Est abordĂ© dans cette page une partie de la descendance dâĂole et dâĂnarĂ©tĂ© dans laquelle figure les hĂ©ros Sisyphe et BellĂ©rophon. Sisyphe symbolise le sens de lâeffort et son petit-fils BellĂ©rophon le travail nĂ©cessaire pour vaincre lâillusion.
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Sisyphe poussant le rocher dans le monde souterrain sous la supervision de PersĂ©phone â Staatliche Antikensammlungen
Dans la branche du Titan OcĂ©anos, les six premiers travaux dâHĂ©raclĂšs concernent la partie thĂ©orique du dĂ©but du travail de purification-libĂ©ration. Nous nous intĂ©resserons ici Ă lâautre branche majeure, celle du Titan Japet et de lâascension des plans de conscience.
Elle comprend, rappelons-le, deux sous-branches majeures : celle des PlĂ©iades qui dĂ©crit lâĂ©chelle des plans de conscience et celle de Deucalion et de ses deux enfants, Hellen et ProtogĂ©nie, qui concerne les rĂ©alisations humaines dans lâascension de ces plans.
La descendance de ProtogĂ©nie « ce qui naĂźt en avant » est dĂ©diĂ©e Ă la prĂ©sentation des conquĂȘtes ou rĂ©alisations dâĂ©tats supĂ©rieurs de la conscience obtenues par les initiĂ©s et les chercheurs intrĂ©pides qui ouvrent les chemins du futur.
Celle dâHellen « lâĂ©volution vers une grande libĂ©ration-individuation » concerne les chercheurs ordinaires. Le terme « HellĂšnes » semble rĂ©servĂ© chez HomĂšre aux chercheurs mais dĂ©signa par la suite lâensemble des Grecs.
Hellen sâunit Ă la nymphe OrsĂ©is « celle qui sâĂ©lance » ou « sâĂ©veille » qui lui donna un fils Ăole « celui qui est toujours en mouvement » ou « celui qui marche vers la libertĂ© ou lâunitĂ© en conscience ».
La branche dâHellen dĂ©crit donc le chemin vers « lâĂ©veil ». Ce hĂ©ros rĂ©gnait Ă Phthie « la conscience qui pĂ©nĂštre dans lâĂȘtre intĂ©rieur ». Câest une ville de la Thessalie du sud, la province des chercheurs qui « aspirent intensĂ©ment Ă la libĂ©ration ».
Son fils Ăole « celui qui est toujours en mouvement » ou « celui qui va vers la libĂ©ration de la conscience » lui succĂ©da Ă la tĂȘte du royaume, rĂ©gnant sur la Thessalie et la MagnĂ©sie, dans les provinces de « la quĂȘte intĂ©rieure » et de « lâaspiration ».
Ăole sâunit Ă ĂnarĂ©tĂ©, sâorientant ainsi vers « ce par quoi on excelle » ou encore vers « les qualitĂ©s du corps, de lâĂąme et de lâintelligence ». Celle-ci est la fille de DĂ©imachos « celui qui tue le combat », câest-Ă -dire celui qui cesse de donner la prioritĂ© Ă la lutte contre ses imperfections ou bien encore qui cesse le mouvement dâopposition et de rĂ©activitĂ© Ă lâextĂ©rieur. (Rappelons ici lâerreur dâEuripide qui confondit cet Ăole avec celui quâUlysse rencontra dans lâOdyssĂ©e.)
Nous allons aborder dans ce chapitre les cinq premiers enfants dâĂole et dâĂnarĂ©tĂ© (Cf. Arbre gĂ©nĂ©alogique 10, Arbre gĂ©nĂ©alogique11 et Arbre gĂ©nĂ©alogique 12) â il y en a sept au total â dont la descendance dĂ©crit les expĂ©riences qui peuvent constituer lâhorizon des chercheurs ordinaires dans le processus dâascension des plans de conscience dĂ©fini par les PlĂ©iades. Nous les avons mentionnĂ©s rapidement dans le chapitre 4 du tome 1.
Selon la tradition, le couple Ăole-ĂnarĂ©tĂ© eut sept fils et cinq filles.
Le nom de cinq des fils ainsi que celui de trois des filles est bien Ă©tabli dans le Catalogue des femmes, lâune des sources les plus fiables. Il sâagit de Sisyphe, Athamas, SalmonĂ©e, CrĂ©thĂ©e et PĂ©riĂ©rĂšs, et pour les filles, de PisidicĂ©, AlcyonĂ© et PĂ©rimĂ©dĂ©. Toutefois, le manuscrit fut endommagĂ© et un doute subsiste sur le nom des deux autres fils. Apollodore les nomme DĂ©ion et MagnĂšs. Si DĂ©ion semble recueillir lâapprobation de lâensemble des mythologues, il nâen est pas de mĂȘme pour MagnĂšs. Minyas a Ă©tĂ© suggĂ©rĂ© Ă sa place mais sa descendance nâapporte rien de plus du point de vue oĂč nous nous plaçons.
En revanche, le nom donnĂ© par Pausanias, Aethlios, nous semblerait mieux convenir car sa descendance comporte de grands hĂ©ros tels MĂ©lĂ©agre et DiomĂšde qui pourraient figurer en bonne place parmi ceux de la descendance dâĂole. Mais le Catalogue des Femmes le cite comme enfant de Zeus et de CalycĂ©, donc petit-fils et non fils dâĂole.
Notons dâautre part que la filiation DĂ©ion-Ulysse est peu attestĂ©e. HomĂšre nomme seulement son grand-pĂšre Arcisios (lequel est fils de Zeus pour Ovide et fils de CĂ©phale et Procris pour Hygin, seul auteur Ă le relier Ă DĂ©ion).
Dans cette Ă©tude, nous avons conservĂ© les listes dâApollodore, aussi bien celle des fils que celle des filles que cet auteur complĂšte avec CalycĂ© et CanacĂ©.
Ordre de succession
Les textes de la mythologie nous donnent peu dâĂ©lĂ©ments concernant lâordre de succession des enfants dâĂole. Bien quâincomplet, le plus probable est celui du Catalogue des Femmes (EHEES ou EVOHEES).
Le Catalogue des Femmes, fragment 10a, vers 25, donne lâordre suivant pour ceux qui y sont nommĂ©s « les Rois de justice » : Athamas, CrĂ©thĂ©e, Sisyphe, SalmonĂ©e, PĂ©riĂ©rĂšs et (DĂ©ion ?). La position dâAthamas en tĂȘte de liste est assez logique car le nom de sa fille HellĂ© nous renvoie Ă celui de son arriĂšre-grand-pĂšre Hellen, le fondateur de la lignĂ©e et reprĂ©sentant des chercheurs ordinaires. De plus, la premiĂšre expĂ©rience a souvent lieu dans lâenfance avant le dĂ©veloppement de lâintellect. Le travail sur les illusions, avec Sisyphe, viendrait en troisiĂšme position, aprĂšs la premiĂšre expĂ©rience dâillumination, et serait suivi, avec SalmonĂ©e, de la chute due Ă lâorgueil spirituel. Toutefois, cet ordre ne semble pas totalement cohĂ©rent avec les provinces de rĂ©sidence des hĂ©ros, ni avec lâunion de CrĂ©thĂ©e et de sa niĂšce (fille de son frĂšre SalmonĂ©e), union qui laisserait supposer que SalmonĂ©e est plus ĂągĂ© que CrĂ©thĂ©e. Cette question devra ĂȘtre Ă©claircie.
En ce qui concerne les fils, la descendance des deux derniers, PĂ©riĂ©rĂšs et DĂ©ion, donne des indications suffisamment claires pour quâon les place en fin de liste.
Que Sisyphe, symbole pour nous de « lâeffort mental » de connaissance, soit placĂ© en dĂ©but de liste semble cohĂ©rent. Quâil soit suivi ou prĂ©cĂ©dĂ© dâAthamas, qui reprĂ©sente la toute premiĂšre expĂ©rience qui a lieu dans une quasi inconscience, lâest aussi. Les positions de MagnĂšs « lâaspiration » (personnage liĂ© au mythe de PersĂ©e) et de SalmonĂ©e, symbole de lâorgueil spirituel, sont moins Ă©videntes.
Les noms des différentes villes et provinces dans lesquelles se produisent les exploits des héros ou de ceux figurant dans leur descendance peuvent apporter quelques indications complémentaires.
Sisyphe est le fondateur dâĂphyre (ancien nom de Corinthe) « ce qui sâapproche du mouvement juste ». Toutefois, la lutte contre les illusions dont son petit-fils est le symbole se poursuivra bien aprĂšs lâexpĂ©rience de lâillumination et câest pourquoi certains disent quâil hĂ©rita de cette ville aprĂšs la disparition de MĂ©dĂ©e. Le Catalogue des femmes le place donc aprĂšs CrĂ©thĂ©e dans la descendance duquel figure Jason. Sisyphe peut donc occuper une place variable selon le type dâillusions concernĂ©es.
Athamas est liĂ© Ă la BĂ©otie, la province des dĂ©butants et sa descendance concerne sans ambigĂŒitĂ© les dĂ©buts du chemin marquĂ©s par la croissance de lâĂȘtre intĂ©rieur (certains disent quâavec sa femme Ino, ils Ă©levĂšrent Dionysos).
MagnĂšs, SalmonĂ©e et CrĂ©thĂ©e sont tous trois liĂ©s Ă la Thessalie, province de ceux « qui recherchent intensĂ©ment la libĂ©ration », celle des chercheurs ordinaires. SalmonĂ©e « rempli dâorgueil » quitta la Thessalie pour se rendre en Ălide, la province de lâunion, oĂč se situe la ville des « vainqueurs » spirituels, Olympie. Cette migration rĂ©sulte dâun orgueil spirituel (lâarrogance de ceux qui sâimaginent, Ă la suite de quelque expĂ©rience spirituelle, ĂȘtre bien plus avancĂ©s quâils ne le sont), orgueil quâil dut payer trĂšs cher car Zeus le foudroya avec tout son peuple.
MagnĂšs « lâaspiration » peut figurer Ă nâimporte quelle place (si toutefois on le considĂšre comme un enfant dâĂole), lâaspiration Ă©tant une constante du chemin spirituel. Par ses enfants, il est liĂ© indirectement au mythe de PersĂ©e, et donc au combat contre la convoitise vitale, les peurs et le doute, que nous avons examinĂ©s au chapitre prĂ©cĂ©dent.
Câest dans la descendance de CrĂ©thĂ©e que se produit la premiĂšre grande expĂ©rience. Le Catalogue des femmes le place en seconde position aprĂšs Athamas.
Toutefois, comme les personnages du début de la série traitent de problÚmes différents, leur place exacte est relativement indifférente.
- Pour cette Ă©tude, nous retiendrons lâordre suivant :
Sisyphe : lâeffort de connaissance liĂ© Ă lâintellect et lâhabiletĂ© mentale qui combat les illusions.
â Athamas : les premiers contacts avec lâĂȘtre psychique
â MagnĂšs : lâaspiration, prĂ©alable Ă lâengagement sur le chemin
â SalmonĂ©e : la prĂ©tention spirituelle.
â CrĂ©thĂ©e : la premiĂšre grande expĂ©rience spirituelle
â PĂ©riĂ©rĂšs : celui qui est sans ego et sans dĂ©sir
â DĂ©ion : les expĂ©riences de la conscience Une
Sâil fallait insĂ©rer Aethlios dans cette liste Ă la place de MagnĂšs, il figurerait juste avant ou juste aprĂšs PĂ©riĂ©rĂšs.
Les cinq filles dâĂole reprĂ©sentent des « buts » vers lesquels doit tendre le chercheur plutĂŽt que des expĂ©riences. Elles ne semblent pas pouvoir ĂȘtre positionnĂ©es dans la succession des fils. Il sâagit dâAlcyonĂ©, CanacĂ©, PisidicĂ©, PĂ©rimĂšlĂ© et CalycĂ©. Nous les Ă©tudierons dans le tome suivant.
SISYPHE
La mythologie Ă©tant destinĂ©e Ă accompagner les chercheurs de vĂ©ritĂ© ou du moins ceux qui les guident, ses auteurs nâont pas jugĂ© bon de sâĂ©tendre sur les plans de conscience sur lesquels fonctionne lâhumanitĂ© ordinaire. Celle-ci est satisfaite de la vie lorsquâelle a rĂ©pondu aux besoins du corps, nourri de sensations plus ou moins Ă©laborĂ©es et subtiles sa nature vitale, et utilisĂ© son mental pour consolider tant bien que mal une vie sociale oĂč elle peut affirmer son ego, justifiant ses actes et affirmant ses opinions comme autant de vĂ©ritĂ©s. Il y a quelques milliers dâannĂ©es, les VĂ©das proclamaient dĂ©jĂ Â : « Les hommes sont du bĂ©tail pour les dieux ».
Les Anciens considĂ©raient le chercheur dans la phase dâĂ©volution mentale actuelle, en route vers un au-delĂ de lâintellect, et donc abordaient sa spiritualisation Ă partir de ce plan et au moyen de ses pouvoirs. Loin de rejeter le mental, ils recherchaient au contraire son plein dĂ©veloppement.
Câest pourquoi les deux premiĂšres PlĂ©iades (filles dâAtlas), AlcyonĂ© et CĂ©laeno, qui concernent une Ă©volution subconsciente (car toutes deux unies Ă PosĂ©idon) nâinterviennent pas directement dans les grands mythes.
AlcyonĂ© figure dans le mythe dâĆdipe oĂč elle illustre lâentrĂ©e dans le discernement. Lâalcyon Ă©tant un oiseau qui fait son nid Ă la limite des vagues, AlcyonĂ© marque donc une phase de transition. Elle eut un fils Hyrieus qui reprĂ©sente un mouvement juste dans un Ă©tat dâouverture. Nous avons associĂ© AlcyonĂ© au plan du mental physique.
CĂ©laeno sâunit Ă PosĂ©idon et lui donna un fils Lycos « la lumiĂšre qui prĂ©cĂšde lâaube » qui nâeut pas de descendance. Elle est le symbole du mental vital.
La mythologie ne dĂ©bute vraiment quâavec la troisiĂšme PlĂ©iade MĂ©ropĂ© qui sâunit Ă Sisyphe. Elle est le symbole de lâintellect, troisiĂšme plan de lâĂ©volution de la conscience mentale, aprĂšs le mental vital et le mental physique (cf. chapitre 4, Tome 1). Il sâagit du mental qui rĂ©pond Ă la force de sĂ©paration, dâĂ©loignement de lâAbsolu, et doit donner Ă lâhomme la possibilitĂ© de sâindividualiser par un dĂ©but de conscience rĂ©flexive. Il est diversement nommĂ© mental de raison, intellect ou encore mental logique. Il est associĂ© habituellement au cerveau gauche. Sa partie complĂ©mentaire en rĂ©sonnance avec les forces de rĂ©unification ou dâidentification est lâintuition dont le siĂšge est plutĂŽt le cerveau droit.
Le nom MĂ©ropĂ© signifie tout Ă la fois « mortel » â en rĂ©fĂ©rence Ă lâhumanitĂ© qui avance dans la « dualité » par rapport aux dieux immortels qui sont dans lâunitĂ© â ou « vision partielle » (de la racine ΌΔÏ : penser et ÎżÏ(η) : vision). MĂ©ropĂ© est aussi la seule PlĂ©iade qui se soit unie Ă un « mortel », la seule donc qui sâoffre comme but du travail dans le mental duel sĂ©parateur.
Le nom de son conjoint Sisyphe est le plus probablement liĂ© Ă ÎŁÎč+ÏÎżÏÎżÏ, « lâhabiletĂ© de la conscience mentale ».
Ce mental de raison ou mental logique est le dernier outil apparu dans lâĂ©volution humaine et donc celui qui doit ĂȘtre perfectionnĂ© en prioritĂ© afin dâatteindre toute son ampleur.
Le travail de Sisyphe (le personnage fĂ©minin reprĂ©sente, rappelons-le, le but vers lequel tend le personnage masculin) est donc dâĂ©tablir « une pensĂ©e stable », câest-Ă -dire une pensĂ©e purifiĂ©e des influences du vital, dĂ©livrĂ©e des opinions, des prĂ©jugĂ©s, des idĂ©ologies et des croyances, et libre de toute influence (famille, culture, etc.).
Sisyphe est surtout connu pour le chĂątiment que Zeus lui infligea au royaume dâHadĂšs. Pour certains, lâauteur en Ă©tait HadĂšs lui-mĂȘme.
Sisyphe devait rouler un Ă©norme rocher sur le flanc dâune montagne. Mais tandis quâil sâapprĂȘtait Ă en dĂ©passer le sommet, il retombait tout en bas emportĂ© par le poids du rocher et devait recommencer inlassablement ce travail Ă©puisant.
Fondamentalement, cette histoire concerne uniquement les phases les plus avancĂ©es du yoga, celles du travail dans le corps, car, avec Tantale et Tityos, Sisyphe est lâun de ceux qui reçoivent un chĂątiment exemplaire au royaume des ombres.
Ni HomĂšre ni HĂ©siode ne donnent la raison du chĂątiment. Car il nây a en fait aucune raison si ce nâest la nature de lâeffort lui-mĂȘme qui nâest plus adaptĂ© dans le yoga du corps. La volontĂ© personnelle, dont le siĂšge est dans le mental supĂ©rieur (dans la buddhi), doit en effet cĂ©der la place au travail du Divin, dans une totale consĂ©cration et un total don de soi.
Si le chĂątiment de Sisyphe illustre lâinutilitĂ© de lâeffort dans le yoga des cellules, celui de Tantale montre que la seule aspiration nâest plus suffisante et celui de Tityos illustre lâhypnotisme de la sĂ©paration qui rĂšgne Ă ce niveau.
Si lâon sâen tient Ă cette seule lĂ©gende, le symbolisme de Sisyphe ne semble pas directement liĂ© aux travaux de lâintellect mais bien plutĂŽt au sens de « lâeffort » vers les sommets au-delĂ de lâhumain dans lâascension des plans de la conscience mentale (la branche concernĂ©e est celle de Japet).
Dâautres Ă©lĂ©ments permettent cependant de circonscrire cet « effort mental » Ă celui de la quĂȘte de connaissance par les facultĂ©s du mental logique.
En premier lieu, Sisyphe est uni Ă la PlĂ©iade MĂ©ropĂ© que nous avons attribuĂ©e Ă lâintellect. Nous rejoignons alors une interprĂ©tation du mythe de Sisyphe donnĂ©e par Sri Aurobindo : lâintellect Ă©chafaude sans cesse et laborieusement, Ă partir « dâune vision partielle », des constructions qui sâĂ©croulent Ă peine arrivĂ©es Ă leur terme. AnimĂ© par une force dâĂ©volution inconsciente qui Ćuvre derriĂšre le voile, il tente de sâĂ©lancer vers les sommets pour conquĂ©rir la vĂ©ritĂ©, toujours au prix dâun grand labeur. Mais toute nouvelle synthĂšse Ă peine acquise sâeffondre sous son propre poids ou sous la poussĂ©e dâune autre vĂ©ritĂ© qui vient la contredire. Et tout est Ă recommencer.
Le nom Sisyphe peut dâautre part ĂȘtre compris comme « lâhabilitĂ© (ou lâingĂ©niositĂ©), la prudence ou encore la ruse humaine (ÎŁ+ÎŁÎżÏÎżÏ) ». La prudence est liĂ©e au doute, contrepartie inĂ©vitable de la pensĂ©e logique.
La ruse est un procĂ©dĂ© employĂ© pour abuser ou pour tromper. Et puisque les mythes concernent dâabord notre propre rapport Ă nous-mĂȘmes, câest surtout soi-mĂȘme que lâon trompe.
Sisyphe est souvent caractĂ©risĂ© comme Ă©tant « le plus rusé » de tous les mortels. HomĂšre le qualifie de « ÎșΔÏÎŽÎčÏÏÎżÏ », la racine ÎșΔÏÎŽ ayant le sens de « gain, profit, avantage ». Sisyphe est donc celui qui cherche Ă tirer profit de toutes choses.
Lâintellect est en effet le plus gĂ©nĂ©ralement au service de lâego dans son mouvement de captation qui calcule instantanĂ©ment et le plus souvent de façon inconsciente le bĂ©nĂ©fice quâil pourra retirer de toutes choses. Il est utilitariste.
Et dans le corps, lâeffort serait aussi un obstacle au travail du Divin, car il attend ou espĂšre encore quelque chose.
Sisyphe et Thanatos
Selon PhĂ©rĂ©cyde, Sisyphe avait rĂ©vĂ©lĂ© au dieu-fleuve Asopos que lâenlĂšvement de sa fille Aigina avait Ă©tĂ© perpĂ©trĂ© par Zeus. Il encourut alors la colĂšre du dieu qui lui envoya Thanatos, « la Mort » personnifiĂ©e, mais Sisyphe rĂ©ussit Ă ligoter ce dernier. DĂšs lors, plus personne ne pouvait mourir. Mais ArĂšs libĂ©ra Thanatos et Sisyphe dut mourir Ă son tour. Toujours rusĂ©, il avait pris soin de demander Ă sa femme de ne pas accomplir les rites funĂ©raires. HadĂšs lui accorda donc la permission de revenir sur terre pour y remĂ©dier. Sisyphe en profita pour rester Ă la surface auprĂšs de sa femme jusquâĂ ce quâil mourut de vieillesse. HadĂšs lui aurait alors imposĂ© son chĂątiment de peur quâil ne sâenfuie Ă nouveau.
LâAsopos est le dieu-fleuve Ă lâorigine de la lignĂ©e oĂč figure Achille, symbole de la rĂ©alisation de la libĂ©ration mentale et vitale (sagesse et saintetĂ©). Lâintellect comprend que sâouvre une phase de yoga dans laquelle le chercheur doit sâoccuper des infimes mouvements de la conscience vitale (Achille est fils de ThĂ©tis, elle-mĂȘme fille du Vieillard de la mer). Lâeffort mental discerne le sens de lâĂ©volution et voit donc venir sa disparition, ce contre quoi il se rebelle, entraĂźnant un blocage Ă©volutif (Sisyphe rend Thanatos inopĂ©rant).
Mais le dieu qui veille Ă ce que disparaisse ce qui nâest plus bon pour lâĂ©volution remet les choses en ordre.
Lâinconscient â est-il vraiment dupe ? â accepte de laisser lâeffort mental laborieux « mettre en ordre » les choses avant de disparaĂźtre, ce dont cet effort profite pour maintenir sa prĂ©sence jusquâĂ son extinction naturelle dans le cours du yoga, lorsquâil deviendra inutile.
Cette histoire de PhĂ©rĂ©cyde laisserait entendre quâune possibilitĂ© est offerte, Ă un moment donnĂ© de la progression, de mettre fin à « lâeffort mental personnel » afin de laisser agir les puissances supĂ©rieures. Mais si le chercheur ne saisit pas cette opportunitĂ©, alors cet effort continue jusquâĂ son Ă©puisement naturel.
Dans lâinconscient (dans le corps) ce labeur qui se maintient pourrait ĂȘtre celui des cellules qui, pour la remise en ordre du corps Ă la suite de disharmonies quelconques, y compris celles du vieillissement et de la mort, font davantage confiance aux habitudes millĂ©naires de lâĂ©volution quâaux forces divines.
Avant dâexaminer les autres histoires concernant Sisyphe et sa descendance, il peut ĂȘtre nĂ©cessaire de prĂ©ciser les caractĂ©ristiques de cet « effort mental » quand il est liĂ© Ă lâintellect (MĂ©ropĂ©) et fonctionne dans le conscient (avant donc de considĂ©rer son labeur chez HadĂšs).
Lorsque lâhumanitĂ©, progressant de lâinconscience primordiale Ă la libertĂ©, Ă©mergea de lâenfance â enfance rĂ©gie par les forces de la nature â elle dut acquĂ©rir un outil permettant lâaffranchissement de la dĂ©pendance au groupe. Elle devait renoncer Ă un Ă©tat fusionnel. Lâaction des forces sĂ©paratrices dans le mental forgea lâintellect et donc la pensĂ©e dont le rĂŽle essentiel est lâindividuation, la sortie dâune conscience collective de troupeau. Par analogie, la participation de lâadolescent Ă une « bande » devrait constituer en principe la derniĂšre manifestation de lâattachement au principe fusionnel.
Sous lâeffet de lâĂ©volution, lâhomme perdit progressivement la capacitĂ© de connaissance par identitĂ©, mais en conserva le besoin fondamental.
Aussi tente-t-il de remĂ©dier Ă cette perte par lâintellect : il sâefforce de comprendre, cherche les causes, et dans ce but, morcĂšle puis fait la synthĂšse avant de sĂ©parer Ă nouveau, renouvelant indĂ©finiment le processus.
Ce plan de lâintellect est en outre perturbĂ© par un afflux dâĂ©nergie de vie non purifiĂ©e, avec lâintrusion permanente des opinions, prĂ©jugĂ©s, sentiments, Ă©motions, sensations, dĂ©sirs, et des habitudes de la nature physique. La plupart du temps, il Ă©merge Ă grand peine des couches du mental Ă©motif et du mental physique qui ratiocine et moud les mĂȘmes idĂ©es mesquines issues de la vie quotidienne. Si la conscience tĂ©moin nâintervient pas, il apporte son soutien inconditionnel au vital.
Mais son rĂŽle est de classer et dâorganiser les perceptions et les idĂ©es et il fonctionne Ă son plus haut niveau chez les penseurs et les sages qui ont rĂ©ussi Ă le purifier, lâorganiser et lui donner la plus grande ampleur.
En son essence, lâintellect devrait ĂȘtre un outil dâexĂ©cution de ce qui est perçu par lâintuition, et non le maĂźtre. Dans lâhumanitĂ© actuelle, il occupe donc une place qui ne lui revient pas, Ă©crasant tout ce qui ne se soumet pas Ă sa loi. La connaissance Ă laquelle il prĂ©tend nâest le plus souvent quâaccumulation de savoirs. ConsidĂ©rer des vĂ©ritĂ©s opposĂ©es est contraire Ă sa nature et le doute lâaccompagne toujours. La sagesse est son but mais la libertĂ© quâil cherche se confond avec les revendications de lâego.
Ce mental logique est dâordinaire considĂ©rĂ© comme le summum de lâhumanitĂ©, mais lâhomme qui fonctionne sur ce plan est rarement attentif Ă lâorigine de sa pensĂ©e et rarement capable de concilier les points de vue opposĂ©s en des synthĂšses plus hautes.
Purifier et perfectionner ce plan est donc lâun des premiers travaux Ă effectuer sur le chemin de la connaissance : rejeter les opinions toutes faites, les encombrements de la pensĂ©e, les intrusions du vital, le manque de concentration, les influences qui privent la pensĂ©e de son indĂ©pendance, etc. Lâensemble de ces perturbateurs alimente en effet « lâillusion » contre laquelle se dressera le grand hĂ©ros BellĂ©rophon, petit-fils de Sisyphe.
Sisyphe et Autolycos
Sisyphe était réputé comme le plus astucieux de tous les mortels.
Autolykos, le fils dâHermĂšs « dieu des voleurs », avait Ă©tĂ© dotĂ© par son pĂšre de dons exceptionnels qui lui permettaient non seulement de subtiliser les objets sans que personne ne puisse sâen apercevoir, mais aussi de changer lâaspect de ce quâil avait volĂ©. Il pouvait ainsi ajouter ou enlever des cornes aux bĂȘtes des troupeaux ou modifier les marques sur leur pelage.
Un jour, il se mit Ă voler des animaux dans les troupeaux de Sisyphe. Longtemps celui-ci ne sut comment rĂ©agir bien quâil connaisse parfaitement lâauteur des larcins car ses troupeaux diminuaient tandis que ceux dâAutolycos augmentaient dans la mĂȘme proportion.
Il lui vint lâidĂ©e de marquer ses bĂȘtes sous les sabots. Par ce stratagĂšme, il put suivre les traces quâelles avaient laissĂ©es sur le sol, remontant jusquâĂ Autolykos sur ses terres du Mont Parnasse. LĂ , il confondit le voleur et rĂ©cupĂ©ra son bien.
Certains disent que câest durant cette escapade quâil sĂ©duisit secrĂštement la fille dâAutolykos, devenant ainsi le pĂšre putatif dâUlysse.
Cette histoire fait Ă©cho Ă celle dâHermĂšs qui, Ă peine nĂ©, dĂ©roba les troupeaux dâApollon â lorsque le chercheur attribue au mental, en lâoccurrence son plus haut niveau le surmental, des capacitĂ©s qui proviennent de la lumiĂšre psychique. Les troupeaux sont en effet des dons qui ont Ă©tĂ© obtenus ou des capacitĂ©s qui ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©es au cours du yoga.
Ici, il ne sâagit pas du surmental et de la lumiĂšre psychique, mais de lâintellect et du surmental, le chercheur voulant attribuer Ă tort des capacitĂ©s du premier au second (Autolycos vole les troupeaux de Sisyphe). Il est assez difficile de dĂ©jouer cette dĂ©viance car le chercheur prĂ©sente de hautes capacitĂ©s intellectuelles comme des intuitions supĂ©rieures ou encore comme rĂ©pondant Ă tous les « critĂšres » du surmental (il peut ajouter des cornes aux troupeaux ou modifier les marques sur leur pelage). Cependant, avec patience et mĂ©thodologie, le chercheur peut discerner en lui-mĂȘme ce qui relĂšve de lâun ou lâautre plan (en remontant les traces de ses troupeaux aprĂšs avoir mis sa marque sous leurs sabots).
Autolykos est « celui qui trouve la lumiĂšre en lui-mĂȘme ». Le Mont Parnasse oĂč il rĂ©side et qui domine Delphes est consacrĂ© au dieu Apollon, le dieu de la lumiĂšre psychique.
En ce qui concerne la paternitĂ© dâUlysse, certains documents montrent Ajax accusant Ulysse dâĂȘtre un bĂątard nĂ© dâAnticlĂ©ia (filledâAutolycos) et de Sisyphe, et non de LaĂ«rte. Cette ascendance dâUlysse, lequel est le symbole du chercheur le plus avancĂ© sur le chemin de la libĂ©ration, insiste sur le point de dĂ©part du chemin : lâeffort de la pensĂ©e accessible Ă tous et la nĂ©cessaire purification de lâintelligence. En revanche, si lâon se limite aux ascendants traditionnels (AnticlĂ©ia, fille dâAutolykos, lui-mĂȘme fils dâHermĂšs, et LaĂ«rte, arriĂšre-petit-fils de DĂ©ion), Ulysse pourrait reprĂ©senter aux yeux dâun chercheur ordinaire une expĂ©rience rĂ©servĂ©e Ă une Ă©lite.
Les enfants de Sisyphe
Le seul enfant vraiment attesté pour Sisyphe est Glaucos « celui qui brille », le pÚre de Bellérophon qui fut le vainqueur de la ChimÚre.
Toutefois, en suivant les gĂ©nĂ©alogies donnĂ©es par Pausanias, nous traiterons Ă©galement avec Sisyphe la descendance dâun autre de ses fils, Halmos, dans laquelle figurent les Minyades ainsi que le cĂ©lĂšbre guĂ©risseur AsclĂ©pios (Esculape).
Deux autres enfants sont parfois mentionnĂ©s Ornytion et Thersandros « lâhomme qui brĂ»le », et donc un intellect au sommet de ses capacitĂ©s. Son fils est Coronos, « le couronnement, lâachĂšvement ». Ornytion (Oiseau+T) est le symbole de lâintellect qui sâĂ©lĂšve vers les hauteurs de lâEsprit (T). Ses fils sont Thoas (ce qui se meut avec rapiditĂ©) et Phocos, « le phoque », celui qui Ă©volue dans deux milieux diffĂ©rents et donc symbole dâune phase de transition ou dâune aisance sur plusieurs plans.
Bellérophon et la ChimÚre
Le nom Glaucos « étincelant, brillant » exprime les plus hautes rĂ©alisations de lâeffort de connaissance, tant dans lâouverture que dans lâorganisation et la hauteur de vue.
La donnĂ©e essentielle le concernant est lâincapacitĂ© de son pĂšre Ă lui trouver une Ă©pouse, car « bien quâil surpassĂąt tous les hommes en intelligence, Sisyphe ne devinait pas que la volontĂ© de Zeus Ă©tait que Glaucos ne soit le vrai pĂšre dâaucun enfant ».
Ainsi, sâil est nĂ©cessaire et mĂȘme indispensable que lâeffort de connaissance porte ses fruits, il nâest pas capable de faire progresser la quĂȘte au-delĂ dâun certain stade ni mĂȘme de mettre fin Ă lâillusion Ă lui seul. En effet, la pensĂ©e qui sâefforce de connaĂźtre en sâappuyant sur la mĂ©moire ne peut ĂȘtre neuve ni conduire Ă la VĂ©ritĂ©. De plus, elle a bien du mal Ă admettre son incapacitĂ© en ce domaine (Sisyphe ne devine pasâŠ).
La premiĂšre femme que Sisyphe destina Ă Glaucos fut Mestra la bien bouclĂ©e « celle qui dirige ». CâĂ©tait une fille dâĂrysichton « celui qui trace des sillons dans la terre ». Ce dernier fut affligĂ© dâune faim dĂ©vorante et insatiable par DĂ©mĂ©ter, car il avait procĂ©dĂ©, pour construire son palais, Ă des coupes dans les bois qui appartenaient Ă la dĂ©esse (le chercheur a dĂ©tournĂ© Ă son propre usage des « forces » qui auraient dĂ» normalement ĂȘtre consacrĂ©es au travail de lâunion). Ărysichton est le symbole du « manque » qui taraude le chercheur. Bien quâil ne puisse ĂȘtre confondu avec son homonyme fils du premier roi dâAthĂšnes (Aktaios), il indique cependant comme lui les dĂ©buts de la quĂȘte.
Pour calmer sa faim dĂ©vorante et se procurer des ressources, il vendait sa fille Mestra comme esclave. Mais comme elle avait reçu de PosĂ©idon le don de transformation, elle sâĂ©chappait. Puis elle revenait chez son pĂšre qui la vendait Ă nouveau.
MalgrĂ© tous les cadeaux de Sisyphe, lâunion se rĂ©vĂ©la houleuse, et Mestra une fois de plus retourna chez son pĂšre. Sisyphe la contraignit Ă revenir mais elle prit pour amant PosĂ©idon Ă qui elle donna un fils, Eurypylos, avant de sâenfuir Ă nouveau.
Au lieu de se soumettre au juste mouvement de la quĂȘte (DĂ©mĂ©ter), le chercheur se lance dans une quĂȘte insatiable et dĂ©sordonnĂ©e car il est encore fortement dominĂ© par lâego et la recherche des fruits. Il dĂ©tourne « la direction de la quĂȘte » (Mestra) vers des buts aussi divers que passagers pour rassasier son manque. Le subconscient (PosĂ©idon) offre Ă chaque fois une occasion de quitter la direction erronĂ©e. Mais « la direction de la quĂȘte » retombe sous la coupe du manque insatiable : le chercheur ne peut sâarrĂȘter dans aucune voie, aspirĂ© Ă chaque fois par dâautres horizons (revente par le pĂšre).
Lâeffort intellectuel (Sisyphe) veut que le meilleur de lui-mĂȘme (Glaucos) participe Ă la recherche de « sa » voie (lâunion avec Mestra), se mette en quĂȘte du but. Mais, cet effort, malgrĂ© sa persĂ©vĂ©rance, ne rĂ©ussit pas Ă dĂ©finir la direction la plus juste. Il ne suffit pas Ă Ă©viter la mainmise de lâego qui oriente la quĂȘte selon ses propres conceptions et dĂ©sirs et veut obtenir « les fruits » de la quĂȘte (construire son palais).
Lorsque finalement le chercheur se soumet à la direction du subconscient (Mestra prit pour amant PosĂ©idon), ce dernier permet que toutes ces errances nâaient pas Ă©tĂ© vaines car il ouvre une large porte « Eurypylos ».
Ce rĂ©cit dĂ©crit les erreurs des premiers pas du chercheur qui est dans un malaise, un manque constant, et sâengage parfois dans de multiples recherches et activitĂ©s en maintenant lâespoir dâen retirer les fruits, mĂȘme si la plupart du temps il ne se lâavoue pas.
Bien que cette partie du mythe de Sisyphe soit presque ignorĂ©e, elle peut concerner plusieurs annĂ©es de la vie du chercheur, parfois plusieurs vies, et mĂȘme persister sous des formes de plus en plus sournoises tout au long de la quĂȘte. Mais il y a toujours « une ouverture » au bout de cette errance : Eurypylos engendra en effet Chalkon « lâairain », signe dâune certaine force de caractĂšre, et AntagorĂšs « celui qui sait parler contre, qui sait se positionner » et caractĂ©rise une certaine libertĂ© de pensĂ©e.
Comme Sisyphe ne renonçait pas Ă marier Glaucos, il jeta son dĂ©volu sur EurynomĂ© « un ordre vaste » ou « une grande exactitude », fille de Nisos « lâĂ©volution humaine ». Dâautres Ă©voquent EurymĂ©dĂ©e « un vaste dessein », fille du roi de MĂ©gare « un grand et juste mouvement ».
Cette fois-ci encore, Zeus refusa une descendance Ă Glaucos. Et Ă nouveau ce fut PosĂ©idon le vĂ©ritable pĂšre de lâenfant Ă naĂźtre qui devait ĂȘtre nommĂ© BellĂ©rophon. (HomĂšre ne mentionne pas lâintervention de PosĂ©idon dans la conception, mais en une autre occasion parle de BellĂ©rophon comme du « noble fils dâun dieu »).
Le second objectif que se donne lâeffort mental « brillant » est une « grande Ă©tendue » et une « grande exactitude », câest-Ă -dire une juste utilisation des plus hautes fonctions de lâintellect, lâextension et lâintĂ©gration. Cependant, cette ouverture de la pensĂ©e Ă des horizons toujours plus vastes ne pourra permettre Ă elle seule les diffĂ©rents exploits de BellĂ©rophon. Aussi, en sus de son pĂšre humain, ce hĂ©ros a-t-il un pĂšre divin, une aide issue du subconscient.
Notons enfin quâun Glaucos homonyme qui Ă©tait le petit-fils du premier combattit dans les rangs troyens et se retrouva face Ă face avec DiomĂšde avec qui il fraternisa. En effet, le divin ĆnĂ©e « lâivresse divine » qui Ă©tait le grand-pĂšre de DiomĂšde « celui qui se prĂ©occupe de lâunion en conscience » avait reçu le grand BellĂ©rophon en son palais : ainsi, la brillance intellectuelle se rapprochait du camp troyen pour, si ce nâest soutenir, du moins comprendre ce qui fut, comme nous le verrons, la tentative de maintenir comme seule possibilitĂ© Ă©volutive le but des anciennes spiritualitĂ©s, Ă savoir la dissolution dans le Divin hors de lâexpĂ©rience de lâincarnation.
Le début du récit qui mena Bellérophon au royaume de la lumiÚre naissante (la Lycie) a été abordé au chapitre précédent, nous le rappelons ici :
AntĂ©ia, la fille du roi de Lycie, Ă©tait lâĂ©pouse de ProĂŻtos, roi dâArgos. Elle tomba amoureuse de BellĂ©rophon et voulut sâunir Ă lui en secret. Comme ce dernier lâavait repoussĂ©e, elle le dĂ©nonça Ă son mari en prĂ©tendant quâil avait tentĂ© de la violer. Refusant de sĂ©vir contre un hĂŽte, ProĂŻtos lâenvoya chez son beau-pĂšre, roi de Lycie, avec une lettre cachetĂ©e destinĂ©e Ă ce dernier. Par cette missive secrĂšte, il enjoignait au roi de tuer BellĂ©rophon.
AprĂšs avoir fĂȘtĂ© BellĂ©rophon pendant neuf jours, le roi lui demanda de tuer la ChimĂšre, sachant pertinemment que tous ceux qui avaient tentĂ© cet exploit nâavaient jamais rĂ©ussi ni survĂ©cu.
ProĂŻtos symbolise le travail du chercheur en vue dâune union avec les mondes de lâEsprit, le Soi ou Divin impersonnel. En effet, selon HomĂšre, ProĂŻtos avait Ă©pousĂ© la divine AntĂ©ia « celle qui a rencontrĂ© la conscience-existence » qui Ă©tait la fille du roi de Lycie, le pays de la « lumiĂšre naissante » consacrĂ© Ă Apollon.
Lorsquâest offerte au chercheur, qui a largement organisĂ© et Ă©tendu sa pensĂ©e, une opportunitĂ© de contact avec le Soi impersonnel (lâunion secrĂšte proposĂ©e par AntĂ©ia) qui lui permettrait dâĂ©viter le combat contre lâillusion dans lâincarnation (la ChimĂšre), il refuse. Il nâaccepte pas « la grĂące » qui lui est offerte, car de par lâhabitude des millĂ©naires de lâĂ©volution, lâintellect ne fait confiance quâĂ sa propre lumiĂšre et ne peut imaginer que lâAbsolu puisse ĂȘtre mieux Ă mĂȘme de le diriger, pour peu quâil accepte de sây soumettre.
Cette grĂące lui est offerte « en secret », câest-Ă -dire indĂ©pendamment de son effort pour sâĂ©lever dans la conscience (ProĂŻtos). Elle peut se manifester de mille maniĂšres diffĂ©rentes, souvent presque imperceptiblement si sa conscience nâest pas en Ă©veil, mais il en est toujours averti dâune façon ou dâune autre.
Mais dans chaque Ă©preuve oĂč le discernement est nĂ©cessaire, la grĂące nâest pas renouvelĂ©e si elle a Ă©tĂ© ignorĂ©e ou repoussĂ©e.
Si lâon considĂšre que câest un processus qui se reproduit dâinnombrables fois, le chercheur est Ă chaque pas mis devant lâopportunitĂ© de recevoir la lumiĂšre dâen haut afin de dissiper lâillusion ou de combattre celle-ci avec ses propres forces dans lâincarnation. Et comme la GrĂące sâoffre en permanence, câest seulement le manque de consĂ©cration, dâaspiration et de conscience qui entrave et freine la progression.
Le nom BellĂ©rophon (qui reste Ă dĂ©chiffrer) a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ© comme « tueur de BellĂ©ro », ce dernier Ă©tant peut-ĂȘtre en rapport avec un dĂ©mon local. Certains le nommaient Hipponous « la force de lâintelligence », ce qui correspondrait avec lâinterprĂ©tation proposĂ©e ici.
Le roi de Lycie, rĂ©pondant aux exigences de ProĂŻtos, soumit le hĂ©ros Ă une sĂ©rie dâĂ©preuves : ce dernier dut successivement combattre la ChimĂšre, les Solymes glorieux, les viriles Amazones et les meilleurs hommes du roi que celui-ci avait placĂ© en embuscade contre lui.
Cette succession dâĂ©preuves marque une progression dans les travaux de lâintelligence qui doit traquer lâillusion jusquâĂ sa source, car elle se maintient bien au-delĂ des premiĂšres expĂ©riences de lumiĂšre.
La premiĂšre Ă©preuve fut de vaincre « lâinvincible » ChimĂšre.
CâĂ©tait un monstre dont lâavant du corps Ă©tait celui dâun lion, lâarriĂšre celui dâun dragon et le milieu celui dâune chĂšvre. De sa gueule sâĂ©chappaient dâimmenses flammes.
Bellérophon tua la ChimÚre en faisant confiance aux signes des dieux.
Selon HĂ©siode, câest en chevauchant le cheval ailĂ© PĂ©gase quâil accomplit son exploit.
BellĂ©rophon chevauchant le cheval ailĂ© PĂ©gase pour tuer la ChimĂšre â MusĂ©e du Louvre
Câest dans le pays de « la lumiĂšre naissante » que se livre le combat contre la ChimĂšre.
Le combattant est BellĂ©rophon, symbole dâun intellect qui commence Ă sâallier Ă lâintuition. Il est fils dâune intelligence brillante qui tend vers toujours plus dâouverture et dâexactitude (fils de Glaucos et dâEurynomĂ©).
La ChimĂšre dĂ©signe « une trĂšs jeune chĂšvre » et caractĂ©rise donc les dĂ©buts de la quĂȘte. (La chĂšvre est le symbole de la personnalitĂ©, encore trĂšs vitale, qui sâĂ©lance vers les hauteurs de lâesprit).
Mais cette chĂšvre-lĂ est un monstre. Elle est fille de Typhon « lâignorance » et de la vipĂšre Ăchidna « lâarrĂȘt de lâĂ©volution dans lâunion ». Câest une sĆur de lâHydre de Lerne, du chien Orthros, et de CerbĂšre.
On peut approcher la signification du nom ChimĂšre en le dĂ©composant (Χ+ΌαÎčÏα, lâarrĂȘt du flair de la chienne). Elle serait alors le symbole de « lâarrĂȘt de lâintuition », intuition qui seule permet lâaccĂšs Ă la VĂ©ritĂ©.
Elle reprĂ©sente la conscience en Ă©volution, issue de lâignorance, qui a perdu le contact avec le RĂ©el. Elle nâest donc ni la nescience, ni lâinconscience, ni le subconscient (reprĂ©sentĂ©s respectivement par le Tartare, HadĂšs, et PosĂ©idon) mais la puissance qui se prĂ©sente comme la vĂ©ritĂ© tout en la dĂ©tournant, câest-Ă -dire lâillusion. Elle donne la certitude dâĂȘtre dans le juste alors que lâon est le jouet dâune combinaison des forces de sĂ©paration et de lâignorance.
En peinture, elle est reprĂ©sentĂ©e avec trois tĂȘtes. Au-devant du corps, se tient le lion qui reprĂ©sente un mouvement dirigĂ© par lâego, avec son orgueil et son arrogance. La chĂšvre occupe le milieu du corps et sa tĂȘte surgit au milieu du dos du monstre. Elle est le symbole dâune aspiration spirituelle prenant sa source dans le vital et soumise Ă la direction de lâego. Enfin, la queue faite dâun serpent illustre un mouvement Ă©volutif.
La ChimÚre souffle un feu ardent et destructeur. Et comme elle sévit en Lycie « au pays de la lumiÚre naissante », elle détourne toute nouvelle manifestation de la Vérité.
HomĂšre rappelle quâelle est par ses parents « de race divine », câest-Ă -dire une consĂ©quence inĂ©luctable du processus Ă©volutif.
Lâorigine de lâillusion est donc lâIgnorance (Typhon). Mais Ă elle seule, lâignorance nâentraĂźne pas lâillusion. Il faut que sây ajoute une dĂ©viation aussi infime soit-elle, une lĂ©gĂšre « torsion » du processus dâĂ©volution qui bloque la perception de lâunitĂ© (Ăchidna). Car tant que la partie reste engagĂ©e dans le processus dâunion avec le Tout, il ne peut y avoir illusion. Ainsi, les animaux sont Ă©galement issus de lâignorance mais pour la plupart encore en contact avec le Tout par lâinstinct.
Câest cet arrĂȘt de lâĂ©volution dans lâunitĂ© qui fut appelĂ©e « la chute de la vie ». Et câest sur cette chute â en fait une rupture de la conscience de lâunitĂ© â que sâĂ©difia peu Ă peu la personnalitĂ© humaine.
De ce point de vue, lâillusion est constitutive de notre nature humaine car notre conscience mentale sâĂ©labora sur une base dâignorance totale et dans la sĂ©paration, ce qui favorisa la constitution du noyau de lâego humain. Lâignorance produit une vision limitĂ©e de la RĂ©alitĂ©. Cette vision partielle associĂ©e Ă la sĂ©paration produit une vision fausse qui conduit Ă des jugements faux et donc Ă des actions fausses.
La lutte contre les illusions est un long processus qui accompagne le chercheur tout au long de la quĂȘte. HomĂšre en effet prolonge les Ă©preuves de BellĂ©rophon, dâabord par un combat contre les Amazones, lequel doit ĂȘtre mis en rapport avec le huitiĂšme travail dâHĂ©raclĂšs « la ceinture de la reine des Amazones » qui correspond Ă la fin de la maĂźtrise et au nĂ©cessaire dĂ©passement de la sagesse et de la saintetĂ© si lâon veut poursuivre le yoga. Puis il Ă©voque le combat contre les hommes les meilleurs de Lycie, câest-Ă -dire la remise en cause mĂȘme des « éclairs de vĂ©rité » dont le chercheur eut lâexpĂ©rience.
On peut dire sans trop de risque dâerreur que lâillusion recouvre tout, que lâhomme est totalement incapable de percevoir la RĂ©alitĂ©, tant du fait de lâaction des modes de la nature dans un ĂȘtre pĂ©tri dâinconscience que des dĂ©sirs et revendications de la nature vitale Ă©gotique, des peurs, des prĂ©fĂ©rences, habitudes mentales, doutes, croyances et jugements, lâensemble crĂ©ant un inextricable mĂ©lange. Lâillusion ne commence Ă disparaĂźtre que lorsque nous devenons progressivement des « éveillĂ©s ». Mais sa disparition dĂ©finitive ne peut se produire que par lâillumination des cellules du corps.
Lâillusion fondamentale est celle qui est expĂ©rimentĂ©e comme « Maya », câest-Ă -dire lâexpĂ©rience de lâillusion du monde lorsque, par la cessation de lâidentification au corps, au vital et au mental, le chercheur fait lâexpĂ©rience du Soi (ou Atman).
Mais dans la rĂ©alitĂ© ordinaire, lâillusion majeure provient du sentiment de sĂ©paration qui, du fait de lâIgnorance dont nous sommes issus, sâimpose Ă nous comme une rĂ©alitĂ©. Cette illusion extrĂȘmement tenace consiste Ă croire que lâesprit est sĂ©parĂ© de la matiĂšre, que nous sommes sĂ©parĂ©s les uns des autres, sĂ©parĂ©s de la nature, sĂ©parĂ©s du Divin, sĂ©parĂ© des morts, etc., et Ă agir en consĂ©quence.
De cette illusion fondamentale en dĂ©coule un si grand nombre quâil serait vain de tenter dâen dresser ici une liste exhaustive. Parmi celles que doivent surmonter les chercheurs dĂ©butants, on peut mentionner :
â La pensĂ©e que les Ă©vĂšnements qui nous concernent, y compris les maladies et les accidents, surgissent et se dĂ©veloppent indĂ©pendamment de nous, ou encore que le monde extĂ©rieur est responsable de nos problĂšmes.
â La croyance que nos actions, nos pensĂ©es et nos Ă©motions sont sans rĂ©percussion sur le reste de lâunivers, que nous ne sommes pas, dans une certaine mesure, coresponsables de tout ce qui se passe sur la terre, de toutes les vilĂ©nies humaines, mĂȘme les plus criminelles et les plus sordides.
â La croyance que la morale est issue de la VĂ©ritĂ©.
â La croyance que nous sommes les seuls auteurs de nos pensĂ©es, de nos Ă©motions et de nos actes, qui sont en fait le rĂ©sultat de quantitĂ©s de forces qui nous dĂ©passent, laissant au libre arbitre bien peu de marge de manĆuvre.
â La pensĂ©e que les lois de la matiĂšre et de la vie sont immuables.
â La croyance en notre cohĂ©rence, en notre unitĂ© et en la permanence de notre ĂȘtre de surface alors quâun examen attentif nous dĂ©montre quâil nây a rien de tel, que nous sommes constituĂ©es de quantitĂ©s de parties qui ne cessent dâĂ©voluer et agissent chacune pour leur propre compte.
â La croyance en la rĂ©alitĂ© exclusive de ce que perçoivent nos sens : rien nâest vraiment ce que nous en pensons ou en sentons, la terre Ă©tant le terrain de jeu de quantitĂ©s de forces sur de trĂšs nombreux plans.
â Les illusions qui entraĂźnent une fuite dans lâaction en nous faisant croire que cela participe du progrĂšs, ou dans lâinertie sous prĂ©texte de stabilitĂ©, de tempĂ©rance et de moindre mal.
â Lâillusion que le progrĂšs matĂ©riel est la source du bonheur.
â La croyance en un paradis Ă©ternel aprĂšs la mort.
â La croyance que notre mode de pensĂ©e est stable et le meilleur jamais atteint alors quâil dĂ©pend le plus probablement de cycles et dâautres influences qui font et dĂ©font les civilisations.
â Lâillusion de servir lâhumanitĂ© avant dâĂȘtre capable dâagir sous lâimpulsion exclusive de lâĂȘtre intĂ©rieur appelĂ© ici ĂȘtre psychique.
Et pour clore ces quelques exemples, la croyance que nous sommes bien plus loin sur le chemin que nous ne le sommes en rĂ©alitĂ©, mĂȘme aux stades trĂšs avancĂ©s du chemin. Cette illusion est illustrĂ©e plus spĂ©cialement par deux mythes.
Câest, au dĂ©but du chemin, lâhistoire de SalmonĂ©e « celui qui se pavane », frĂšre de Sisyphe : SalmonĂ©e sâĂ©tait mis en tĂȘte dâimiter Zeus et pour ce faire, il avait attachĂ© Ă son char des pots de bronze afin de simuler le tonnerre et lançait des torches allumĂ©es dans le ciel en guise dâĂ©clairs. Zeus en fut trĂšs irritĂ©. Il foudroya SalmonĂ©e et lâenvoya dans le Tartare.
Et câest, plus loin sur le chemin, lâhistoire dâIxion qui, par orgueil, sâĂ©tait cru lâĂ©gal des dieux. Il est Ă lâorigine des Centaures, ĂȘtre mi hommes mi chevaux, images de chercheurs qui se croient plus avancĂ©s quâils ne sont, car ils nâont pas terminĂ© la purification de leur nature vitale.
Nul parmi les dieux et les hommes ne voulait purifier Ixion qui avait assassinĂ© son beau-pĂšre pour Ă©viter de donner les cadeaux promis en Ă©change de la main de sa fille. Zeus prit finalement pitiĂ© de lui : non seulement il le purifia, mais il lâinvita aussi Ă partager la vie de lâOlympe.
Ixion est donc le symbole dâun chercheur trĂšs avancĂ© sur le plan de lâesprit puisquâil partage la vie des dieux.
Mais Ixion se montra dâune ingratitude extrĂȘme : il tenta de sĂ©duire HĂ©ra qui sâen plaignit auprĂšs de Zeus, son Ă©poux. Celui-ci façonna alors une nuĂ©e Ă lâimage de sa femme et câest Ă ce fantĂŽme quâIxion sâunit. De cette union naquit un fils qui, sâunissant Ă des juments sauvages de MagnĂ©sie, devint le pĂšre des Centaures. Pour punir Ixion de sa traĂźtrise, Zeus lâattacha Ă une roue ailĂ©e (et selon certains enflammĂ©e) quâil lança Ă travers les airs. Et comme Ixion avait bu du nectar dâimmortalitĂ©, il tournoie Ă©ternellement dans le ciel sur sa roue ailĂ©e.
Lâillusion et la prĂ©tention spirituelle est bien souvent « punie » par un esprit qui sâenferme pour une pĂ©riode indĂ©finie dans des processus mentaux qui tournent sur eux-mĂȘmes. (La roue « enflammĂ©e » pourrait indiquer un feu « purificateur ».)
Certains disent que pour tuer la ChimÚre, Bellérophon montait le cheval Pégase. Comme le héros avait eu du mal à le dompter, Athéna lui avait procuré une bride en or.
PĂ©gase est le fils de PosĂ©idon et de la Gorgone MĂ©duse. Il est sorti du cou de celle-ci lorsque PersĂ©e le trancha. Il reprĂ©sente une force libre de toute limitation, la force de la discipline du yoga qui galope vers la rĂ©alisation. Câest-Ă -dire que lâillusion ne peut ĂȘtre totalement vaincue tant que subsistent le moindre doute, la moindre peur ou le moindre dĂ©goĂ»t. Câest pourquoi AthĂ©na lui donna une bride en or pour lui permettre une absolue maĂźtrise de la force lorsque cesse la peur et tout ce dont MĂ©duse est le symbole.
Il est le plus souvent bien difficile de dĂ©masquer ses propres illusions. Le chercheur doit donc apprendre progressivement Ă dĂ©celer les « signes des dieux » auquel il doit faire confiance pour venir Ă bout de ses chimĂšres. Parfois, câest un sentiment de malaise, souvent Ă peine perceptible, qui indique une direction fausse. Parfois une maladie, un accident, une rencontre fortuite, un rĂȘve ou tout autre Ă©vĂšnement aussi insignifiant soit-il, car il nây a jamais de hasard. Cependant, il faut une parfaite sincĂ©ritĂ© et/ou intelligence pour ne pas se leurrer avec les signes eux-mĂȘmes.
Le roi de Lycie envoya ensuite BellĂ©rophon combattre le peuple des Solymes. Ce fut selon les mots mĂȘme du hĂ©ros « le plus terrible combat quâil mena contre des hommes ».
Si lâinterprĂ©tation donnĂ©e au mot Solymes « les impuretĂ©s de la conscience » est exacte, il sâagit, une fois dĂ©passĂ© le premier niveau de purification des illusions, de rendre Ă la conscience sa virginitĂ© primordiale en dĂ©passant les modes dâaction de la nature Ă la source des dualitĂ©s.
LâĂ©preuve suivante constituĂ©e par le massacre des viriles Amazones fait Ă©cho au neuviĂšme travail dâHĂ©raclĂšs (la conquĂȘte de la Ceinture de leur reine).
Les Amazones sont un peuple de femmes guerriĂšres vivant sur les rives de la mer Noire que les Grecs nommaient Pont-Euxin (Euxeinos Pontos) « le travail sur le vital avec une grande aide des mondes de lâesprit ». (Entre la mer ĂgĂ©e et le Pont-Euxin Ă©tait la Propontide « le dĂ©but du travail sur le vital ».)
Elles Ă©taient installĂ©es Ă lâembouchure du Thermodon, câest-Ă -dire au maximum de dĂ©veloppement du courant de conscience qui reprĂ©sente « le feu intĂ©rieur pour rĂ©aliser lâunion » (Thermo+Î).
Nous approfondirons le sens de ce combat lors de lâĂ©tude des derniers travaux dâHĂ©raclĂšs. Mentionnons seulement ici que cet Ă©pisode concerne la transcendance du dernier des trois modes de la nature plus particuliĂšrement liĂ© au mental â le principe dâĂ©quilibre et dâharmonie â (« la libĂ©ration de toute la perception trompeuse des dualitĂ©s de la nature »). Il sâagit Ă ce stade de dĂ©passer la maĂźtrise qui a conduit Ă la sagesse et Ă la saintetĂ© pour entrer dans le yoga des cellules.
Enfin, le roi de Lycie fit tendre une embuscade par les meilleurs de ses hommes, mais ceux-ci ne revinrent pas en leurs maisons.
Cette Ă©tape finale de la lutte contre lâillusion consiste Ă la pourchasser dans les moyens eux-mĂȘmes qui poursuivent lâillumination.
Alors, rĂ©alisant que BellĂ©rophon Ă©tait le noble fils dâun dieu, le roi de Lycie lui donna sa fille en mariage ainsi que la moitiĂ© des honneurs royaux et un important domaine. BellĂ©rophon eut trois enfants.
Laodamie qui conçut de Zeus un Sarpédon homonyme « rival des dieux ». Artémis en colÚre la tua.
Isandros qui fut tué par ArÚs lors du combat contre les Solymes.
Hippolochos, le pĂšre dâun second Glaucos qui se battit Ă Troie.
Selon HomĂšre, « quand BellĂ©rophon lui-mĂȘme eut encouru la haine de tous les dieux, il erra seul Ă travers la plaine AlĂ©ienne, rongeant son cĆur et Ă©vitant les traces des hommes ».
Certains auteurs nomment la femme de BellĂ©rophon (la fille du roi de Lycie) PhilonoĂ© « lâesprit qui aime » ou encore AnticlĂ©ia « celle qui est opposĂ©e Ă la gloire », soit « lâhumilité ».
Mais quels que soient les accomplissements de lâintelligence, elle nâest pas suffisante pour conduire vers lâunion. Câest pourquoi dâune part deux des enfants de BellĂ©rophon verront leurs lignĂ©es arrĂȘtĂ©es par les dieux, et dâautre part le hĂ©ros lui-mĂȘme termina sa vie en errant loin des hommes et loin des dieux (ni dans la dualitĂ©, ni dans lâunitĂ©).
La fille du hĂ©ros indique lâacquisition dâune cohĂ©rence totale (Laodamie), ce qui est un accomplissement sur le plan du surmental. Son fils SarpĂ©don, symbole de la « sagesse » est en effet « rival des dieux ». Mais il ne sâagit dans le chemin qui cherche la divinisation de la terre, ni dâĂȘtre un sage, ni dâĂȘtre un saint.
En tuant Laodamie, ArtĂ©mis fait dĂ©passer au chercheur la quĂȘte de sagesse.
Pour Isandros, lâinterprĂ©tation pourrait ĂȘtre « lâhomme fort », câest-Ă -dire le surhomme au sens nietzschĂ©en. Il fut tuĂ© par ArĂšs, le dieu qui Ă©limine les formes erronĂ©es.
Le seul descendant de BellĂ©rophon qui survĂ©cut est le fils dâHippolochos « une nouvelle force », une « brillance » de lâintelligence qui combattra dans les rangs troyens en support de « la grande erreur » de fixation sur le passĂ©.
BellĂ©rophon lui-mĂȘme, symbole de la seule intelligence brillante qui ne peut accĂ©der au-delĂ dâelle-mĂȘme, terminera sa vie haĂŻ des dieux dans un no manâs land, une plaine (et non une montagne) qui est sans moisson (AlĂ©ienne), câest-Ă -dire qui ne peut donner aucun fruit.
Si le combat contre la ChimĂšre nâa pas Ă©tĂ© inclus dans les travaux dâHĂ©raclĂšs, câest quâil ne sâagit pas tant dâun travail de « purification-libĂ©ration » des acquis de lâĂ©volution que dâobstacles rencontrĂ©s dans lâascension des plans de conscience.
Notons pour terminer que si un contact avec lâĂȘtre intĂ©rieur peut ĂȘtre rĂ©alisĂ© Ă tous les stades de la progression et si lâhomme peut accĂ©der directement Ă certains plans de lâAbsolu sans avoir dĂ©veloppĂ© le mental, il nâen demeure pas moins vrai que sa maturation dans toutes ses composantes (raison et intuition) est indispensable Ă lâacquisition dâun parfait discernement ainsi quâau perfectionnement de lâĂȘtre extĂ©rieur afin de le rendre divin, ce qui constitue le but du yoga. De plus, comment concevoir que la Nature ait ĆuvrĂ© au perfectionnement dâun outil pendant des dizaines de millĂ©naires en vain.
LâhumanitĂ© est donc appelĂ©e Ă franchir tous les degrĂ©s de la progression dans le mental, telle quâelle a Ă©tĂ© formulĂ©e par les Anciens et reprise par Sri Aurobindo.
AsclĂ©pios et Minyas, les descendants dâHalmos, fils de Sisyphe
Pour tous les auteurs anciens, Apollon est le pĂšre du grand guĂ©risseur-mĂ©decin AsclĂ©pios (Esculape). Une mĂ©decine digne de ce nom devait en effet obligatoirement faire intervenir une part de « lumiĂšre de VĂ©rité » se manifestant Ă travers lâĂȘtre psychique.
En revanche, les ascendants de sa mĂšre Coronis « lâachĂšvement, le sommet » sont variables selon les auteurs. Cela peut facilement sâexpliquer si lâon considĂšre que lâart de la guĂ©rison peut ĂȘtre pratiquĂ© Ă diffĂ©rents niveaux de conscience.
Coronis figure donc aussi bien dans la descendance :
â de Sisyphe, lâeffort de lâintellect
â dâune certaine Dotis « la donatrice (avec Ï : dans la matiĂšre) ou lâunion depuis le plan le plus haut »
â de PĂ©riĂ©rĂšs (fils dâĂole) symbole de la rĂ©alisation de celui qui est sans ego et sans dĂ©sir (par ArsinoĂ© « lâesprit qui sâĂ©lĂšve », fille de Leucippos « une Ă©nergie vitale pure »)
â ou encore de TaygĂšte (chez Apollodore), la PlĂ©iade du plan du mental intuitif prĂ©cĂ©dant immĂ©diatement le surmental.
Dans lâIliade, AsclĂ©pios nâest quâun habile mĂ©decin alors que le dieu de la mĂ©decine est PĂ©an (ou PaĂ©on ou Paian) « la force qui joue ou qui danse », HomĂšre associant ainsi la guĂ©rison au « jeu » de la grĂące divine.
Nous nâaborderons ici que la filiation qui le relie Ă Sisyphe.
Sisyphe « lâeffort mental » aurait eu (selon Pausanias et Hygin) un second fils Halmos (ou Almos) qui reprĂ©senterait, si lâon regarde sa descendance, les sommets de lâeffort mental.
En effet, Halmos Ă son tour eut deux filles, ChrysĂ© et Chrysogone, qui sâunirent toutes deux Ă des dieux et sont les ancĂȘtres respectivement de Coronis et des Minyades.
La descendance de la premiĂšre fille dâHalmos, ChrysĂ©
La premiĂšre fille ChrysĂ© « en or » sâunit au dieu ArĂšs, le destructeur des formes pĂ©rimĂ©es, et lui donna un fils PhlĂ©gyas « lâenflammé ». Ce feu est plutĂŽt de nature mentale que psychique car ce nom signifie aussi « aigle », lâoiseau de Zeus symbole du plan le plus Ă©levĂ© du mental (alors que la flamme psychique a pour symbole le cygne). PhlĂ©gyas est considĂ©rĂ© par tous les auteurs comme le pĂšre de Coronis, laquelle est « le point culminant » de ce feu mental.
Une variante tout aussi valable de lâinterprĂ©tation du nom Coronis est de faire lâassociation courante avec ÎÎżÏÏÏ
η « la corneille » du fait de la proximitĂ© avec le mot ÎÎżÏÏÏ
ÎčÏ. Coronis serait alors le symbole de la « clairvoyance »
Lorsque ce feu dans sa pleine puissance sâunit Ă la lumiĂšre de lâĂȘtre psychique (Apollon), alors se manifestent les pouvoirs justes de la guĂ©rison symbolisĂ©s par AsclĂ©pios.
En revanche, certains mythes qui font rĂ©sider PhlĂ©gyas en BĂ©otie ou Thessalie du sud affirment que le peuple Ă©ponyme de cette rĂ©gion, les PhlĂ©gyans, ne respectaient pas les dieux. Ils auraient mĂȘme attaquĂ© le temple dâApollon Ă Delphes : le mental le plus Ă©clairĂ© peut parfois suivre son propre chemin, nĂ©gligeant et mĂȘme sâopposant aux manifestations incarnĂ©es de la lumiĂšre et de la volontĂ© de lâĂȘtre psychique.
Mais les guĂ©risseurs peuvent rarement maintenir cette flamme psychique bien longtemps. Câest pourquoi Coronis fut infidĂšle au dieu Apollon, ce qui lui valut la mort comme nous allons le voir.
Alors que la trĂšs belle Coronis Ă©tait enceinte de son amant Apollon, elle cĂ©da Ă lâamour du mortel Ischys. Selon certains, elle Ă©pousa ce dernier. Pour expliquer son infidĂ©litĂ©, certains disent quâelle craignait que le dieu ne lâabandonnĂąt dans sa vieillesse. InformĂ© par ses dons de divination, Apollon demanda Ă sa sĆur ArtĂ©mis de tuer lâinfidĂšle, ce quâelle fit. Mais tandis que le corps de Coronis se consumait sur le bucher funĂ©raire, Apollon extirpa le petit AsclĂ©pios des entrailles de sa mĂšre puis le confia au Centaure Chiron qui lui enseigna lâart de la mĂ©decine. AsclĂ©pios devait par la suite porter cet art Ă la perfection.
Le chercheur craint de perdre le lien avec son ĂȘtre psychique avec lequel il nâa eu sans doute que quelques brefs contacts (Coronis avait peur quâApollon ne lâabandonnĂąt) et se tourne donc vers un « appui » humain. Il sait en effet quâil nâest pas assez avancĂ© pour prĂ©tendre Ă une union permanente avec la lumiĂšre de lâĂȘtre psychique. Le soutien qui lâattire est la puissance quâil peut obtenir de la nature : Coronis sâunit donc au mortel Ischys « force, fermetĂ© et aussi violence » et donc « celui qui force le mouvement ». Ce dernier est le fils dâun Ălatos homonyme « le sapin », symbole dâune force issue de la nature, peut-ĂȘtre mĂȘme dâune mĂ©decine occulte. Notons aussi quâIschys est un « mortel », un Ă©lĂ©ment de la dualitĂ©, tandis quâApollon lui aurait permis de se maintenir dans lâunitĂ©.
Devant cette dĂ©viance qui est fondamentalement manque de foi, la lumiĂšre de lâĂȘtre psychique ne peut se maintenir chez le chercheur. Apollon demanda donc Ă sa sĆur ArtĂ©mis de tuer Coronis enceinte : le chercheur perd ainsi tout contact avec la source vraie de la guĂ©rison.
Les frĂšres dâIschys, Kaineus « étrange » et PolyphĂ©mos « celui qui se rĂ©pand en paroles », reprĂ©sentent les consĂ©quences de cette coupure. Kaineus indique une perte de rĂ©ceptivitĂ© et PolyphĂ©mos une justification mentale du nouveau mouvement erronĂ©.
Kaineus en effet avait changĂ© de sexe. NĂ©e fille sous le nom de KaĂ©nis, elle fut violĂ©e par PosĂ©idon. Celui-ci lui ayant proposĂ© dâexaucer un souhait, elle demanda Ă ĂȘtre changĂ©e en homme invulnĂ©rable afin que ce type dâaventure ne se renouvelle pas. Une fois la transformation accomplie, Kaineus devint le roi des Lapithes le plus puissant de son Ă©poque. Comme il Ă©tait arrogant et impie, Zeus envoya contre lui les Centaures. Mais du fait de son invulnĂ©rabilitĂ©, ceux-ci durent lâenfoncer dans le sol avec des troncs dâarbres et lâimmobiliser sous un rocher.
Ce rĂ©cit Ă©voque la partie rĂ©ceptive du chercheur qui, Ă la suite dâune irruption envahissante et soudaine de perceptions issues du subconscient (le viol par PosĂ©idon), prend peur et se ferme volontairement afin dâĂ©viter tout renouvellement de lâexpĂ©rience.
La facultĂ© dâagir de façon nouvelle et Ă©trange issue de la nature (KaĂ©nis fille dâĂlatos) qui est et devrait rester de lâordre du fĂ©minin et du rĂ©ceptif, se ferme sous lâeffet de lâĂ©volution et de lâaction subconsciente qui lâoblige Ă intĂ©grer de force des modes de perception-action contraire Ă sa nature (le viol par PosĂ©idon). Elle transforme alors ses interventions en actions brutales et sa connaissance en arrogance.
Le pouvoir de guĂ©rison qui aurait du rester sous la dĂ©pendance de lâĂȘtre psychique (ou au minimum de lâinstinct) passe sous la direction du mental qui palabre et se justifie (PolyphĂ©mos) ou peut-ĂȘtre dâune mĂ©decine occulte. AssĂ©nĂ© de façon brutale et arrogante (transformĂ© en Kaineus), ce qui est devenu un acte mĂ©dical « sans Ăąme » et sans contact avec la Nature agit dĂ©sormais par la volontĂ© de lâego (Ischys) et non dans une consĂ©cration-soumission Ă la Conscience.
Mais Apollon ne devait pas permettre que son action nâait pas de suite (une fĂ©condation par « le rayonnement de lâĂȘtre psychique » au niveau mental le plus haut). Aussi extirpa-t-il lâenfant des entrailles de Coronis tandis quâelle se consumait : AsclĂ©pios « lâoutil le plus parfait de la guĂ©rison » apparaĂźt lorsque cesse lâaction la plus haute du mental qui pourtant en est la matrice. Il reprĂ©sente la mĂ©decine dont lâĂȘtre psychique est le vecteur.
AsclĂ©pios fut Ă©levĂ© par le Centaure Chiron qui Ă©tait le fils de Cronos et de Philyra « celle qui aime le juste mouvement ». Pratiquant la mĂ©decine de lâĂąge dâor (lâĂ©poque prĂ©-olympienne du temps de Cronos), il reprĂ©sente lâart de guĂ©rir â câest-Ă -dire « dâharmoniser » en mettant chaque chose Ă sa place â dans la premiĂšre pĂ©riode de purification/libĂ©ration.
Le mot Chiron signifie « mains », peut-ĂȘtre symbole dâune mĂ©decine des Ă©nergies qui sâexerce depuis le corps, mais aussi avec les lettres stucturantes « lâaction juste de la concentration ».
Chiron rĂ©sidait alors sur le mont PĂ©lion « la montagne sombre », signe dâune action peu Ă©clairĂ©e ou dâune action des Ă©nergies incomprĂ©hensible pour la conscience.
Il est le symbole dâun processus de guĂ©rison et donc dâharmonisation. Câest primitivement un ĂȘtre immortel (non-duel) car il est de la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration divine (fils de Cronos). Mais cette capacitĂ© dâharmonisation disponible tant que le chercheur ne rentre pas dans la purification des couches profondes du vital, doit ensuite cĂ©der la place Ă une harmonisation dâordre supĂ©rieur. En effet, lors du combat dâHĂ©raclĂšs contre les Centaures â Ă lâoccasion du quatriĂšme travail, la traque du sanglier dâĂrymanthe â Chiron lâimmortel fut atteint au genou par une flĂšche du hĂ©ros enduite du venin de lâHydre. DĂšs lors, il aspirait Ă la mort car sa plaie Ă©tait incurable. Puis il Ă©changea son immortalitĂ©, avec HĂ©raclĂšs selon certains, avec PromĂ©thĂ©e selon dâautres (bien que PromĂ©thĂ©e soit un fils de Titan, appartenant donc Ă la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration divine et par lĂ immortel !).
Chiron fait rĂ©fĂ©rence aux meilleures rĂ©alisations des anciennes disciplines spirituelles qui doivent ĂȘtre abandonnĂ©es Ă un moment donnĂ© du chemin, lors du quatriĂšme travail dâHĂ©raclĂšs.
Les capacitĂ©s dâharmonisation issues de la nature ne sont donc plus disponibles lorsque le chercheur est confrontĂ© Ă la racine du dĂ©sir (le venin de lâHydre) qui rĂ©vĂšle son manque de maĂźtrise, lâatteignant dans sa confiance en lui-mĂȘme, interpellant sa capacitĂ© dâadaptation et son humilitĂ© (au genou).
Le symbolisme dâAsclĂ©pios doit surtout ĂȘtre compris comme la possibilitĂ© dâun travail sur soi, grĂące au contact avec lâĂȘtre psychique obtenu par une forte aspiration (la flamme qui dĂ©vore le corps de Coronis sur le bĂ»cher funĂ©raire). Mais ce travail est souvent rendu difficile par le manque de confiance en les messages issus de lâĂȘtre profond.
Lâanalogie avec la guĂ©rison vient du fait que nous sommes un (corps, sentiments, mental, Ăąme) et que tout accident ou tout dĂ©sordre de quelque nature et sur quelque plan de lâĂȘtre que ce soit provient dâune insincĂ©ritĂ© au sens dâune rupture avec la Conscience divine. Toute erreur sur le chemin, toute inconscience, toute ignorance, toute incapacitĂ© Ă se transformer appelle un processus de guĂ©rison, de rĂ©-harmonisation.
AsclĂ©pios sâunit Ă Ăpione « lâĂ©volution de ce qui calme, de ce qui guĂ©rit » qui lui donna deux fils : Podaleirios « celui qui purifie lâincarnation » et Machaon « celui qui combat (dans la matiĂšre) ». Tous deux participĂšrent Ă la guerre de Troie, le premier comme mĂ©decin travaillant au processus de purification/libĂ©ration, le second comme chirurgien en signe dâun travail actif dans le corps (Machaon).
Peut-ĂȘtre faut-il considĂ©rer ces personnages comme les deux modes opĂ©ratifs de la guĂ©rison-purification. Podaleirios accompagnerait le processus par lequel la maladie contribue Ă rĂ©soudre les nĆuds du passĂ©. Machaon travaillerait dans le corps pour rĂ©soudre les causes de disharmonie par les moyens propres Ă chaque « mĂ©decine ».
On ne peut quitter AsclĂ©pios sans Ă©voquer lâannĂ©e que dut passer Apollon au service dâAdmĂšte du fait de ses « prouesses ».
AsclĂ©pios avait en effet dĂ©veloppĂ© son art tant et si bien quâil avait mĂȘme rĂ©ussi Ă ressusciter ceux « qui mouraient Ă Delphes ». Pindare note « quâil faisait cela pour de lâargent ». Certains disent quâil utilisait le sang qui avait coulĂ© du cĂŽtĂ© droit de la Gorgone, sang qui lui avait Ă©tĂ© donnĂ© par AthĂ©na. Car si le sang du cĂŽtĂ© gauche donnait la mort, celui du cĂŽtĂ© droit ressuscitait. Zeus, craignant que lâordre du monde nâen fĂ»t bouleversĂ©, le foudroya.
Apollon fut peinĂ© par la mort de son fils. Mais ne pouvant sâen prendre Ă Zeus directement, il tua de ses flĂšches les Cyclopes.
Rendu furieux par ces meurtres, Zeus menaça dâenvoyer Apollon dans le Tartare mais LĂ©to intervint en faveur de son fils. Aussi Apollon fut-il envoyĂ© comme bouvier pendant un an chez le roi de Thessalie, AdmĂšte. Comme le crime avait Ă©tĂ© perpĂ©trĂ© dans le clan des dieux, la sĂ©vĂ©ritĂ© de la punition que Zeus lui infligea (pour un immortel, servir un mortel !) sâimposait. Apollon profita de cette servitude pour aider AdmĂšte dans ses entreprises.
Il arrive un moment dans la progression spirituelle oĂč le chercheur est capable de ressusciter « des morts », câest-Ă -dire de ramener Ă la conscience des mĂ©moires enfouies dans lâinconscient. Il sâagit lĂ non pas des souvenirs ordinaires de la vie prĂ©sente qui se rĂ©fugient dans le subconscient, lequel enregistre Ă notre insu les moindres Ă©vĂšnements de notre vie, mais de la partie de lâĂȘtre qui transmigre, autrement dit des souvenirs psychiques, en particulier ceux des vies antĂ©rieures. Cette interprĂ©tation est confirmĂ©e par le texte de Pindare qui Ă©voque « ceux qui sont morts Ă Delphes », câest-Ă -dire les Ă©lĂ©ments qui se sont incorporĂ©s Ă lâĂȘtre psychique (Delphes est le sanctuaire dâApollon.)
La conception de la rĂ©incarnation exposĂ©e dans la mythologie semble se rattacher Ă lâHindouisme, avec lâexistence dâun Soi (Atman) Ă©ternel qui se projette dans lâincarnation avec lâĂąme, dĂ©veloppe un ĂȘtre psychique (LĂ©to) Ă©voluant par les incarnations (agrĂ©geant autour de lui les expĂ©riences dâĂąmes de chaque incarnation).
Ce nâest donc pas une personnalitĂ© qui se rĂ©incarnerait (« aucun fil ne passe au travers des perles du collier des renaissances ») mais un Ă©tat de conscience qui transmigrerait.
Pindare note quâAsclĂ©pios « faisait cela pour de lâargent », câest-Ă -dire en vue de satisfaire les dĂ©sirs de lâego, dâobtenir des fruits de son expĂ©rience. Mais cela ne peut ĂȘtre fait impunĂ©ment sans « bouleverser lâordre du monde », sans perturber profondĂ©ment le chemin spirituel.
Si donc le chercheur sâengage dans une recherche volontaire de ses vies antĂ©rieures par quelque procĂ©dĂ© que ce soit, alors le surmental (Zeus) interrompt le travail sur soi (mort dâAsclĂ©pios).
En revanche, les maĂźtres enseignent que si le chercheur a lâexpĂ©rience spontanĂ©e de souvenirs psychiques anciens (qui sont davantage des Ă©tats de conscience que des souvenirs de tel ou tel personnage), il peut les intĂ©grer dans la comprĂ©hension de son chemin. Mais toute recherche volontaire doit ĂȘtre Ă©vitĂ©e car elle ne donne lieu la plupart du temps quâĂ des expĂ©riences fausses, rĂ©sultats dâun imaginaire dĂ©bridĂ© ou de lâamusement dâentitĂ©s vitales.
Pour ressusciter les morts, Asclépios utilisa le sang du cÎté droit de la Gorgone.
Ressusciter les morts, au sens oĂč nous lâavons explicitĂ© ci-dessus, câest faire franchir Ă des Ă©lĂ©ments de conscience la barriĂšre dâinconscience qui sĂ©pare la Vie Une de notre Ă©tat mortel, « divisé ». La Gorgone est le symbole de cette barriĂšre et son sang reprĂ©sente les courants animateurs qui permettent aux Ă©tats de conscience de la franchir. Le sang du cĂŽtĂ© droit correspond au courant qui remonte de lâinconscient tandis que celui du cĂŽtĂ© gauche y enfouit les expĂ©riences.
Cette barriÚre est constituée de peurs, de doutes et de toutes les perturbations induites par la Gorgone que nous avons citées au chapitre précédent.
Du point de vue symbolique, on notera aussi quâautour du bĂąton emblĂšme dâAsclĂ©pios sâenroule un seul serpent, symbole du courant de conscience sĂ©parateur, tandis que deux serpents sâentrelacent dans un parfait Ă©quilibre autour de la baguette dâHermĂšs, ceux des courants dâĂ©loignement et de rapprochement, de sĂ©paration et de fusion.
Lorsque la conscience mentale la plus haute annule la capacitĂ© dâinvestigation dans les profondeurs de la conscience (lorsque Zeus foudroie AsclĂ©pios), la lumiĂšre psychique fait disparaĂźtre du mĂȘme coup les « intuitions justes » ou les « visions » dâordre supĂ©rieur (Apollon tue les Cyclopes). Autrement dit, lorsque lâhomme ne fait plus appel quâĂ son mental pour remettre lâharmonie, son ĂȘtre intĂ©rieur lui ĂŽte toute capacitĂ© de vision globale en vĂ©ritĂ© sur lui-mĂȘme, toute vision « holistique ».
La lumiĂšre psychique doit alors travailler dans lâombre pour aider la personnalitĂ© du chercheur Ă gĂ©rer les rĂ©sultats de son « insoumission » (Apollon doit servir AdmĂšte « celui qui nâest pas soumis au joug » comme bouvier pendant une annĂ©e symbolique). Câest une « punition » pour Apollon car le non-duel doit Ćuvrer dans la dualitĂ©.
La premiĂšre Ă©tape de travail pour la « liberté » ou « lâinsoumission » doit conduire Ă la maĂźtrise : Apollon offre en effet de quoi « atteler ensemble un lion et un sanglier », câest-Ă -dire « mettre sous le joug » lâego et ses Ă©nergies vitales les plus fondamentales. Ceci devait permettre Ă AdmĂšte dâĂ©pouser Alceste « une forte rectitude ». Plus tard, ce hĂ©ros participera Ă la chasse au sanglier de Calydon, câest-Ă -dire Ă la soumission du vital.
La descendance de Chrysogone, la seconde fille dâHalmos (les Minyades)
Lâappartenance de cette histoire aux mythes fondamentaux semble douteuse, car elle nous est rapportĂ©e pour la premiĂšre fois par un mythographe du IIe siĂšcle aprĂšs J.-C., Antoninus Liberalis
Pour Pausanias, la seconde fille dâHalmos Chrysogone « celle qui naĂźt en or » ou plutĂŽt « celle qui engendre de lâor » eut de PosĂ©idon (par une Ă©volution subconsciente) une fille ChrysĂ© « celle qui est en or », elle-mĂȘme mĂšre de Minyas.
Toutefois, pour la plupart des autres auteurs, Minyas « lâĂ©volution de la consĂ©cration » ou du « don de soi » est simplement citĂ© comme le premier gouverneur dâOrchomĂšne, une ville situĂ©e au Nord de la BĂ©otie et dont le nom signifie « esprit agité ».
Cette OrchomĂšne doit ĂȘtre distinguĂ©e dâune autre ville du mĂȘme nom situĂ©e en Arcadie. Nous avons dĂ©jĂ rencontrĂ© lâun de ses gouverneurs, Erginos, lors de la chasse au lion du CithĂ©ron : il sâagissait alors de cesser de dilapider les Ă©nergies normalement destinĂ©es au travail de purification/libĂ©ration (ThĂšbes). Erginos est un descendant de Phrixos, lui-mĂȘme fils du deuxiĂšme enfant dâĂole (Athamas) et symbole de la toute premiĂšre expĂ©rience de contact avec le RĂ©el. Deux fils dâErginos « le labeur » (le travail sur soi) furent de cĂ©lĂšbres architectes-bĂątisseurs (de grands participants Ă lâĂ©laboration de la quĂȘte) : Trophonios « celui qui nourrit lâĂ©volution de la conscience » et AgamĂ©dĂšs, « celui qui mĂ©dite beaucoup ».
Câest la version dâOvide que nous suivrons ici pour les trois filles de Minyas.
Les trois Minyades â LeucippĂ©, ArsippĂ©, et AlcathoĂ© â refusaient de suivre les mystĂšres de Dionysos, niant mĂȘme la divinitĂ© du dieu. PrĂŽnant les travaux dâAthĂ©na, elles rĂ©prouvaient la conduite dĂ©rĂ©glĂ©e des Bacchantes quâelles accusaient de cĂ©lĂ©brer dans lâoisivetĂ© un culte chimĂ©rique. Tout en travaillant sur leurs mĂ©tiers Ă tisser, elles se racontaient des histoires Ă©difiantes.
Elles subirent alors toutes sortes de transformations, dâabord dâaspect plaisant puis de plus en plus terrifiant : « Comment ont-elles perdu leur ancienne forme, les tĂ©nĂšbres ne permettent pas de le savoir. Finalement, elles furent transformĂ©es en chauve-souris, frĂ©quentant les maisons et non les bois. Ennemies de la lumiĂšre, elles ne volaient que la nuit ».
Minyas reprĂ©sente « lâĂ©volution de la rĂ©ceptivitĂ©, de la consĂ©cration ou du don de soi ». Les trois Minyades reprĂ©sentent les buts du chercheur qui veut « évoluer dans la consĂ©cration ». Elles portent les noms de LeucippĂ© « une Ă©nergie vitale purifiĂ©e », AlcithoĂ© « une forte vie intĂ©rieure » et ArsippĂ© « une Ă©nergie vitale Ă©levĂ©e (sur le plan vibratoire) ».
Le chercheur qui est encore sous lâemprise des croyances vertueuses sâimplique avec sĂ©rieux dans son travail de yoga quâil pense sincĂšrement consacrĂ© au Divin (les Minyades travaillent sur leur mĂ©tier Ă tisser, câest-Ă -dire sur leur « vie spirituelle ») mais nĂ©glige lâaspiration dans le travail de la purification dionysiaque. Plus que toute autre, celui-ci implique une purification de la nature infĂ©rieure pour Ă©viter les dĂ©bordements du vital.
Mais dans ce mythe, le chercheur est sĂ»r de son fait et se conforte dans ses croyances vertueuses (les trois sĆurs se racontent des histoires Ă©difiantes) quâil se mĂ©fie des voies qui entrainent des manifestations de dĂ©votion extatique. Il tombe sous le charme de ses propres expĂ©riences (Elles sont sĂ©duites par les transformations qui sâopĂšrent en elles). Mais il sâaperçoit bientĂŽt quâil sâest Ă©garĂ© sur un chemin de tĂ©nĂšbres : il sâest rempli dâune Ă©nergie mentale disharmonieuse « ennemie de la lumiĂšre » et ne sâoccupe plus alors que des problĂšmes de sa personnalitĂ© (les chauve-souris se dĂ©placent « au radar » et ne frĂ©quentent que les maisons).
Dans certaines variantes de ce mythe, les trois sĆurs terrifiĂ©es sacrifiĂšrent Ă Dionysos le fils de lâune dâentre elles, Hippasos, quâelles tirĂšrent au sort et dĂ©membrĂšrent : le chercheur est donc obligĂ© de sacrifier « la force de la conscience mentale logique » rĂ©sultat de son aspiration Ă un vital pur (Hippasos fils de LeucippĂ©).
Cette variante du mythe recommande de ne pas sâattacher Ă la vertu selon les normes de la raison et surtout incite Ă prendre en considĂ©ration la totalitĂ© de sa nature, à « embrasser » son ombre.
Pour certains auteurs, Minyas est Ă©galement le pĂšre dâune ClymĂšne homonyme « ce qui est acquis par lâentendement » (la grand-mĂšre de Jason) et aussi celui dâĂlara, laquelle est la mĂšre du gĂ©ant Tityos conçu avec Zeus.
Nous avons dĂ©jĂ rencontrĂ© Tityos lors de lâĂ©tude dâHadĂšs. Comme il avait tentĂ© de faire violence Ă LĂ©to juste aprĂšs la naissance des dieux jumeaux Apollon et ArtĂ©mis, Zeus lâavait foudroyĂ©. Nous avions retenu la version la plus courante dans laquelle il est fils de Gaia. Il reprĂ©sente lâhypnotisme de « la puissance de sĂ©paration » qui agit au plus profond de lâinconscient corporel, gisant sur le sol du monde souterrain et couvrant neuf arpents.
Dans le fragment dâHĂ©siode dans lequel il est fils dâĂlara, il Ă©mergea de terre en naissant car Zeus avait enfoui Ălara sous terre afin dâĂ©viter la jalousie dâHĂ©ra. Ălara reprĂ©sente « le processus dâindividuation qui continue Ă sâopĂ©rer selon le mouvement juste », mouvement dâĂ©volution quâHĂ©ra seule prĂ©tend gouverner. Zeus est son amant car câest un mouvement en accord avec la loi dâĂ©volution divine.
Mais le rĂ©sultat de cette union, Tityos, entraĂźne une sĂ©paration de lâesprit et de la matiĂšre, qui empĂȘche donc lâincarnation et lâapparition de la lumiĂšre psychique (la naissance dâApollon et ArtĂ©mis).
Câest ce Minyas « lâĂ©volution de la consĂ©cration » qui a Ă©tĂ© proposĂ© par certains exĂ©gĂštes en remplacement de MagnĂšs « lâaspiration » pour ĂȘtre lâun des sept fils dâĂole. Rien ne nous permettant de trancher en faveur de lâune ou lâautre option, nous nous en tiendrons Ă la liste dâApollodore.
ATHAMAS : Les dĂ©buts de la quĂȘte et les tous premiers contacts spirituels
Lâhistoire dâAthamas couvre une longue pĂ©riode du chemin, des premiers pas en BĂ©otie jusquâĂ lâarrivĂ©e en Thessalie, province des chercheurs qui sâengagent. De ce fait, ce hĂ©ros doit ĂȘtre situĂ© parmi les premiers enfants dâĂole.
Nâayant pas dâĂ©lĂ©ment prĂ©cis nous permettant de dĂ©terminer sa place dans la fratrie, nous lâavons positionnĂ© aprĂšs Sisyphe. Mais il pourrait tout aussi bien figurer en premiĂšre place parmi les enfants dâĂole conformĂ©ment Ă la liste du Catalogue des Femmes, car les aventures qui lui sont liĂ©es concernent les dĂ©buts du chemin.
Cette pĂ©riode peut ĂȘtre dĂ©coupĂ©e en trois grandes phases que chacune de ses femmes introduit.
Athamas était un roi de Béotie. Il épousa en premiÚres noces Néphélé, une déesse de second rang qui lui donna deux enfants, Phrixos et Hellé.
Mais il abandonna bientĂŽt NĂ©phĂ©lĂ© pour Ă©pouser Ino, une fille de Cadmos, roi de ThĂšbes. (Dans une variante, Ino fut sa premiĂšre femme et Athamas prit pour Ă©pouse NĂ©phĂ©lĂ© sur lâordre dâHĂ©ra tout en continuant Ă voir Ino en secret.)
Ino Ă son tour fut la mĂšre de deux autres enfants, LĂ©archos et MĂ©licerte. Comme elle Ă©tait jalouse des enfants issus du premier mariage, elle manigança leur mort. Elle persuada donc les femmes du pays de faire griller le grain avant les semences. Comme elle lâavait prĂ©vu, il sâensuivit une famine. Elle fit croire Ă Athamas que lâoracle avait dĂ©crĂ©tĂ© que son fils Phrixos nĂ© du premier lit devrait mourir pour y mettre fin. Athamas prĂ©para donc le sacrifice (ou peut-ĂȘtre refusa-t-il de coopĂ©rer, Phrixos sâoffrant lui-mĂȘme en sacrifice). Quoiquâil en soit, Phrixos fut sauvĂ© par sa mĂšre NĂ©phĂ©lĂ© qui envoya Ă son secours un bĂ©lier Ă la toison dâor.
Chez Apollodore, ce merveilleux bĂ©lier pouvait voler et il emporta Phrixos et sa sĆur HellĂ© sur son dos (dans la tradition primitive, ce fut en nageant). Comme ils survolaient lâHellespont, frontiĂšre de lâEurope et de lâAsie, HellĂ© lĂącha prise et tomba dans la mer.
Parvenu en Colchide, Phrixos sacrifia le bĂ©lier Ă Zeus en signe de gratitude et offrit sa toison dâor au souverain du pays, AiĂ©tĂšs fils dâHĂ©lios. Le roi lui donna en mariage sa fille ChalciopĂ© (ou Iophassa) dont il eut quatre enfants, Argos, MĂ©las, Phrontis et Kutisoros. Il vĂ©cut jusquâĂ un Ăąge avancĂ©.
AprĂšs la fuite de Phrixos, Athamas fut pris de folie, et pour certains HĂ©ra en Ă©tait la cause. Celle-ci ne lui pardonnait pas dâavoir Ă©levĂ© avec sa femme Ino le tout jeune Dionysos. Athamas tua son fils LĂ©archos dâune flĂšche et Ino se jeta dans la mer avec son autre fils MĂ©licerte dans les bras. (Dâautres affirment quâAthamas ayant dĂ©couvert la perfidie dâIno, fit pĂ©rir de ses mains son fils LĂ©archos puis la poursuivit avec la mĂȘme issue que prĂ©cĂ©demment). Ino fut dĂ©ifiĂ©e sous le nom de LeucothĂ©e « la DĂ©esse blanche » et MĂ©licerte sous le nom de « Palaimon », et tous deux dĂ©sormais rĂ©pondaient Ă lâappel des marins en dĂ©tresse.
Sisyphe instaura « les jeux isthmiques » en lâhonneur de MĂ©licerte-Palaimon. Ils comptent parmi les quatre grands jeux panhellĂ©niques.
Athamas fut banni de son royaume et sâinstalla en Thessalie oĂč il prit comme troisiĂšme Ă©pouse ThĂ©misto, fille dâHypsĂ©e, qui lui donna quatre enfants.
Avec Athamas, roi de BĂ©otie, nous abordons les prĂ©paratifs Ă la quĂȘte qui ne commencera vraiment quâavec lâarrivĂ©e de ce hĂ©ros en Thessalie.
Ces dĂ©buts sont marquĂ©s Ă la fois par une attitude trop rigide dans lâascĂšse, une volontĂ© de suivre le chemin selon des rĂšgles ou un ordre stricts, souvent mĂȘme par des excĂšs, et par une ou plusieurs « expĂ©riences dâouverture de conscience ».
Comme ces « expĂ©riences » qui se produisent dans une conscience « ennuagĂ©e » (NĂ©phĂ©lĂ©) peuvent prĂ©cĂ©der lâentrĂ©e consciente dans la quĂȘte, laquelle nâest guĂšre plus Ă ce moment-lĂ quâune vague aspiration à « autre chose », les Anciens ont tantĂŽt donnĂ© Ă NĂ©phĂ©lĂ© la place de premiĂšre Ă©pouse, tantĂŽt celle de maĂźtresse dâAthamas alors quâil Ă©tait mariĂ© Ă Ino.
Athamas reprĂ©sente celui qui entre dans une certaine « consĂ©cration (au RĂ©el) en vue de son Ă©volution intĂ©rieure ». NĂ©phĂ©lĂ© « ce qui couvre, un nuage ou une nuĂ©e » donne lâimage dâune conscience confuse de lâobjet de la quĂȘte. Le chercheur est en « manque » mais il ne sait encore de quoi. Leurs enfants expriment, avec HellĂ©, « une forte individuation » et avec Phrixos, un « frĂ©missement ».
Celui-ci est le symbole dâune premiĂšre « expĂ©rience » dâouverture qui a lieu dans une totale et candide ignorance du chemin, souvent bien des annĂ©es avant que le chercheur ne se mette en route. (Câest pourquoi il serait hasardeux de vouloir rapprocher ce dernier dâĂpaphos « lâattouché », le fils dâIo que nous avons rencontrĂ© parmi les ancĂȘtres de PersĂ©e.)
Cette expĂ©rience se manifeste comme une grande joie intĂ©rieure, un calme et une plĂ©nitude. Lâexcitation apportĂ©e par le vital non purifiĂ© nây prend aucune part. Elle est accompagnĂ©e du sentiment dâune trĂšs forte prĂ©sence au monde et dâun sentiment de grande lĂ©gĂšretĂ©. Elle rĂ©sonne comme une promesse. Le chercheur en effet â ou lâhumanitĂ©, dâun point de vue plus large â ne sâengagerait pas dans la quĂȘte si un Ă©vĂ©nement annonciateur dont la nature lui Ă©chappe souvent ne lui avait en quelque sorte fait la promesse dâun Ă©tat nouveau, source dâune immense joie.
Mais lorsque beaucoup plus tard le chercheur fait ses premiers pas sur le chemin, attirĂ© par les rigueurs dâune ascĂšse souvent absurde reprĂ©sentĂ©e par Ino et ses enfants, il ne peut le plus souvent faire le lien avec le souvenir de cette expĂ©rience et des Ă©tats qui lâont accompagnĂ©e.
Ino, avec les lettres structurantes, est le symbole de lâĂ©volution dans lâincarnation. Fille du roi de ThĂšbes, elle est aussi lâexpression dâun mouvement de purification dans lâincarnation (peut-ĂȘtre son nom signifie-t-il « purger »). Parmi les voies reprĂ©sentĂ©es par les filles de Cadmos, elle illustre celle du chercheur qui se tourne vers un itinĂ©raire « balisé » et y travaille avec excĂšs. Ses enfants symbolisent « la quĂȘte de libertĂ© soumise Ă des principes » (LĂ©archos) et semble-t-il « celui qui travaille en force » (MĂ©licerte). Cette voie dâincarnation qui sâappuie sur des rĂšgles et la volontĂ© de lâego est « jalouse » des « expĂ©riences » passĂ©es : le chercheur qui ne sait comment retrouver la ou les expĂ©riences originelles, celles de son enfance ou celles plus tardives, veut les ignorer (pour le rĂ©cit mythique, les dĂ©truire). EngagĂ© dans une ascĂšse forcĂ©e qui suit le mouvement de lâĂ©volution et la suprĂ©matie du mental logique, il ne peut concilier la rĂ©alitĂ© de son engagement et le souvenir de cette premiĂšre expĂ©rience de plĂ©nitude : Ino veut donc faire mourir les enfants de NĂ©phĂ©lĂ©.
Pour atteindre ses fins, le chercheur persuade sa nature rĂ©ceptive (les femmes) de brĂ»ler le grain avant les semailles, sâobligeant Ă se purifier avant mĂȘme dâavoir mis les graines en terre et produit des fruits, câest-Ă -dire avant mĂȘme dâavoir accompli un juste dĂ©veloppement de son ĂȘtre extĂ©rieur.
La consĂ©quence en est une impossibilitĂ© de toute fructification de ses efforts. Il sâensuit une impasse spirituelle (une famine) et un conflit dans la conscience avant que le chercheur ne puisse sâĂ©tablir sur le « juste chemin », lequel sera symbolisĂ© par la troisiĂšme Ă©pouse ThĂ©misto « la loi de ce qui est droit, juste ».
(Certains auteurs ajoutent les tentatives dĂ©jouĂ©es de ThĂ©misto pour faire disparaĂźtre les enfants dâIno, câest-Ă -dire pour cesser toute ascĂšse excessive dirigĂ©e par le mental.)
Mais le souvenir de cette toute premiĂšre ouverture devait ĂȘtre conservĂ© et gravĂ© dans la mĂ©moire, premiĂšre manifestation dâune sensibilitĂ© affinĂ©e que le chercheur mettra des annĂ©es Ă retrouver (Phrixos est sauvĂ© par « un bĂ©lier Ă la toison dâor », toison que Jason devra aller chercher en Colchide).
Lorsque le bĂ©lier est ailĂ©, ce qui est gĂ©nĂ©ralement le cas, câest le signe que cette premiĂšre expĂ©rience se produit sur un plan mental.
Cet « enlĂšvement » prĂ©figure donc la premiĂšre grande expĂ©rience consciente dâillumination. Les deux expĂ©riences (les aventures de Phrixos et de Jason) sont en effet de mĂȘme nature : des ouvertures qui rĂ©sultent dâun dĂ©veloppement de la sensibilitĂ© ou de la conscience (quâil ne faut pas bien sĂ»r confondre avec la sensiblerie) et permettent de percevoir des vibrations plus fines. La toison dâor reprĂ©sente ici une sensibilitĂ© gĂ©nĂ©rale de lâĂȘtre tandis que les cheveux dâor ou roux que nous rencontrerons ailleurs illustrent une intuition exacte.
Le bĂ©lier marche en tĂȘte du troupeau et câest aussi le premier signe du zodiaque : il rĂ©vĂšle donc un commencement. Il peut avoir conservĂ© en GrĂšce le symbolisme qui lui Ă©tait donnĂ© dans les VĂ©das oĂč il reprĂ©sentait la monture dâAgni, le support du feu intĂ©rieur ou ĂȘtre psychique. En ce sens, il est non seulement synonyme dâ« éveil » mais aussi de puretĂ© spirituelle. Il Ă©tait en certains lieux de GrĂšce Ă©troitement associĂ© Ă HermĂšs et Apollon, et donc Ă la fois Ă la voie de lâascension des plans de conscience et Ă celle de la purification. En haute Ăgypte, il Ă©tait liĂ© au dieu Amon. On peut voir Ă Karnak une allĂ©e de sphinx Ă tĂȘtes de bĂ©lier qui pourraient figurer la domination de la force (qui supporte et entraĂźne lâĂȘtre psychique) sur la nature animale.
Si HellĂ© tombe dans la mer dĂšs la sortie de la mer ĂgĂ©e Ă la frontiĂšre de lâEurope et de lâAsie, câest-Ă -dire Ă celle qui sĂ©pare une « large vision » du « nouveau » inconnu, bien loin de la Colchide, câest pour indiquer que le processus dâindividuation (HellĂ©) cesse Ă la fin de la traversĂ©e du mental supĂ©rieur afin de permettre la rĂ©alisation de lâunion. LâaccĂšs au mental illuminĂ© ouvrirait donc les portes de la possibilitĂ© de transformation physique.
La Propontide (actuelle mer de Marmara) est situĂ©e entre la mer ĂgĂ©e (pelagos aigaion) et le Pont-Euxin (la mer Noire). Elle est reliĂ©e Ă la premiĂšre par lâHellespont (le dĂ©troit des Dardanelles) et Ă la seconde par le Bosphore (le passage de la vache). On peut suivre avec cette gĂ©ographie symbolique la progression sur le chemin, depuis la mer « tempĂ©tueuse » (pelagos aigaion) pour la spiritualitĂ© dĂ©butante, jusquâau passage vers lâillumination, le Bosphore.
Lâhistoire dâIno et de ses deux enfants se termine par une mutation. Sous lâimpulsion dâHĂ©ra qui veille au mouvement juste de lâĂ©volution, il est mis fin Ă cette direction erronĂ©e du chemin. Mais seule doit disparaĂźtre la soumission Ă des rĂšgles strictes ou Ă des principes (LĂ©archos). Câest pourquoi LĂ©archos meurt sous les flĂšches de son pĂšre frappĂ© de folie par HĂ©ra. Les mythes expliquent souvent en effet un infanticide par une folie du parent, infanticide qui illustre lâarrĂȘt dâun processus Ă©volutif (cf. par exemple la « folie » dâHĂ©raclĂšs).
Quant au « travail en force », il doit se transformer en une « ardeur pour la lutte » qui puise ses forces son énergie dans un vital harmonisé (Mélicerte doit désormais agir en tant que Palaimon, divinité marine).
De mĂȘme Ino, symbole de la quĂȘte tournĂ©e vers lâincarnation, doit se transformer en LeucothĂ©e, la dĂ©esse blanche, expression dâune quĂȘte de puretĂ© ou de justesse intĂ©rieure. Elle viendra alors au secours des marins en perdition et en particulier dâUlysse : quand les chercheurs affronteront les difficultĂ©s du yoga, ils recevront lâaide de cette « exactitude » intĂ©rieure et des forces quâelle suscite pour surmonter les Ă©preuves et poursuivre le processus de purification.
Sisyphe instaura alors « les jeux isthmiques » en lâhonneur de MĂ©licerte-Palaimon. Ils marquent la premiĂšre victoire dans la quĂȘte, lorsque le chercheur sâengage sur un « juste chemin » (le mariage avec ThĂ©misto) qui est dans toutes les traditions spirituelles un chemin Ă©troit (un isthme). Il doit pour cela laisser derriĂšre lui les ascĂšses excessives et abandonner en partie lâexercice de sa propre volontĂ© sur la direction du chemin (la mort de LĂ©archos). Cette Ă©tape est marquĂ©e par la migration dâAthamas de la BĂ©otie vers la Thessalie, province de nombre de hĂ©ros parmi lesquels figure Jason qui partira Ă la conquĂȘte de la Toison dâor. Elle marque lâentrĂ©e effective sur le chemin.
Phrixos ayant sacrifiĂ© le bĂ©lier Ă Zeus fit prĂ©sent de sa toison au roi AiĂ©tĂšs. Celui-ci la cloua sur un chĂȘne dans sa capitale Aia « le lieu de lâexistence-conscience » et la fit garder par un dragon qui ne dormait jamais (selon dâautres, il la conserva en son palais). Ainsi fut maintenu dans la conscience du chercheur le souvenir lumineux et indĂ©lĂ©bile de ces premiers frĂ©missements de lâĂąme (la toison fut fixĂ©e Ă une structure quasi Ă©ternelle car le chĂȘne Ă©tait rĂ©putĂ© pour sa longĂ©vitĂ©).
Rappelons quâAiĂ©tĂšs est fils du soleil HĂ©lios et reprĂ©sente lâune des manifestations du supramental, « la capacitĂ© dâune vision vraie et totale, de lâensemble dans toutes ses parties », tandis que sa sĆur CircĂ© est celle de « la vision du dĂ©tail en VĂ©rité ». Nous les retrouverons tous deux dans lâĂ©tude du mythe de la Toison dâOr.
AiĂ©tĂšs donna en mariage Ă Phrixos une de ses filles nommĂ©e EuĂ©nia, « lâobĂ©issance (au RĂ©el) » (ou ChalciopĂ© « une voix dâairain », câest-Ă -dire « une puissante expression », ou encore Iophassa « une conscience brillante »).
MAGNĂS : lâaspiration
Nous avons dĂ©jĂ mentionnĂ© que la prĂ©sence de MagnĂšs parmi les enfants dâĂole nâĂ©tait attestĂ©e que par Apollodore. Martin West a suggĂ©rĂ© Minyas Ă sa place selon Timothy Gantz, qui, semble-t-il, sâoppose Ă cette hypothĂšse,.
Le Catalogue des femmes, source la plus fiable concernant les gĂ©nĂ©alogies de lâĂ©poque homĂ©rique, prĂ©sente malheureusement une lacune dans la liste des enfants dâĂole. Aucune autre liste ne nous est parvenue avant celles dâApollodore et de Pausanias Ă la fin de la pĂ©riode hellĂ©nistique.
Dâautre part, MagnĂšs « lâaimant » et donc « lâaspiration » est prĂ©sentĂ© de façon beaucoup plus logique dans le Catalogue des Femmes comme un fils de Thuia « la conscience intĂ©rieure », elle-mĂȘme fille de Deucalion et donc sĆur dâHellen : la quĂȘte ne peut en effet commencer tant que cette « aspiration » nâest pas nĂ©e, aspiration qui est le signe distinctif des HellĂšnes, les guerriers en quĂȘte du contact avec lâAbsolu.
Nous retrouvons alors au dĂ©but du chemin les nĂ©cessitĂ©s fondamentales de lâengagement illustrĂ©es par les cinq enfants de Deucalion :
â Thuia « lâaspiration »
â Pandora « le don de soi »
â Amphictyon « lâĂ©largissement indĂ©fini de la conscience »
â ProtogĂ©nie « lâaventure de la conscience » ou « lâadaptation au mouvement du devenir »
â Hellen « lâabolition de lâego par lâĂ©galitĂ© parfaite »
Selon une autre hypothĂšse, le nom manquant serait Aethlios « la libertĂ© intĂ©rieure », le premier roi dâĂlide (la province de la « libĂ©ration »), ainsi que mentionnĂ© par Pausanias, bien que ce hĂ©ros soit aussi le plus souvent citĂ© comme un fils de Zeus et CalycĂ© « bouton de fleur », elle-mĂȘme fille dâĂole. Cette hypothĂšse semblerait confirmer les dires de PhĂ©rĂ©cyde selon lesquels ProtogĂ©nie nâaurait pas eu dâenfant.
La descendance dâAethlios « la libertĂ© intĂ©rieure » concerne en effet lâentrĂ©e dans les derniĂšres Ă©tapes sur le chemin de la libĂ©ration. On y trouve de grands personnages tels LĂ©da (la mĂšre des Dioscures, dâHĂ©lĂšne et de Clytemnestre), ĆnĂ©e « lâivresse divine », DiomĂšde « celui qui se soucie du Divin », MĂ©lĂ©agre « qui poursuit le travail dâexactitude » et DĂ©janire « le dĂ©tachement ».
La femme dâAethlios, CalycĂ©, qui reprĂ©sente « un ĂȘtre psychique en bouton », lui donna un fils Endymion « celui qui est rempli de conscience consacrĂ©e », rĂ©sultat dâun don de soi total et symbole de la fin de lâego (câest le hĂ©ros dont SĂ©lĂ©nĂ© tomba amoureuse et qui demanda le sommeil Ă©ternel).
Aethlios peut donc avoir sa place aussi bien dans la descendance de ProtogĂ©nie, place qui lui est dâordinaire dĂ©volue, que comme enfant dâĂole.
Si on le place parmi les enfants dâĂole, la seule incertitude pourrait concerner sa position par rapport aux deux derniers enfants, PĂ©riĂšres et DĂ©ion.
En attendant des Ă©tudes plus approfondies sur cette question, nous maintenons dans ce chapitre lâĂ©tude de MagnĂšs bien quâil nâait aucune postĂ©ritĂ© notable et soit plus logiquement un fils de Thuia.
MagnĂšs tire son nom de « la pierre de MagnĂ©sie », autre nom de lâaimant.
Il est donc le symbole de lâĂ©lĂ©ment essentiel du chemin, « lâaspiration ». Cette derniĂšre se manifeste au dĂ©but par un manque, un besoin « dâautre chose », une soif au fond de lâĂȘtre qui appelle un autre monde ou une joie oubliĂ©e ou encore une immensitĂ© perdue, hors du connu.
Cette aspiration naĂźt quand lâhomme a Ă©puisĂ© son dĂ©sir pour « les joies du monde », quand il commence Ă percevoir son appartenance Ă un monde plus vrai et se met en quĂȘte dâun ailleurs quâil ne peut ni dĂ©finir ni dĂ©crire, seulement mĂ» par un mouvement quâil peut reconnaĂźtre chez dâautres chercheurs.
Nous avons dĂ©jĂ rencontrĂ© les deux enfants de MagnĂšs, Dictys et PolydectĂšs, dans lâĂ©tude du mythe de PersĂ©e, car câest PolydectĂšs « celui qui reçoit beaucoup » qui obligea PersĂ©e Ă combattre la Gorgone. Il reprĂ©sente la partie rĂ©ceptive du chercheur qui continue Ă recevoir « dâen haut » tandis que son frĂšre Dictys « le pĂȘcheur au filet » Ă©voque le labeur, lâhumilitĂ© et lâincarnation dans le monde.
Câest la phase oĂč le chercheur commence Ă affronter ses peurs, plus ou moins dĂ©libĂ©rĂ©ment, plus ou moins consciemment.
SALMONĂE : la premiĂšre illusion spirituelle et la conscience tĂ©moin (Tyro)
SalmonĂ©e sâĂ©tait mis en tĂȘte dâimiter Zeus et pour ce faire, il avait attachĂ© Ă son char des pots de bronze afin de simuler le tonnerre et lançait des torches allumĂ©es dans le ciel en guise dâĂ©clairs. Selon HĂ©siode, il se serait aussi arrogĂ© le nom de Zeus. Selon Apollodore, il aurait mĂȘme ordonnĂ© que les sacrifices Ă Zeus lui soient transfĂ©rĂ©s.
Certains le disaient originaire de Thessalie, ayant par la suite Ă©migrĂ© en Ălide.
Zeus en fut trĂšs irritĂ©. Il fit rĂ©sonner le tonnerre et Ă©branla la terre. Puis il descendit de lâOlympe, foudroya SalmonĂ©e et lâenvoya dans le Tartare. Il nâĂ©pargna ni son peuple ni sa ville. Seule sa fille Tyro fut sauvĂ©e car elle sâĂ©tait opposĂ©e Ă sa volontĂ© dâĂ©galer les dieux. Zeus la conduisit alors auprĂšs de son oncle CrĂ©thĂ©e qui lâĂ©leva.
SalmonĂ©e « celui qui se pavane » reprĂ©sente une erreur commune des dĂ©butants, celle de lâego qui sâimagine dans une position spirituelle avancĂ©e, pense avoir tout compris du chemin et prĂ©tend mĂȘme guider les autres alors quâil nâen a intĂ©grĂ© que des rudiments. Le chercheur sâillusionne sur son compte en toute bonne conscience et prĂ©tend dĂ©tenir et enseigner « La VĂ©rité » : câest pour cela quâil demande que les sacrifices soient transfĂ©rĂ©s sur sa personne.
Apollodore prĂ©cise que SalmonĂ©e avait quittĂ© la province des chercheurs ordinaires, la Thessalie, pour Ă©migrer en Ălide, la terre de la « libĂ©ration » oĂč se trouve la citĂ© des « vainqueurs », Olympie. Mais ce ne pouvait ĂȘtre que prĂ©somption car le chercheur Ă ce stade-lĂ ne peut agiter que des semblances de vĂ©ritĂ©s supĂ©rieures (les torches allumĂ©es) et de pouvoirs (le tonnerre) par lesquelles il tente de se convaincre lui-mĂȘme de sa connaissance des lois spirituelles. Cette attitude nâest fondĂ©e que sur quelques petites expĂ©riences ou synchronicitĂ©s qui accompagnent lâentrĂ©e sur le chemin.
SalmonĂ©e sâunit Ă Alcidice, cherchant en cela Ă rĂ©aliser « la juste maniĂšre dâagir » ou plutĂŽt « la puissante rĂšgle impĂ©rative, la rĂšgle (de lâĂ©volution sur le chemin) que lâon ne peut transgresser » : il voudrait trouver et mĂȘme prĂ©tend avoir trouvĂ© les lois de la progression spirituelle hors desquelles point dâĂ©veil ni de libĂ©ration. Câest en cela quâil se prĂ©tend lâĂ©gal de Zeus, qui rĂšgne sur le plan oĂč se tiennent les forces qui dirigent le chemin.
Cependant, il y a un Ă©lĂ©ment dans le chercheur (reprĂ©sentĂ© par sa fille Tyro) qui nâest pas dupe de cette mascarade et se dresse contre cette prĂ©tention, semant le doute et la confusion. Aussi faible soit sa marge dâaction (non seulement câest une fille mais câest aussi son enfant), elle nâen manifeste pas moins son opposition.
Le chercheur ne pourra quitter cette impasse par sa seule volontĂ©Â : il faudra une sĂ©rieuse remise en place par lâaction de la rĂ©alitĂ© (une puissante intervention de Zeus).
Avec les lettres structurantes, Tyro reprĂ©sente « une juste Ă©volution de la conscience la plus haute » qui remet en cause les certitudes. Nous lâassocions donc ici Ă la conscience « tĂ©moin ». Il ne sâagit pas ici du tĂ©moin psychique (manifestation automatique de la conscience psychique gouvernĂ©e par les dieux Apollon et ArtĂ©mis qui sait immĂ©diatement ce qui est juste), mais celui produit par lâĂ©volution elle-mĂȘme (Tyro appartient aux gĂ©nĂ©alogies de lâascension des plans de conscience), qui se dissocie de lâerreur du fait mĂȘme que le chercheur sâest pleinement impliquĂ© dans sa participation au monde et dans le dĂ©veloppement de sa personnalitĂ©.
Pour mettre fin Ă cette dĂ©viance dâorgueil, il faut dâabord que « la parole » du tĂ©moin intĂ©rieur puisse parvenir Ă la conscience, câest-Ă -dire que Tyro soit nĂ©e. Pour certains, cela peut prendre de nombreuses annĂ©es. Ce nâest que lorsque cette parole est suffisamment puissante â câest-Ă -dire lorsque le chercheur est capable de tirer les enseignements de lâĂ©croulement de ses prĂ©tentions â que la conscience supĂ©rieure (la rĂ©alitĂ©) choisit dâagir et met fin rapidement Ă ce faux mouvement. Zeus « nettoie » lâensemble de façon assez radicale, car le chercheur ne devra jamais plus retomber dans cette erreur : le roi est envoyĂ© dans le Tartare et son peuple (y compris les femmes, les enfants, les serviteurs et mĂȘme leurs habitations) est rayĂ© de la surface de la terre pour servir de leçon aux autres mortels.
Tyro Ă©chappe bien Ă©videmment Ă la destruction car la conscience « tĂ©moin » doit conduire Ă bien dâautres progressions. Toutefois, cette conscience spirituelle naissante ne va pouvoir se dĂ©velopper efficacement que sous la direction dâune force plus Ă©quilibrĂ©e. Câest pourquoi, Zeus confie son Ă©ducation Ă son oncle CrĂ©thĂ©e, le cinquiĂšme des enfants dâĂole, car elle est encore trĂšs jeune. CrĂ©thĂ©e est en effet le symbole dâune « juste progression de lâouverture au monde intĂ©rieur » ou dâune « tĂȘte bien posĂ©e », ou encore peut-ĂȘtre dâune « certaine modĂ©ration ou tempĂ©rance ».
CRĂTHĂE : la progression de la conscience tĂ©moin et de lâascension des plans de conscience. LâexpĂ©rience de lâillumination
Avec CrĂ©thĂ©e, le grand pĂšre de Jason, nous abordons la premiĂšre grande expĂ©rience spirituelle qui Ă©tait lâune des expĂ©riences les plus recherchĂ©es dans la GrĂšce ancienne si lâon en juge par la cĂ©lĂ©britĂ© du mythe.
Ce qui ne saurait Ă©tonner car les autres grandes Ă©popĂ©es â la chasse au sanglier de Calydon, les guerres de ThĂšbes, la guerre de Troie et les aventures dâUlysse â traitent dâexpĂ©riences rĂ©servĂ©es Ă une trĂšs petite minoritĂ©. En revanche, la quĂȘte de la Toison dâor semblait accessible aux disciples sincĂšres.
Cette expĂ©rience est le rĂ©sultat de la combinaison de plusieurs facteurs. En effet, Tyro « lâĂ©volution de la conscience la plus haute » ou la conscience tĂ©moin eut dâabord des jumeaux de PosĂ©idon, PĂ©lias et NĂ©lĂ©e, avant de donner trois enfants Ă son oncle CrĂ©thĂ©e : PhĂ©rĂšs, Amythaon et AĂ©son. Câest lâaction conjuguĂ©e des progressions reprĂ©sentĂ©es par ces personnages qui entraĂźnera la quĂȘte de la Toison dâor. Câest PĂ©lias « la partie sombre, ignorante du chemin » ou « la volontĂ© ignorante de bien faire qui est aussi rĂ©sistance Ă lâĂ©volution », fils de Tyro et de PosĂ©idon, et donc reprĂ©sentant dâune action semi-consciente, qui sera lâinstigateur de la quĂȘte. PhĂ©rĂšs « lâendurance » et Amythaon « la croissance du silence intĂ©rieur » joueront une part importante. Les parents de Jason, AĂ©son « la conscience humaine intellectuelle supĂ©rieure » ou « lâaccomplissement humain » unie Ă PolymĂšde, qui tend vers « un mental puissant », petite fille dâHermĂšs « le surmental », en seront les acteurs majeurs.
Selon la gĂ©nĂ©alogie donnĂ©e par les Anciens, cette premiĂšre grande expĂ©rience spirituelle apparaĂźt donc comme lâirruption dâune force du surmental dans la conscience dâun chercheur engagĂ© sur la voie de lâascension des plans de conscience.
Elle peut cependant avoir des répercussions sur le centre psychique en donnant par exemple un fort sentiment de la « présence » divine.
Câest cette expĂ©rience qui est dĂ©crite en dĂ©tail par Apollonios de Rhodes dans les Argonautiques. Elle est couramment dĂ©crite comme une expĂ©rience « dâillumination », câest-Ă -dire la descente dâune force spirituelle qui illumine en premier lieu le mental.
Il nâest peut-ĂȘtre pas inutile de prĂ©ciser que le chercheur engagĂ© sur une toute autre voie pourra vivre une premiĂšre grande expĂ©rience spirituelle totalement diffĂ©rente.
La branche de Poséidon-Tyro : Pélias et Nélée
CrĂ©thĂ©e fonda la ville dâIolkos en Thessalie et y Ă©leva Tyro. Lorsque celle-ci eut atteint lâĂąge adulte, elle sâĂ©prit du fleuve ĂnipĂ©e. Un jour, tandis quâelle se rendait sur ses rives, PosĂ©idon prit la forme du fleuve et sâunit Ă elle prĂšs de lâembouchure, soulevant une immense vague pour que leur union soit dĂ©robĂ©e aux regards. De leur Ă©treinte naquirent les jumeaux PĂ©lias et NĂ©lĂ©e. PosĂ©idon rĂ©vĂ©la son identitĂ© Ă Tyro et lui demanda dâĂ©lever les enfants tout en lâexhortant Ă taire leur liaison.
(Dans une variante, les enfants furent Ă©levĂ©s par des dresseurs de chevaux. Juste aprĂšs leur naissance, lâun des jumeaux reçut un coup de sabot qui laissa sur son visage une trace « sombre » indĂ©lĂ©bile. Il fut donc appelĂ© PĂ©lias « le sombre » tandis que son frĂšre jumeau Ă©tait nommĂ© NĂ©lĂ©e.
Dans dâautres versions, Tyro aurait Ă©tĂ© maltraitĂ©e par SidĂ©ro, une seconde Ă©pouse de SalmonĂ©e. Devenus grands, les jumeaux libĂ©rĂšrent leur mĂšre de lâemprise de SidĂ©ro « la femme de fer » que PĂ©lias aurait ensuite tuĂ©e.)
Devenus adultes, PĂ©lias et NĂ©lĂ©e se disputĂšrent le pouvoir. PĂ©lias chassa NĂ©lĂ©e dâIolkos. Ce dernier quitta la Thessalie et sâexila en MessĂ©nie oĂč il fonda la ville de Pylos. Il Ă©pousa Chloris dont il eut douze fils â parmi lesquels Nestor, PericlymĂ©nos et Chromios â et une fille PĂ©ro. Ă lâexception de Nestor, tous les fils devaient ĂȘtre tuĂ©s par HĂ©raclĂšs beaucoup plus tard, une fois les douze travaux accomplis.
Pélias resta en Thessalie à Iolkos dont il devint le roi aprÚs la mort de Créthée. Il épousa Anaxibie dont il eut un fils Acastos et quatre filles, Pisidicé, Pélopia, Hippothoé et Alceste.
Un jour, il organisa en lâhonneur de PosĂ©idon un sacrifice auquel il convia tous ses sujets. Voyant arriver Ă la fĂȘte un homme qui nâavait quâun seul pied chaussĂ©, il se souvint quâun oracle lui avait prĂ©dit de se mĂ©fier dâun tel signe, car cet homme pourrait le dĂ©trĂŽner (ou le tuer). Or lâinconnu nâĂ©tait autre que son neveu Jason, fils dâAĂ©son et petit fils de CrĂ©thĂ©e. Pour Ă©carter tout danger, PĂ©lias lâenvoya conquĂ©rir la Toison dâor, persuadĂ© quâil trouverait Ă coup sĂ»r la mort dans cette aventure.
La branche issue de Tyro et de Poséidon exprime un travail du « subconscient » en soutien à la « juste évolution de la conscience mentale la plus haute » (Tyro).
Dâautre part, un courant de conscience qui crĂ©e « le lien entre lâesprit et la matiĂšre » est « appelé » par cette Ă©volution (Tyro aspire Ă sâunir au fleuve ĂnipĂ©e, le plus beau des fleuves selon HomĂšre).
Tandis que le chercheur aspire Ă vivre une expĂ©rience dâĂ©volution vers lâunion (lâamour de Tyro pour lâĂnipĂ©e), la fĂ©condation se produit uniquement dans le subconscient. Mais le plus haut de la conscience est averti dâun Ă©vĂšnement intĂ©rieur (PosĂ©idon se fait connaĂźtre Ă Tyro) mais ne doit pas chercher Ă en informer le reste de lâĂȘtre tout en sâoccupant dâen gĂ©rer les rĂ©sultats (Tyro doit se taire sur lâorigine des enfants issus de lâunion tout en les Ă©levant).
Autrement dit, le subconscient agissant dans la partie la plus haute du mental (PosĂ©idon uni Ă Tyro) contribue Ă sa façon Ă mettre en place les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă la quĂȘte de la Toison dâor. Les noms des jumeaux semblent dĂ©finir dâune part une impulsion « inexorable » vers lâindividuation (NĂ©lĂ©e) et dâautre part un mouvement plus « indĂ©cis et sombre » avec une puissante empreinte de la force vitale (PĂ©lias).
Ces deux mouvements sont fortement marquĂ©s par le subconscient. Câest pourquoi le chercheur ne reconnaĂźt pas la participation de lâinexorable comme partie intĂ©grante du chemin (PĂ©lias chasse NĂ©lĂ©e de Thessalie).
Mais câest pourtant cette part dâinexorabilitĂ© qui fera franchir le seuil (NĂ©lĂ©e sâinstalle Ă Pylos « la porte »).
(Une autre interprĂ©tation de ce passage pourrait ĂȘtre construite autour du nom de NĂ©lĂ©e compris avec les lettres structurantes comme « lâĂ©volution du processus dâindividuation ».)
Nélée et ses enfants
NĂ©lĂ©e sâunit Ă Chloris « frais » (le mouvement « inexorable » liĂ© au passĂ© ou au « karma » qui cherche « le nouveau »). Celle-ci lui donna douze fils et une fille PĂ©ro dâune grande beautĂ© (trĂšs vraie) que tous les hommes de lâĂ©poque souhaitaient Ă©pouser.
PĂ©ro peut ĂȘtre comprise soit comme « lâincomplĂ©tude » moteur du chemin, soit comme « lâĂ©volution juste dans le lien ». PĂ©ro sâunira finalement Ă son cousin germain Bias « la force » et engendrera Talaos « lâendurance ».
Parmi les douze fils de NĂ©lĂ©e, trois sont citĂ©s par HomĂšre : Nestor « lâĂ©volution de la rectitude dans lâincarnation, la sincĂ©rité » ou « la capacitĂ© dâintĂ©gration de lâexpĂ©rience », Chromios, et PericlymĂ©nos « tout ce qui concerne lâacquis ».
Beaucoup plus tard onze dâentre eux mourront de la main dâHĂ©raclĂšs, ce quâils reprĂ©sentent nâayant plus dâutilitĂ© ou Ă©tant devenu un obstacle pour la suite du chemin et seul Nestor sera Ă©pargnĂ©. Cette disparition des onze frĂšres de Nestor intervient selon certains Ă la fin du dixiĂšme travail, lors du retour des troupeaux de GĂ©ryon vers MycĂšnes, soit beaucoup plus tard aprĂšs le meurtre dâIphitos. Elle marque la fin de la nĂ©cessitĂ© des forces contribuant Ă la libĂ©ration, et donc lâĂ©tat dâun chercheur « libĂ©ré » de lâego, du dĂ©sir et des dualitĂ©s. Seule « la sincĂ©rité » sera nĂ©cessaire pour poursuivre le chemin dans le corps.
Nestor vivra trĂšs vieux et participera selon certains Ă toutes les grandes Ă©popĂ©es. Il sera mĂȘme prĂ©sent Ă Troie oĂč il conduira un contingent de guerriers plus de trois gĂ©nĂ©rations plus tard. Dans lâIliade, il est le « vieux meneur de char », un Ă©lĂ©ment qui dirige la quĂȘte depuis les origines. Il sera lâun des rares Ă revenir de cette guerre, celui qui en a intĂ©grĂ© la raison et lâissue, reprĂ©sentant de la sincĂ©ritĂ© qui ne peut sâĂ©teindre tant que dure la quĂȘte. Veillant sur « lâintĂ©gration », il agit comme « un gardien des portes du Temple » : câest pourquoi il rĂšgne Ă Pylos « la porte » ou « le passage ».
PĂ©lias et ses enfants
Lâautre jumeau fils de Tyro et PosĂ©idon est PĂ©lias « le sombre », celui qui est « indĂ©cis » et « ignorant » de son chemin. Si NĂ©lĂ©e est lâimpulsion « dâen haut », il est celle venue « dâen bas ». Il reprĂ©sente en effet dans lâĂȘtre ce qui est marquĂ© par une forte impulsion vitale, car il est celui qui porte lâempreinte indĂ©lĂ©bile dâun fer Ă cheval sur la joue. Câest aussi la volontĂ© ignorante de bien faire qui est aussi rĂ©sistance Ă lâĂ©volution. RĂ©clamant Ă Jason la Toison dâOr, il constitue le moteur transitoire de cette pĂ©riode de la quĂȘte et nây survivra pas. Comme il est indispensable en son temps, il sera cĂ©lĂ©brĂ© par de grands jeux aprĂšs sa mort ourdie par MĂ©dĂ©e au retour de Colchide. Si la domination de lâĂ©lan vital est nĂ©cessaire au dĂ©part, elle devra cĂ©der la place Ă la flamme intĂ©rieure de lâĂȘtre psychique.
PĂ©lias sâunit Ă Anaxibie « la force qui domine » ou encore Ă PhilomachĂ© « qui aime le combat » dont il eut plusieurs enfants parmi lesquels Alceste « une forte rectitude ou sincĂ©rité » et PasidicĂ© « la justice en toutes choses ».
Notons que pour certains auteurs, Tyro fut longtemps maltraitĂ©e par sa marĂątre alors nommĂ©e SidĂ©ro : « la juste Ă©volution de la conscience mentale la plus haute » (Tyro) ne peut sâexprimer librement Ă cause des contraintes et limitations induites par les rigiditĂ©s mentales du chercheur (SidĂ©ro signifie « de fer »). Nous avons dĂ©jĂ mentionnĂ© que le yoga Ă©tait un processus dâĂ©largissement et dâassouplissement sur tous les plans. Pendant une trĂšs longue pĂ©riode, le chercheur sera donc encore sous lâemprise de cristallisations mentales, de croyances, de prĂ©jugĂ©s, dâopinions, etc. qui sont un terrible frein au yoga. La suppression de lâidentification et de lâattachement Ă toutes ces formes mentales fait partie intĂ©grante de cette premiĂšre phase du yoga.
La branche de PhérÚs (issue du couple Créthée-Tyro)
Nous allons commencer lâĂ©tude des trois branches issues de lâunion de CrĂ©thĂ©e et Tyro par celle de PhĂ©rĂšs « lâendurance ».
Créthée était installé en Thessalie et sa descendance appartient donc à la province des chercheurs ordinaires.
PhĂ©rĂšs fonda la ville qui porte son nom en Thessalie et dont il fut le roi. Son demi-frĂšre PĂ©lias avait succĂ©dĂ© Ă CrĂ©thĂ©e sur le trĂŽne dâIolcos. PhĂ©rĂšs Ă©pousa PericlymĂ©nĂ© dont il eut deux enfants, AdmĂšte et Lycourgos, le pĂšre dâOpheltes.
Le nom PhĂ©rĂšs Ă©voque celui « qui supporte, qui endure » et avec les lettres structurantes « lâaction juste de la conscience supĂ©rieure dans lâĂȘtre ».
Il reprĂ©sente lâune des bases essentielles du yoga dans le processus de libĂ©ration, « lâendurance » sans laquelle rien ne peut ĂȘtre accompli.
Cette action de la conscience supĂ©rieure sâexprime de deux façons incarnĂ©es par les fils de PhĂ©rĂšs, AdmĂšte « celui qui est insoumis » ou « non captif », câest-Ă -dire celui qui se rebelle devant toutes les chaĂźnes et limitations, et Lycourgos (Lycurgue) « la lumiĂšre intĂ©rieure naissante ».
Le nom AdmĂšte peut aussi exprimer « une puissante maĂźtrise » si le prĂ©fixe alpha nâest pas considĂ©rĂ© dans son sens privatif mais copulatif. Cette histoire pourrait donc Ă©galement ĂȘtre interprĂ©tĂ©e sur la base du travail dâune « puissante maĂźtrise » (AdmĂšte) cherchant Ă rĂ©aliser « une sincĂ©ritĂ© parfaite » (Alceste).
AdmĂšte et Alceste
AdmĂšte, fils de PhĂ©rĂšs, sâĂ©prit dâAlceste, la fille de PĂ©lias. Mais ce dernier avait annoncĂ© quâil ne donnerait sa fille quâĂ celui qui pourrait atteler ensemble pour tirer un char un lion et un sanglier. LâĂ©preuve paraissait irrĂ©alisable.
Or, Ă la mĂȘme Ă©poque, Apollon Ă©tait au service dâAdmĂšte comme bouvier. (Nous avons vu prĂ©cĂ©demment que Zeus avait foudroyĂ© AsclĂ©pios, fils dâApollon, ce qui avait provoquĂ© la vengeance de ce dernier qui tua les Cyclopes et la punition que lui infligea Zeus en retour.)
Apollon qui apprĂ©ciait AdmĂšte et avait dĂ©jĂ doublĂ© le nombre de ses troupeaux rĂ©alisa lâattelage exigĂ© et le lui offrit, lui permettant ainsi dâĂ©pouser Alceste.
Mais AdmĂšte oublia dâhonorer ArtĂ©mis lors des cĂ©rĂ©monies du mariage. Aussi, quand il ouvrit la chambre nuptiale la trouva-t-il grouillant de serpents, prĂ©sage dâune mort prĂ©maturĂ©e. Apollon, pour la seconde fois, vint Ă son secours. Il expliqua Ă AdmĂšte son erreur et lui indiqua comment apaiser la dĂ©esse.
Il persuada aussi les Moires (selon Eschyle, en les enivrant) de le rendre « immortel » si quelquâun le moment venu acceptait de mourir Ă sa place.
Mais lorsque lâheure arriva, il ne se trouva personne qui acceptĂąt de se sacrifier, pas mĂȘme les propres parents ĂągĂ©s dâAdmĂšte. Au tout dernier moment cependant, sa femme Alceste se proposa.
(Platon affirme par la bouche de PhÚdre que les dieux émus par ce geste lui accordÚrent de rester aux cÎtés de son époux.
Selon Euripide, le jour mĂȘme de la mort dâAlceste, HĂ©raclĂšs fit une halte chez AdmĂšte en allant sâemparer des Juments de DiomĂšde. Il livra alors combat Ă Thanatos sur la tombe de celle-ci, la ramenant parmi les vivants.)
AdmĂšte et Alceste eurent un fils EumĂ©los qui, selon lâIliade, possĂ©dait les deux juments les plus rapides aprĂšs les chevaux dâAchille. Elles Ă©taient « rapides comme des oiseaux, de mĂȘme poil, de mĂȘme Ăąge et de taille si Ă©gale que leurs dos Ă©taient de niveau ». Apollon les avait Ă©levĂ©es en PiĂ©rie et elles « portaient partout la terreur dâArĂšs ».
Nous avons vu prĂ©cĂ©demment le dĂ©but de lâhistoire : Zeus avait foudroyĂ© AsclĂ©pios et Apollon avait tuĂ© par vengeance les Cyclopes (la conscience mentale la plus haute annule la capacitĂ© dâinvestigation dans les profondeurs de la conscience et la lumiĂšre psychique fait disparaĂźtre du mĂȘme coup les « intuitions justes » ou les « visions » dâordre supĂ©rieur).
LâĂȘtre psychique doit alors travailler au service de lâego qui Ćuvre Ă se libĂ©rer (Apollon fut envoyĂ© au service dâAdmĂšte, celui qui travaille à « se libĂ©rer du joug »).
Cela se fait de bonne entente et câest pourquoi la lumiĂšre psychique permet de nombreux progrĂšs dans cette libĂ©ration (Apollon doubla les troupeaux dâAdmĂšte.)
Cette « volontĂ© de libĂ©ration » tend vers une « forte rectitude-sincĂ©rité » (AdmĂšte veut sâunir Ă Alceste). Mais le chercheur ne peut rĂ©aliser par les seules forces de la volontĂ© de son ĂȘtre extĂ©rieur ce qui est exigĂ© pour cela, Ă savoir faire travailler ensemble sans les combattre ni les rĂ©primer mais en utilisant leurs Ă©nergies combinĂ©es aux fins de la quĂȘte, lâego (le lion) et les forces animales et instinctives les plus primitives (le sanglier) sous la direction de la plus haute conscience possible (le conducteur du char).
Ordinairement en effet, lorsquâelles ne sont ni Ă©touffĂ©es ni refoulĂ©es, ces forces tirent chacune de leur cĂŽtĂ© et, du moins pour les forces vitales archaĂŻques, sans la moindre volontĂ© de coopĂ©rer au chemin.
Ce qui est demandĂ© Ă ce stade, ce nâest ni de tuer dĂ©finitivement le lion (premier travail dâHĂ©raclĂšs), ni mĂȘme le sanglier (ce qui fera lâobjet plus tard de la chasse au sanglier de Calydon), mais de maĂźtriser suffisamment leurs expressions et conjuguer leurs forces pour les faire coopĂ©rer Ă la quĂȘte. Il sâagit donc surtout dâĂ©viter un gaspillage dâĂ©nergies par un travail de « justesse ».
Le sanglier est le symbole des expressions non raffinĂ©es de la vie animale en lâhomme liĂ©es aux « nĂ©cessitĂ©s vitales » (les façons grossiĂšres de se nourrir, de dormir, de pratiquer la sexualitĂ©, etc.).
Il ne sâagit donc pas ici dâexercer des contraintes telles que lâexcĂšs de jeĂ»ne, de veille ou dâabstinence sexuelle â toutes choses qui peuvent ĂȘtres utilisĂ©es par certains Ă des fins de domination â mais dâun juste Ă©quilibre.
Lâego seul ne peut apprĂ©hender lâattitude juste car il ne peut que naviguer entre laisser-aller et contrainte exagĂ©rĂ©e. Aussi est-ce Apollon, lâouverture Ă la lumiĂšre psychique (lâĂȘtre intĂ©rieur), qui rĂ©alise lâattelage et lâoffre Ă AdmĂšte.
Le chercheur cependant nâest pas assez attentif Ă la nĂ©cessaire purification de sa nature (AdmĂšte oublie dâhonorer ArtĂ©mis). Câest pourquoi il lui est montrĂ© que « sa volontĂ© de libĂ©ration » â sans la purification correspondante â devient rapidement sans effet (AdmĂšte doit mourir prĂ©maturĂ©ment).
En se retournant vers son ĂȘtre intĂ©rieur, il reçoit Ă la fois lâexplication de son erreur et le moyen dây remĂ©dier avec lâindication de ce qui doit ĂȘtre purifiĂ© et mis en ordre (Apollon lui expliqua comment apaiser la dĂ©esse).
La lumiĂšre psychique souhaite de plus hisser « cette volontĂ© de libĂ©ration » jusquâĂ la non-dualitĂ© (Apollon intervient auprĂšs des Moires afin quâAdmĂšte devienne immortel), câest-Ă -dire que lâaction correspondante procĂšde de lâunitĂ© et non plus de lâego. Ceci ne peut se produire quâĂ un stade avancĂ© de la quĂȘte quâEuripide seul situe durant le huitiĂšme travail dâHĂ©raclĂšs.
Cela nĂ©cessite en outre un changement de plan avec lâobligation dâobĂ©ir dâune maniĂšre ou dâune autre aux lois de lâĂ©volution de la conscience (aux arrĂȘts du destin). Car les Moires sont les arbitres divins qui seuls peuvent juger si telle ou telle progression est accomplie. Elles doivent donc en recevoir la preuve : quelquâun doit offrir sa vie pour en attester, la mort indiquant une rĂ©alisation. Et la seule preuve attestant quâAdmĂšte a accompli son travail, câest la mort de sa femme Alceste (le but dâun hĂ©ros Ă©tant symboliquement reprĂ©sentĂ©, comme nous lâavons Ă©tabli, par sa femme). Quand le chercheur est parvenu Ă la rĂ©alisation dâune « parfaite sincĂ©rité », il peut alors entrer dans le monde de la non-dualitĂ© (lâimmortalitĂ©).
(Le fait que les dieux â ou HĂ©raclĂšs â aient permis Ă Alceste de revenir parmi les vivants afin de vivre avec AdmĂšte nâest pas attestĂ© dans les mythes anciens et ne nous semble pas cohĂ©rent, sauf Ă considĂ©rer la poursuite de lâeffort de sincĂ©ritĂ© au-delĂ du plan de la non-dualitĂ©, dans le corps.)
Selon certains auteurs, AdmĂšte « le travail de libĂ©ration » participa Ă la quĂȘte des Argonautes ainsi quâĂ la chasse au sanglier de Calydon, laquelle prĂ©cĂšde dâune gĂ©nĂ©ration les guerres de ThĂšbes et de deux la guerre de Troie. Cette chasse se produit Ă un stade plus avancĂ© sur le chemin et la participation dâAdmĂšte laisse entendre quâĂ ce moment-lĂ , il ne sâagit plus simplement de faire en sorte que les forces vitales primaires ne soient plus un obstacle dans la quĂȘte (attelĂ©es avec lâego) mais soient Ă©radiquĂ©es de lâĂȘtre du chercheur.
AdmĂšte et Alceste eurent un fils EumĂ©los « harmonieux, bien articulĂ© (chaque chose Ă sa place) » qui selon HomĂšre possĂ©dait les chevaux les plus rapides aprĂšs ceux dâAchille : câest « lâharmonie » dans laquelle chaque chose est Ă sa place, rĂ©sultat dâune « puissante volontĂ© de libĂ©ration » et « dâune grande sincĂ©rité » qui permet lâavancĂ©e la plus rapide sur le chemin, du moins jusquâĂ ce quâentrent en scĂšne les chevaux dâAchille.
Lycourgos
PhĂ©rĂšs eut un autre fils, Lycourgos « celui qui dĂ©sire passionnĂ©ment la lumiĂšre » qui devint le roi de NĂ©mĂ©e en Argolide, la ville ou doit sâopĂ©rer la consĂ©cration et la fin de lâego (la mort du lion qui sĂ©vit aux abords de cette ville et fut tuĂ© par HĂ©raclĂšs). Il eut dâune Eurydice homonyme « la juste maniĂšre dâagir » un fils OpheltĂšs « celui qui cherche Ă servir ». Encore enfant, celui-ci mourut mordu par un serpent lors du dĂ©part de lâexpĂ©dition des Sept contre ThĂšbes. En effet, il fut dĂ©posĂ© Ă terre alors quâun oracle avait ordonnĂ© quâon attende pour ce faire quâil puisse marcher. En effet, la volontĂ© de « servir » ne doit pas sâincarner tant quâelle nâa pas acquis une maturitĂ© suffisante.
OpheltĂšs fut alors renommĂ© ArchĂ©moros « le Destin qui commande » ou « le Destin qui commence » qui consacre la fin de la volontĂ© personnelle de servir, celle qui dâune maniĂšre ou dâune autre se dĂ©ploie toujours en partie au bĂ©nĂ©fice de lâego. En son honneur furent cĂ©lĂ©brĂ©s les jeux NĂ©mĂ©ens lors du dĂ©part des Sept contre ThĂšbes. Ils se placent donc au dĂ©but du travail de purification des centres (les chakras) qui intervient aprĂšs la chasse au sanglier de Calydon. Ils forment avec les jeux Isthmiques, Pythiques et Olympiques, lâun des quatre grands jeux.
Toutefois, les sources concernant les gĂ©nĂ©alogies dâOpheltĂšs Ă©tant assez contradictoires, nous approfondirons lâĂ©tude de ce personnage lors de celle des guerres de ThĂšbes.
PhĂ©rĂšs eut aussi une fille EidomĂ©nĂ© « la voyante » qui devint la femme dâAmythaon que nous allons considĂ©rer maintenant. La conscience supĂ©rieure qui pĂ©nĂštre lâĂȘtre et qui « supporte » (PhĂ©rĂšs) permet Ă©galement de « voir vraiment » « ce qui est ».
La branche dâAmythaon (issue du couple CrĂ©thĂ©e-Tyro)
Le second fils de CrĂ©thĂ©e et Tyro est Amythaon. Ce dernier nom peut ĂȘtre compris de multiples façons. Nous retiendrons Ă la fois « celui qui ne prĂ©tend rien », « celui qui est sans projet personnel », « celui qui ne se raconte pas dâhistoires » et aussi surtout celui « qui entre dans un certain silence (intĂ©rieur) ». Il est uni Ă IdomĂ©nĂ©e (EidomĂ©nĂ©Ă©) « celle qui voit », la fille de PhĂ©rĂšs. Le chercheur sâengage donc sur le chemin de ceux que la tradition nomme « les voyants » Ă lâinstar des Rishis vĂ©diques des Ăąges de lâIntuition. Cet Ă©tat est caractĂ©risĂ© par une perception intuitive de la rĂ©alitĂ© qui est davantage de lâordre de la vision que de la comprĂ©hension.
Amythaon sâinstalla avec son demi-frĂšre NĂ©lĂ©e « lâinexorable » Ă Pylos « la porte », ce qui les situe tous deux comme « gardiens du seuil ».  Celui qui nâentre pas aussi dans une dĂ©marche de perception juste de la rĂ©alitĂ© ne peut franchir les Ă©tapes vers la libĂ©ration et risque une longue errance.
Amythaon eut deux enfants : Bias « la force » et MĂ©lampous « lâhomme aux pieds noirs », lequel fut un cĂ©lĂšbre devin symbole dâune intuition ou dâune « vision » issue des plans de lâesprit, sans ancrage dans la matiĂšre. Nous lâavons rencontrĂ© dans le mythe de PersĂ©e lors du partage de lâArgolide en quatre royaumes. Les descendants de ces deux hĂ©ros joueront un rĂŽle important dans les guerres de ThĂšbes.
La branche de MĂ©lampous
Avec MĂ©lampous « celui aux pieds noirs », les anciens introduisaient une lignĂ©e de devins dont les prĂ©dictions sont issues des hauteurs de lâesprit, pour les diffĂ©rencier de celles issues de la conscience psychique ou corporelle. Dâautres devins en effet reçoivent leur inspiration du processus de purification/libĂ©ration tel TirĂ©sias, ou de la lumiĂšre psychique tels Manto, Mopsos, Idmon et le devin Calchas « pourpre », fils de Thestor « la rectitude qui vient de lâintĂ©rieur, la sincĂ©rité ».
Cf. la Planche 29 pour les lignĂ©es de devins. Le pourpre est la couleur qui comble la brĂšche du cercle chromatique des couleurs entre le magenta et lâindigo et symbolise le lieu de la matiĂšre divinisĂ©e. Câest pourquoi PersĂ©phone qui a avalĂ© un pĂ©pin de grenade (pourpre) ne peut totalement revenir dans le monde des « mortels » (des ĂȘtres vivant dans la sĂ©paration). La couleur pourpre liĂ©e Ă Calchas ne semble pas provenir toutefois de la grenade, mais dâun coquillage, signe dâune certaine perfection de la vie Ă son origine dans la matiĂšre. Le nom Calchas peut dâailleurs ĂȘtre rapprochĂ© de ÎαλÏαÎčÎœÏ Â«Â mĂ©diter profondĂ©ment ». Ce qui est confirmĂ© par le nom de la sĆur de Calchas, LeucippĂ© « force vitale brillante, blanche ». Et câest pourquoi Calchas reconnait que le devin Mopsos, dont lâintuition unitive provient du corps, lui est supĂ©rieur : lâintuition ne provient plus du vital, aussi profond soit-il, mais du corps.
MĂ©lampous, comme on lâa vu au chapitre prĂ©cĂ©dent, eut les oreilles purifiĂ©es par des serpents tandis quâil dormait. Il apprit le langage des oiseaux et fut le premier mortel Ă prĂ©dire lâavenir : le chercheur devient capable de comprendre la langue sacrĂ©e des symboles que lâhomme ordinaire « nâentend pas » et pressent quâil a une tĂąche Ă accomplir. AprĂšs sa rencontre avec Apollon, une certaine illumination psychique vient Ă©clairer ses intuitions purement mentales : MĂ©lampous devint alors le meilleur pour la divination sacrĂ©e.
Ă ce stade, le chercheur acquiert sur le chemin une « sensibilitĂ© intuitive » qui lui permet non seulement dâinterprĂ©ter les symboles, et en premier lieu ceux du mental et des rĂȘves « la parole des oiseaux », mais aussi les signes (du RĂ©el) dans la vie.
Nous avons Ă©galement vu que MĂ©lampous et Bias obtinrent une partie de lâArgolide aprĂšs que MĂ©lampous eut guĂ©ri les filles de ProĂŻtos : les capacitĂ©s intuitives prennent dĂšs lors une place consĂ©quente dans la quĂȘte.
La descendance de MĂ©lampous « la sensibilitĂ© intuitive mentale », qui ne concerne que le dĂ©veloppement de lâintuition dans lâascension des plans de conscience, est organisĂ©e selon deux grandes lignĂ©es, celles de Mantios « la prĂ©diction » et celle dâAntiphatĂšs « celui qui rend trĂšs visible, manifeste ». Dâautre part, plus on avance dans chaque lignĂ©e et plus les personnages expriment une sensibilitĂ© intuitive dĂ©veloppĂ©e.
La lignĂ©e de Mantios « la prĂ©diction », Ă la diffĂ©rence de celle des autres devins qui travaillent Ă partir de signes, sâappuie sur des visions, illuminations, rĂ©vĂ©lations ou inspirations. Aussi est-elle considĂ©rĂ©e par les mythologues comme « divination inspirĂ©e ».
Mantios eut trois fils : Polyeides, Kleitos et Polypheides.
Polyeides « celui qui a de nombreuses visions »
Kleitos « celui qui est cĂ©lĂšbre sur le plan supĂ©rieur de lâesprit ». Il Ă©tait rĂ©putĂ© trĂšs beau, câest-Ă -dire capable dâune intuition trĂšs « juste »
Polypheides « celui qui obtient de nombreuses visions protectrices ». Bien quâappartenant Ă la lignĂ©e de MĂ©lampous, il reçut son don de prophĂ©tie dâApollon, de la lumiĂšre psychique, signe dâune vision plus juste. Son fils ThĂ©oclymenos « un cĂ©lĂšbre contact avec lâĂȘtre intĂ©rieur » Ă©tait rĂ©putĂ© pour ses visions et assista TĂ©lĂ©maque, le fils dâUlysse.
Ce dernier est le pĂšre dâOikles « une conscience cĂ©lĂšbre », lui-mĂȘme pĂšre dâAmphiaraos et dâĂriphyle « une grande qualitĂ© de prĂ©sence » qui eut Ă son tour deux fils, AlcmĂ©on « une puissante consĂ©cration » et Amphilocos « celui qui rĂ©alise une puissante attention ».
Lâautre lignĂ©e, celle dâAntiphatĂšs « celui qui rend trĂšs visible, manifeste » ou Ă lâinverse « ce qui est indicible » est liĂ©e Ă une sensibilitĂ© plus psychique, quoique toujours traduite en termes mentaux. AntiphatĂšs eut un fils Oikles « une conscience cĂ©lĂšbre », lui-mĂȘme pĂšre dâAmphiaraos « ce qui sâapproche de la perception juste ». Ce dernier eut Ă son tour deux fils, Alcmaion « une puissante consĂ©cration » et Amphilocos « celui qui rĂ©alise une puissante attention » ou « lâintuition de ce qui doit naĂźtre (qui concerne lâaccouchement) ». Les devins de cette lignĂ©e seront particuliĂšrement actifs dans les histoires de ThĂšbes liĂ©es au processus de purification-libĂ©ration.
La branche de Bias
Bias tomba amoureux de PĂ©ro, la fille de NĂ©lĂ©e que tous les hommes dĂ©siraient. Mais NĂ©lĂ©e ne voulait la cĂ©der quâĂ celui qui lui rapporterait le bĂ©tail de Phylakos (fils de DĂ©ion) qui Ă©tait gardĂ© par un chien fĂ©roce. Bias demanda lâaide de son frĂšre MĂ©lampous, lequel accepta bien quâil sache que cela lui vaudrait dâĂȘtre emprisonnĂ© pendant un an chez Phylakos.
Lors de son emprisonnement, il entendit grĂące Ă ses dons de divination la conversation des vers qui rongeaient la charpente. Il put ainsi Ă©chapper Ă lâeffondrement du bĂątiment en demandant Ă ĂȘtre changĂ© de cellule. La gardienne qui lâavait cruellement traitĂ© ne put en rĂ©chapper.
Phylakos le reconnut alors pour le grand devin quâil Ă©tait et lui rendit sa libertĂ© et ses troupeaux Ă condition toutefois quâil soigne son fils Iphiclos. En effet, ce dernier Ă©tait stĂ©rile car il avait Ă©tĂ© terrorisĂ© dans son enfance par son pĂšre qui le poursuivait avec un couteau pour le punir dâune action dĂ©placĂ©e. Ne pouvant rattraper lâenfant, le pĂšre avait plantĂ© le couteau dans un arbre et lâĂ©corce lâavait recouvert avec le temps. MĂ©lampous retrouva le couteau, recueillit la rouille et la mĂ©langea Ă du vin dans une potion quâil fit boire Ă Iphiclos pendant dix jours. Ce dernier guĂ©rit et conçut un enfant, PodarkĂšs.
Bias put alors sâunir Ă PĂ©ro qui lui donna Talaos, lui-mĂȘme pĂšre dâAdrastos et dâĂriphyle.
Ce processus se dĂ©roule dans une pĂ©riode de la quĂȘte difficile Ă prĂ©ciser mais qui prĂ©cĂšde obligatoirement les guerres de ThĂšbes. Nous le traitons ici car nous pouvons considĂ©rer quâil sâagit dâun processus dont les premiers cycles se dĂ©roulent lors de la quĂȘte de la Toison dâOr (ce pourquoi certains auteurs tardifs citent Talaos, fils de Bias, parmi les compagnons de Jason).
Il concerne lâeffondrement de constructions mentales qui, pour ne pas perturber profondĂ©ment le chercheur ou le faire tomber sous lâemprise de forces vitales, doit ĂȘtre menĂ© avec discernement. Il doit ĂȘtre accompagnĂ© dâun travail profond sur la peur et la culpabilitĂ©.
Cette histoire commence lorsque le chercheur veut appliquer au sentiment « dâincomplĂ©tude » (PĂ©ro) une « force » (Bias) qui commence Ă agir en lui (pour remplir « le manque » ou « le besoin »).
Pour cela il a besoin de sâappuyer sur son intuition (MĂ©lampous) afin que les expĂ©riences dâunion (les troupeaux de Phylakos « le gardien », fils de DĂ©ion « lâunion en conscience ») soient transfĂ©rĂ©es et utilisĂ©es par NĂ©lĂ©e, le mouvement « inexorable » du destin.
Cependant, cette « sensibilitĂ©Â intuitive » sait quâelle devra se retirer Ă lâarriĂšre-plan (ĂȘtre emprisonnĂ©e) pendant une durĂ©e symbolique dâune annĂ©e, le temps que des forces minuscules mais tenaces « usent » les constructions mentales qui « gardent » lâĂ©volution jusquâĂ ce quâelles sâeffondrent (jusquâĂ ce que les « vers » aient rongĂ© la charpente de Phylakos « le gardien »).
Mais le chercheur est prĂ©venu Ă temps de lâeffondrement de ses structures mentales, « entendant » lâĂ©tat dâavancement des dĂ©gĂąts de la bouche des « destructeurs » eux-mĂȘmes, et il sâen sort sans dommage.
La sensibilitĂ© intuitive mentale est alors libĂ©rĂ©e mais elle doit encore guĂ©rir la stĂ©rilitĂ© dâIphiclos « celui qui est fortement verrouillé », fils du « gardien » Phylakos. Celle-ci avait Ă©tĂ© provoquĂ©e par la peur de disparaĂźtre, Ă la suite dâune supposĂ©e mauvaise action que la conscience du surmoi voulait punir : il sâagirait alors dâune culpabilitĂ© ancienne qui nâa pas Ă©tĂ© soulagĂ©e par la punition. La sensibilitĂ© intuitive retrouve alors lâobjet qui a gĂ©nĂ©rĂ© cette impuissance, un nĆud de peur profondĂ©ment enfoui dans le vital profond (le couteau qui avait Ă©tĂ© recouvert par lâĂ©corce dâun arbre).
Et câest lâabsorption dâun peu de lâobjet de la peur affaibli par le temps et qui nâest donc plus nocif (la rouille) mĂ©langĂ© Ă une ivresse divine (le vin) qui libĂšre de lâimpuissance et redonne le pouvoir dâagir qui est crĂ©ativitĂ©.
La force peut alors se mettre pleinement au travail de lâunion esprit-matiĂšre.
Cette disparition des constructions mentales et des nĆuds profonds de peur et de culpabilitĂ© est donc un prĂ©alable Ă la remise en ordre des centres dâĂ©nergie du corps, laquelle fera lâobjet des guerres de ThĂšbes. Car Adrastos « la paix intĂ©rieure », fils de Talaos « lâendurance » et de LysimachĂ© « la cessation du combat », et donc petit-fils de Bias et de PĂ©ro, est le chef de la premiĂšre expĂ©dition. Nous retrouverons ces personnages dans la suite de cette Ă©tude.
Notons pour terminer que PĂ©lias, NĂ©lĂ©e, AdmĂšte, Bias, MĂ©lampous et Jason sont dans un rapport de proche parentĂ© (cousins par leur pĂšre, oncle et neveux par leur mĂšre), câest-Ă -dire quâils reprĂ©sentent des progressions parallĂšles qui occasionneront le moment venu une expĂ©rience trĂšs forte de contact intĂ©rieur. Mais il faut pour cela un Ă©lĂ©ment supplĂ©mentaire amenĂ© par la branche dâAĂ©son.
La branche dâAĂ©son (issue du couple CrĂ©thĂ©e-Tyro)
Le dernier fils de CrĂ©thĂ©e est AĂ©son (Aison), le pĂšre de Jason. Son nom (ÎÎčÏÏÎœ) signifie le plus probablement « le destin » au sens de « lâaccomplissement personnel ». Aisa ÎÎčÏα est divinisĂ©e chez HomĂšre avec le sens de Destin. (Avec les lettres structurantes, on peut le comprendre aussi comme « la conscience humaine soumise aux alternances du mental » ou encore peut-ĂȘtre « un retournement de la conscience ÎΣ » de lâextĂ©rieur vers lâintĂ©rieur.)
Le nom Jason est constituĂ© exactement des mĂȘmes lettres structurantes que celles de son pĂšre ÎÎŁ (ÎαÏÏÎœ) mais sĂ©parĂ©es par un alpha, ce qui pourrait indiquer davantage dâindividuation.
AĂ©son sâunit Ă PolymĂ©lĂ© « celle qui est riche en troupeaux » et Ă©voque une personnalitĂ© bien dĂ©veloppĂ©e. Dâautres lui donnent pour Ă©pouse PolymĂ©dĂ© ou encore AlkimĂ©dĂ©e, « une pensĂ©e dĂ©veloppĂ©e, puissante » elle-mĂȘme fille dâAutolycos « celui qui est Ă lui-mĂȘme sa propre lumiĂšre, son propre guide » et donc petite-fille dâHermĂšs, le dieu du surmental qui reprĂ©sente le plus haut niveau du mental de connaissance.
Le couple reprĂ©sente donc un chercheur qui tend vers lâobtention dâun mental individualisĂ© puissant, dâune comprĂ©hension Ă©tendue.
La prĂ©sence dâAutolykos dans lâascendance de Jason indique que le chercheur doit ĂȘtre parvenu Ă une certaine indĂ©pendance vis-Ă -vis des doctrines, des enseignements et des maĂźtres, sâĂ©tant positionnĂ© vis-Ă -vis de ceux-ci dans un rapport de libertĂ© plutĂŽt que de soumission aveugle.
AĂ©son eut deux enfants : Jason tout dâabord et beaucoup plus tardivement Promachos « celui qui combat devant » qui, encore enfant, sera tuĂ© par PĂ©lias.
AĂ©son nâa pas de lĂ©gende propre si ce nâest que certains affirment quâil fut rajeuni par MĂ©dĂ©e aprĂšs la conquĂȘte de la Toison. La jeunesse Ă©tant le symbole de lâadaptation au mouvement du devenir, le rajeunissement dâAĂ©son implique une meilleure soumission à « la volontĂ© supĂ©rieure » faisant suite Ă lâexpĂ©rience illuminative.
Les autres enfants dâĂole
Nous aborderons plus tard, prĂ©alablement Ă lâĂ©tude de la guerre de Troie, les autres enfants dâĂole : PĂ©riĂšres, DĂ©ion et les cinq filles. PĂ©riĂšres « le mouvement juste » est le grand-pĂšre de PĂ©nĂ©lope, des Dioscures Castor et Pollux ainsi que dâHĂ©lĂšne et de Clytemnestre. DĂ©ion est lâarriĂšre-arriĂšre grand-pĂšre dâUlysse, lequel est le plus grand « aventurier » sur le chemin de la libĂ©ration. Ses rĂ©alisations correspondantes seront examinĂ©es lors de lâĂ©tude de lâOdyssĂ©e.