Les lignées impliquées dans la guerre de Troie comprennent : la lignée de Tantale, la lignée royale troyenne, la lignée de Sparte, la lignée de Maia, la lignée de Déion et la lignée de l’Asopos. La lignée de Tantale étudiée ici exprime l’aspiration du chercheur de vérité. Elle inclut en particulier Pélops, Atrée et Thyeste, Ménélas et Agamemnon. Ces deux derniers seront des acteurs majeurs de la guerre de Troie.
Agamemnon avec le prêtre Chryses qui lui demande de lui rendre sa fille Chryseis – Musée du Louvre
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Les origines de Tantale
Sur les planches généalogiques, nous avons placé la lignée de Tantale en regard de la descendance de la Pléiade Stéropé bien que Hygin soit le seul parmi les Anciens à la mentionner comme la mère ou l’épouse d’Oinomaos, père d’Hippodamie.
Cependant, si Tantale est le symbole essentiel de « l’aspiration » et/ou de « la volonté de progrès », « du besoin d’évoluer », sa lignée ne peut être classée spécifiquement dans l’une ou l’autre voie de l’ascension des plans de conscience ou de la purification-libération. L’aspiration ou le besoin d’évoluer est en effet le moteur de tout ce qui vit pour s’unir à la Source. Dans l’homme, il peut s’exprimer tout autant par l’action, le cœur ou le mental. Ce besoin ou ce manque se situe toutefois au-delà des cinq catégories de besoins primaires définis par Maslow : besoins vitaux ou physiologiques, de sécurité, d’amour et d’appartenance, d’estime de soi, de réalisation ou d’accomplissement personnel, car c’est un besoin de l’âme.
Si l’aspiration peut conduire à différentes expériences d’union avec l’Absolu, la libération en l’esprit – la fin du désir et de l’ego – qui est l’aboutissement d’un processus de purification, et plus encore la libération de la nature sont toutefois liées jusqu’à un certain point à la progression dans le mental. Ce lien, qui s’exprime par le mouvement fondamental du yoga qui est ascension/intégration, constitue un problème assez complexe. En effet, un chercheur peut progresser très loin dans un certain domaine tout en ayant laissé de côté d’autres parties de l’être pour lesquelles il devra un jour revenir en arrière. Ce lien se traduit dans les mythes par des « unions » entre les héros et héroïnes des différentes lignées, par la participation des héros de ces lignées à des aventures panhelléniques ou encore par des « visites » que se rendent les personnages entre lignées et les cadeaux qu’ils s’échangent. Le nombre de générations dans les lignées ajoute un élément de complexité au problème.
Tantale est mentionné par Pindare comme un familier des dieux et même un immortel, image d’un chercheur familier des forces du surmental, peut-être même parvenu à la non-dualité en l’esprit. Cette réalisation qui marque le début de la lignée suppose donc un degré avancé de progression dans le mental. C’est pourquoi la filiation donnée par Hygin, qui s’est semble-t-il inspiré de sources anciennes, semble cohérente. Elle associerait cette aspiration remarquable à un grand développement du mental supérieur représenté par la Pléiade Stéropé « la vision par éclairs ». D’où la mention d’Hippodamie « la maîtrise de la force vitale » comme une fille ou une petite-fille de Stéropé alors unie au dieu Arès.
D’autre part, Stéropé, symbole du plan du mental supérieur positionne de façon assez logique les Atrides vis-à-vis de la lignée royale troyenne qui est issue pour nombre d’auteurs de Zeus et de la Pléiade Électre, symbole du plan du mental illuminé. En effet, les Troyens, peuplade de l’Est, représentent une partie de l’être plus avancée dans le yoga que celle symbolisée par la coalition achéenne.
Nous considérerons donc ici cette lignée indépendamment des deux voies principales, tout en mentionnant les rapprochements faits par les Anciens avec l’une ou l’autre voie.
Lorsque l’on associe Hippodamie à la maîtrise du vital, il faut garder à l’esprit la distinction entre d’une part le « contrôle » imposé par l’ego, et d’autre part la maîtrise dont la responsabilité doit être progressivement transférée de la volonté personnelle à l’être psychique lorsque disparaît progressivement l’ego. Qui dit « maîtrise » dit alors « libération ». C’est cette quête progressive de la « vraie maîtrise » qui est représentée par Hippodamie. Et c’est la raison pour laquelle le célèbre châtiment de Tantale dans l’Hadès exprime l’aspiration qui est « descendue » dans le corps, dans l’inconscient corporel, « une aspiration des cellules ». Autrement dit, le symbole d’Hippodamie unie à Pélops, le fils de Tantale, est celui de la quête du pouvoir de transformation.
Si une grande maîtrise dans les plans du mental et du vital conduit à l’état de libéré vivant – libre du désir, de l’ego et de la souffrance (liée au mental et au vital) – ce stade doit être dépassé pour permettre d’aborder l’étape suivante du yoga. C’est ce renversement qui est illustré par l’histoire de Pélops, fils de Tantale, puis par la guerre de Troie menée sous la conduite des Atrides.
La signification du nom Tantale est difficile à déchiffrer. Avec les lettres structurantes, il pourrait être le symbole de l’évolution de l’aspiration vers l’Absolu dans les hauteurs de l’esprit. En considérant la seule racine Tal « endurer », cette aspiration serait liée à l’endurance.
Les origines de ce personnage sont obscures. Des sources relativement peu attestées en font un fils de Zeus et de Plouto « la richesse », parfois citée comme une fille d’Atlas, ou d’une nymphe du mont Sipylos « la porte (ou la frontière) de l’humain ».
En tant que fils de Zeus, il symboliserait alors une impulsion du supraconscient en vue d’une réalisation majeure advenant à travers sa descendance, Agamemnon et Ménélas.
Comme fils de Plouto, Tantale était réputé pour ses richesses, celles obtenues par un degré d’évolution spirituelle très avancé. C’est pourquoi on le disait familier des dieux, c’est-à-dire le représentant d’un chercheur parvenu au niveau du surmental.
Lorsque Plouto est présentée comme une nymphe du mont Sipylos, elle est le symbole d’une force spirituelle au plus haut du yoga personnel avant le transfert de ce dernier au seul Divin.
Plusieurs noms sont donnés pour l’épouse de Tantale : Euryanassa « une vaste maîtrise », Eurythémisté « (l’obéissance) à la loi supérieure » (fille du fleuve Xanthos « jaune doré », symbole du courant de conscience/énergie lié au mouvement du devenir), Klytia « la célèbre » (fille d’Amphidamas « tout ce qui concerne la maîtrise ») ou encore Dioné « évolution de l’union en conscience » (fille d’Atlas).
Toutes expriment l’aspiration et le travail du chercheur en vue d’une vaste maîtrise qui n’est ni contrainte ni rejet ni déni.
Le châtiment de Tantale
Tantale est surtout célèbre pour le châtiment qu’il subit au royaume d’Hadès. Pour bien comprendre son histoire, il faut revenir à la situation de ceux qui endurent une peine dans ce monde souterrain : Tityos, Sisyphe et Tantale. Tous trois représentent des éléments qui ont été utiles dans l’évolution mais, perdurant dans le corps, ils doivent y être vaincus ou bien y trouver leur accomplissement lors de la dernière étape du yoga.
Le premier, Tityos, est un fils de Gaia, et donc un processus généré à la source par le principe d’existence. Il symbolise l’éloignement fondamental de l’homme de sa source divine, le sentiment ou la conscience « d’être séparé ».
Dans l’Hadès où son corps couvrait neuf arpents, deux vautours lui dévoraient le foie. Il fut tué par Apollon et Artémis car il avait fait violence à leur mère Léto.
Cette « conscience de séparation » doit être vaincue, non seulement dans le mental, mais aussi dans le vital et enfin dans le corps au niveau cellulaire. Notons que le pouvoir d’union apporté par le psychique est incompatible avec la séparation, mais non avec la différenciation.
Il est donc nécessaire que la croyance en la séparation, symbolisée par le foie, disparaisse progressivement aussi au niveau corporel.
Le second condamné dans le royaume souterrain est Sisyphe, le père de Bellérophon vainqueur de la Chimère. Il est donc évident qu’il a eu son utilité dans l’évolution. Mais lorsque toutes les illusions sont vaincues dans le mental et le vital, il est encore nécessaire que le corps abandonne les siennes qui sont liées aux millénaires de l’évolution et dont la logique évolutive a fait un bastion inexpugnable. Il s’agit alors de transformer les schémas de croyance liés au passé, justement contre toute logique, par un abandon total au Réel et à l’action supramentale. Les illusions du corps sont ce que nous considérons comme des « impossibilités ». Mais déjà au niveau cellulaire, sans même parler des niveaux moléculaires et surtout corpusculaires dont la science commence à découvrir les nouveaux paradigmes, les impossibilités peuvent commencer à disparaître.
Dans le corps, « l’effort » personnel soutenu par le mental, représenté par Sisyphe, ne peut plus porter de fruits : tout est sans cesse à recommencer car rien n’est définitivement acquis.
Tantale, situé à l’origine de la lignée des Atrides, représente un troisième processus qui dans un premier temps permet d’accéder à la divinité en l’Esprit et à une certaine proximité avec l’être psychique, mais qui doit se réorienter vers la purification et la libération de la nature inférieure jusque dans le corps. C’est pour cette raison qu’Homère nous parle de sa « vieillesse », phase dans laquelle « l’aspiration » ou la « volonté de progrès » ne peut cesser tant que l’homme n’est pas divinisé.
Selon Homère, lorsqu’Ulysse descendit au royaume des ombres, il aperçut Tantale parmi d’autres damnés :
Celui-ci, alors dans sa vieillesse, était debout dans un lac avec de l’eau jusqu’au menton. Avide de boire, il ne pouvait atteindre l’eau qui disparaissait absorbée dans le sol. Autour de ses pieds, apparaissait alors une terre noire que desséchait un dieu.
De même, quand il tendait la main pour saisir un des fruits délicieux qui pendaient au-dessus de sa tête, le vent les rejetait vers les sombres nuées.
Les autres textes concernant ce mythe évoquent un état initial où le chercheur est parvenu, au moins temporairement, au niveau du surmental (Tantale partage la table des dieux). Pour certains auteurs, Tantale est même devenu immortel, symbole d’un chercheur qui vit comme un esprit dans l’Esprit, et non plus comme un mental dans un corps. L’immortalité, doit être comprise comme Sri Aurobindo nous le rappelle dans les commentaires sur la Gîta Chant II Strophe XV: « Par l’immortalité il ne faut pas entendre la survivance à la mort – car celle-ci appartient déjà à toute créature douée d’un mental – mais la transcendance de la vie et de la mort. Cela signifie cette ascension par laquelle l’homme cesse de vivre comme un corps animé par le mental, pour vivre enfin comme un esprit et dans l’Esprit. Quiconque est sujet au chagrin et à l’affliction, quiconque est l’esclave de ses sensations et de ses émotions, et s’absorbe dans les contacts des choses transitoires, n’est pas apte à l’immortalité. Tout cela, il faut le supporter jusqu’à ce que l’on ait conquis, jusqu’à ce que, libéré, on n’en puisse éprouver aucune douleur, jusqu’à ce que l’on soit capable d’accueillir tous les évènements du monde extérieur, joyeux ou tristes, d’une même âme égale, calme et sage, ainsi que les accueille l’Esprit éternel, tranquille, au plus secret de nous. »
Tantale représente donc « l’aspiration » ou « la volonté de progrès dans le yoga », marquée par une accession au moins partielle au surmental, le plan des dieux. C’est la raison pour laquelle son plus célèbre descendant, Agamemnon, était qualifié par Homère comme « le plus cupide d’entre les Grecs » : celui dont l’aspiration ou la volonté de progrès est la plus forte.
Cette aspiration se poursuit dans le corps lorsque commence le yoga correspondant, mais elle ne permet jamais de jouir des fruits que l’aventurier de la conscience sent à portée de mains. Bien au contraire, il doit faire face à une aridité progressive dans le corps – la matière cellulaire crépusculaire à laquelle se mêle de moins en moins de vital – au fur et à mesure de sa capacité à l’affronter (la terre noire que dessèche un dieu).
La « vieillesse » de Tantale dans l’Hadès confirme bien qu’il s’agit de la fin du processus.
Dans la version d’Athénée (second siècle après J.-C.), Tantale étant un familier des dieux qui le recevaient à sa table, les convia en retour à un banquet. Zeus lui ayant promis de lui accorder tout ce qu’il désirait, il demanda à vivre la même vie que les dieux. Zeus fut obligé d’accéder à sa demande mais suspendit un rocher au-dessus de sa tête afin qu’il ne puisse jouir de ce qu’on lui présentait.
Nombre d’éléments de cette version avaient déjà été évoqués par Pindare six siècles plus tôt, mais le rocher ne menaçait pas d’écraser Tantale ; il l’empêchait seulement d’accéder à la joie.
Dans d’autres versions, Tantale est puni soit parce qu’il a sacrifié son fils Pélops, soit parce qu’il s’est montré orgueilleux ou encore a divulgué des mystères qui auraient dû rester secrets.
Le sacrifice de Pélops
Il en existe deux versions principales.
Dans la plus connue, Tantale tua son fils et l’apprêta pour le repas des dieux. Si cette version semble puiser des éléments dans une tradition archaïque et a été largement reprise à l’époque des tragiques, il semblerait que Pindare n’ait probablement pas voulu cautionner les incompréhensions qui auraient pu résulter du repas cannibale offert aux dieux. Cet auteur la rejeta donc comme une fiction des mortels et proposa une version alternative dans sa Première Olympique. Il laissa cependant un certain nombre d’éléments inexpliqués, telle la raison pour laquelle Pélops fut placé dans un chaudron ou encore muni d’une épaule d’ivoire.
La version la plus courante peut être résumée comme suit :
Tantale était un familier des dieux dont il partageait les repas. Il tua son jeune fils Pélops et le servit comme nourriture aux dieux. Reconnaissant la nature du plat, les dieux ramenèrent Pélops à la vie (selon certains en faisant bouillir ses restes dans un chaudron sous la surveillance de Rhéa). Cependant, Déméter, éperdue de douleur à cause de la disparition de sa fille Perséphone, avait mangé par distraction une épaule de l’enfant. Mais elle la remplaça par une épaule en ivoire (ou bien ce sont tous les dieux qui le firent).
Selon certains, c’est en raison du sacrifice de son fils et du festin cannibale que Tantale fut puni dans l’Hadès.
Tous les auteurs s’accordent à dire que Tantale était un familier des dieux. Pindare affirme même qu’il avait été rendu immortel par le nectar et l’ambroisie. Il est donc peu probable qu’il ait voulu « tester » les dieux ou même les tromper comme avait tenté de le faire Prométhée, car la relation du chercheur avec les mondes de l’Esprit n’est plus la même.
Rappelons que la nourriture des dieux est faite de nectar et d’ambroisie.
L’ambroisie « immortelle » est la nourriture qui maintient dans l’état de non-dualité (a-brosios : qui n’est pas mortel). Selon Homère, elle avait été apportée par les colombes depuis l’extrême Occident : elle maintient la « paix » ou la « parfaite égalité ». Homère ajoute qu’« Iris la donnait en nourriture aux chevaux divins d’Arès » : le courant de force-conscience – qui relie les forces du surmental entre elles ou bien ces mêmes forces à la conscience humaine – la fournit pour alimenter et dynamiser les forces (vitales) qui travaillent au renouvellement des formes pour une juste évolution.
Le mot nectar a les mêmes lettres structurantes qu’Actor et le « divin » Hector. Il s’agit donc de « ce qui permet dans la manifestation l’évolution du juste mouvement d’ouverture de la conscience vers l’esprit » (Ν+ΚΤ+ΩΡ). Comme l’ambroisie, il provient des origines de la vie, nourrissant de derrière le voile le supraconscient qui guide l’humanité. Si l’ambroisie est liée au principe d’Unité en l’esprit, le nectar, qui est une boisson, serait davantage en rapport avec la Joie.
Tantale servant son fils comme nourriture aux dieux est l’image d’un chercheur qui offre en sacrifice au divin tout ce qui résulte de son aspiration tout en considérant qu’il est parvenu au terme du yoga. En effet, tuer son propre fils, c’est mettre fin à sa descendance et donc arrêter le mouvement de l’aspiration.
Mais pour les états de conscience du surmental, il ne peut être question de mettre un terme au yoga tant que la nature extérieure n’est pas transformée.
(Les versions dans lesquelles les dieux mangent le repas offert sont donc selon nous le résultat d’une incompréhension progressive.)
Pindare ne mentionne pas le festin, mais raconte seulement que Pélops a été plongé dans un chaudron, puis muni d’une épaule en ivoire, sans toutefois préciser s’il a été tué et dépecé auparavant :
Tantale était tenu en haute estime par les dieux. Il avait même été rendu « impérissable » par le nectar et l’ambroisie. Comme son jeune fils Pélops était retiré du chaudron par Clotho, resplendissant et muni d’une épaule d’ivoire, Poséidon s’en éprit.
Puis, tandis que Tantale rendait aux dieux leurs invitations en leur offrant un repas sur le mont Sipylos, Poséidon enleva le jeune Pélops et l’emmena au palais de Zeus pour être l’échanson des dieux. (Ce qui sera plus tard la fonction du troyen Ganymède, fils de Tros dans la lignée d’Électre.)
Comme l’enfant n’était pas rendu à sa mère, un voisin jaloux aurait répandu la rumeur que les dieux l’avaient démembré, fait bouillir et mangé. Ce que Pindare s’empresse de condamner comme un pur mensonge.
Puis l’auteur ajoute que Tantale fut puni dans l’Hadès pour sa « suffisance » : il avait en effet osé transmettre aux convives de son âge le nectar et l’ambroisie. Dans l’Hadès, privé de joie, il tentait sans cesse d’enlever la lourde pierre que Zeus avait suspendue au-dessus de lui.
Quant à son fils Pélops, les dieux le renvoyèrent parmi les mortels.
Dans cette version, Pindare présente un peu différemment le tournant du yoga sans que toutefois le sentiment d’être parvenu à son terme soit clairement explicité. Seul est mentionné l’orgueil d’avoir voulu étendre prématurément la non-dualité à l’ensemble de l’être. En effet, se prétendre au-delà de la dualité parce qu’elle a été réalisée en l’esprit ne doit pas servir de paravent à celui qui ne s’est pas libéré de l’ego. La perception du bien et du mal est nécessaire jusqu’à cette libération, au risque de laisser libre cours à ses penchants.
Le chercheur est donc parvenu à un stade très avancé du yoga dans la Connaissance, participant même de la non-dualité en l’esprit (la spiritualisation de l’être ou transformation spirituelle) : Tantale partage le nectar et l’ambroisie avec les dieux.
Il a un fils Pélops dont on peut comprendre le nom comme celui dont « la vision est obscurcie », signe d’une perte d’orientation sur le chemin. D’autres interprétations pourraient être « celui qui s’approche de la vision » (celui qui est presque devenu « le voyant » de la tradition védique) ou encore « celui qui a la vision de l’ombre ».
Le chercheur conserve cependant une certaine « suffisance » qui vaudra à Tantale, selon certains, sa punition dans l’Hadès. Cette certitude d’être plus avancé sur le chemin qu’il ne l’est en réalité sera confirmée ultérieurement par l’épisode des enfants de Niobé, fille de Tantale, tués par Artémis et Apollon (car Niobé prétendait être plus féconde que Léto « l’être psychique »).
Le chercheur a été soumis par les forces spirituelles à une purification très poussée (Pélops fut plongé dans un chaudron). Que pour ce faire il ait subi un processus similaire au processus alchimique – séparation des éléments, purification, puis réunion – c’est peut-être ce qui fut exprimé symboliquement par le démembrement et la cuisson de Pélops dans le mythe archaïque. Mais Pindare ne donne aucune explication ni aucun détail concernant cette purification, notant toutefois qu’elle est parvenue au point où le chercheur a franchi à moitié « la porte des dieux » : c’est en effet le symbole de l’épaule d’ivoire offerte à Pélops par Déméter, la force qui veille au processus de l’union. Cette image exprime alors que la libération en l’esprit ne constitue que la moitié du chemin.
Rappelons que la « porte des dieux » de l’Arbre des Sephiroth se situe dans le corps au niveau des clavicules et constitue le passage vers la non-dualité permanente en l’Esprit. L’ivoire est en effet la matière osseuse la plus belle et la plus pure.
L’épaule a aussi pour symbole « un pouvoir de réalisation » qui découle de la Volonté.
C’est la déesse Clotho « celle qui file la trame de la vie », l’une des Moires, filles de Thémis et de Zeus, qui retira l’enfant Pélops du chaudron. Sachant d’autre part que celui-ci fut renvoyé parmi les mortels, on est en présence de deux éléments qui introduisent un complet renversement du chemin spirituel, une modification radicale de la trame. Alors que toute l’aspiration était jusque-là orientée vers l’union avec le Divin en l’Esprit, l’aventurier de la conscience doit désormais plonger dans les fondements de la vie et de la matière corporelle vers une union plus totale. Cela ne se fera pas toutefois sans difficulté.
Le chercheur est arrivé au point ultime du yoga personnel, symbolisé ici par le mont Sipylos « la porte du Σ (sigma) », c’est-à-dire la porte de « l’homme ». Au-delà, il doit se défaire de sa volonté propre dans le yoga pour s’abandonner exclusivement entre les mains du Divin. Ce qui signifie qu’il a une connexion non seulement à la lumière supérieure de l’esprit mais aussi à l’être psychique qui lui indique « l’exactitude » dans tous ses mouvements.
A la suite de cette purification très poussée, le chercheur traverse une phase où il est rempli de la joie qui résulte de son aspiration, sans toutefois en percevoir exactement l’origine, car elle y est apportée par le subconscient : Pélops est enlevé par Poséidon, pour servir d’échanson aux dieux. Il précède dans ce rôle Ganymède « celui qui a pour dessein la joie » enlevé par Zeus.
La lignée de Tantale étant reliée au mental supérieur et celle de Troie au mental illuminé, il s’agit donc d’une progression dans la joie divine. Toutefois, cette première expérience n’est que temporaire (Pélops est renvoyé parmi les mortels) car la joie ne s’installe définitivement qu’avec le mental illuminé, lorsque l’Absolu prend la direction du yoga (lorsque Zeus donna des chevaux divins en échange du troyen Ganymède).
Ce moment de la libération personnelle est aussi, selon les anciennes traditions, celui où il n’y a plus de nécessité de réincarnation. Le renvoi de Pélops parmi les mortels serait alors aussi le choix du subconscient le plus élevé de continuer le yoga pour l’humanité.
Le yoga personnel touchant à sa fin, c’est dans le corps que va désormais s’inscrire l’aspiration ou la volonté de progrès (Tantale est envoyé dans l’Hadès). Il ne s’agit pas d’une aspiration du mental imposée de l’extérieur au corps, mais bien d’une aspiration qui doit naître dans les cellules elles-mêmes qui doivent découvrir la joie de l’union et accéder à leur propre pouvoir (par exemple sur les maladies). Il s’agit alors de la divinisation de la matière corporelle.
Pindare, qui contestait le repas cannibale, devait trouver un autre motif de bannissement. Pour cela, il s’appuya sur la volonté du chercheur d’étendre la non-dualité et la joie à toutes les parties de son être avant qu’elles ne soient suffisamment purifiées (Tantale aurait partagé le nectar et l’ambroisie avec les convives de son âge). Pour lui, Tantale était rempli de prétention, « suffisant ».
Dans l’Hadès, Tantale ne craint pas la chute du rocher, mais ressent ce dernier simplement comme une obstruction permanente au-dessus de sa tête : le chercheur éprouve une incapacité à se connecter aux mondes de l’Esprit dont il était précédemment proche. En comparaison de la joie qu’il goûtait en ces mondes, il entre alors dans une existence qui en est dénuée (Tantale perd les joies de l’Olympe).
Le yoga est coutumier de ces nombreux renversements dans lesquels ce dont on a joui pendant une certaine période est soudainement enlevé.
Il serait logique que la femme de Tantale exprime par son nom cette totale libération personnelle. Toutefois aucune source ancienne ne donne une telle indication, même si toutes convergent en général pour indiquer une très grande maîtrise.
Elle est diversement nommée, selon des sources secondaires :
– Euryanassa « une vaste maîtrise ».
– Klytia « la célèbre », fille d’Amphidamas « une maîtrise totale » (Phérécyde).
– Stéropé « une vision par éclairs », une Pléiade fille d’Atlas.
– Dioné « l’évolution de l’union en conscience ». Selon Hygin, c’est une Pléiade mais aucun autre auteur ne le confirme.
Les enfants de Tantale : Pélops et Niobé
Niobé
Nous avons déjà examiné l’histoire de Niobé « l’incarnation de la conscience en évolution » dans le deuxième chapitre lors de l’étude de la fondation de Thèbes. Nous n’en rappelons ici que ce qui a trait à la fin du processus.
Niobé avait six fils et six filles dans la fleur de l’âge. Elle se prétendait supérieure à Léto sous prétexte qu’elle avait davantage d’enfants que la déesse. Celle-ci en fut irritée et chargea ses enfants de la punir : Apollon tua ses fils et Artémis ses filles. Leurs cadavres restèrent neuf jours sans sépulture, baignant dans leur sang, car, selon certains, Zeus avait transformé tout le monde en pierre. Le dixième jour, les dieux Ouraniens s’apaisèrent et les ensevelirent eux-mêmes. Niobé fut changée en pierre sur le mont Sipylos, où elle digère ses deuils imposés par les dieux.
Niobé est l’épouse d’Amphion, le roi de Thèbes. Celui-ci posa, avec son frère, les fondations de la ville, c’est-à-dire les bases du processus de purification. Mais c’est alors la volonté personnelle qui est à l’œuvre et non l’être psychique, quelles que soient le nombre des réalisations obtenues. A un moment donné du chemin, l’être psychique arrête, de manière assez violente, tous les développements de ce processus de purification (les enfants de Léto, Apollon et Artémis tuent les enfants de Niobé) car le chercheur est trop sûr d’être dans le droit chemin compte tenu des réalisations obtenues (Niobé se prétendait supérieure à Léto) alors qu’il suit sa conception et sa volonté personnelle.
Dans ce mythe, l’accent est mis sur le fait que la progression spirituelle ne se mesure pas le plus souvent au nombre de réalisations obtenues et étalées au grand jour. Nombre d’entre elles peuvent en effet résulter de résurgences d’anciennes progressions de l’humanité ou de traditions qui perdurent, sans pour autant que le processus évolutif soit correctement intégré. Mère insiste sur ce point à de nombreuses reprises lorsque Satprem se plaint d’un manque de réalisations visibles. C’est aussi ce qu’elle explique à propos du gourou tantrique du disciple.
En effet, les six fils et six filles de Niobé expriment des travaux de yoga et des réalisations parfaitement équilibrés obtenus par un processus de purification conduit par la volonté personnelle. Mais la volonté personnelle qui prétend porter plus de fruits que l’être psychique et se « vante », même de façon subtile, doit céder la direction du yoga à l’être psychique (Niobé se prétend plus féconde que Léto).
Ce mythe confirme ce qui a été souligné pour Tantale lorsque le chercheur veut que sa nature inférieure accède à la non-dualité sans avoir été purifiée (Tantale voulait partager avec ses amis le nectar et l’ambroisie).
Désormais, ce n’est plus la volonté personnelle de progrès qui peut seule réaliser le travail et les instruments de l’être psychique prennent le dessus afin de gouverner la nature toute entière. Pélops et Niobé correspondent donc à peu près au stade de la transformation psychique.
Le chercheur est alors privé des réalisations correspondantes qui ne s’effacent cependant pas de la conscience (les cadavres restent dans leur sang).
Pour bien marquer qu’il s’agit d’une transformation radicale, il y a, venant du supraconscient, un bouleversement dans l’intelligence du processus qui fait que le chercheur ne peut reconnaître et honorer ce qui fut utile à un moment du chemin mais doit désormais céder la place (Leurs cadavres restèrent neuf jours sans sépulture).
C’est ce même supraconscient qui, après une période d’intégration, imposa à l’être cette compréhension (Le dixième jour, les dieux s’apaisèrent et les ensevelirent eux-mêmes).
Le mont Sipylos marque la limite extrême du yoga fait par la volonté personnelle (La porte de l’humain). Le processus de conscience représenté par Niobé ne peut se poursuivre au-delà, car il est immobilisé à « la porte de la conscience humaine » (Niobé est changée en pierre sur le mont Sipylos).
Ce mythe évoque donc un retournement fondamental dans le yoga qui prépare la guerre de Troie, avec la volonté d’une transformation plus poussée de la nature extérieure.
En effet, avec Tantale et son fils Pélops, on peut considérer que sont effectives la transformation spirituelle (Tantale est un familier des dieux) et la transformation psychique (Pélops époux de Niobé).
Cette phase du yoga est donc un passage incontournable, car elle doit permettre de dépasser ce qui a constitué le but ultime des yogas du passé. Le temps symbolique de neuf jours correspond à une phase de gestation qui ne peut être évitée ni raccourcie par la volonté personnelle (car ce sont les dieux qui finissent par enterrer les cadavres le dixième jour).
Peut-être la mention des dieux Ouraniens fait-elle référence à la transition du Soi statique au Soi dynamique qui, selon Sri Aurobindo, est opérée par le Supramental.
Dans l’expérience du Soi où disparaît la conscience d’ego, le chercheur perd conscience de lui-même en tant qu’entité séparée, ce qui entraîne un état dans lequel il n’y a plus le désir de participer au monde. L’identification au corps, au vital et au mental a cessé et le chercheur a découvert la source impersonnelle de son être qui se tient dans le silence. Il rentre dans « un vide qui serait plein de lumière, d’une paix, d’une immensité, échappant à toute forme et à toute définition. C’est le néant, mais un néant qui est réel et qui peut durer éternellement ». Cette réalisation fait « sortir du temps » et donc du devenir. Une première étape donne de la vie une impression d’irréalité et le chercheur n’a en conséquence aucun désir de s’y impliquer, jusqu’à vouloir s’échapper définitivement dans l’Absolu. Il peut aussi faire l’expérience du Nirvana qui est « extinction » ou dissolution de l’individualité dans une conscience ou un Être cosmique ou transcendant. Mais il y a une seconde réalisation, qui fait percevoir non seulement l’aspect statique mais aussi l’aspect dynamique du Soi, et ouvre les portes à une réorientation totale du yoga vers une transformation terrestre. Il y a en fait un « saut » entre les réalisations du Soi statique et du Soi dynamique. Cette brèche est comblée par le supramental qui est à la fois statique et dynamique.
Pélops
Pélops est donc le symbole de la fin du « yoga personnel » et du début du yoga pour l’humanité entière.
Le chercheur doit tout d’abord accepter que le travail de maîtrise n’est pas terminé : c’est l’histoire de la conquête d’Hippodamie « la maîtrise de la force » par Pélops « la vision voilée » (ou « celui qui s’approche de la vision »). C’est une étape du chemin où le chercheur, non satisfait de la seule libération personnelle, veut acquérir « le pouvoir de transformation » pour l’humanité entière.
Nous avons vu qu’après la purification approfondie effectuée par les puissances de l’Esprit et le passage partiel de « la porte des dieux » (lorsque Pélops est ébouillanté et pourvu d’une épaule d’ivoire), le chercheur dynamise temporairement les puissances de l’esprit en lui par la joie de son être libéré du désir et de l’ego (Pélops est l’échanson des dieux sur l’Olympe).
(Si la première épaule en ivoire correspond à « la libération en l’esprit », la seconde serait alors associée à la « libération de la Nature », selon les termes de Sri Aurobindo, et au début de la « transformation supramentale ». Ce qui suppose au préalable « une libération des préférences mentales, vitales et physiques ; une paix solide et une absence de toute perturbation et de tout trouble ; un pur bonheur spirituel et intérieur et une aise spirituelle invariable en son être naturel ; une joie claire et le rire de l’âme qui embrasse la vie et l’existence ».)
C’est alors que « l’aspiration pour l’union » doit désormais apprendre à œuvrer dans la matière corporelle, tandis que le chercheur est privé de la proximité et du soutien des forces de l’esprit : Tantale est envoyé dans l’Hadès et Pélops renvoyé sur Terre. C’est donc un double processus qui va se poursuivre, d’une part dans l’inconscient corporel, d’autre part dans le conscient.
Lorsque la barbe de Pélops eut poussé, il décida de se marier. Son choix se porta sur la fille d’Oinomaos, roi de Pise en Élide que certains donnent pour un fils d’Arès et de Stéropé. Celui-ci organisait des courses de char, annonçant qu’il donnerait sa fille au prétendant qui le vaincrait. Ses chevaux étaient excellents car ils lui avaient été offerts par son père Arès. Il laissait donc partir les prétendants en avant, le temps de sacrifier un mouton à Zeus, puis les rattrapait et leur lançait son javelot dans le dos.
« Seul dans le noir », Pélops avait conscience qu’il devait affronter Oinomaos et s’en remit totalement à Poséidon. Il sollicita la protection du dieu et son aide pour affronter l’épreuve. Poséidon, qui était tombé amoureux de Pélops et l’avait emmené sur l’Olympe, lui offrit un char en or et des chevaux ailés infatigables.
Lorsque Pélops se présenta, Oinomaos avait déjà tué douze ou treize prétendants.
Hippodamie demanda au cocher de son père, Myrtilos, fils d’Hermès, de favoriser la victoire de Pélops dont elle était tombée amoureuse. Pélops triompha, le cocher ayant saboté le char et ainsi causé la mort d’Oinomaos. Selon d’autres, ce fut Pélops qui le tua lui-même.
Puis le cocher fut à son tour tué par Pélops parce qu’il avait tenté de violenter Hippodamie dont il était lui aussi amoureux. Avant de mourir, il maudit la race de Pélops. Celui-ci fut cependant purifié du meurtre par Héphaïstos.
Cette histoire, qui marque le point de retournement du yoga, se situe le plus probablement entre le moment où les enfants de Niobé sont tués et celui où les dieux Ouraniens leur donnent une sépulture. Elle se déroule en Élide, la province de l’union où se trouve la ville des vainqueurs, Olympie, symbole de ceux qui ont accomplis le yoga personnel (la double transformation psychique et spirituelle, et donc l’accès au surmental).
Durant cette période, le chercheur s’est enfoncé plus avant dans un chemin inconnu, ou bien il a acquis une vision plus pénétrante de la nature de son ombre ou encore s’est approché davantage de la vision (la barbe de Pélops a poussé).
La maîtrise a déjà été largement acquise dans les phases précédentes du yoga, sur les plans du mental et du vital. Hippodamie, littéralement « celle qui dompte le cheval », représente ici « la maîtrise de la force » qui, unie à Pélops, devient le pouvoir de transformation.
Ce qui dans le chercheur « désire vivement l’ivresse divine », symbolisée par le père d’Hippodamie, Oinomaos, est parfois associé au mental supérieur lorsque Stéropé est son épouse. Hygin et Pausanias, pour qui Oinomaos est un fils d’Arès, placent cette quête de la joie dans le cadre de la progression dans l’exactitude par un rapide renouvellement des formes. Il s’agit pour le chercheur de ne pas perdurer dans des formes qui ne sont plus utiles.
Selon Sri Aurobindo, pour effectuer la transition de la libération personnelle et de la jouissance de l’unité cosmique vers la transparence totale, il est nécessaire que le mental se soit élargi et soit entré en l’unité de l’Esprit afin qu’agissent ses instruments : la Connaissance, la Volonté et la Joie. Ce sont trois symboles de réalisations qui apparaissent avec Pélops : Tantale partage le repas des dieux, Pélops est muni d’une épaule en ivoire et Oinomaos « celui qui désire vivement l’ivresse » engendre Hippodamie.
Vient donc un moment où « la force de progrès » stimule le chercheur pour qu’il acquière un pouvoir de transformation sur la nature inférieure (Pélops, fils de Tantale veut épouser Hippodamie). Mais cette aspiration seule est impuissante à lui assurer la victoire, car ce qui en lui est attaché à la quête de la jouissance divine n’accepte d’orienter le yoga que dans une direction qui lui serait supérieure (Oinomaos « celui qui désire vivement l’ivresse divine » ne veut donner sa fille qu’à celui capable de le vaincre dans une course de chars).
Le chercheur sollicite alors l’aide de la puissance qui gouverne son subconscient et qui lui a démontré son soutien indéfectible en le menant jusqu’à la libération en l’esprit (Pélops demande le soutien de Poséidon qui est amoureux de lui et l’a conduit sur l’Olympe).
Selon Pindare, Pélops avance « seul dans le noir » pour demander de l’aide à Poséidon : le chercheur avance sans connaître le chemin.
On notera cependant que Poséidon ne se montre pas toujours apparemment si bienveillant, car c’est une force au service de l’âme et non de la personnalité égotique.
Mais cette quête de la joie, issue d’un combat pour l’exactitude par le renouvellement des formes (le guerrier spirituel), a acquis le soutien de forces vitales issues elles aussi de la même source (les chevaux d’Oinomaos étaient excellents car ils lui avaient été offerts par son père Arès).
Autrement dit, le chercheur ne peut imaginer de but plus élevé que celui de la poursuite de la Joie et plus à même de générer une maîtrise supérieure (certains disent qu’Oinomaos était amoureux de sa fille). Il élimine donc progressivement tous les autres moyens de yoga qui y prétendent.
Pendant une certaine période, le chercheur laisse jouer en lui ces velléités, les sachant inopérantes, puis les élimine une par une. (Oinomaos laissait partir les prétendants en avant puis les tuait).
Mais à ce stade, la poursuite de la « jouissance divine » personnelle ne peut plus pour certains constituer un but suffisant, car ils aspirent à la transformation de l’humanité entière.
Pour dépasser cette quête soutenue par les forces du supraconscient qui travaillent en vue de l’exactitude, le chercheur doit faire appel à son subconscient le plus élevé ; en réponse, il reçoit le soutien d’une force vitale « libérée » capable de grande endurance. Cette puissance de volonté peut agir dans le mental sous une forme parfaitement adaptée au chemin (Poséidon offre des chevaux ailés infatigables et un chariot en or à Pélops). C’est le signe que le chercheur est parvenu à un grand détachement et une grande égalité qui lui permettent de se maintenir concentré sur son but de yoga avec une grande constance et efficacité. Plus pratiquement, il existe un stade du yoga où le chercheur ne ressent plus de fatigue dans ses activités.
Sans doute faut-il voir dans le char en or une personnalité purifiée de ses attachements, du désir, de toute préférence et de toute répulsion.
En fait, ces cadeaux sont le résultat du long travail de purification effectué à la fois par le chercheur et par les forces spirituelles (Pélops fut ébouillanté par les dieux).
Pour que le renversement s’effectue complètement, il faut que Pélops puisse épouser Hippodamie, c’est-à-dire que la volonté de purification et de maîtrise soit détournée de la seule quête personnelle de l’extase (Oinomaos) pour se focaliser sur le travail dans la nature extérieure, dans les couches archaïques du vital et du corps.
Dans certaines versions plus élaborées, ce ne sont plus seulement les chevaux offerts par Poséidon qui permettent de gagner la course car Hippodamie demande au cocher d’Oinomaos, Myrtilos « le myrte », de provoquer la mort de son maître.
Le myrte était porté par les prêtresses et les mystes dans le temple de Déméter et Perséphone lors des mystères d’Éleusis : les initiés aux mystères de Dionysos couronnaient leur front de cette plante qui figurait parmi les favorites du dieu. Le myrte est donc un arbre symbolique attaché à ceux qui marchent sur le chemin de l’extase, du moins à ceux qui ne visent pas seulement la libération mais aussi une jouissance cosmique du pouvoir de l’Esprit.
Myrtilos est un fils d’Hermès, et donc un accomplissement du surmental.
Jusqu’alors, c’est le mental le plus haut qui a dirigé la quête vers le développement de l’ivresse divine (c’est le cocher d’Oinomaos), et en cela, il était à sa place, car fils d’Hermès.
Mais dans le retournement, il est nécessaire que la partie du surmental qui s’est jusque-là consacrée à la quête de l’extase, aussi illuminée et intuitive soit-elle, commence par accepter de participer au changement d’objectif du yoga, puis soit elle-même éliminée de la direction du chemin, car ce n’est plus désormais à elle de tenir les rênes de la quête.
Certains auteurs justifient son élimination en disant que Myrtilos avait voulu violenter Hippodamie : cet aspect du surmental tente donc de reprendre de force la direction du travail de maîtrise. C’est pourquoi Pélops est purifié du meurtre qui est donc en accord avec le chemin juste.
Désormais, le chemin ne peut donc plus être motivé par une quête personnelle de la jouissance divine. Seules peuvent conduire la quête deux formes particulières de l’aspiration, qui, sous les apparences d’Atrée et de Thyeste, vont se révéler contradictoires et difficiles à concilier, le trône passant à plusieurs reprises de l’un à l’autre.
Le meurtre de Myrtilos est à l’origine de la malédiction de la race de Pélops : c’est en effet à partir du moment où le chercheur accepte de descendre dans le chemin de la purification de la nature inférieure que commencent les vraies difficultés.
Mais cette malédiction est aussi synchrone avec l’apparition du vrai pouvoir, issu de la conscience intelligente la plus haute et transmis par le surmental : le symbole en est le sceptre d’Agamemnon, fabriqué par Héphaïstos, confirmant celui de l’épaule d’ivoire. Il fut donné par Zeus à Hermès qui le transmit à Pélops. Par les fils de celui-ci, Atrée puis Thyeste, il parvint à Agamemnon. Selon Homère, il est « héréditaire » (il a été transmis depuis Pélops et donc le signe d’une royauté dont Agamemnon n’a pas le seul mérite) et surtout « indestructible », et donc définitivement acquis.
Quelques autres détails ajoutés par différents auteurs :
Hippodamie tomba amoureuse de Pélops et se tenait sur le char à côté de lui : dès que « la volonté de progrès qui avance dans l’ombre » et « la maîtrise de la force » qui donne la capacité de transformation se rencontrent, elles œuvrent immédiatement ensemble.
un oracle aurait prédit qu’Oinomaos serait tué par son gendre : le chercheur a eu l’intuition que l’entrée dans cette nouvelle phase du yoga mettrait fin à cette quête de la joie personnelle.
Pélops fut le premier qui triompha à Olympie grâce à la rapidité de ses chevaux (Pindare) : le stade du yoga correspondant à Pélops est celui de la fin du yoga personnel.
Les jeux Olympiques
Pour marquer sa victoire contre Oinomaos et la conquête d’Hippodamie, Pélops fonda les Jeux Olympiques. Pindare affirme qu’il fut le premier qui triompha grâce à ses chevaux. Ces jeux se déroulaient à Olympie en Élide, province symbolique de l’union en l’esprit et de la libération (le stade du « libéré vivant »). Ces Jeux précèdent donc le grand tournant du yoga alors que l’être est désormais totalement gouverné par le psychique – les enfants de Niobé, qui se pensait supérieure à Léto, sont morts – et la descente dans le corps.
Ces jeux marquent la dernière grande victoire du yoga personnel car le yoga du corps est un yoga fait pour et par le Divin, et pour l’humanité entière.
Toutefois, la fondation des jeux Olympiques fut diversement attribuée dans l’antiquité et Pélops ne fait pas l’unanimité.
Selon certains auteurs, ils auraient été institués par une divinité crétoise (un Dactyle), l’Héraclès de l’Ida, c’est-à-dire l’achèvement du travail de purification réalisé en vue de l’union, ce qui correspond également à la fin des travaux du héros et au même stade du chemin.
Selon d’autres, ils auraient été organisés par Zeus lui-même en l’honneur d’Héraclès. Ou encore, Héraclès les aurait fondés pour honorer Zeus après son expédition victorieuse contre Augias, roi d’Élide, évènement que nous avons toute raison de penser antérieur à la guerre de Troie.
Enfin, certains auteurs font un rapprochement entre la théorie et la pratique : institués par Pélops, ils auraient été rénovés par Héraclès.
Ces jeux achèvent donc la série des quatre grands jeux de la Grèce antique : d’abord les jeux Isthmiques avec Sisyphe, « l’entrée sur le chemin », puis les jeux Néméens « la prise de conscience de la tâche et le début du travail de purification », les jeux Pythiques « le contact conscient avec la lumière psychique » et enfin les jeux Olympiques.
Les enfants de Pélops, parmi lesquels Atrée et Thyeste
Aucun texte avant Sophocle ne permet d’établir avec certitude qu’Atrée et Thyeste soient bien les enfants de Pélops. Selon les auteurs, ce héros eut un nombre variable d’enfants dont les listes divergent tout en conservant un certain nombre de noms identiques : Atrée, Thyeste et Pitthéus (le grand père de Thésée). D’autres ajoutent Chrysippos « une énergie vitale purifiée (en or) », le plus souvent donné pour un bâtard de Pélops. Les autres noms souvent cités sont Alcathoos « une grande rapidité (sur le chemin) » et Plisthènes « la force de naviguer » ou « celui qui est rempli de forces ».
Les filles Astydamie « la maitrise de a ville (de l’être extérieur) » et Nicippé « la force victorieuse » étaient mentionnées au Catalogue des femmes où elles étaient courtisées par trois des fils de Persée, ce qui permettait de faire le lien avec la branche qui traitait de la victoire sur la peur.
Dans le second chapitre, nous avons déjà rencontré Chrysippos dont Laïos tomba amoureux. D’une manière ou d’une autre – suicide, meurtre par Hippodamie seule ou à la suite d’un complot dirigé par Atrée – Chrysippos mourut.
Selon la version classique, Pélops favorisait cet enfant né d’un premier lit. Hippodamie et ses enfants Atrée et Thyeste ourdirent alors sa mort car ils craignaient qu’il n’accède au trône. Quand Pélops découvrit la machination funeste, il exila ses fils et les maudit, eux et leur descendance.
Dans une version un peu isolée, c’est Hippodamie elle-même qui tua Chrysippos.
Rappelons que nous avons indiqué que cette histoire évoquait la volonté prématurée de poursuivre le travail vers une purification totale du vital (Chrysippos « un vital en or ») avant que le travail de libération approfondie illustré par les deux fils d’Hippodamie, Atrée et Thyeste, ne soit terminé.
Cette malédiction lancée par Pélops renforce celle lancée par Myrtilos avant qu’il ne meure des mains de ce même Pélops.
Le conflit entre les deux frères n’apparaît pas chez Homère chez qui la transmission du trône est pacifique, le sceptre passant d’Atrée à Thyeste puis à Agamemnon. Seuls les auteurs postérieurs ont introduit une rivalité, le trône s’échangeant même à plusieurs reprises chez certains auteurs.
De plus, les Tragiques divergent à propos de détails importants.
Nous pouvons comprendre cette légende non comme l’indication de voies qui s’excluraient mutuellement, mais plutôt comme une hésitation sur l’exactitude du mouvement.
Chez Homère, il s’agirait d’une succession ou d’une alternance de mouvements sans indécision particulière. Les épisodes sanglants qui l’entourent ne sont là en effet que pour supporter la dramaturgie.
On peut comprendre comme suit le déroulement général du mythe depuis Pélops jusqu’à Oreste :
Avec Atrée et Thyeste, deux éléments indispensables au renversement du yoga prennent de la force. Puis, après une période de maturation, une puissante aspiration, tournée vers la sagesse la plus haute, initie ce retournement (Agamemnon uni à Clytemnestre, engage la guerre de Troie). Lorsque la bascule est bien engagée, se développe une force d’élévation qui se situe encore dans le cadre d’une recherche d’une amélioration de l’homme mental (Alors que la guerre touche à sa fin, Égisthe s’unit à Clytemnestre et tous deux préméditent la mort d’Agamemnon à son retour à Mycènes. Puis Égisthe règne huit années.) Enfin, la force d’élévation s’éteint lorsque le Divin commence à prendre possession de la nature entière, le travail d’exactitude dans le corps reprenant alors le dessus (Oreste tue Égisthe et Clytemnestre).
C’est cette progression que nous allons reprendre dans le détail, depuis la succession ou l’alternance sur le trône, ou encore le conflit des deux frères Atrée et Thyeste :
Le nom Atrée est construit autour de la racine ΤΡ que l’on retrouve, dans la branche troyenne ennemie, dans le nom Tros, arrière-grand-père de Priam, et aussi dans Catrée, fils de Minos et père d’Aéropé, femme d’Atrée. Il pourrait signifier « celui qui ne tremble pas, qui ne s’enfuit pas (de l’incarnation) », et donc la fin de la peur. Cette compréhension est renforcée par le fait que ses filles épousent des fils de Persée. Avec les lettres structurantes, il serait « celui qui ne poursuit pas le juste mouvement vers les hauteurs de l’esprit ». Il serait ainsi le symbole du prélude à la guerre de Troie, conflit intérieur entre ce qui veut transformer l’homme pour sa perfection dans l’incarnation et ce qui nie sa possibilité.
Atrée exprime donc une « égalité » (sans peur) et une « puissante détermination » qui soutiennent la volonté de transformation. Il serait lié à une forte capacité d’endurance ou même de résistance dans le corps. C’est cette détermination qui permet, grâce à ses fils Agamemnon et Ménélas, la victoire sur les Troyens, et donc la réorientation définitive du yoga. En résumé, il incarne « une intensité d’aspiration pour le Devenir ».
Le nom Thyeste est lié à la racine Θυω, et donc associé au « parfumeur », à « celui qui manie le pilon pour le sacrifice », et représente l’action de grâce pour la perfection divine de la création à chaque instant, « l’acceptation joyeuse, passive et reconnaissante de ce qui Est (extatique) ».
Le conflit Atrée/Thyeste
Le conflit des deux frères Atrée et Thyeste exprime donc l’extrême difficulté à trancher entre deux attitudes afin de réaliser l’exactitude dans le moindre détail :
– d’un côté, avec Thyeste, l’adhésion parfaitement satisfaite à toutes choses, y compris les pires calamités, parce que c’est la volonté divine, qu’il n’y a rien d’autre que le Divin. Cette attitude conduit à un état d’extase statique, nirvanique.
– de l’autre, avec Atrée, une intensité d’aspiration pour une perfection de création qui doit venir et qui impose l’action afin de trancher entre ce qui doit être et ce qui doit cesser.
L’expérience, selon Mère, « c’est qu’on passe de l’un à l’autre, ou bien que l’un est en avant et que l’autre est en arrière, que l’un est actif et que l’autre est passif. Quand ce sentiment de joie parfaite est là, il y a une sorte d’état presque statique (il y a bien en même temps la joie du mouvement, mais pas la prévision du but : c’est là, derrière). Tandis que quand l’aspiration du Devenir est là, cette joie de l’instant, de la perfection divine, ça se retire dans un état statique. Et naturellement, c’est l’alternance même qui pose le problème. »
Les différentes versions du conflit Thyeste-Atrée, conflit ignoré d’Homère, peuvent se résumer ainsi :
Atrée avait promis à Artémis de lui sacrifier le plus bel animal qui naîtrait de ses troupeaux. Mais quand apparut une agnelle d’or, Atrée ne put se résoudre à s’en séparer. Il l’étouffa et la mit dans un coffre.
Thyeste séduisit alors sa belle-sœur Aéropé qui lui donna l’agnelle à l’insu d’Atrée. (Aéropé est une fille de Catrée dans la lignée de Minos.) Par ruse, déclarant devant le peuple que celui qui possédait l’agnelle d’or devait être roi de Mycènes, il s’empara du trône.
Mais Zeus, considérant Thyeste comme un usurpateur, envoya Hermès à Atrée : ce dernier devait convenir avec Thyeste que la royauté lui reviendrait si le soleil inversait le sens de sa course. Lorsque Thyeste eut accepté, le soleil alla se coucher à l’Est. Atrée devint roi et exila son rival.
Plus tard, lorsqu’il apprit la liaison adultère de Thyeste avec Aéropé, Atrée fit mine de vouloir se réconcilier avec lui et le convia à Mycènes. Il tua alors les enfants que Thyeste avait eus d’une nymphe. Il les dépeça, les prépara pour le repas de son frère dont il lui dévoila ensuite la nature avant de l’exiler à nouveau.
Thyeste, désireux de se venger, interrogea l’oracle. Celui-ci lui dit que le fils qu’il aurait de sa propre fille Pélopia le vengerait. (Selon certains, l’inceste se produisit dans le noir, Thyeste ignorant que la femme dont il partageait le lit était sa fille.) Pélopia donna naissance à Égisthe qui grandit loin de son père.
Lorsqu’il eut atteint l’âge d’homme, Égisthe apprit que Thyeste était son père et lui rendit le trône après avoir tué Atrée.
Plus tard, Agamemnon et Ménélas détrônèrent Thyeste et l’exilèrent à nouveau, cette fois-ci à Cythère.
Agamemnon monta sur le trône de Mycènes et quelque temps plus tard organisa le départ pour Troie.
Avant de considérer ces nombreuses péripéties autour du trône de Mycènes, il faut se souvenir que cette cité avait été fondée par Persée (le vainqueur de la Gorgone, et donc symbole de la victoire sur la peur), puis que son petit-fils Eurysthée « une grande force intérieure », lui aussi roi de Mycènes, avait été à l’origine des douze travaux d’Héraclès. Il est donc logique de considérer que les « travaux » sont terminés lorsque débute cette histoire, ce qui confirme la réalisation de la « libération personnelle ».
Pour Eschyle, qui écarte l’inceste de Thyeste avec sa propre fille, Égisthe est seulement l’un des nombreux enfants de Thyeste. Il saute donc une génération.
Pour Hygin, l’inceste est un viol perpétué par Thyeste sans qu’il se fasse reconnaître. Pélopia, alors prêtresse d’Athéna, se suicide lorsqu’elle apprend que l’auteur du crime est son propre père.
Mentionnons aussi que Clytemnestre, épouse d’Agamemnon, aurait été mariée une première fois à un Tantale homonyme, fils de Thyeste, qui aurait réchappé du festin cannibale. Agamemnon l’aurait tué, lui et ses fils.
Ayant renoncé à poursuivre dans la voie de l’extase (Oinomaos), puis à ce que les plus hauts accomplissements du mental dirigent la quête (Myrtilos), ainsi qu’à la prétention à une totale pureté vitale (Chrysippos), le chercheur vit une première expérience du « renouveau » dans la parfaite transparence (une agnelle d’or survient). Le yoga offre en effet à tous les stades des expériences annonciatrices de réalisations futures.
Mais le chercheur n’est ni capable d’en rendre grâce, ni de s’en détacher, ni même de garder vivante cette expérience en lui (Atrée tue l’agnelle et met son cadavre dans un coffre). Il n’en conserve que le souvenir.
Le début de ce mythe repose sur une bonne compréhension du symbolisme de l’agneau ou agnelle d’or.
Nous avons déjà rencontré l’histoire d’un héros refusant de sacrifier un animal malgré les promesses faites aux dieux. Il s’agissait alors du taureau – symbole du « pouvoir du mental lumineux » – que Minos conserva dans ses troupeaux, signe que le chercheur ne pouvait renoncer à « l’attachement aux œuvres et à leurs fruits ».
Ici, il s’agit d’une agnelle d’or. Il est généralement admis que l’agneau est le symbole du renouveau, de la victoire sur la mort. L’agnelle d’or serait alors l’image de la première manifestation de la possibilité indéniable de cette victoire, conséquence d’une sincérité parfaite jusque dans le corps, d’une transparence totale à l’Absolu. Ce passage traite donc d’une expérience dans le corps.
Mais cette réalisation ne peut se maintenir car le germe de « l’appropriation séparative » subsiste. Comme l’ego (ou volonté de jouir de son propre droit et non de celui du Divin) a déjà été éradiqué au niveau individuel mental et vital, il s’agit ici de ses racines dans le corps.
Le chercheur n’est donc pas totalement prêt pour la pureté intégrale car l’ego corporel est trop présent (la promesse de sacrifier le plus bel animal nouveau-né à Artémis). Dès qu’apparaît une transparence, elle est étouffée dans l’œuf d’abord par « l’intensité d’aspiration pour la transformation » (Atrée tue l’agnelle d’or), puis ensuite récupérée par l’attitude « d’acceptation extatique » (Thyeste la dérobe).
Or ces deux orientations « la puissante aspiration pour la transformation (au-delà de la peur) et « l’acceptation joyeuse » revendiquent toutes deux la direction du yoga, chacune quêtant l’approbation de l’ensemble de l’être (le peuple de Mycènes). Devant l’écran de la conscience, chacune d’elles se pense à l’origine de cette première expérience dont le chercheur ne conserve que le souvenir (le trône appartiendra à celui qui détient l’agnelle qui a été tuée et enfermée dans un coffre).
Le chercheur se convainc d’abord que « l’acceptation joyeuse passive » est plus à même de remplir le but (Thyeste prend pour amante la femme d’Atrée, Aéropé, qui lui donne l’agnelle en retour).
Mais le supraconscient sait que le changement de direction dans le yoga doit être dirigé par « la détermination à la transformation » (Zeus considère Thyeste comme un usurpateur). Pour cela, il fait en sorte que le chercheur anticipe une manifestation du supramental qui ne manque pas de se produire ensuite (Zeus envoya Hermès auprès d’Atrée pour qu’il persuade son frère que si Hélios inversait sa course dans le ciel, le trône lui reviendrait. Ce qui se produisit). Rappelons qu’Hélios est le symbole de la lumière supramentale, au-delà du plan surmental représenté par Hermès et plus généralement par le monde des dieux. Le supramental donne donc au chercheur une preuve éclatante qu’il s’engage dans la bonne direction et lui montre qu’il s’agit d’un chemin opposé à tout ce qu’il a parcouru jusqu’alors. Il se positionne ainsi comme la source suprême du changement de la direction du yoga, annonçant un renversement fondamental des lois de l’évolution (Hélios se couche à l’Est).
(Chez certains auteurs, le moment de cette inversion de la course du soleil est situé après le banquet cannibale et non avant.)
Le meurtre des enfants de Thyeste et le repas cannibale
L’attitude de « joyeuse acceptation passive » cesse de se développer (Atrée tue les trois premiers fils de son frère Thyeste et cette lignée ne remontera sur le trône qu’avec Égisthe, le fils de ce dernier, après la mort d’Agamemnon).
Elle est même contrainte en quelque sorte de « faire le deuil » définitif de ses propres réalisations – le plus probablement les joies de la contemplation – qu’elle a été forcée d’abandonner sous la pression de « la détermination pour la transformation » (non content de tuer les enfants de Thyeste, Atrée les dépeça et convia son frère à un banquet où il les lui servit avant de lui révéler la nature du repas).
Mais à partir du moment où « l’acceptation joyeuse » s’unit à l’ombre qu’elle a elle-même dévoilée, elle produit une force utile à la nouvelle orientation de Yoga (Thyeste s’unit à sa fille Pélopia « la vision de l’ombre » et engendra Égisthe « l’homme intérieur qui s’élève »). En effet, cette « orientation d’acceptation » reprendra la direction du yoga à deux reprises (la lignée de Thyeste remonta sur le trône de Mycènes par deux fois. D’abord lorsqu’Égisthe, après avoir tué Atrée, rendit le pouvoir à son père Thyeste qui le conserva jusqu’à ce qu’Agamemnon ne l’en éloigne à nouveau. Puis, lorsque ce même Égisthe régna sur Mycènes pendant sept années après avoir séduit Clytemnestre, la femme d’Agamemnon, et tué ce dernier à son retour de Troie.
Il y a donc de nombreuses alternances du pouvoir entre les deux branches jusqu’à la vengeance finale d’Oreste, fils d’Agamemnon, et la mort d’Égisthe. Les deux attitudes prédominent à tour de rôle, l’aspiration pour la transformation et l’acceptation passive extatique.
Pendant la guerre de Troie elle-même, tandis que l’aspiration travaillait dans l’incarnation pour affirmer la primauté et la vérité de cette nouvelle voie (quand Agamemnon « celui qui désire fortement », le plus cupide de tous les Achéens selon Homère, combattait à Troie pour récupérer Hélène emmenée par Paris), la voie incarnée par Thyeste/Égisthe resta en retrait.
Pléisthénès
Nombre d’auteurs introduisent dans la lignée des Atrides un personnage du nom de Pléisthénès (Plisthène) « celui qui remplit (le manque) avec force » ou « qui a la force de naviguer », symbole du chercheur qui ne cesse jamais d’aller de l’avant, quelles que soient les difficultés rencontrées dans la transformation.
Les sources sont relativement confuses quant à sa généalogie. Certaines en font le père d’Agamemnon et Ménélas par Cléola « une libération célèbre (sur deux plans) », elle-même fille d’une sœur d’Atrée, Dias « l’union en conscience ». Mais comme il mourut jeune, ses enfants auraient été élevés par leur grand-père Atrée. Pour d’autres, il figure seulement comme une dénomination de la lignée au même titre que les Atrides. Ainsi, Ménélas est appelé un Pléisthénide ou un Atride par Bacchylide. Selon Eschyle, Thyeste apprenant la vérité après son repas cannibale aurait maudit toute la race de Pléisthénès.
La seule remarque intéressante le concernant est fournie par un fragment d’Hésiode qui en fait un « hermaphrodite » ou bien un « boiteux », portant un manteau de femme. Ces indices indiqueraient que le chercheur est en passe de réunifier en lui le féminin et le masculin ou qu’il y travaille (hermaphrodite ou boiteux). Il a revêtu le manteau de la réceptivité ou vraie soumission au Réel.
Les autres enfants de Pélops
Parmi les autres enfants de Pélops, citons d’abord Pittheus, le grand-père maternel de Thésée. Ainsi situé dans la lignée de l’aspiration, il permet de faire un rapprochement entre la croissance de l’aspiration et l’évolution intérieure soutenue par le maître intérieur (la lignée des rois d’Athènes). Ce pont entre les lignées qui positionne Atrée et Thyeste avant la naissance de Thésée montre que le non-sacrifice de l’agnelle peut être considéré comme une erreur de yoga, l’une de celles qui seront combattues plus tard par Thésée (Thésée est le grand « redresseur »).
Sont aussi mentionnées plusieurs filles parmi lesquelles : Astydamie « la maîtrise de la personnalité (de la ville) », Lysidice « une libre manière d’agir », Nicippé « la victoire sur le vital » et une Eurydice homonyme « une juste manière d’agir ». Toutes quatre s’unirent à des fils de Persée qui symbolisent des travaux de yoga rendus possibles par la victoire sur les peurs (Persée a déjà tué la Gorgone).
La descendance d’Atrée
Laissant de côté le personnage de Plisthènes, nous considérerons ici la filiation la plus commune, c’est-à-dire Atrée comme père d’Agamemnon et Ménélas.
Agamemnon, fils d’Atrée dans la lignée de Tantale, exprime la synthèse d’une grande détermination ou volonté transformatrice (Atrée) et d’une « puissante aspiration » (Tantale) : selon Homère, c’est en effet le plus cupide de tous les Achéens. Même si l’étymologie de son nom est relativement obscure, elle recouvre dans notre contexte des idées de volonté et d’intelligence discernante. L’union d’Agamemnon et de Clytemnestre indique que cette « volonté intelligente » est dirigée vers « la plus haute sagesse ». La forme ancienne de Clytemnestre ne comporte pas la lettre « Nu » (Κλυταιμηστρα) et ce nom est donc en rapport avec le verbe μηδομαι.
Ce couple célèbre, pilier essentiel de la guerre de Troie, doit donc être compris comme « l’intelligence unifiée », expression du mental concentré qui non seulement connaît mais aussi décide et persiste dans sa décision. Il inclut les deux fonctions de connaissance et de volonté. Il est le symbole de « la volonté intelligente unifiée fixée en l’âme éclairée » au service d’une puissante aspiration pour le Devenir.
Tant que cette intelligence se considèrera comme la mieux à même de diriger le yoga, le renversement vers plus de liberté ne pourra se produire. Cela sera seulement possible lorsqu’Agamemnon acceptera de s’effacer devant le nouveau travail représenté par Achille, celui qui parachève la libération en s’attachant aux infimes mouvements de la conscience dans les détails insignifiants de la vie.
Si Agamemnon dirige les armées contre Troie, c’est pour soutenir son frère Ménélas « celui qui demeure déterminé dans sa vision » d’une plus grande liberté (Hélène).
Sans l’aspiration de la volonté intelligente qui appelle la réponse d’en haut, la seule vision de ce qui doit être serait en effet incapable de mener le renversement du yoga.
Outre ces deux grands héros, Apollodore mentionne une fille d’Atrée, Anaxibie qui pourrait indiquer « le pouvoir sur la force ou sur la vie ».
Agamemnon eut de nombreux enfants dont les plus célèbres sont Iphigénie « ce qui naît avec force » (non mentionnée par Homère), Chrysothémis « la loi en or (l’obéissance à la loi divine) », Laodice « celle qui voit de façon juste », Iphianassa « celle qui a un fort pouvoir » et Oreste « celui qui se tient dans la montagne » ou « celui qui développe la rectitude ou l’intégrité ».
Avec Hélène, Ménélas engendra Hermione « l’évolution juste de la consécration dans le mouvement de l’aspiration (proche par homonymie du surmental figuré par Hermès) » et Nicostratos « le guerrier victorieux ».
La descendance de Thyeste
Les trois fils de Thyeste n’ont d’importance que dans la mesure où ils furent tués par Atrée, meurtre qui mit temporairement fin à la partie active de cette lignée qui découle de « l’acceptation passive extatique ».
C’est avec sa propre fille Pélopia que Thyeste conçut Égisthe, le futur amant de Clytemnestre, qui a son tour engendra Érigone et Alétès : par l’intégration de l’ombre s’ouvre de nouvelles possibilités.