L’Hydre de Lerne qu’Héraclès doit vaincre lors de son second travail symbolise la victoire sur le désir et sur les mouvements primaires de « captation ».
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Héraclès combattant l’Hydre de Lerne avec l’aide de Iolaos – Musée du Louvre
Après l’épreuve du Lion de Némée, Eurysthée ordonna au héros de tuer l’Hydre de Lerne.
L’Hydre était un gigantesque serpent d’eau, né d’Échidna et de Typhon, qui vivait dans les marais à proximité des sources Amymoné et ravageait le pays environnant. Il était doté d’un grand nombre de têtes (de six à cinquante selon les sources). Héra, dit-on, l’avait élevé.
Pour obliger l’Hydre à sortir des marais, Héraclès usa de flèches enflammées puis il l’empoigna solidement. Tandis que le monstre enlaçait une de ses jambes, Héra envoya un crabe géant qui le pinça au pied. Héraclès dut alors solliciter l’aide de son neveu Iolaos.
Le héros écrasa d’abord le crabe de son pied, puis réussit à vaincre l’Hydre, Iolaos brûlant les cous à leurs racines dès que les têtes étaient coupées.
Puis il enduisit la pointe de ses flèches avec le sang du monstre qui était un puissant poison. Ce venin causera beaucoup plus tard la mort du Centaure Nessos. Celui-ci donnera à Déjanire avant de mourir un peu de son sang empoisonné par le venin.
Plus tard, celle-ci en imprégnera une tunique qu’elle donnera à Héraclès pour se venger de son infidélité, ce qui sera la cause de sa mort.
Eurysthée refusa de comptabiliser ce travail, arguant qu’Héraclès ne l’avait pas accompli seul.
Voir Arbre Généalogique 1
Nous avons vu lors de l’étude de la Gorgone la difficulté à faire correspondre les mouvements primordiaux de la vie aux différents monstres, d’autant plus qu’Hésiode et Homère ne s’accordent pas sur les généalogies. Nous avons également déjà mentionné que des deux, Homère était celui dont les récits s’accordent le mieux avec l’expérience, tandis que ceux d’Hésiode font appel à davantage de notions métaphysiques.
Chez Homère, Typhon « l’ignorance » (dont sont issus les quatre grands monstres Orthros, Cerbère, l’Hydre et la Chimère) est fils d’Héra et ses enfants sont sans contestation possible liés à la conscience humaine. Pour Hésiode en revanche, Typhon est issu du Tartare « la Nescience », ce qui fait de « l’ignorance » un principe originel.
De même qu’il y a deux symboles représentatifs de l’ego, celui du lion du Cithéron qui n’a trait qu’à ses manifestations de surface et celui de Némée qui plonge jusqu’à ses racines, de même, il existerait deux niveaux de représentation pour l’énergie de vie vrillée : la Gorgone et l’Hydre de Lerne dont nous rappelons ici quelques éléments évoqués plus haut avec le mythe de Persée.
Le symbolisme de la Gorgone est ambigu selon que l’on considère les sources iconographiques ou les filiations données par Hésiode, Homère ne donnant malheureusement aucune indication sur sa généalogie. Selon l’iconographie, elle est de forme humaine et sa tête est couverte de serpents. Elle devrait en conséquence être considérée comme le symbole de l’influence dans le mental humain de processus évolutifs archaïques, c’est-à-dire celui du doute et de certaines peurs mentales. Elle se situerait donc logiquement dans les généalogies en aval de l’Hydre. Mais étant pour Hésiode fille de Phorcys et Céto, elle apparaît lors de la constitution du moi animal et symbolise donc des déviations à la racine de la vie animale.
C’est cette filiation que nous avons finalement retenue comme étant la plus cohérente avec l’ensemble.
Nous avons en conséquence considéré l’Hydre de Lerne comme une déviation purement humaine.
Rappelons qu’elle est pour Hésiode un des quatre enfants de Typhon « celui qui enfume » – l’ignorance – et d’Échidna « ce qui arrête le processus d’évolution dans l’union ». Elle est donc un résultat de l’ignorance et de la conscience séparée, le symbole d’une conscience-énergie « vrillée » qui au même titre que les trois autres monstres (Orthros « le mensonge », la Chimère « l’illusion » et Cerbère « le sens de la séparation ») nous entraîne à nous penser isolés de la nature, des autres et du Divin.
Elle se manifeste sous de multiples formes dont la plus apparente est le désir et la plus archaïque la sensation de manque.
C’est à Lerne, « le lieu du désir », que Zeus rencontra certaines de ses amantes.
Elle est toujours représentée comme un énorme serpent dressé doté de multiples têtes, c’est-à-dire qui se manifeste sous de multiples formes indépendantes les unes des autres. Elle évoque ce qui surgit des profondeurs de l’être et plonge ses racines dans les couches les plus archaïques du mental humain, le « mental physique », car elle se nourrit dans les marais à la frontière de la vie et du corps.
C’est donc une puissance évolutive pervertie qui s’exprime en l’homme de multiples façons mais dont la manifestation la plus évidente est le désir.
Discerner en soi ce qui relève du désir (ou de la volonté de l’ego) de ce qui provient de la volonté essentielle (celle qui est issue de l’être psychique qui soutient l’être de surface) est l’un des défis liés à ce travail. Lorsque le chercheur éprouve une incertitude, il semblerait que le choix orienté par l’ego soit accompagné, si faiblement que ce soit, d’une excitation mentale-vitale, d’une insistance, d’une projection sur l’extérieur et d’une certaine impatience ou fébrilité. Le choix psychique à l’inverse s’accompagne de paix, de tranquillité et s’envisage sans impatience.
En l’Hydre sont aussi les racines de la culpabilité, de la honte et des peurs mentales.
Si nous avons lié la culpabilité aux manifestations de l’Hydre et non à celles de la Gorgone, c’est parce qu’elle n’intervient, pour les Anciens comme pour les scientifiques contemporains, qu’à la naissance de l’ego humain et non à la racine du moi animal. Ce sentiment est en effet toujours lié à celui d’une transgression morale.
La honte est également un sentiment humain bien qu’elle puise ses racines dans les comportements archaïques de la soumission animale. Ces derniers sont nécessaires au maintien de la cohésion du groupe et c’est peut-être la raison pour laquelle les Gorgones furent dépeintes par certains auteurs comme « de belles jeunes filles » avant leur transformation en monstres.
Culpabilité et honte sont des tentatives instinctives de nier la séparation d’avec l’Unité ou le groupe.
La Genèse, qui traite de l’entrée dans le discernement par l’élaboration d’une conscience réflexive, fait apparaître simultanément la honte et la culpabilité : « J’ai eu peur parce que j’étais nu et je me suis caché », dit Adam.
L’épreuve se passe cette fois-ci à Lerne, cité qui occupe la position diamétralement opposée à Némée par rapport à Argos. C’est donc le travail exactement complémentaire à celui de la lutte contre l’ego. Les quatre autres travaux situés dans le Péloponnèse ne seront que les développements des deux premiers.
Si le premier travail concerne les déformations de l’évolution orientée vers l’individuation (y compris même l’orgueil spirituel si l’on inclut Phix, la sœur du lion de Némée), le second vise donc davantage les perturbations intervenues aux racines de l’évolution humaine.
Selon certains, le seul moyen de se libérer définitivement de l’Hydre (mot dont les lettres structurantes ΔΡ expriment le renversement du processus d’union) est la cautérisation par le feu spirituel.
Selon Apollodore, cette hydre résidait près des sources Amymoné « l’irréprochable », indiquant ainsi une étroite proximité entre le mouvement vrai et celui qui est perverti. A une certaine profondeur, il suffit d’un infime glissement dans la conscience pour passer de l’un à l’autre.
Cet auteur est par ailleurs le seul à mentionner l’existence d’une tête immortelle, qui serait alors le seul désir qui ne peut cesser car il appartient à l’unité, le « désir » du Divin. Le héros l’enfouit sous terre sur la route qui va de Lerne à Élaious – du lieu du désir et de la souffrance à la « conscience-existence libre Λ+Ι » – et plaça au-dessus un lourd rocher.
Lorsque le chercheur est parvenu à éradiquer toutes les têtes de l’Hydre, il a arraché la racine du désir et entre dans un état sans ego et sans désir. Il peut alors reprendre sa quête essentielle de liberté.
Le sang de l’Hydre est un poison particulièrement violent dont Héraclès enduisit l’extrémité de ses flèches
Dans l’une des versions de la mort du héros – celle de Sophocle – cela le conduisit à sa perte. En effet, sa seconde épouse Déjanire « le détachement » lui fit présent d’une tunique enduite du sang du Centaure Nessos. Ce sang était empoisonné par celui de l’Hydre car le héros avait transpercé le Centaure d’une de ses flèches. Le sang de l’Hydre représente l’« essence » du désir. Il est le symbole du manque essentiel, de la séparation. Le mélange avec le sang du Centaure Nessos crée un poison violent qui est en fait le désir universel en lieu et place de l’amour universel. En effet, Nessos est le symbole de la réalisation humaine la plus haute soutenue par le vital, mais imparfaitement purifiée.
Dès les représentations les plus anciennes, le crabe figure aux côtés de l’Hydre. Il représente aussi un élément de la conscience humaine car il fut envoyé par Héra. Sa mort précède celle de l’Hydre. C’est une manifestation de la même énergie pervertie. Il est le symbole du mouvement primordial de « saisie » de l’ego qui se construit par appropriation dans sa relation à l’extérieur. L’ego veut se saisir de façon spontanée de ce qu’il croit ne pas posséder, pensant ainsi combler son manque.
De plus, ce que le crabe a saisi dans une de ses pinces ne peut lui être enlevé à moins d’arracher la pince, signe d’un attachement très puissant.
Selon le Bouddhisme, la saisie et l’attachement sont la cause de la souffrance.
Pour vaincre le crabe, le héros appela à son aide Iolaos « la voix ou la vision de la conscience ». Si le chercheur qui s’applique « au juste mouvement » a pu prendre conscience des désirs, attachements, souffrances, etc. (après qu’Héraclès eut débusqué l’Hydre de son repaire), c’est au discernement spirituel qu’il doit faire appel pour éradiquer la « saisie » (en procédant même, selon Apollodore, à une purification préalable de l’environnement vital : Iolaos a enflammé les bois alentours).
Il peut y avoir plusieurs raisons pour lesquelles Eurysthée refusa de comptabiliser ce travail.
La première serait issue d’un désaccord entre les initiés sur le nombre des travaux à retenir dans la liste canonique.
Peut-être aussi nombre d’entre eux refusèrent-ils de considérer la lutte contre le désir comme la base du yoga. Il est en effet extrêmement difficile au commencement de séparer ce qui relève d’un mouvement erroné de l’ego de celui qui est nécessaire à la construction de la personnalité. Et même, s’agissant d’un mouvement faux, il peut fort bien avoir une raison d’être essentielle à la croissance de l’être psychique qui est plus souvent favorisée par les erreurs que par les vertus.
D’autre part, il existe toujours un risque de tuer l’énergie de vie en voulant seulement annihiler le désir. Les initiés ont en effet toujours mis en garde les disciples contre l’excès, y compris dans la lutte contre le désir qui bien souvent ne conduit qu’à un renforcement de l’ego par des ascèses mal conduites. En effet, c’est contre la satisfaction du désir que le chercheur débutant se bat habituellement et non contre le désir lui-même. Or la répression de la satisfaction du désir, loin de le supprimer, accroit sa puissance. C’est sans doute la raison pour laquelle certains assurent que deux têtes repoussaient quand le héros en tranchait une.