informĂ©.
Le roi PolydectĂšs reprĂ©sente la partie rĂ©ceptive du chercheur, qui continue Ă recevoir « dâen haut », tandis que son frĂšre Dictys, « le pĂȘcheur au filet », Ă©voque le labeur, lâhumilitĂ© et lâincarnation dans le monde. Peut-ĂȘtre aussi une forme dâinvestigation du subconscient (la pĂȘche au filet).
Lorsque le temps est venu et que le chercheur a accumulĂ© par lâincarnation suffisamment de forces ou « une force irrĂ©sistible » (Diktys est fils de PĂ©risthĂ©nĂšs), alors peut se rĂ©aliser un progrĂšs dans lâunion : le roi tombe amoureux de DanaĂ©.
Mais ce progrÚs implique la disparition de la peur correspondante : aussi le roi doit-il envoyer Persée combattre la Gorgone.
Le chercheur, dans sa partie rĂ©ceptive (PolydectĂšs) pense ĂȘtre apte Ă accĂ©der Ă une certaine maitrise de la force vitale (concourir pour la main dâHippodamie « qui a domptĂ© le cheval, la force vitale » ) obtenue par lâaspiration Ă la joie (Oinomaos « celui qui cherche lâivresse divine ») alliĂ©e Ă une installation dans le mental supĂ©rieur (StĂ©ropĂ©, femme dâOinomaos). Mais cela ne peut se faire tant quâil y a des obstacles dans lâego vital.
Toutefois, PersĂ©e ne part au combat ni sur ordre du roi, ni selon quelque autre obligation, mais seulement suite Ă ce qui semble une simple fanfaronnade. Ainsi, la lutte et la victoire sur la peur ne pourraient ĂȘtre programmĂ©es mais viendraient seulement couronner une prĂ©paration laborieuse et une sorte dâengagement « par dĂ©fi » le moment venu. En effet, la lutte contre la peur organisĂ©e par le mental est inopĂ©rante tant que le chercheur ne peut mettre fin Ă lâidentification quasi automatique Ă lâego vital. La seule volontĂ© de lâĂȘtre extĂ©rieur est le plus souvent incapable de dĂ©passer les peurs qui sont ancrĂ©es profondĂ©ment dans lâĂȘtre. Il sâagirait davantage alors de prendre une dĂ©cision irrĂ©vocable comme « par dĂ©fi ».
GuidĂ© par HermĂšs et AthĂ©na, PersĂ©e se rendit auprĂšs des trois GrĂ©es « les vieilles », filles de Phorcys et CĂ©to, et donc sĆurs des Gorgones. A elles trois, elles nâavaient quâun seul Ćil et une seule dent quâelles se passaient Ă tour de rĂŽle. PersĂ©e sâen empara au moment oĂč elles se les Ă©changeaient et refusa de les rendre tant que les GrĂ©es ne lui auraient pas rĂ©vĂ©lĂ© le chemin qui conduisait vers les Nymphes. Ces derniĂšres Ă©taient en effet dĂ©positaires des objets indispensables pour vaincre les Gorgones : le casque dâHadĂšs qui rend invisible, les sandales ailĂ©es et la « kibisis » qui Ă©tait, dit-on, une besace dâargent frangĂ©e dâor.
PersĂ©e rĂ©cupĂ©ra auprĂšs des Nymphes ces accessoires magiques et HermĂšs lui donna de plus une faucille adamantine (HarpĂ©). Il sâĂ©leva dans les airs grĂące Ă ses sandales ailĂ©es et franchit lâocĂ©an, accompagnĂ© dâHermĂšs et dâAthĂ©na. Il rampa ensuite jusquâĂ la demeure des Gorgones quâil trouva endormies.
Les deux divinitĂ©s lui indiquĂšrent laquelle des trois Ă©tait MĂ©duse, seule Ă ĂȘtre mortelle, et lui recommandĂšrent dâĂ©viter son regard lorsquâil lui trancherait la tĂȘte. (Certains auteurs ajoutent quâAthĂ©na guida sa main et quâil usa dâun bouclier comme dâun miroir afin de ne pas croiser son regard).
De son cou tranchĂ© jaillirent PĂ©gase « le cheval ailé » et Chrysaor « lâhomme Ă lâĂ©pĂ©e dâor », que MĂ©duse avait conçus de son union avec PosĂ©idon.
Les deux autres Gorgones poursuivirent le hĂ©ros mais il sâĂ©chappa, rendu invisible par le casque dâHadĂšs, et portant la tĂȘte de MĂ©duse cachĂ©e dans sa « kibisis » (besace).
Le cheval ailĂ© PĂ©gase montĂ© par BellĂ©rophon lors de son combat contre la ChimĂšre â MusĂ©e du LouvreÂ
En dĂ©pit de son apparente simplicitĂ©, ce mythe fait appel Ă des notions complexes, en particulier dans ses rapports de complĂ©mentaritĂ© avec celui de lâHydre de Lerne.
Cependant, nous ne saurions nous en Ă©tonner au vu de la difficultĂ© des sciences de lâhomme Ă Ă©tablir une nomenclature commune des fonctionnements humains primaires.
LâĂ©nergie de vie, elle-mĂȘme limitĂ©e dans ses premiĂšres manifestations animales par lâinconscience, sâest tout dâabord manifestĂ©e par « lâinstinct de vie » qui veut possĂ©der et se satisfaire, la convoitise vitale.
Une dĂ©viance se produisit alors au moment oĂč le moi animal sâorienta vers lâindividuation aux troisiĂšme et quatriĂšme stades de dĂ©veloppement de la vie, ceux de Phorcys et CĂ©to. Cet arrĂȘt de lâĂ©volution dans lâunion (Ăchidna est la fille de Phorcys et CĂ©to) contribua Ă la formation de lâego animal, source dans le plan vital de la souffrance, de la peur, du plaisir et de la douleur, et du besoin de satisfaire aux nĂ©cessitĂ©s de la survie aussi bien individuelle que collective.
Lorsque cette Ă©nergie de vie limitĂ©e, rassemblĂ©e autour dâun premier ego vital animal, sâimmisce dans les plans infĂ©rieurs du mental humain, elle gĂ©nĂšre :
â dans le mental sensoriel : la soif des sensations, le penchant naturel Ă aller vers ce que nous aimons et Ă fuir ce qui nous dĂ©plaĂźt, les dĂ©gouts et rĂ©pulsions. Mais elle dĂ©veloppe aussi Ă sa racine un mĂȘme attrait pour lâexcĂšs dans la sensation, et donc aussi bien pour le plaisir violent que pour la souffrance, pour la perfection et lâharmonie que pour leurs opposĂ©s.
â dans le mental Ă©motif : les Ă©motions fausses et troubles, la colĂšre, les peurs et les espoirs liĂ©s aux affects, la honte et la culpabilitĂ©, et de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les attachements du cĆur, les passions, le besoin dâaffirmation de soi, de domination et de possession, celui de satisfaire les impulsions du sentiment, de cultiver antipathies et sympathies, dâassouvir lâamour (sa caricature prĂ©datrice) et la haine.
â dans lâintelligence : le dĂ©sir sous toutes ses formes (y compris lâambition, la recherche de pouvoir, etc.) qui est une dĂ©formation de la VolontĂ© pure par laquelle ce sont les objets eux-mĂȘmes qui deviennent le but de la jouissance et de la possession, et non lâAbsolu Ă travers eux.
Ce sont toutes ces manifestations de « lâarrĂȘt de lâĂ©volution dans lâunion » alliĂ©e à « lâignorance fondamentale » qui, dans lâhomme, surgissent des « marais » de la nature vitale sous la forme de lâHydre.
En effet, pour HomĂšre, deux monstres de la mythologie semblent couvrir lâensemble de ce processus : « Gorgo » dont il ne donne pas la filiation et lâHydre de Lerne.
Câest HĂ©siode qui nous propose une gĂ©nĂ©alogie cohĂ©rente pour les diffĂ©rents monstres. De la dualitĂ© apparue dans la vie avec le couple Phorcys/CĂ©to, il fait naĂźtre les GrĂ©es (les rudiments de mĂ©moire et de conscience), les trois Gorgones dont une seule est mortelle (seule MĂ©duse appartient Ă lâĂ©tat duel) et la vipĂšre Ăchidna (lâarrĂȘt de lâĂ©volution dans lâunion).
Gorgo est donc concomitante de « lâarrĂȘt de lâĂ©volution dans lâunion ». Elle reprĂ©sente le mouvement centralisateur qui caractĂ©rise et construit lâego animal, avec comme expressions et consĂ©quences la prĂ©dation instinctive et la peur.
Rappelons que dans la conscience humaine, lâalliance de cette dualitĂ© naissante ou perversion de lâĂ©volution (Ăchidna) et de lâignorance issue de la Nescience (Typhon issu du Tartare ou dâHĂ©ra) gĂ©nĂ©ra les quatre grands monstres propres Ă lâhomme, le chien Orthros, CerbĂšre, la ChimĂšre et lâHydre de Lerne.
Les Gorgones prĂ©cĂšdent donc lâHydre dans lâĂ©volution (la peur prĂ©cĂšde le mouvement de captation, la « saisie » et le dĂ©sir).
Les Gorgones vivent en ExtrĂȘme-Occident et donc Ă la racine de la vie consciente tandis que lâHydre habite les marais de Lerne, zone qui peut ĂȘtre associĂ©e au dĂ©sir humain.
Dâautre part, nul ne peut sâapprocher des Gorgones sans prĂ©caution car elles pĂ©trifient celui qui les regarde, tandis quâHĂ©raclĂšs pourra empoigner lâHydre dans son second travail.
Notons Ă©galement que lâHydre fut Ă©levĂ©e par HĂ©ra, câest-Ă -dire par le juste mouvement dâĂ©volution de la conscience humaine.
Si les Gorgones sont dâapparence humaine tandis que lâHydre est un serpent de mer Ă une ou plusieurs tĂȘtes (alors quâon sâattendrait plutĂŽt Ă lâinverse), câest sans doute parce que la Gorgone, symbole dâune consĂ©quence du dĂ©veloppement de lâego animal devant ĂȘtre abandonnĂ© le temps venu, est insĂ©parable du processus dâindividuation animal dont lâhomme a hĂ©ritĂ© dans ses mĂ©moires corporelles.
Ă lâinverse, le dĂ©sir, qui ne doit pas ĂȘtre confondu avec le besoin ni avec la VolontĂ© vraie, est une intrusion de cette mĂȘme Ă©nergie de vie pervertie dans lâintelligence et ne serait donc pas indispensable Ă une Ă©volution juste.
Câest pourquoi, selon certains auteurs, lâHydre est dĂ©pourvue dâailes alors que celles des Gorgones sont en or : ce qui confirmerait que ces derniĂšres correspondent Ă un juste mouvement de la mentalisation absolument nĂ©cessaire Ă lâindividuation.
Enfin, lorsque la Gorgone est dĂ©capitĂ©e par PersĂ©e, une Ă©nergie de vie libĂ©rĂ©e de la nature infĂ©rieure (le cheval PĂ©gase) et une VolontĂ© pure et inflexible (Chrysaor) apparaissent, tandis que rien ne surgit Ă la mort de lâHydre.
Tous ces Ă©lĂ©ments nous conduisent Ă attribuer Ă la Gorgone MĂ©duse les processus les plus archaĂŻques de lâindividuation dans la vie, le plus souvent rĂ©flexes et instinctifs, liĂ©s Ă la peur, aux attractions/rĂ©pulsions, aux couples plaisir/douleur vital ou domination/soumission, ainsi quâĂ leurs consĂ©quences.
Et lâHydre serait davantage le symbole du dĂ©sir, dĂ©formation de la VolontĂ© dans lâintelligence qui veut se saisir de ce quâelle croit ne pas possĂ©der, et son associĂ© le crabe qui symbolise le mouvement de captation ou « saisie » qui ne peut lĂącher prise. Sans doute peut-on aussi associer Ă lâHydre la honte et la culpabilitĂ©. La souffrance mentale et le doute sont davantage des consĂ©quences de Typhon et dâĂchidna.
Toutefois, si lâon considĂšre que lâextinction de tout dĂ©sir est Ă©galement celui de la peur, que lâon cesse de craindre lorsque lâon cesse dâespĂ©rer, alors on voit comme il peut ĂȘtre difficile de distinguer entre les deux monstres et lâon comprend les variantes de la mythologie Ă leur sujet.
En particulier, il est Ă©vident de par la multiplicitĂ© des gĂ©nĂ©alogies que les Anciens, dans leurs Ă©crits comme dans leurs reprĂ©sentations, nâont pas toujours attribuĂ© exactement la mĂȘme signification aux symboles, ce qui peut expliquer certaines diffĂ©rences dans les images et leurs descriptions.
Si lâon ignore les descriptions qui ont Ă©tĂ© proposĂ©es par HĂ©siode ainsi que celles des rĂ©cits tardifs en retenant uniquement les reprĂ©sentations de lâart figurĂ©, on voit que la Gorgone a la plupart du temps forme humaine. Seule sa tĂȘte de laquelle jaillissent de nombreux serpents prĂ©sente une apparence hideuse tandis que lâHydre est un monstre marin, un serpent de mer aux multiples tĂȘtes.
La Gorgone pourrait sur cette seule base ĂȘtre alors associĂ©e aux perturbations purement mentales dans lâhumain â le doute, la honte et la culpabilitĂ© â toutes trois Ă©galement paralysantes et consĂ©quences de la sĂ©paration dans le mental. Et lâHydre serait plutĂŽt lâimage de cette mĂȘme sĂ©paration dans le vital, avec ses consĂ©quences, la peur et le dĂ©sir.
Si la Gorgone reprĂ©sente un processus plus archaĂŻque que lâHydre, elle sera logiquement vaincue en totalitĂ© bien aprĂšs lâHydre, mĂȘme si elle vient en premier dans lâarbre gĂ©nĂ©alogique dâHĂ©raclĂšs. Rappelons, en effet, quâil sâagit de processus qui sâenchevĂȘtrent et se rĂ©pĂštent.
Hygin combine les deux approches : pour lui, les Gorgones sont filles de Gorgon et CĂ©to, Gorgon Ă©tant lui-mĂȘme un fils de Typhon et dâĂchidna. Il fait ainsi intervenir dans leur origine « lâignorance » et « lâarrĂȘt de lâĂ©volution dans lâunion », ce qui permet dâintĂ©grer la dĂ©formation due Ă lâignorance lors de lâirruption de la dualitĂ© dans la vie animale.
La Gorgone serait donc lâexpression du mouvement centralisateur de lâego vital, qui, mettant un terme Ă lâĂ©volution dans lâunitĂ©, introduit â lorsquâon perd le contact avec le RĂ©el (la matiĂšre, le corps) â la peur dans le vital et le doute dans le mental, les deux processus « paralysants » de lâaction. Ainsi, la seule vue de la Gorgone peut-elle pĂ©trifier.
Le mythe dans lequel le grand guérisseur Asclépios (Esculape) ressuscite les morts peut donner un éclairage complémentaire.
AsclĂ©pios avait reçu dâAthĂ©na le sang qui avait coulĂ© du cou de la Gorgone. Avec le sang sâĂ©coulant des veines gauches, il faisait pĂ©rir les hommes, tandis quâavec celui des veines de droite, il parvenait Ă ressusciter les morts. Zeus en fut contrariĂ© et le foudroya.
PrĂ©cisons quâil ne sâagissait pas de nâimporte quels « morts », mais seulement de « ceux qui Ă©taient morts Ă Delphes », câest-Ă -dire les Ă©lĂ©ments incorporĂ©s Ă lâĂȘtre psychique en cette vie ou durant les vies passĂ©es.
La Gorgone peut alors ĂȘtre associĂ©e au voile dâinconscience sĂ©parant la soi-disant vie de la soi-disant mort, et son sang du cĂŽtĂ© droit reprĂ©senterait le courant de conscience qui traverse le voile de bas en haut, rendant possible le retour Ă la conscience de vĂ©cus psychiques. En ce voile qui crĂ©e la premiĂšre sĂ©paration (et que lâon peut associer au premier voile de lâarbre des Sephiroth) se trouve lâorigine de la plus grande peur, celle de la mort. Nombre dâinitiĂ©s ont proclamĂ© que regarder Ă travers ce voile peut ĂȘtre terrifiant pour qui nâest pas prĂ©parĂ©.
Câest sur cette base que nous allons Ă©tudier les diffĂ©rentes histoires concernant les Gorgones.
Filles de Phorcys et CĂ©to, elles se manifestent donc lors de la constitution du « moi animal » Ă partir dâembryons de mĂ©moire et de conscience (les GrĂ©es). Elles ne concernent donc pas les processus archaĂŻques de la vie (mĂ©canismes de survie, reproduction, etc.) depuis le stade de la cellule jusquâĂ celui des « sens pensants » (Thaumas), non gĂ©rĂ©s par un cerveau central.
Fondamentalement, Gorgo (ou les Gorgones : MĂ©duse, SthĂ©no et EuryalĂ©) reprĂ©sente lâĂ©nergie de vie qui soutient les activitĂ©s mentales (elle est ailĂ©e) et qui subit une dĂ©formation lors du dĂ©but de la polarisation mentale (CĂ©to), lorsquâapparut le mouvement dâindividuation nĂ©cessaire pour sortir du fonctionnement de groupe animal.
Lâexpression la plus haute de cette Ă©nergie de vie, libĂ©rĂ©e de ses limitations et purifiĂ©e, sur le chemin de la jouissance et de la possession du Divin, se manifestent par une VolontĂ© pure et un pouvoir libres de toute limitation (Chrysaor « lâhomme Ă lâĂ©pĂ©e dâor » ou acte juste, et le cheval ailĂ© PĂ©gase, lâĂ©nergie de vie libĂ©rĂ©e de ses limitations) qui deviennent disponibles lorsque meurt la Gorgone.
Cette Ă©nergie est dĂ©formĂ©e lorsque la jouissance et la possession ne sâĂ©panouissent plus dans le cadre de lâUnitĂ© mais sont recherchĂ©es pour elles-mĂȘmes. Son Ă©mergence dans le cadre de lâignorance et des limitations imposĂ©es par la nature lâa orientĂ©e dans une direction dans laquelle toute forme de vie sâapprĂ©hende comme sĂ©parĂ©e. Ă la place de la jouissance et de la possession du RĂ©el se sont installĂ©es la souffrance et le manque, ainsi quâune tension pour y remĂ©dier.
Cette Ă©nergie se manifeste alors en lâanimal par la convoitise vitale, un instinct ou besoin qui veut possĂ©der et se satisfaire, en vue dâassurer sa propre conservation et la continuation de lâespĂšce (faim, soif, reproduction, etc.), convoitise qui est Ă lâorigine du dĂ©sir humain.
Elle est Ă la source de la peur et de lâagressivitĂ©, des pulsions primaires et des opposĂ©s plaisirs/douleurs.
Tuer la Gorgone, câest donc libĂ©rer le mental sensoriel des limitations et obscuritĂ©s naturelles, de la colĂšre, de la peur, de la dualitĂ© des attirances et rĂ©pulsions, et des rĂ©ponses automatiques au plaisir et Ă la douleur. Toutes choses cependant qui ont eu leur nĂ©cessitĂ© pour opĂ©rer une premiĂšre sĂ©lection instinctive. Câest atteindre un seuil oĂč peut se manifester la pure VolontĂ© du RĂ©el en nous, avec une Ă©nergie libĂ©rĂ©e de toute limitation, pour que les forces de lâAbsolu puissent travailler directement dans lâĂȘtre, et surtout dans le corps pour opĂ©rer sa transformation.
On comprend alors que le mythe de PersĂ©e se prĂ©sente comme un « chapeau »sur les travaux dâHĂ©raclĂšs, leur aboutissement logique.
Avec la mort de MĂ©duse peuvent se manifester pleinement les puissances de la Vie, une force vitale libĂ©rĂ©e de sa sujĂ©tion Ă la nature qui est un total « dĂ©tachement » (PĂ©gase) et une capacitĂ© dâaction exacte, juste et inflexible (Chrysaor « lâhomme au glaive dâor ») ou la mise en action de la VolontĂ© (non troublĂ©e par le dĂ©sir, car le travail contre lâHydre est Ă©galement accompli).
Selon HĂ©siode, PĂ©gase et Chrysaor sont fils de PosĂ©idon : ils ont alors Ă©tĂ© gĂ©nĂ©rĂ©s par le subconscient et ont poursuivis leur croissance en MĂ©duse, ce qui confirme la nĂ©cessitĂ© de ce que reprĂ©sentent les Gorgones pour la croissance de lâego.
Le nom Gorgo est formĂ© selon la structure des mots de la forme X+RX, ici Î+ÎĄÎ, câest-Ă -dire une impulsion qui revient vers lâĂ©metteur, un mouvement unifiĂ© qui sâinverse, qui rĂ©cupĂšre Ă son propre compte, agissant de son propre droit et non de celui de lâUnitĂ© Divine.
Sur le bouclier dâAthĂ©na, la tĂȘte de MĂ©duse est entourĂ©e de Phobos, AlkĂ©, Ăris, et IokĂ© (Crainte, Puissance, Discorde et MĂȘlĂ©e au combat), et sur celui dâAgamemnon, de DĂ©imos et Phobos (lâĂpouvante et la Crainte). Chez HomĂšre, Gorgo a un regard qui inspire la crainte, et au royaume dâHadĂšs, elle est lâune des ombres les plus terrifiantes. Hector a parfois le regard de Gorgo et Ulysse, Ă lâentrĂ©e du Royaume des ombres, craint que PersĂ©phone ne lui envoie de chez HadĂšs la tĂȘte du monstre (câest-Ă -dire quâil soit assailli par les peurs vitales les plus archaĂŻques Ă peine mentalisĂ©es).
Les attributs des Gorgones sont souvent repris Ă partir de la description dâHĂ©siode. Le nom de la seule Gorgone mortelle, MĂ©duse, Ă©voque « ce qui contient dans la juste mesure, ce qui prend soin (de la croissance) » : dans lâanimal et dans lâanimal en lâhomme, lâaiguillon de lâĂ©volution est la souffrance, et la peur protĂšge.
Les deux autres Gorgones, EuryalĂ© « lâĂ©volution vers une vaste liberté » et SthĂ©nno « la puissance Ă©volutive », expriment les besoins absolus de libertĂ© et de croissance Ă la racine de la vie.
Selon Apollodore, les Gorgones ont certaines particularités qui indiquent leur efficacité dans chacun des plans correspondants :
â la tĂȘte hĂ©rissĂ©e (dâanneaux Ă©cailleux) de serpents : une forte puissance Ă©volutive par le dĂ©but de mentalisation.
â de longues dĂ©fenses de sanglier : une bonne capacitĂ© de dĂ©fense ou dâattaque et dâagressivitĂ© dans les couches basses du vital.
â des mains de bronze : une action puissante dont on ne peut se dĂ©fendre.
â des ailes dâor qui leur permettaient de voler : une facilitĂ© pour agir dans le mental naissant.
Notons aussi que les Gorgones, pour HĂ©siode, sont apparentĂ©es Ă des rĂ©cifs sous- marins, câest-Ă -dire aux « nĆuds » dans le vital.
Pour rĂ©aliser lâexploit de tuer la Gorgone, PersĂ©e est aidĂ© par deux forces dâordre supĂ©rieur, AthĂ©na « celle qui veille Ă la progression de lâĂȘtre intĂ©rieur » et HermĂšs « la lumiĂšre de la Connaissance par identité ».
Ces deux divinitĂ©s lui conseillent de se rendre chez les GrĂ©es, « les vieilles femmes », (ou les « impulsions pour un dĂ©veloppement juste de la conscience »), les plus anciennes « rĂ©alisations » du mental dans la vie, qui doivent lui indiquer le chemin jusquâau repaire des Gorgones.
Les GrĂ©es nâont Ă elles trois quâun seul Ćil et une seule dent quâelles sâĂ©changent : le chercheur devra descendre profondĂ©ment en lui, « se saisir » des mĂ©moires archaĂŻques (la dent) et des lueurs de conscience ou de « connaissance vraie » (lâĆil unique) pour comprendre comment la Gorgone se manifeste dans sa vie, ce qui lui permettra dâacquĂ©rir les outils nĂ©cessaires Ă la victoire.
Chez HĂ©siode, elles ne sont que deux : Pemphredo « la guĂȘpe qui fait son nid dans la terre », câest-Ă -dire « le mental vrillĂ© cachĂ© dans le corps » et Enyo « lâĂ©volution ». Elles sont vĂȘtues, lâune dâun vĂȘtement safranĂ©, lâautre dâune robe de beautĂ©. Elles reprĂ©sentent donc des processus Ă©volutifs, incontournable pour le premier, harmonieux pour le second, tous deux basĂ©s comme pour MĂ©duse sur des embryons de mĂ©moire et de conscience.
Parvenu au niveau des GrĂ©es, le chercheur nâa pas dĂ©passĂ© le stade de la prise de conscience des dĂ©viations dues Ă lâĂ©nergie de vie dĂ©formĂ©e, mais cette prise de conscience ne suffit pas pour purifier. Il doit encore supprimer les dĂ©formations avec les outils adĂ©quats : le casque dâinvisibilitĂ©, les sandales ailĂ©es, une serpe et la «kibisis ».
La serpe lui a Ă©tĂ© remise par HermĂšs, le plus haut de la Connaissance, et les trois autres objets par les Nymphes. Celles-ci, le plus souvent filles de Zeus, sont des symboles des forces de transition entre le stade vital Ă©voluant dans lâunitĂ© et celui, duel, du mental. Câest pour cela quâelles ne sont ni mortelles, comme le sont les ĂȘtres qui Ă©voluent dans la dualitĂ©, ni immortelles comme ceux qui appartiennent au monde de lâunitĂ©, bien quâelles aient une vie extrĂȘmement longue. Cependant, elles reprĂ©sentent des Ă©tats proches de lâunitĂ© et câest pourquoi les Anciens en ont fait les esprits de la nature la plus sauvage. Pour vaincre la Gorgone, le chercheur doit retrouver lâunitĂ© perdue dans le vital et nâa dâautre choix que dâutiliser les outils que recommandent les Nymphes.
Le casque dâinvisibilitĂ© permet de voir sans ĂȘtre vu, câest-Ă -dire Ă©vite « lâidentification ». Lâaffrontement direct est alors Ă©vitĂ© et la mort de la Gorgone se produit comme par surprise, simple consĂ©quence du travail de prĂ©paration rĂ©alisĂ© auprĂšs des GrĂ©es, puis des Nymphes.
Le casque dâinvisibilitĂ© permet que ne soit Ă©mise aucune vibration, autrement dit que soient Ă©tablis un calme si ce nâest un silence mental, une paix Ă©motionnelle et une immobilitĂ© corporelle. Lorsque lâimmobilitĂ© parfaite est rĂ©alisĂ©e, alors rien ne peut toucher le chercheur.
LâinvisibilitĂ© lui Ă©vite donc de se faire « attraper » par lâĂ©lĂ©ment considĂ©rĂ©. Il ne doit pas focaliser son attention sur celui-ci car il ne ferait alors que le nourrir. Au contraire, il doit « faire un pas en arriĂšre », se dĂ©s-identifier. Câest lâimage donnĂ©e par le miroir ou le reflet de la Gorgone dans son bouclier.
PersĂ©e fut ensuite pourvu par les Nymphes dâune paire de sandales ailĂ©es qui lui permirent de se rendre au repaire des Gorgones, aux extrĂ©mitĂ©s de la terre.
Ces sandales ailĂ©es Ă©taient aussi un attribut dâHermĂšs, le niveau le plus avancĂ© du mental (lâair est un attribut du plan mental). Elles symbolisent Ă la fois une capacitĂ© Ă sâĂ©lever « au-dessus », Ă prendre de la hauteur par rapport aux situations, mais surtout Ă se rendre aux limites de la conscience (aux « extrĂ©mitĂ©s de la terre ») par un dĂ©placement rapide de celle-ci jusquâĂ la source de la dĂ©formation.
Puis PersĂ©e, grĂące Ă lâaide dâAthĂ©na qui dirigeait son bras, utilisa une serpe, la « Harpé » que lui avait donnĂ© HermĂšs, pour trancher le cou de MĂ©duse. Ce mot HarpĂ© est formĂ© avec les lettres structurantes ÎĄÎ . Nous avons dĂ©jĂ rencontrĂ© ce groupe de consonnes avec les Harpyes, symbole dâun « renversement dâĂ©quilibre ». Lâoutil dĂ©cisif qui permet la victoire (trancher le cou de MĂ©duse) serait donc le « renversement » de lâĂ©quilibre de la conscience animale la plus primitive.
Le chercheur traverse plusieurs Ă©tapes avant de toucher aux racines du plaisir et de la souffrance. Il doit se battre contre les rĂ©pulsions, les dĂ©gouts et les manques. Il ne sâagit pas ici des douleurs corporelles, car le mythe de la Gorgone, liĂ© Ă la racine de lâĂ©laboration du moi animal, ne concerne pas le corps et les processus associĂ©s Ă la vie physique, tels la faim, le sommeil, etc., plongeant jusquâaux racines du mental cellulaire. La Gorgone appartient en effet aux troisiĂšme et quatriĂšme stades de dĂ©veloppement de la vie, et le personnage de GorgophonĂ© « celui qui a tuĂ© la Gorgone », fils de PersĂ©e et dâAndromĂšde, intervient dans la descendance de la PlĂ©iade TaygĂšte au stade du mental intuitif qui prĂ©cĂšde le surmental. (Nous avons vu que DanaĂ© avait aussi TaygĂšte parmi ses ascendants.)
Enfin, le hĂ©ros dut ĂȘtre Ă©quipĂ© de la mystĂ©rieuse « kibisis ». Ce mot nâest utilisĂ© nulle part ailleurs dans les textes grecs. Il fut interprĂ©tĂ© comme dĂ©finissant une « besace » car les exĂ©gĂštes ont pensĂ© que PersĂ©e devait avoir un sac quelconque pour transporter la tĂȘte de la Gorgone.
Notons que PersĂ©e nâa pas prĂ©mĂ©ditĂ© le combat contre la Gorgone, mais dut sây rĂ©soudre Ă la suite dâune simple vantardise : lorsque le moment est venu, la vie offre les obstacles nĂ©cessaires au progrĂšs, et pousse le chercheur Ă affronter ceux-lĂ mĂȘme quâil pense insurmontables. Lorsquâil est mis au pied du mur, les forces intĂ©rieures (AthĂ©na) et celles du plus haut plan du mental (HermĂšs) apportent leur soutien.
Les forces qui jaillissent du cou tranchĂ© de MĂ©duse, le cheval ailĂ© PĂ©gase et Chrysaor, conçues dans le subconscient, grandissent tout au long de la quĂȘte mais ne deviennent actives quâĂ la mort de leur mĂšre. Rappelons que PĂ©gase dont le nom signifie « eaux vives » et/ou « puissant » est le symbole de la force de vie libĂ©rĂ©e de sa sujĂ©tion Ă la nature, et Chrysaor « lâhomme Ă Â lâĂ©pĂ©e dâor » celui dâune capacitĂ© dâaction juste et inflexible.
Ă la mort de MĂ©duse, ces forces opĂšrent directement dans « lâunité » de la vie, car PĂ©gase prit son vol pour rejoindre lâOlympe, tandis que Chrysaor, de son union avec CallirhoĂ© « ce qui coule bien », eut pour enfant GĂ©ryon, symbole des « pouvoirs » de la vie que le chercheur devra aussi laisser de cĂŽtĂ© (cf. le dixiĂšme travail dâHĂ©raclĂšs).
Dans les mythes tardifs, BellĂ©rophon montait PĂ©gase durant son combat contre la ChimĂšre, leurs auteurs prĂ©cisant ainsi que la victoire finale sur lâillusion ne peut ĂȘtre acquise tant que lâĂ©nergie de vie nâest pas totalement purifiĂ©e et libĂ©rĂ©e, principalement de la peur et du doute.
Sur le chemin du retour, PersĂ©e rencontra AndromĂšde. Elle Ă©tait attachĂ©e en mer sur un rocher, offerte en expiation Ă un monstre marin, car sa mĂšre CassiopĂ©e sâĂ©tait vantĂ©e que sa fille Ă©tait plus belle que les NĂ©rĂ©ides. PosĂ©idon irritĂ© avait gĂ©nĂ©rĂ© une inondation et envoyĂ© un monstre marin contre le pays.
Lâoracle avait annoncĂ© que la calamitĂ© ne cesserait que si AndromĂšde Ă©tait offerte en pĂąture au monstre.
PersĂ©e tomba amoureux de la jeune fille et promit de la dĂ©livrer si son pĂšre CĂ©phĂ©e acceptait de la lui donner en mariage. Le marchĂ© fut conclu. PersĂ©e repoussa le monstre ou, selon dâautres versions, le tua avec son Ă©pĂ©e ou sa faucille. Toutefois, selon certains, avant dâĂ©pouser AndromĂšde, il dut encore affronter PhinĂ©e qui Ă©tait le frĂšre de CĂ©phĂ©e et auquel la jeune fille Ă©tait promise.
AndromĂšde, celle qui a « souci de lâhumain », reprĂ©sente une « volontĂ© de servir » issue de lâintellect car elle est la fille de CĂ©phĂ©e. Cette volontĂ© est sincĂšre car AndromĂšde est belle.
Sa mĂšre CassiopĂ©e reprĂ©sente le chercheur qui a « ouvert sa conscience Ă la vision du cheminement humain ». Cette ouverture entraĂźne ce dernier vers une prĂ©tention Ă Ćuvrer de façon plus efficace que ne peuvent le faire en lui les forces les plus anciennes et spontanĂ©es de la vie, câest-Ă -dire les moins perturbĂ©es par lâintervention du mental (CassiopĂ©e prĂ©tend quâelle-mĂȘme ou que sa fille est plus belle que les NĂ©rĂ©ides). Le chercheur intervient alors dans le chemin des autres ou dans le sien propre (par projections et introjections). Mais son « travail » est automatiquement perturbĂ© en retour par les forces vitales non maĂźtrisĂ©es de sa nature subconsciente. Avec « lâinondation », câest le subconscient vital qui perturbe sa nature entiĂšre et toutes ses actions, et avec « le monstre marin », câest la mainmise complĂšte dâĂ©lĂ©ments du vital subconscient non purifiĂ©s capables dâentraĂźner la fin de cette disponibilitĂ©.
Lorsque le chercheur a terminĂ© la « purification » et la « libĂ©ration » de lâĂ©nergie de vie (lorsque PersĂ©e a tuĂ© la Gorgone), il peut enfin « travailler sur lâhumain » sans quâintervienne son ego mental et vital. Il est devenu un pur canal car celle « qui prend soin de lâhumain », AndromĂšde, est dĂ©livrĂ©e.
Cependant, avant que le chercheur (PersĂ©e) ne puisse se mettre entiĂšrement « au service » (Ă©pouser AndromĂšde), et mĂȘme sâil est parvenu Ă la libĂ©ration du vital en ayant annihilĂ© toute peur en lui, il doit encore accepter que sa partie rĂ©ceptrice intuitive, contrepartie du mental logique (PhinĂ©e « lâĂ©volution de ce qui descend dâen haut », frĂšre de CĂ©phĂ©e) abandonne Ă©galement ses prĂ©tentions Ă diriger la maniĂšre de servir au profit de ce qui est libre de toute peur. Le vrai service qui est don de soi total ne peut se faire sâil se maintient dans lâĂȘtre la moindre peur ou le moindre doute. Il ne doit dĂ©pendre que du psychique ou de lâĂąme, de la VĂ©ritĂ© en soi. Le chercheur doit cesser de le faire dĂ©pendre de lâintuition mentale (CassiopĂ©e Ă©tait promise Ă PhinĂ©e).
PersĂ©e revint alors Ă SĂ©riphos oĂč, exhibant la tĂȘte de MĂ©duse, il pĂ©trifia le tyran PolydectĂšs et tout son peuple. Il confia alors le trĂŽne Ă son bienfaiteur, Diktys, le frĂšre du roi. Il remit la tĂȘte de la Gorgone Ă AthĂ©na qui la plaça sur son Ă©gide et partit pour Argos avec DanaĂ©, AndromĂšde et les Cyclopes. Ceux-ci lui apportĂšrent leur aide pour la fortification de MycĂšnes.
Le roi PolydectĂšs reprĂ©sente celui « qui reçoit beaucoup » (dâen haut). Cette aide a dĂ©clenchĂ© le travail nĂ©cessaire de purification et de libĂ©ration. Mais une fois lâunitĂ© rĂ©alisĂ©e dans le vital, elle nâest plus nĂ©cessaire et le chercheur doit poursuivre son travail dans le quotidien de lâincarnation avec humilitĂ©.
La tĂȘte de la Gorgone est un « trophĂ©e » majeur du chemin. PlacĂ©e sur lâĂ©gide dâAthĂ©na, elle indique que le chercheur est arrivĂ© au terme dâune Ă©tape importante : il est devenu aux yeux de tous ce que la tradition a coutume dâappeler « un libĂ©rĂ© vivant ».
Mais ce nâest pas la fin du chemin, aussi le chercheur qui est devenu « un voyant » (PersĂ©e est accompagnĂ© des Cyclopes) retourne-t-il Ă Argos poursuivre le travail dâunion (avec DanaĂ©), travail qui se dĂ©roulera dĂ©sormais dans le corps et pour lâhumanitĂ© (il est accompagnĂ© dâAndromĂšde). Le travail de yoga « personnel » sâarrĂȘte ici, mais bien dâautres mythes participent Ă dĂ©crire le chemin jusquâĂ ce point, encadrĂ©s par les exploits du plus cĂ©lĂšbre des descendants de PersĂ©e, HĂ©raclĂšs.
A son retour Ă Argos, PersĂ©e nây retrouva pas son grand-pĂšre qui sâĂ©tait enfui vers le nord, Ă Larissa. Il craignait en effet la rĂ©alisation de lâoracle qui lui annonçait que son petit-fils le tuerait.
PersĂ©e le rejoignit dans cette ville et le convainquit de rentrer Ă Argos avec lui. Cependant, avant de partir, PersĂ©e participa Ă un concours athlĂ©tique et lança un disque qui tomba sur le pied de son grand-pĂšre et le tua. Rempli de douleur et ne voulant rĂ©gner Ă la place de celui quâil venait de tuer, il Ă©changea le trĂŽne dâArgos avec celui de Tirynthe oĂč rĂ©gnait son cousin MĂ©gapenthĂšs, fils de ProĂŻtos, qui avait eu deux enfants, Anaxagoras et Iphianira.
Persée fonda une ville nouvelle proche de Tirynthe, MycÚnes.
DâAndromĂšde, il eut six enfants.
La mort accidentelle du grand-pÚre de Persée, Acrisios, celui qui est « dans la confusion », indique que le travail de discernement est terminé : il consacre la fin de le peur et du doute.
PersĂ©e proposa donc un Ă©change de trĂŽnes Ă son cousin MĂ©gapenthĂšs, symbole dâune « grande souffrance » ou compassion qui envahit lâĂȘtre lorsquâil est parvenu Ă cet Ă©tat de libĂ©ration, et provenant de son intense perception du manque dâunitĂ© de lâhomme avec le Divin.
La mort de la Gorgone reprĂ©sentant une Ă©tape trĂšs avancĂ©e du chemin, il faut alors considĂ©rer les transformations dĂ©crites par les travaux dâHĂ©raclĂšs dans la descendance de PersĂ©e comme des processus entrelacĂ©s, non seulement entre eux mais aussi avec les processus illustrĂ©s par les luttes contre la ChimĂšre et la Gorgone.
Peut-ĂȘtre les anciens rĂ©solurent-ils dâapporter une solution Ă ce problĂšme par lâĂ©loignement de PersĂ©e dâArgos et la fondation dâune nouvelle lignĂ©e Ă MycĂšnes.
Quoi quâil en soit, le mythe semble nous replacer dans les conditions thĂ©oriques du dĂ©but de la quĂȘte par le nom des deux enfants de MĂ©gapenthĂšs, Anaxagoras « la domination par les nombreux aspects de la personnalité » et Iphianira « un attachement puissant ».
En fondant MycĂšnes, PersĂ©e pose les bases dâune ville en rapport avec le « mugissement » du taureau, et donc avec « le pouvoir agissant du mental lumineux ». Les Cyclopes, symboles dâune « vision totale », en construisirent les fortifications, Ă©tablissant ainsi des protections puissantes par une conscience vaste qui caractĂ©risera, quelques gĂ©nĂ©rations plus tard, le maĂźtre de cette ville, lâAtride Agamemnon.
Le trĂŽne dâArgos (la direction de la quĂȘte) se maintiendra durant plusieurs gĂ©nĂ©rations dans la descendance de MĂ©gapenthĂšs (dans le processus de purification) dans laquelle figureront, Ă la quatriĂšme gĂ©nĂ©ration, deux cĂ©lĂšbres attaquants de la guerre des Sept contre ThĂšbes, câest-Ă -dire deux qualitĂ©s intĂ©rieures fortement mobilisĂ©es dans cette purification. Puis il passera dans la lignĂ©e de lâascension, celle de Bias « la force », avant que lâArgolide ne soit dĂ©finitivement rĂ©unifiĂ©e par le petit-fils dâAgamemnon, Tisamenos « celui qui est sans mental » (dans le complet silence mental), roi de MycĂšnes, Tirynthe, Argos et Sparte : seront alors unifiĂ©s en vue dâune Ă©tape future du chemin « le pouvoir agissant du mental lumineux », « lâĂ©volution dâun juste mouvement vers lâesprit », « la purification de la nature » et « le jaillissement du nouveau ».
La descendance de PersĂ©e jusquâĂ HĂ©raclĂšs
DâAndromĂšde, « celle qui prend soin de lâhumain » ou « celle qui sert », PersĂ©e eut de nombreux enfants dont quatre â trois fils et une fille GorgophonĂ© â revĂȘtent une grande importance. Cette derniĂšre, dont le nom signifie « le meurtre de la Gorgone », atteste du but poursuivi : la victoire sur les dĂ©viations de lâĂ©nergie de vie. Elle nâa pas de lĂ©gende propre et ne figure ici que pour indiquer par ses alliances successives avec des personnages de la branche de Japet (PĂ©riĂšres et Oibalos) lâĂ©tape correspondante Ă cette rĂ©alisation dans le processus dâascension des plans de conscience.
Nous nâen dirons que quelques mots Ă ce stade de notre Ă©tude.
Avec PĂ©riĂ©rĂšs, sixiĂšme enfant dâĂole, elle engendra ApharĂ©e « celui qui est sans masque » (qui est sans ego) et Leukippos « une Ă©nergie vitale purifiĂ©e » (celui qui est sans dĂ©sir) : PĂ©riĂ©rĂšs reprĂ©sente donc dans lâascension des plans de conscience le stade de celui qui est sans dĂ©sir et sans ego, parvenu Ă une parfaite Ă©quanimitĂ© conduisant vers la perfection spirituelle. Câest le stade de la sagesse et de la saintetĂ©.
Avec Oibalos, roi de Sparte issu de la lignĂ©e de TaygĂšte (le plan du mental intuitif qui prĂ©cĂšde le surmental), elle engendra Tyndare. Celui-ci fut le pĂšre humain des jumeaux divins, les Dioscures Castor et Pollux (« la force » et « la totale douceur »), dâHĂ©lĂšne et de Clytemnestre (« lâĂ©volution de la libĂ©ration » et « un mental Ă©clairé ») (cf. Planche 13).
Les trois fils notoires de PersĂ©e vont jouer un rĂŽle dĂ©terminant dans lâascendance dâHĂ©raclĂšs. Ils dĂ©terminent Ă la fois les bases dâun processus dĂ©jĂ bien engagĂ© et lâobjet de la quĂȘte ou son accomplissement :
â Alkaios (ou AlcĂ©e) « qui met en Ćuvre la force de la conscience ». Il est le pĂšre dâAmphitryon et donc le grand-pĂšre dâHĂ©raclĂšs.
â Ălectryon, celui qui est comme « lâambre » (mĂ©tal prĂ©cieux composĂ© de 4/5Ăšmes dâor et 1/5Ăšme dâargent), symbole dâun stade avancĂ© de la purification. Les lettres ΄ et Ω ajoutent lâidĂ©e dâune rĂ©ceptivitĂ© tournĂ©e vers la matiĂšre. Il est le pĂšre dâAlcmĂšne et donc le deuxiĂšme grand-pĂšre dâHĂ©raclĂšs.
â SthĂ©nĂ©los « celui qui travaille Ă une puissante libĂ©ration » est le pĂšre dâEurysthĂ©e. Ce dernier est celui qui met en mouvement les transformations en exigeant dâHĂ©raclĂšs la rĂ©alisation des travaux.
Une conscience vaste, purifiĂ©e et libĂ©rĂ©e est donc la rĂ©alisation Ă laquelle conduiront les exploits dâHĂ©raclĂšs.
(Mentionnons pour mĂ©moire les autres fils de PersĂ©e : PersĂšs, ĂlĂ©ios et Mestor que nous Ă©tudions ci-aprĂšs.)
Les sources diffĂšrent en ce qui concerne les noms des Ă©pouses de ces trois hĂ©ros, mais presque toutes sâaccordent pour en faire des filles de PĂ©lops « une vision partielle (grise) ». Ce dernier est le fils de Tantale « lâendurance, le manque, lâaspiration » dont nous avons parlĂ© comme lâun des « damnĂ©s » du royaume dâHadĂšs, image de ce qui, ayant rempli son rĂŽle dans le mental, le quitte pour sâĂ©tablir dans le vital puis ensuite dans le corps.
PĂ©lops sâĂ©tant uni Ă Hippodamie « la maĂźtrise de la force de vie », ses filles reprĂ©sentent aussi ce vers quoi tend le chercheur dans le domaine de la maĂźtrise du vital.
Les noms le plus souvent citĂ©s sont LysidicĂ© « une libre maniĂšre dâagir », femme dâĂlectryon. Elle lui donna AlcmĂšne « la force dâĂąme », laquelle fut la mĂšre dâHĂ©raclĂšs et dâIphiclĂšs. Elle symbolise lâacte libre de lâego et du dĂ©sir.
Astydamie « qui est maĂźtre en sa demeure (qui gouverne sa nature) » fut la femme dâAlkaios et la mĂšre dâAmphitryon, lequel fut le pĂšre dâIphiclĂšs et le pĂšre humain dâHĂ©raclĂšs.
NicippĂ© « une Ă©nergie vitale victorieuse (maĂźtrisĂ©e) » sâunit Ă SthĂ©nĂ©los « une forte (volontĂ© de) libĂ©ration » Ă qui elle donna EurysthĂ©e « une grande Ă©nergie intĂ©rieure ».
Initialement, la répartition des royaumes entre les trois frÚres est la suivante :
Ălectryon « lâaccomplissement dâune forte purification » (dans les plans infĂ©rieurs), le plus puissant des fils de PersĂ©e, lui succĂ©da sur le trĂŽne de MycĂšnes : le processus de purification (Ălectryon) dirige maintenant le lieu oĂč se manifeste lâardeur de lâaspiration par « le pouvoir agissant du mental lumineux » (MycĂšnes).
SthĂ©nĂ©los devint roi dâArgos : le chercheur est toujours guidĂ© par le principe dâune « puissante libĂ©ration ». Câest pourquoi il sâunit Ă NikippĂ© « la libĂ©ration vitale ».
Alkaios « une conscience large » monta sur le trĂŽne de Tirynthe, assurant « lâĂ©volution dâun juste mouvement vers lâEsprit ». Il sâunit Ă Astydamie « celle qui dompte la ville » ou « la maĂźtrise de la personnalité ».
LâĂ©volution de ces royaumes dâArgolide Ă travers les aventures entremĂȘlĂ©es des enfants et petits-enfants de PersĂ©e est relativement complexe. Elle dĂ©crit lâenvironnement propice Ă la naissance dâHĂ©raclĂšs et dĂ©nonce Ă©galement une impasse. En effet, lâhistoire de PtĂ©rĂ©laos avertit des dangers dâune « vision mentale » (avec une idĂ©e dâexaltation confirmĂ©e par sa filiation) qui se rĂ©vĂšle ĂȘtre une impasse mĂȘme si elle permet un vĂ©ritable accĂšs Ă lâAbsolu non-duel qui reste par ailleurs extrĂȘmement limitĂ©. Le chercheur perd alors Ă la fois cette connexion et momentanĂ©ment la possibilitĂ© de poursuivre la purification de sa nature. Il ne pourra reprendre son chemin quâen acceptant de renoncer Ă cette liaison avec le RĂ©el afin de reprendre une voie juste. Mais auparavant il doit en Ă©liminer la cause.
Le mythe du renard de TeumĂšssos qui lui fait suite prĂ©cise en effet que le chercheur ne peut retrouver sa nature lumineuse sans avoir supprimĂ© au prĂ©alable la cause des dĂ©gĂąts provenant dâune Ă©nergie vitale « rusĂ©e » que la conscience ne peut « saisir ». Cette Ă©nergie crĂ©e des conflits intĂ©rieurs qui semblent insolubles au chercheur, usant ses forces vives, mais qui disparaissent le moment venu sous lâeffet dâune intervention spirituelle supĂ©rieure.
Ce mythe traite le plus probablement des approches de la spiritualitĂ© par les sciences magico-occultes qui peuvent donner un contact infime avec lâAbsolu non-duel mais auxquelles le chercheur doit renoncer sâil veut entrer dans une vraie voie de purification-libĂ©ration.
Nous reprenons ces deux histoires complexes ci-dessous en détail.
Le quatriĂšme fils de PersĂ©e, Mestor « celui qui conseille, inspire » sâunit Ă LysidicĂ© « une libre maniĂšre dâagir » qui lui donna une fille HippothoĂ© « une Ă©nergie qui sâĂ©lance » ou « un vital brillant ». Celle-ci attira lâattention de PosĂ©idon, maĂźtre du vital « subconscient ».
Mestor reprĂ©sente « lâexpĂ©rience » qui marche vers la libertĂ© et engendre une forte Ă©nergie vitale pour sâengager sur le chemin. Fils de PersĂ©e, il reprĂ©sente un chercheur qui a dĂ©jĂ fait un travail important pour se libĂ©rer de ses peurs sans avoir pour autant rĂ©alisĂ© une purification correspondante de lâego.
Le dieu entraĂźna la jeune fille jusquâaux Ăźles Ăchinades, lieu de « lâarrĂȘt de lâĂ©volution » situĂ© Ă lâentrĂ©e du golfe de Corinthe. LĂ , elle lui donna un fils, Taphios « celui qui ensevelit (la conscience) » qui devint le roi de ces Ăźles et en gouverna le peuple qui porta son nom par la suite, les Taphiens. Ceux-ci sont aussi appelĂ©s TĂ©lĂ©boĂ©ens : « ceux dont le cri porte au loin », câest-Ă -dire « ceux qui recherchent la renommĂ©e ». Corinthe ayant Ă©tĂ© fondĂ©e par Sisyphe, symbole du mental logique, ce peuple vit dans des formations mentales (des petits Ăźlots) qui prĂ©cĂšdent lâintellect (Ă lâentrĂ©e du golfe de Corinthe).
La conscience Ă©tant « ensevelie », le chercheur est « rattrapé » par PosĂ©idon, le dieu du subconscient qui ne laisse rien en arriĂšre tout en favorisant une rĂ©alisation de lâunitĂ© trĂšs limitĂ©e. En effet, Taphios eut Ă son tour un fils PtĂ©rĂ©laos « une vision mentale (exaltĂ©e) » que PosĂ©idon avait muni dâun cheveu dâor qui le rendait immortel, câest-Ă -dire qui conservait un contact intuitif aussi faible soit-il avec le plan de la non-dualitĂ© (sans que le chercheur en connaisse la raison car ce contact avait Ă©tĂ© provoquĂ© par PosĂ©idon).
PtĂ©rĂ©laos eut six fils et une fille. Ses fils partirent pour Argos car ils voulaient rĂ©cupĂ©rer le trĂŽne occupĂ© par Ălectryon. (Cette histoire dĂ©fie la chronologie car il y a quatre gĂ©nĂ©rations dâĂ©cart. Mais ce nâest pas le seul exemple dâaberration qui nâinvalide en rien le contenu symbolique.)
Ce dernier sây Ă©tant opposĂ©, ils lui dĂ©robĂšrent ses troupeaux car câĂ©tait un peuple de pirates. Les fils dâĂlectryon livrĂšrent combat aux fils de PtĂ©rĂ©laos et tous pĂ©rirent, sauf un dans chaque camp. Ălectryon prĂ©para une expĂ©dition punitive contre les Taphiens, appelant Ă la rescousse son neveu Amphitryon « tout ce qui tourne autour dâun travail laborieux » ou « un travail dâusure », fils dâAlkaios « une conscience puissante » et dâAstydamie « celle qui est maĂźtre en sa demeure ». Mais Amphitryon le tua par inadvertance.
Dans ce passage, PtĂ©rĂ©laos « une vision mentale (exaltĂ©e) » veut sâapproprier les rĂ©sultats obtenus par le travail de purification (Ălectryon). Il sâensuit un conflit intĂ©rieur dans lequel le chercheur tente de se dĂ©fendre de cette vision par un travail laborieux de maĂźtrise (Amphitryon) qui entraĂźne automatiquement la cessation du travail de purification (la mort dâĂlectryon).
SthĂ©nĂ©los « une forte libĂ©ration », dĂ©jĂ roi dâArgos, en profita pour sâemparer du trĂŽne de Tirynthe et MycĂšnes (il en fut le troisiĂšme roi) et exila son neveu Amphitryon qui sâinstalla Ă ThĂšbes. Plus tard, SthĂ©nĂ©los transmit son royaume Ă son fils EurysthĂ©e « une grande force intĂ©rieure » quatriĂšme roi de MycĂšnes.
Cependant, par ce travail de maĂźtrise, le processus de « libĂ©ration » sâest Ă©tendu Ă de nouvelles parties de lâĂȘtre, ici symbolisĂ©es par les villes-territoires de Tirynthe « le juste mouvement vers lâEsprit » et MycĂšnes « lâĂ©volution de lâardeur ».
« Le travail de maĂźtrise » (Amphitryon) est alors rĂ©orientĂ© vers « lâincarnation de lâĂȘtre intĂ©rieur » (ThĂšbes).
A ThĂšbes, Amphitryon « le travail laborieux » fut purifiĂ© du meurtre accidentel dâĂlectryon par le roi CrĂ©on « lâincarnation » : la cessation du processus de purification Ă©tait donc inĂ©vitable dans lâimpasse crĂ©Ă©e par PtĂ©rĂ©laos.
Amphitryon avait emmenĂ© avec lui la fille dâĂlectryon, AlcmĂšne. Toutefois, celle-ci ne voulait pas entrer dans son lit tant quâil nâavait pas vengĂ© ses frĂšres tuĂ©s par les Taphiens. Aussi prit-il la suite dâĂlectryon pour organiser lâexpĂ©dition punitive dont il devait revenir vainqueur.
Dans ce but, il demanda Ă CrĂ©on de lâassister. Ce dernier accepta Ă la condition que soit au prĂ©alable mis fin aux ravages quâexerçait Ă ThĂšbes le renard du mont TeumĂšssos Ă qui les habitants devaient sacrifier chaque mois un de leurs fils. LâarrĂȘt du destin Ă©tait que personne ne pourrait jamais attraper ce renard. Amphitryon demanda lâaide de CĂ©phale, fils de DĂ©ion, qui tenait de Procris le chien qui ne pouvait rater aucune proie, chien quâelle avait elle-mĂȘme hĂ©ritĂ© de Minos. Pour rĂ©soudre cette impossibilitĂ© (le renard qui ne peut ĂȘtre rattrapĂ© et le chien qui ne peut manquer aucune proie), Zeus pĂ©trifia les deux animaux.
Amphitryon partit alors en campagne avec lâaide de CrĂ©on, CĂ©phale, PanopĂ©e et HĂ©lĂ©ios.
Par un « travail laborieux » (Amphitryon), le chercheur veut reprendre le travail de purification afin de rĂ©aliser une « ùme forte » (AlcmĂšne, fille dâĂlectryon).
Mais ceci ne peut se faire avant que ne soit mis fin aux perturbations apportées par une « énergie rusée et mensongÚre » (le renard), une « ombre » que ne peut attraper la vigilance la plus grande (le chien) et qui perturbe le travail de purification (ThÚbes).
Le chercheur perd ses forces dans la lutte bien quâil utilise les plus hautes capacitĂ©s intuitives et de vigilance possibles dĂ©veloppĂ©es au plus haut de la conscience mentale tournĂ©e vers lâunion (il sâagit en effet du chien de CĂ©phale « la tĂȘte », fils de DĂ©ion « lâunion en conscience », lequel est lâancĂȘtre dâUlysse et reprĂ©sente le plus haut niveau de rĂ©alisation possible dans le mental pour les chercheurs ordinaires). Mais les « ruses » de lâadversaire intĂ©rieur (le renard) ne peuvent ĂȘtre dĂ©jouĂ©es par la conscience mentale. Aussi est-ce Zeus, une influence issue du surmental, qui permettra de rendre inopĂ©rants Ă la fois les obstacles et les volontĂ©s dây mettre fin.
PtĂ©rĂ©laos ne peut ĂȘtre combattu tant que se maintient dans lâĂȘtre engagĂ© dans un processus de purification « une tromperie » vitale.
En sus dâAmphitryon, partirent alors en campagne pour venger la disparition des fils dâĂlectryon : CrĂ©on « le processus dâincarnation», CĂ©phale « le plus haut du mental à ce stade de la quĂȘte », PanopĂ©e « une vision Ă©tendue » et HĂ©lĂ©ios « une conscience libĂ©rĂ©e ».
Mais PtĂ©rĂ©laos ne pouvait ĂȘtre vaincu tant que la boucle de cheveux dâor que PosĂ©idon avait implantĂ©e sur sa tempe Ă©tait en place. Câest sa propre fille Komaitho qui la lui arracha car elle Ă©tait tombĂ©e amoureuse dâAmphitryon qui combattait son pĂšre. PtĂ©rĂ©laos en mourut. Amphitryon soumit alors toutes les Ăźles des Taphiens, mais il ne fut aucunement reconnaissant envers Komaitho et, aprĂšs avoir remportĂ© la victoire, il tua la jeune fille qui avait trahi son pĂšre.
PtĂ©rĂ©laos « la vision mentale (exaltĂ©e) » ne peut ĂȘtre vaincue tant que se maintient le contact Ă lâAbsolu. Câest sa fille Komaitho « celle Ă la chevelure rouge », symbole dâune vaste intuition issue de la spiritualisation du mental qui se chargera de le rompre.
(Komaitho semble porter le mĂȘme symbolisme que Pyrrha, femme de Deucalion. Cette histoire semble dâautre part avoir Ă©tĂ© directement inspirĂ©e de celle, beaucoup plus cĂ©lĂšbre, de Scylla fille de Nisos que nous Ă©tudierons dans le chapitre consacrĂ© au Minotaure.)
Câest la nuit prĂ©cĂ©dant le retour dâAmphitryon de cette expĂ©dition contre PtĂ©rĂ©laos que Zeus le prĂ©cĂ©da dans le lit dâAlcmĂšne, ce qui fit de lui le pĂšre dâHĂ©raclĂšs tandis quâAmphitryon revenu au matin fut le pĂšre de son jumeau IphiclĂšs.
Plus tard, EurysthĂ©e craignant quâHĂ©raclĂšs ne lui rĂ©clame le trĂŽne qui lui revenait de droit (en hĂ©ritage de son grand-pĂšre Ălectryon, fils aĂźnĂ© de PersĂ©e) tenta de le supprimer en lâenvoyant accomplir les douze travaux.
Le royaume de MycĂšnes, au cours des Ă©vĂšnements dĂ©crits ci-dessus, devint pour les Ă©popĂ©es mythiques plus important que celui dâArgos qui, morcelĂ© entre MĂ©gapenthĂšs, Bias et MĂ©lampous, passera de mains en mains jusquâĂ Adrastos puis DiomĂšde.
LâĂ©volution du « pouvoir agissant du mental lumineux » prend donc progressivement le pas sur les autres dynamiques du yoga.
Finalement, le royaume de MycĂšnes et Tirynthe, selon lâoracle, sera transfĂ©rĂ© Ă la lignĂ©e des Atrides : AtrĂ©e, puis Agamemnon, Oreste et enfin Tisamenos. Ce dernier rĂ©unira lâArgolide qui sâĂ©tait agrandie avec Spartes hĂ©ritĂ©e de MĂ©nĂ©las avant quâelle ne passe sous la domination des descendants dâHĂ©raclĂšs, les HĂ©raclides.
La conception et la naissance dâHĂ©raclĂšs
Lâhistoire dâHĂ©raclĂšs sâenracine donc Ă ThĂšbes, le lieu de « lâincarnation de la vie intĂ©rieure » dans le processus de purification/libĂ©ration, mais les travaux seront tous dĂ©clenchĂ©s depuis MycĂšnes, le lieu de « lâardeur de lâaspiration et du pouvoir agissant du mental lumineux » oĂč rĂ©side son oncle EurysthĂ©e « une grande force intĂ©rieure ». Agamemnon, le plus cupide de tous les grecs, sera Ă©galement roi de MycĂšnes.
Mais avant que ces travaux ne dĂ©butent, le postulant doit sâengager dans une sĂ©rie dâĂ©preuves prĂ©paratoires.
Zeus profita de lâexpĂ©dition dâAmphitryon contre PtĂ©rĂ©laos pour le prĂ©cĂ©der dans le lit dâAlcmĂšne. De cette union devait naĂźtre Alcide ou encore Alkaios (AlcĂ©e) appelĂ© plus tard HĂ©raclĂšs. Amphitryon, revenant victorieux au matin, donna la mĂȘme nuit un second fils Ă AlcmĂšne, qui sera nommĂ© IphiclĂšs (ou Iphiclos).
Alors que lâaccouchement approchait, Zeus se vanta devant les autres dieux quâun fils issu de son sang naĂźtrait ce jour et rĂšgnerait sur tous ses voisins.
HĂ©ra, jalouse, complota aussitĂŽt de priver lâenfant dâAlcmĂšne de cet hĂ©ritage. Elle fit jurer Ă Zeus que le prochain enfant qui naĂźtrait ce mĂȘme jour dans la lignĂ©e de PersĂ©e (et donc issu Ă©galement du sang de Zeus) aurait le destin annoncĂ©. Puis elle fit en sorte de retarder la naissance dâHĂ©raclĂšs tandis quâelle avançait de deux mois celle de son cousin EurysthĂ©e qui Ă©tait un fils du roi de MycĂšnes SthĂ©nĂ©los et donc appartenait aussi Ă la lignĂ©e de PersĂ©e.
EurysthĂ©e vint donc au monde deux mois avant terme et AlcmĂšne put alors accoucher des jumeaux HĂ©raclĂšs et IphiclĂšs. Câest ainsi quâEurysthĂ©e devint plus tard roi de MycĂšnes Ă la place dâHĂ©raclĂšs qui lui fut subordonnĂ© jusquâĂ la fin des douze travaux.
Ces récits de la naissance du héros attirent notre attention sur quelques points importants.
Tout dâabord, ce nâest pas HĂ©raclĂšs « la gloire du mouvement juste (selon lâAbsolu) » qui apparaĂźt comme le premier stimulant de lâengagement dans la quĂȘte (car « le juste » ne peut ĂȘtre bien Ă©videmment quâun aboutissement), mais « une grande force intĂ©rieure », EurysthĂ©e, elle-mĂȘme issue du travail en vue dâune « forte libĂ©ration », SthĂ©nĂ©los. (Rappelons quâil sâagit ici de la libĂ©ration du dĂ©sir, de lâego, des attractions et rĂ©pulsions, et de tous les « attachements »). Câest cette force intĂ©rieure qui non seulement initie les douze travaux mais aussi veille Ă leur exĂ©cution.
Cela signifie en particulier que le chercheur doit suivre le mouvement impulsĂ© par son Ă©nergie, mĂȘme sâil ne perçoit pas ce qui est juste : en effet, lâun des pires obstacles sur le chemin est la tiĂ©deur ou le non-engagement.
Cette « force intĂ©rieure » gouverne aussi « sur tous ses voisins » tout comme MycĂšnes domine lâArgolide durant cette phase. Câest-Ă -dire quâelle est capable de rassembler dans un mĂȘme but et sous sa direction les autres capacitĂ©s et facultĂ©s du chercheur.
Notons aussi que cette Ă©nergie est dĂ©jĂ prĂ©sente, mĂȘme si elle est encore incomplĂšte, avant mĂȘme que ne naisse le dĂ©sir pour la quĂȘte (HĂ©raclĂšs.) Elle se manifeste le plus souvent sous la forme opposĂ©e dâun manque.
Bien quâEurysthĂ©e soit le symbole dâune force intĂ©rieure, il est souvent prĂ©sentĂ© comme un couard dans les rĂ©cits mythologiques lorsquâHĂ©raclĂšs lui rapporte ses trophĂ©es. En effet, les forces « rĂ©veillĂ©es » tout au long de la quĂȘte sont considĂ©rables et souvent sous-estimĂ©es au dĂ©part. Leur mĂ©connaissance peut ĂȘtre un bienfait, car peu sâengageraient sur le chemin sâils connaissaient au prĂ©alable les difficultĂ©s.
Rappelons aussi quâil nâest pas demandĂ© dâavoir vaincu la peur (la Gorgone) ou tout autre obstacle pour sâengager sur le chemin. Les « travaux » sont en effet des processus qui se dĂ©veloppent en spirale jusquâĂ la victoire finale.
Pour chacun, les difficultés visibles sont le signe de la capacité à remporter une victoire équivalente et ce sont elles qui motivent le combat.
HĂ©raclĂšs ne sera libĂ©rĂ© dĂ©finitivement de la tutelle dâEurysthĂ©e quâĂ la fin des douze travaux, ayant alors atteint la complĂšte libĂ©ration.
Le nom dâHĂ©raclĂšs Ă©tait compris par les anciens comme « la gloire dâHĂ©ra » bien que cette dĂ©esse poursuive le hĂ©ros de sa haine et que les travaux semblent ĂȘtre plutĂŽt sous lâinfluence de Zeus que sous celle de son Ă©pouse. Il sâagirait alors de la gloire spirituelle de celui qui parvient au « juste mouvement selon la Conscience ou lâAbsolu » (en accord avec le symbolisme du Rho), ou encore Ă la perfection de tous les Ă©lĂ©ments de son ĂȘtre Ă laquelle contraint HĂ©ra, sans que rien ne soit laissĂ© en arriĂšre.
Ce nom pourrait aussi ĂȘtre construit Ă partir de lâaoriste ηÏα du verbe αÎčÏÏ et signifierait alors « la gloire de celui qui est soulevĂ© (par lâAbsolu) ». Mais les anciens ont pu Ă©galement jouer avec une idĂ©e de fermeture (kleio ÎșλΔÎčÏ) et cela signifierait alors « celui qui sâoppose Ă HĂ©ra, au mouvement de limitation », celui qui transgresse le lent mouvement de lâĂ©volution selon la nature.
Nous retiendrons dans cet ouvrage « la gloire du juste mouvement » ou « la gloire de la perfection humaine ».
Il y a un troisiĂšme personnage important dĂšs lâorigine des travaux, IphiclĂšs, demi-frĂšre jumeau dâHĂ©raclĂšs. Il est le fils dâAmphitryon « le travail laborieux », roi de ThĂšbes. Il intervient donc dans le processus dâincarnation et de purification.
Comme HĂ©raclĂšs, il est fils dâAlcmĂšne « une Ăąme forte », rĂ©sultat du travail de « purification » (AlcmĂšne est fille dâĂlectryon) dont la rĂ©alisation progressive est lâobjet des travaux.
IphiclĂšs sâunit Ă AutomĂ©duse, une descendante de Tantale et PĂ©lops, et lui donna un fils Iolaos qui fut le conducteur du char dâHĂ©raclĂšs et lui porta assistance en quelques occasions.
Si HĂ©raclĂšs est le travail dâexactitude impulsĂ© et soutenu par le plan de lâesprit (Zeus), IphiclĂšs « une grande gloire » reprĂ©sente les rĂ©sultats du travail laborieux dans lâincarnation qui rĂ©ussit Ă obtenir progressivement une totale maĂźtrise sur soi-mĂȘme, AutomĂ©duse « qui rĂšgne sur soi-mĂȘme ». Cela produit une capacitĂ© Ă diriger les forces pour la quĂȘte, Iolaos « la voix ou la vision de la conscience » : chaque victoire remportĂ©e sur la peur jusquâaux forces les plus archaĂŻques du vital permet de tenir en mains et diriger les Ă©nergies du chercheur.
(AutomĂ©duse est en effet une descendante de Tantale, le hĂ©ros qui frĂ©quenta les dieux, symbole dâune belle « aspiration » qui rĂ©alise lâunion en lâesprit mais expĂ©rimenta ensuite un manque trĂšs douloureux dans le travail dans le corps. Son fils PĂ©lops sâunit Ă Hippodamie « qui dompte le vital », et lui donna Alcathoos « (celui qui Ă©volue) avec grande rapidité », le pĂšre dâAutomĂ©duse.)
IphiclĂšs est dĂ©peint dans lâĂ©pisode des serpents introduits dans le berceau comme un personnage pleutre, car au dĂ©but des travaux le chercheur nâa pas encore commencĂ© son travail de maĂźtrise.
Les travaux vont donc progresser en parallĂšle avec lâacquisition de la maĂźtrise.
HĂ©raclĂšs nouveau-nĂ© fut dĂ©posĂ© par HermĂšs sur le sein dâHĂ©ra quâil tĂ©ta. Sans cela en effet, en vertu dâun dĂ©cret du destin, « aucun fils de Zeus ne pouvait accĂ©der aux honneurs divins ».
Si elle ne figure pas dans le canon mythologique, cette anecdote est cependant rapportĂ©e par de nombreux auteurs. Elle signifierait que le chercheur ne peut entrer consciemment dans la quĂȘte quâaprĂšs une vĂ©ritable expĂ©rience du « juste mouvement de lâAbsolu ». Elle indique Ă©galement quâil entre dans le « cadre » divin.
Elle ferait rĂ©fĂ©rence Ă une expĂ©rience, aussi fulgurante et fugace soit-elle, dâun « Ăa existe », dâun premier « contact » avec le RĂ©el qui est instant de plĂ©nitude hors du temps.
Alors que les enfants avaient huit ou dix mois, HĂ©ra (ou selon dâautres, Amphitryon, qui voulait savoir lequel des deux enfants Ă©tait son fils) introduisit dans leur berceau deux Ă©normes serpents. HĂ©raclĂšs en saisit un dans chaque main et les Ă©touffa. TirĂ©sias, sommĂ© de commenter cet Ă©vĂšnement extraordinaire, prĂ©dit la grande destinĂ©e de lâenfant.
Certains disent que câest Ă cette occasion que le hĂ©ros reçut le nom dâHĂ©raclĂšs, ayant Ă©tĂ© dâabord prĂ©nommĂ© Alcide.
Par ses ascendants, HĂ©raclĂšs est un Argien, un chercheur de VĂ©ritĂ©. Câest pourquoi lui et sa descendance reviendront toujours vers Argos « brillant, rapide ». Sâil naquit Ă ThĂšbes, en BĂ©otie, câest pour indiquer la nĂ©cessitĂ© de lâincarnation de la vie intĂ©rieure dans le processus de purification/libĂ©ration. Certains ajoutent quâil naquit prĂšs des portes Ălectre, symbole du Chakra du cĆur, le lieu du contact avec lâĂȘtre psychique.
Ce premier Ă©pisode se dĂ©roule alors que les deux enfants ont huit ou dix mois, câest-Ă -dire juste aprĂšs lâentrĂ©e consciente dans la quĂȘte. Il dĂ©peint un premier test, une premiĂšre opposition dâHĂ©ra qui veille Ă la juste Ă©volution. Il semble indiquer que le hĂ©ros est destinĂ© Ă devenir le maĂźtre du processus Ă©volutif (ou des courants ascendants et descendants dans le corps car il y a deux serpents), ce que confirme le devin dĂ©diĂ© Ă la purification.
Comme la quĂȘte est une rĂ©volte contre la lenteur de la Nature, lâacharnement dâHĂ©ra envers le hĂ©ros est justifiĂ©e car la dĂ©esse veille au juste mouvement de lâĂ©volution qui doit concerner lâensemble de lâhumanitĂ© sans rien laisser en arriĂšre.
Dans la version oĂč câest Amphitryon qui cherche Ă connaĂźtre lequel des enfants est son fils, le chercheur veut apprendre Ă distinguer en lui entre ce qui provient de la volontĂ© personnelle et ce qui est imposĂ© par lâĂȘtre intĂ©rieur et qui est de lâordre de la VolontĂ© vraie. En effet, pendant longtemps la volontĂ© de lâego orientĂ©e vers la maĂźtrise (IphiclĂšs) ne peut ĂȘtre distinguĂ©e de celle de lâĂȘtre intĂ©rieur (HĂ©raclĂšs).
HĂ©raclĂšs et IphiclĂšs reprĂ©sentent donc les deux pĂŽles du chercheur qui travaillent conjointement pour la mĂȘme rĂ©alisation : la maĂźtrise sur tous les plans et le juste mouvement dans la pensĂ©e, le sentiment et lâaction.
Le chercheur pressent alors que sa quĂȘte de libertĂ© ne cessera jamais (TirĂ©sias prĂ©dit sa grande destinĂ©e).
La jeunesse dâHĂ©raclĂšs et le meurtre de Linos
Les deux enfants passĂšrent ensemble les premiĂšres annĂ©es de leur vie. Elles furent marquĂ©es par le meurtre involontaire de Linos, le maĂźtre de musique dâHĂ©raclĂšs, qui aurait frappĂ© le hĂ©ros parce quâil Ă©tait un Ă©lĂšve mĂ©diocre. Cela aurait provoquĂ© en retour la colĂšre dâHĂ©raclĂšs et la mort accidentelle de Linos.
Le nom Linos Ă©voque une « évolution naturelle du mouvement dâindividuation et de libĂ©ration ». Il est, selon les sources, fils dâune Muse ou dâApollon.
La musique est dĂ©finie par plusieurs composantes (rythme, mĂ©lodie, harmonie, auxquelles on peut ajouter le timbre) qui symboliquement dĂ©finissent la « justesse » dâune action, son exact dĂ©roulement dans le temps et dans lâespace, en accord avec lâensemble. Dans les mythes, la musique la plus accomplie est le rĂ©sultat du travail de purification, lorsque « chaque chose est Ă sa place ».
Mais dans les dĂ©buts du chemin, lâattitude juste est recherchĂ©e par la contrainte. GagnĂ© par lâimpatience devant ses Ă©checs et sa « mĂ©diocrité », le chercheur emploie alors la force contre lui-mĂȘme et rejette lâapprentissage.
Dans la tradition tardive, HĂ©raclĂšs reçut une formation approfondie de plusieurs prĂ©cepteurs, car certains maĂźtres estimaient quâavant mĂȘme le dĂ©but des vrais travaux de yoga, le postulant devait avoir subi une prĂ©paration sĂ©rieuse. Toutefois, on peut noter ici certaines incohĂ©rences car certains hĂ©ros tels Autolycos ou Castor sont loin dâĂȘtre apparus Ă cette Ă©tape du chemin.
- Eurytos, roi dâOichalie, un petit fils dâApollon, enseigna au hĂ©ros le tir Ă lâarc. Il mourut de la main mĂȘme dâHĂ©raclĂšs au terme des douze travaux car il lui avait refusĂ© la main de sa fille Iole. Celle-ci Ă©tait pourtant la rĂ©compense promise au gagnant dâun concours de tir Ă lâarc qui opposait les concurrents au roi et Ă ses fils, et HĂ©raclĂšs lâavait emportĂ©.
La pratique du tir Ă lâarc dĂ©veloppe la concentration, la dĂ©tente, la capacitĂ© de sâidentifier au but recherchĂ©, la persĂ©vĂ©rance, la dĂ©termination et une certaine maĂźtrise de soi.
Eurytos, expression dâune « grande tension vers le plan de lâesprit (vers la connaissance, la maĂźtrise et le pouvoir) » est un petit fils dâApollon et donc une manifestation de lâĂȘtre psychique.
Il refusa au hĂ©ros la main de sa fille Iole « la libĂ©ration » car celle-ci ne peut sâobtenir quâaprĂšs la rĂ©alisation du dĂ©tachement intĂ©gral (reprĂ©sentĂ© par DĂ©janire « celle qui tue lâattachement »). Son arc reviendra Ă son fils Iphitos puis Ă Ulysse qui lâutilisera pour le massacre des prĂ©tendants. - Autolykos, fils dâHermĂšs et de Philonis, fut le maĂźtre dâHĂ©raclĂšs pour la lutte.
Il sâagit lĂ de lâapprentissage dâun « guerrier » qui doit trouver ses propres mĂ©thodes de perfectionnement de soi (yoga) car Autolykos est « celui qui est Ă lui-mĂȘme sa propre lumiĂšre ». Câest un entraĂźnement Ă Ă©couter sa voix et ses mouvements intĂ©rieurs. Les qualitĂ©s qui peuvent ĂȘtre associĂ©es au lutteur sont nombreuses : courage, endurance, refus de lâapitoiement sur soi, de lâauto-contemplation, indiffĂ©rence devant la victoire ou la dĂ©faite, etc. Lâenseignant est ici une expression du mental le plus haut (il est le fils dâHermĂšs) tournĂ© vers un « amour de lâĂ©volution » (sa mĂšre est Philonis). - Amphitryon enseigna Ă HĂ©raclĂšs la conduite dâun char.
Rappelons quâAmphitryon est « le travail laborieux » du chercheur que ne dĂ©sespĂšre aucun Ă©chec. Chaque victoire permet de conduire les Ă©nergies dâune main toujours plus sĂ»re (Amphitryon est le grand-pĂšre dâIolaos, le cocher dâHĂ©raclĂšs.)
Castor, enfin, apprit au hĂ©ros lâart de la guerre.
Castor reprĂ©sente « la puissance ou le pouvoir que confĂšre la maĂźtrise ». Descendant de la PlĂ©iade TaygĂšte, il nâintervient que dans un Ă©tat avancĂ© de la quĂȘte. Mais ici, avant mĂȘme le dĂ©but des travaux, le chercheur ne peut apprendre que les rudiments de lâart de la maĂźtrise, du « combat du guerrier ». La lutte contre le lion du CithĂ©ron sera la premiĂšre occasion de victoire.
Le lion du Cithéron
Lâarrogance mentale est, de tous les facteurs, le plus dĂ©favorable Ă lâaction de la grĂące divine.
La MĂšre
LorsquâHĂ©raclĂšs eut atteint le seuil de lâĂąge adulte, il accomplit son premier exploit en tuant le lion du mont CithĂ©ron sur la frontiĂšre sud de la BĂ©otie. Ce lion dĂ©vorait les troupeaux dâAmphitryon et de Thespios. La chasse dura cinquante jours durant lesquels le hĂ©ros rĂ©sida Ă la cour de Thespios. Ce dernier qui avait cinquante filles fut trĂšs impressionnĂ© par HĂ©raclĂšs. Voulant que chacune de ses filles porte un enfant du hĂ©ros, il en mit une nouvelle chaque nuit dans son lit. Ce fut Ă lâinsu dâHĂ©raclĂšs, qui, nous dit-on, pensait toujours dormir avec la mĂȘme.
La chasse au lion du CithĂ©ron (Kithairon) fait encore partie des prĂ©liminaires du chemin et doit donc ĂȘtre distinguĂ© du premier vĂ©ritable travail, celui du combat contre le Lion de NĂ©mĂ©e. Notons cependant que cet Ă©pisode est peut-ĂȘtre un ajout tardif qui permettait de distinguer plusieurs Ă©tapes dans la lutte contre lâego.
Le lion recouvre une large palette de significations symboliques dans les mythologies antiques.
Il semble ĂȘtre utilisĂ© ici comme le symbole de la personnalitĂ© vitale-mentale, de lâego avec ses dĂ©formations les plus Ă©videntes : orgueil, vanitĂ©, arrogance et suffisance.
Celui qui sĂ©vit sur le mont CithĂ©ron dĂ©vore les troupeaux dâAmphitryon et de Thespios, câest-Ă -dire empĂȘche le chercheur de profiter des acquis gĂ©nĂ©rĂ©s par le travail de ces deux personnages symboliques. Le CithĂ©ron ÎÎčΞαÎčÏÏÎœ est peut-ĂȘtre le symbole de « Î+ÎșÎčΞαÏÎżÏ, la conscience dans la poitrine (dans le cĆur) ». La cithare, ÎÎčΞαÏα, instrument dâApollon, transmet la musique de lâĂąme, symbole dâune harmonie supĂ©rieure. Le mont CithĂ©ron, ÎÎčΞαÏÎżÏ+Î, indiquerait le plus haut de la conscience des dĂ©butants (en BĂ©otie) qui cherchent le contact avec lâĂȘtre psychique.
Amphitryon « le travail laborieux » reprĂ©sente lâascĂšse du yoga et Thespios « celui qui parle selon les dieux » est lâexpression de lâinspiration. Ce dernier est lâun des fils dâĂrechthĂ©e, le sixiĂšme des rois lĂ©gendaires dâAthĂšnes qui marque la fin de lâattachement Ă la divinitĂ© sous son aspect de force et de pouvoir et signifie donc lâentrĂ©e dĂ©finitive dans la quĂȘte. Thespios est uni Ă MĂ©gamĂ©dĂ©e « celle qui sâoccupe de grandes choses » ou « qui a de grands desseins ».
Ce lion empĂȘche donc que les fruits des efforts du chercheur puissent perdurer et que soient utilisĂ©es les premiĂšres apprĂ©hensions du « juste, du beau, du vrai » Ă©manant de lâĂȘtre psychique.
La chasse prend place en Béotie, la province qui symbolise la voie de yoga à privilégier pour incarner la vie intérieure.
Lâhistoire peu attestĂ©e des filles de Thespios exprime lâimpatience du chercheur Ă mettre en Ćuvre ses perceptions intuitives du chemin qui nâont pas encore trouvĂ© de point dâapplication (elles nâont pas encore de descendance). Le chiffre cinquante, que lâon a dĂ©jĂ rencontrĂ©, exprime une totalitĂ© dans le monde des formes.
Si le lion de NĂ©mĂ©e concerne lâego humain dans ses racines, ce travail prĂ©liminaire consiste surtout Ă combattre ses expressions les plus grossiĂšres : principalement la suffisance et lâarrogance mentale (qui se dĂ©clinent aussi en amour propre excessif, habitude de se justifier, indiscipline, besoin dâavoir raison, projections sur lâextĂ©rieur ou sur les autres, sentiment dâĂȘtre blessĂ© par les paroles ou les actes des autres, rejet de tout ce qui nous est supĂ©rieur, mĂ©pris, autosatisfaction, auto-contemplation, susceptibilitĂ©, surestimation de soi, prĂ©tention dans le domaine spirituel, etc. )
Plus subtilement, ce sont tous les comportements rĂ©sultant de la rĂ©clamation et de la justification de lâego à « ĂȘtre lui-mĂȘme » dans sa nature grossiĂšre et non transformĂ©e, hĂ©ritĂ©e des millĂ©naires de lâĂ©volution. Ils ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© dĂ©crits dans le cadre de lâexposĂ© des types humains les moins dĂ©veloppĂ©s dans le chapitre consacrĂ© aux Titans.
Lâannulation du tribut de ThĂšbes et la folie meurtriĂšre dâHĂ©raclĂšs contre ses enfants
Au retour de la chasse au lion du CithĂ©ron, HĂ©raclĂšs fut outrĂ© par lâarrogance des envoyĂ©s dâErginos (roi dâOrchomĂšne, citĂ© voisine du CithĂ©ron situĂ©e en BĂ©otie) qui venaient rĂ©clamer le tribut annuel que CrĂ©on, roi de ThĂ©bes devait lui payer. Ce tribut avait Ă©tĂ© Ă©tabli par Erginos qui avait menĂ© une campagne contre les ThĂ©bains en reprĂ©sailles du meurtre de son pĂšre ClymĂ©nos.
HéraclÚs renvoya les hérauts à Erginos aprÚs leur avoir tranché le nez et les oreilles.
La premiĂšre partie de lâhistoire traite de la disparition des premiers acquis spirituels du chercheur (le meurtre de Clymenos par les ThĂ©bains) suite au travail dâincarnation de la vie intĂ©rieure (ClymĂ©nos est un petit-fils de Phrixos qui sâenfuit sur le bĂ©lier Ă la toison dâor vers la Colchide). Le chercheur ne peut donc plus sâappuyer sur le souvenir de ses premiĂšres expĂ©riences.
Aussi « le travail » des dĂ©butants est-il menĂ© dans « lâagitation (et/ou lâexcitation) » (Erginos roi dâOrchomĂšne en BĂ©otie). Les Ă©nergies destinĂ©es en principe Ă un juste travail dâincarnation de la vie intĂ©rieure sont dilapidĂ©es (lâimposition du tribut aux ThĂ©bains).
Selon certains, HĂ©raclĂšs fit payer double tribut Ă OrchomĂšne : le chercheur rĂ©cupĂšre ainsi davantage dâĂ©nergie pour calmer son « agitation » et retrouver une meilleure intĂ©riorisation.
Selon dâautres, il coupa les oreilles et les nez des hĂ©rauts BĂ©otiens et les suspendit Ă leur cou, ce qui indique Ă©galement une exigence dâintĂ©riorisation : Ă ce moment du chemin, le « ressenti » et « lâĂ©coute » doivent ĂȘtre tournĂ©s vers lâintĂ©rieur.
Pour remercier HéraclÚs de son aide, Créon, le roi de ThÚbes, lui donna pour épouse sa fille Mégara.
HĂ©raclĂšs et MĂ©gara eurent plusieurs enfants et vĂ©curent heureux quelques annĂ©es Ă ThĂšbes jusquâĂ ce que le hĂ©ros soit pris dâune folie meurtriĂšre suscitĂ©e selon certains par HĂ©ra. Il tua tous ses enfants de ses flĂšches ou, selon dâautres, en les jetant dans le feu. Certains ajoutent quâil tua Ă©galement tous les enfants de son demi-frĂšre IphiclĂšs ou seulement certains dâentre eux.
Le hĂ©ros se fit purifier par Thespios puis il consulta lâoracle de Delphes qui lui ordonna de se mettre au service dâEurysthĂ©e.
Le roi de ThĂšbes, CrĂ©on, nâest pas un usurpateur et reprĂ©sente donc une direction Ă©volutive juste. Dâautre part, il Ă©tait dĂ©jĂ intervenu pour assister Amphitryon lors de lâexpĂ©dition contre les Taphiens et lâavait purifiĂ© du meurtre dâĂlectryon. Son nom signifie « le plus fort, le maĂźtre » ou « lâouverture de la conscience se retournant vers lâincarnation » (avec la mĂȘme racine ÎÎĄ que les noms des Titans Crios, Cronos).
Enfin, il est uni Ă une Eurydice homonyme « une juste maniĂšre dâagir » qui lui donna plusieurs enfants : HaĂ©mon « le passionné », HĂ©niochĂ© « la conductrice de chars », Pyrrha « la rousse » ou « lâenflammĂ©e », LycomĂ©dĂšs « celui qui se prĂ©occupe de la lumiĂšre », MenoĂ©cĂ©e « lâesprit habitant le corps » et MĂ©gara « le mouvement le plus juste (Mega+ÎĄ) » (ou bien les « grandes lignes du mouvement juste de la progression humaine» ou encore « un grand retour sur soi »).
Créon ne peut donc représenter une erreur de direction dans le mouvement de purification-libération, comme son histoire ultérieure aurait pu le laisser supposer.
Le chercheur qui par un renversement de conscience est entrĂ© dans un juste processus dâintĂ©riorisation, le libĂ©rant en partie des prĂ©occupations et de lâagitation du monde, cherche alors Ă agir selon « le mouvement le plus juste » dans lâincarnation.
Mais les rĂ©alisations qui en dĂ©coulent sont Ă ce stade les acquis du dĂ©veloppement de la personnalitĂ©Â (pouvoir, rĂ©ussite, etc.) et ne peuvent ĂȘtre conservĂ©es, bien quâelles relĂšvent dâun juste mouvement : la prioritĂ© nâest plus lâaffirmation de lâego dans le monde (HĂ©raclĂšs tue les enfants de MĂ©gara).
Se détourner des réalisations extérieures est un mouvement juste. En effet le héros se fit purifier par Thespios « la parole ou le chant qui émane des dieux » du meurtre de ses enfants, lequel représente à ce stade une « folie sacrificielle » incontournable.
Il est aussi possible de comprendre cela comme lâinjonction de la Bhagavad Gita « dâagir sans sâattacher Ă lâacte ni Ă ses fruits », formule qui peut prĂ©sider au Yoga des Ćuvres.
Les noms des enfants semblent dĂ©signer des rĂ©alisations qui furent nĂ©cessaires en leur temps mais constituent dĂ©sormais des obstacles majeurs sur le chemin. ThĂ©rimachos « celui qui combat les bĂȘtes sauvages (les Ă©nergies de sa nature indomptĂ©es) » indiquerait peut-ĂȘtre un travail entrepris trop tĂŽt. DĂ©icoon serait « ce qui tue lâouverture de la conscience ». CrĂ©ontiadĂšs « un esprit puissant » et Ophites « une Ă©volution supĂ©rieure » signaleraient les obstacles dus Ă un intellect trop envahissant.
Un grand hĂ©ros (peut-ĂȘtre le plus grand) ne pouvait, du point de vue du rĂ©cit mythologique exotĂ©rique, se livrer Ă de tels meurtres sans ĂȘtre « fou ». Sâagissant dâun chercheur au sommet de ses capacitĂ©s, cesser de privilĂ©gier les « rĂ©sultats » dans les affaires du monde sans pour autant nĂ©cessairement sâabstraire de celui-ci semble une folie aux yeux de tous. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, Ă lâexception dâEuripide (que nous ne considĂ©rons pas comme un initiĂ© et qui dĂ©nature le plus souvent les mythes primitifs), les auteurs situent le meurtre des enfants au dĂ©but du chemin, avant les travaux
MĂ©gara reste cependant la femme du hĂ©ros durant toute la durĂ©e des travaux, car « le mouvement le plus juste sur tous les plans » ou le travail de « lâexactitude » reste bien sĂ»r le but du chercheur pendant cette phase du yoga. Lorsque lâunion avec lâĂȘtre psychique est Ă©tablie, la question ne se pose plus. Ă la fin des travaux, le hĂ©ros la donna pour femme Ă son neveu et cocher Iolaos, dĂ©signant ainsi « le mouvement le plus juste » (MĂ©gara) comme partenaire idĂ©al de « la voix ou vision de la conscience » qui maĂźtrise et oriente les Ă©nergies de la quĂȘte (Iolaos est le cocher dâHĂ©raclĂšs).
MĂ©gara ne vĂ©cut pas proche dâHĂ©raclĂšs car elle resta Ă ThĂšbes tandis quâil parcourait le monde. Peut-ĂȘtre peut-on voir lĂ une recommandation faite au chercheur de maintenir sa participation aux activitĂ©s du monde car câest lĂ que se trouvent les meilleures opportunitĂ©s pour progresser.
En quittant MĂ©gara pour sâunir Ă DĂ©janire « celle qui tue lâattachement », le hĂ©ros-chercheur poursuit Ă ce moment-lĂ un processus vers le dĂ©tachement le plus total.
LâentrĂ©e dans la quĂȘte exige donc un renversement majeur, de lâextĂ©rieur vers lâintĂ©rieur.
Selon certaines sources, câest suite au meurtre de ses enfants et non lorsquâil Ă©touffa les deux serpents, que le hĂ©ros abandonna son prĂ©nom dâAlcide (Alkeides, le descendant dâAlkaios « un tempĂ©rament puissant, courageux » ou « une conscience vaste » (forte) ») pour devenir HĂ©raclĂšs « la gloire du mouvement juste (issu de lâintĂ©rieur) », nom qui lui aurait Ă©tĂ© donnĂ© par Apollon « la lumiĂšre de lâĂȘtre psychique ».
Câest Thespios « la parole ou le chant qui Ă©mane des dieux » qui le purifia du meurtre de ses enfants : ce sont ses plus hautes perceptions de lâharmonie « du juste, du beau, du vrai » qui confirment au chercheur la justesse de son orientation. Il est alors prĂȘt Ă sâengager sur le chemin : câest ce que lui rĂ©vĂšle sa voix intĂ©rieure (la Pythie) lui ordonnant de se mettre pendant douze ans au service de son oncle EurysthĂ©e « la force intĂ©rieure », afin de rĂ©aliser la sĂ©rie de travaux que lui commanderait ce dernier. Apollon (ou AthĂ©na) prĂ©cisa quâil obtiendrait lâimmortalitĂ© pour prix de ses peines : la victoire finale serait couronnĂ©e par la sortie de la dualitĂ©.
Introduction aux travaux
A travers la vie et les travaux dâHĂ©raclĂšs, nous allons rencontrer les Ă©lĂ©ments du processus de purification et libĂ©ration du mental et du vital qui conduisent Ă leur Ă©largissement, Ă leur assouplissement et Ă leur illumination. Accomplir cela pour le mental, câest devenir un sage et accĂ©der aux pouvoirs du mental ; lâentreprendre pour le vital relĂšve de lâhĂ©roĂŻsme et permet dâaccĂ©der Ă la saintetĂ© et aux pouvoirs de la vie, câest devenir lâĂ©gal des dieux. Au-delĂ des Ă©tats de sagesse et de saintetĂ©, peut alors se dessiner un renversement du yoga avec la descente dans le corps.
Ces travaux ont donnĂ© lieu Ă quantitĂ© dâouvrages proposant des interprĂ©tations diverses. Cette Ă©tude ne prĂ©tendant en aucune façon dĂ©livrer un enseignement spirituel, nous tenterons de rester au plus prĂšs des symboles dans la cohĂ©rence globale que nous cherchons Ă Ă©tablir.
Peut-ĂȘtre nâest-il pas inutile de rappeler que les travaux interviennent dans la lignĂ©e dâOcĂ©anos et donc participent du procĂ©dĂ© accĂ©lĂ©rĂ© dâĂ©volution selon la nature. Il sâagit par une purification-libĂ©ration progressive de parvenir Ă la « psychisation » de lâĂȘtre. Se purifier des mĂ©langes et des sources dâimpuretĂ© et se libĂ©rer du dĂ©sir et de lâego sont considĂ©rĂ©s ici comme les premiĂšres Ă©tapes vers une vie divine et comme les bases de la rĂ©alisation de lâĂ©galitĂ© parfaite.
Mais la progression spirituelle ne sâarrĂȘte pas lĂ car aprĂšs avoir conquis la libĂ©ration personnelle sur les plans du mental et du vital, il faut encore que la nature physique soit transformĂ©e pour devenir un instrument de lâAbsolu, non pas en vue dâun paradis hors de la Terre, mais bien ici-bas dans notre nature incarnĂ©e. Câest pourquoi les travaux ont Ă©tĂ© prolongĂ©s par un certain nombre de « campagnes (praxĂ©is) » pour en prĂ©ciser le chemin.
Il ne sâagit pas seulement dâobtenir une libĂ©ration de lâesprit mais aussi celle des modes de la nature et de toute dualitĂ©. Car ce que lâoracle promit Ă HĂ©raclĂšs sâil parvenait Ă accomplir les travaux, câest bien lâimmortalitĂ© et donc la sortie de la dualitĂ© et la maĂźtrise du processus que nous appelons mort.
Sâil nây a dâautre chemin vers la VĂ©ritĂ© que le sien propre, ces travaux ne peuvent sâenvisager dans une succession logique qui suppose que lâun soit terminĂ© avant de commencer le suivant. Ils ne peuvent donc dĂ©crire une progression linĂ©aire valable pour tous, avec des Ă©tapes prĂ©cises, mais seulement un certain nombre de buts vers lesquels le chercheur doit tendre.
Il doit souvent livrer les mĂȘmes combats mais sur des plans de plus en plus profonds, dans un travail en spirale. Ainsi, les obstacles vaincus et les rĂ©alisations obtenues dans le mental doivent ensuite lâĂȘtre dans le vital puis dans le corps. Câest pourquoi chacun des travaux peut ĂȘtre considĂ©rĂ© de bien des maniĂšres diffĂ©rentes au fur et Ă mesure de la progression.
Ainsi sâexpliquent les divergences rencontrĂ©es chez les anciens, parfois dans la liste des travaux, mais surtout dans lâordre de leur prĂ©sentation
Une liste canonique sâest cependant constituĂ©e dĂšs le Ve siĂšcle avant J.-C., probablement sous lâinfluence des seuls initiĂ©s. Seul lâordre a ensuite variĂ© selon les rĂ©cits ou les traces architecturales qui nous sont parvenus.
En fait, à la place du mot « travaux » issu du latin, une traduction plus exacte du terme grec « Athloi » serait « défis » ou « épreuves », car ce terme était lié aux jeux sportifs.
HomĂšre connaissait lâexistence des « travaux » mais nâen fait jamais lâinventaire. Selon ThĂ©ocrite, Pisandre de Camiros aurait organisĂ© le cycle des travaux dĂšs la fin du VIIe siĂšcle avant J.-C. Le travail du nettoyage des Ă©curies dâAugias aurait Ă©tĂ© le dernier ajoutĂ© au Ve siĂšcle, leur nombre Ă©tant dĂšs lors figĂ© Ă douze. Nous suivrons ici la liste dâApollodore qui nous est apparue comme la plus cohĂ©rente. Elle est identique Ă celle de Diodore de Sicile, Ă quelques permutations prĂšs pour certains travaux adjacents (permutations dans les couples de travaux 3 et 4, 5 et 6, 11 et 12).
Toutefois, il y a lieu de distinguer trois sortes de travaux, les deux premiÚres étant couplées.
La liste canonique comprend en effet les travaux proprement dits dénommés « Athloi » mais aussi des épisodes qui se déroulent parallÚlement aux travaux nommés « Parerga » (« accessoires ») car certains maßtres estimÚrent nécessaire de préciser certains enseignements.
Les Ă©pisodes situĂ©s aprĂšs les travaux constituent la troisiĂšme catĂ©gorie et Ă©taient nommĂ©s « PraxĂ©is », « les actes » ou « accomplissements » : tandis que les « Athloi » sont effectuĂ©s par la volontĂ© personnelle du chercheur (sous les ordres dâEurysthĂ©e), les « praxĂ©is » relĂšvent dâune VolontĂ© supĂ©rieure qui est obĂ©issance absolue Ă lâĂȘtre intĂ©rieur. Ils seront donc dĂ©clenchĂ©s Ă la seule initiative du hĂ©ros. Cette obĂ©issance suppose le passage au premier plan de lâĂȘtre psychique.
La structure des travaux
Nous avons dĂ©jĂ abordĂ© les diffĂ©rentes parties du chercheur mobilisĂ©es pour la quĂȘte (EurysthĂ©e, HĂ©raclĂšs, IphiclĂšs et Iolaos).
Les liaisons majeures du hĂ©ros marqueront les Ă©tapes importantes du chemin : MĂ©gara, la poursuite de « lâexactitude » ou du « mouvement le plus juste » ; DĂ©janire, celle du « dĂ©tachement » ; Iole, celle de « la libĂ©ration » totale ; et enfin HĂ©bĂ©, la dĂ©esse de « lâĂ©ternelle jeunesse », celle de la non-dualitĂ© et de lâadaptation permanente au mouvement du Devenir.
Mais il existe une autre structure, donnée par la situation géographique des travaux, qui définit trois groupes.
Le premier comprend les six premiers travaux qui se dĂ©roulent tous dans le PĂ©loponnĂšse. Les deux premiers de ce groupe, situĂ©s de part et dâautre dâArgos, en dĂ©finissent les objectifs majeurs dont certaines modalitĂ©s sont explicitĂ©es par les quatre suivants situĂ©s en Arcadie ou Ă ses abords immĂ©diats.
Le deuxiĂšme groupe est formĂ© par quatre travaux se dĂ©roulant hors du PĂ©loponnĂšse selon une croix orientĂ©e selon les quatre directions symboliques : la CrĂšte au Sud, la Thrace au Nord, les bords de la Mer Noire Ă lâEst, et lâĂrythie « lâĂźle rougeoyante » en ExtrĂȘme-Occident. Ils concernent les chercheurs beaucoup plus impliquĂ©s dans le yoga.
Le dernier groupe enfin est formĂ© par les deux derniers travaux qui se dĂ©roulent en des contrĂ©es inaccessibles, lâHadĂšs et le jardin des HespĂ©rides. Ils sâadressent aux aventuriers de la conscience qui, Ă la suite des avatars ou envoyĂ©s divins, se consacrent Ă des rĂ©alisations jamais encore atteintes sur Terre.
Câest pourquoi la plupart des auteurs anciens avaient situĂ© lâultime limite de la rĂ©alisation possible dans le yoga symbolisĂ©e par les fameuses « colonnes dâHercule », Ă la fin du dixiĂšme travail « Les troupeaux de GĂ©ryon ». Ainsi Pindare de clamer : « Plus avant ne peuvent passer ni les sages, ni les non-sages. ».
MĂȘme si les « praxĂ©is » concernent les Ă©tapes dâun yoga qui va au-delĂ de cette limite, les anciens prĂ©sentĂšrent comme obstacle ultime la racine du dĂ©sir (le principe de sĂ©paration esprit/matiĂšre ancrĂ© dans le corps Ă la racine de la vie) alliĂ©e Ă un grand accomplissement humain soutenu par le vital (le sang du Centaure Nessos mĂȘlĂ© Ă celui de lâHydre). Il causera la mort dâHĂ©raclĂšs sous la forme de la tunique imprĂ©gnĂ©e du venin.
La liste des travaux Ă©tablie par Apollodore est la suivante. (La rĂ©partition en trois groupes nâexiste que pour les besoins de lâĂ©tude.)
Premier groupe
1. Le Lion de Némée
2. LâHydre de Lerne
3. La Biche de CĂ©rynie
4. Le Sanglier dâĂrymanthe
5. Les Ăcuries dâAugias
6. Les Oiseaux du lac Stymphale
DeuxiĂšme groupe
7. Le Taureau de CrĂšte
8. Les Juments de DiomĂšde
9. La Ceinture dâHippolyte, reine des Amazones
10. Les Troupeaux de GĂ©ryon
TroisiĂšme groupe
11. Le Jardin des Hespérides
12. CerbĂšre
Notons une certaine incertitude liée aux nombres dix et douze dans le compte des travaux et dans leur durée.
MĂȘme si le hĂ©ros nâen devait effectuer au dĂ©part que dix, peut-ĂȘtre mĂȘme moins, il y en eut finalement douze car EurysthĂ©e refusa dâen comptabiliser deux, « lâHydre de Lerne » et « les Ăcuries dâAugias ». Peut-ĂȘtre ceci provient-il de divergences entre les initiĂ©s au sujet du symbolisme de ces deux nombres, dix et douze (totalitĂ© dâexpression et perfection dans lâexĂ©cution). Nous examinerons ce problĂšme avec chacun des travaux concernĂ©s.
Lâautre incertitude rĂ©side dans la durĂ©e de la servitude dâHĂ©raclĂšs : parfois dix ans, parfois douze.
Nous Ă©carterons aussi les versions de certains auteurs qui ne font pas sens ici : celle qui donne lâexpiation du meurtre des enfants dâHĂ©raclĂšs comme motif des travaux, ce qui est incompatible avec la purification qui lui fut accordĂ©e, et dâautre part celle dâEuripide qui, plaçant le meurtre Ă la fin des travaux, dĂ©nature ainsi une fois de plus les rĂ©cits initiatiques.
LES SIX PREMIERS TRAVAUX
Les six premiers travaux sont localisĂ©s dans le PĂ©loponnĂšse, les deux premiers en Argolide Ă Ă©gale distance au nord et au sud dâArgos, les trois suivants en Arcadie selon un arc de cercle Ă sa frontiĂšre nord, et le sixiĂšme en Ălide.
Nous avons maintes fois soulignĂ© quâArgos « la lumineuse » est la ville des chercheurs de VĂ©ritĂ©. Les deux travaux majeurs qui « encadrent » cette premiĂšre partie du chemin, le Lion et lâHydre, ont pour objet la fin de lâego et du dĂ©sir, les deux grands mouvements qui ne purent ĂȘtre Ă©vitĂ©s lors de la construction de la personnalitĂ© mais qui doivent ĂȘtre dĂ©passĂ©s dans la prochaine Ă©tape de lâĂ©volution.
LâArcadie est la province symbolique de « lâendurance » dans le yoga. Elle tire son nom de celui du hĂ©ros Arcas associĂ© Ă celui de « lâours », image dâune « puissance de rĂ©sistance ou dâendurance ».
Nous verrons plus loin quâil existe deux « Arcadie » quâil ne faut pas confondre. La premiĂšre concerne les prĂ©liminaires du chemin. Ses habitants aimaient Ă dire quâils Ă©taient les plus anciens habitants de GrĂšce et tiraient leur origine de prĂ©-SĂ©lĂ©niens, avant mĂȘme que la lune ne sâĂ©lĂšve dans le ciel, câest-Ă -dire avant mĂȘme la construction de la personnalitĂ©. Leur premier roi fut Pelasgos, nĂ© de la terre aux premiers temps de lâhistoire alors quâils se nommaient encore le peuple des PĂ©lasges. La seconde dont il sâagit ici conduit Ă la rĂ©alisation de « lâĂ©galité ».
Elle conduit Ă la rĂ©alisation de « lâĂ©galité » avec la cĂ©lĂšbre hĂ©roĂŻne de la chasse au sanglier de Calydon, Atalante.
Elle fait la liaison avec la province de la libĂ©ration en lâesprit, lâElide, ou les « scories » des expĂ©riences passĂ©es devront ĂȘtre nettoyĂ©es lors du sixiĂšme travail, celui des Ă©curies dâAugias.
Le monument dâOlympie place lâĂ©pisode des Ă©curies dâAugias Ă la place dâhonneur, ce qui laisserait entendre que pour lâarchitecte de cet Ă©difice, les vainqueurs dâOlympie Ă©taient ceux qui avaient accomplis ces six premiers travaux jusquâĂ la libĂ©ration en lâesprit, et non la totalitĂ© des douze. Cette attribution nous semble la plus cohĂ©rente compte tenu du fait que nul Ă priori ne pouvait prĂ©tendre avoir accompli la totalitĂ© des travaux.